La plante de tabac
Au XXIe siècle, la consommation de tabac se fait principalement via la cigarette. Mais, si le tabagisme a eu différentes formes à travers les époques (comme le cigare, la pipe, le narguilé ou la chique), la matière première de cette consommation reste la même : la plante du tabac. (1) Cette plante psychoactive, originaire d’Amérique du Sud, appartient à la famille des Solanaceae. Le genre Nicotiana regroupe un grand nombre d’espèces, mais celles majoritairement utilisées pour la production de tabac sont Nicotiana tabacum L. et, dans une moindre mesure, Nicotiana rustica L. . On la cultive pour ses feuilles qui, une fois séchées, vont servir à la production des différents types de tabac. (16)
Récepteurs nicotiniques de l’Acétylcholine (nAChR)
Parmi les deux types de récepteurs de l’acétylcholine que nous avons vu précédemment, les récepteurs nicotiniques (nAChR) sont ceux impliqués lors de la consommation de tabac. (28) Ces récepteurs polymériques ionotropes appartiennent à la classe des récepteurs canaux. Lorsqu’ils sont stimulés par des médiateurs dits « excitateurs » (comme la nicotine), le canal ionique (sélectif aux cations Na+, K+ et Ca2+) s’ouvre, induisant une dépolarisation de la membrane cellulaire. Une dépolarisation suffisamment importante pour dépasser le seuil d’excitabilité générera un potentiel d’action et, par conséquent, la transmission de l’information. (17)(19) nAChR suit le modèle d’une modulation allostérique du récepteur par son ligand, impliquant qu’il peut être :
– Au repos, le canal est fermé ;
– À un état activé, ouvert par la fixation d’un agoniste ;
– Désensibilisé, le canal reste fermé malgré la fixation du médiateur. (29)(30)
L’acétylcholine est rapidement dégradée par l’acétylcholinestérase dans l’espace extracellulaire, ce qui induit peu de risque de désensibilisation. (24) La nicotine, en revanche, est dégradée beaucoup plus lentement au niveau hépatique, ce qui lui permet de se lier de manière persistante ou répétée aux récepteurs nicotiniques, pouvant ainsi les saturer ou les désensibiliser. (20)
Dépendance psychologique et comportementale
Le trouble de l’usage du tabac est plurifactoriel, la dépendance d’un patient repose sur une composante physique, que nous avons décrite précédemment, mais également psychologique (le tabagisme intervient dans la gestion des émotions du fumeur) et comportementale (l’acte de fumer peut être un rituel, une habitude, un réflexe conditionné). On retrouve une forte comorbidité entre le trouble de l’usage d’une substance, comme ici le tabagisme, et d’autres troubles psychiatriques. Il s’agit par exemple de troubles comme l’anxiété, les troubles obsessionnels compulsifs, la dépression, les troubles maniaques, la schizophrénie, ou encore les troubles liés au stress. (41)(42)(43) Certaines études ont montré une potentialisation entre l’exposition répétée à un stress social et à la nicotine, conduisant à une hyperdopaminergie, pouvant expliquer un lien entre la dépendance au tabagisme et les troubles de l’humeur. (44)(45) Le stress se positionne donc comme un facteur de vulnérabilité de développement d’un trouble de l’usage d’une substance, et d’un comportement addictif. La capacité à arrêter le tabac est souvent autant diminué que l’état dépressif est marqué. Par ailleurs, des essais sur des souris exposées à la nicotine et un stress social ont montré une perturbation de la prise de décision, amenant les souris à privilégier l’exploitation (c’est-à-dire une récompense immédiate plus faible) à l’exploration (impliquant une récompense différée plus importante). Les souris non-exposées à la nicotine se tournent quant-à-elle plus volontiers vers l’exploration. (20)(46) Par conséquent, cela nous prouve que l’impulsivité est un facteur de risque conduisant au tabagisme, et que celui-ci, de son côté, provoque des comportements impulsifs du sujet. (47) Il est alors possible de conclure que les terrains émotionnel et psychologique du fumeur ont un impact sur le développement de sa dépendance, au même titre que l’impact physique lié à l’action de la nicotine elle-même.
Autres méfaits du tabagisme
Plus succinctement, il est possible de mettre en avant la toxicité du tabac dans l’augmentation des risques de maladie de Crohn (ils sont doublés), et une augmentation de sa symptomatologie. La fréquence des poussées inflammatoires est plus importante et il est plus souvent nécessaire d’instaurer un traitement immunosuppresseur plus lourd chez un patient fumeur que chez un non-fumeur. (95) Le fumeur est aussi plus sensible au déclenchement d’un diabète de type 2. (96) La consommation de tabac provoque entre autres une coloration des dents, un vieillissement prématuré de la peau, une diminution de l’odorat, ou facilite le développement de l’ostéoporose. (1) Enfin, il n’est pas rare de retrouver une co-dépendance au tabagisme avec une autre substance, comme par exemple l’alcool, le cannabis ou d’autres drogues. Une consommation concomitante potentialise les effets de substances psychoactives, tout en amplifiant le pouvoir addictive de la substance comme du tabac. (97) Nous pouvons conclure sur ces différents effets sur l’organisme en précisant qu’un sevrage tabagique, peu importe la durée d’exposition et le nombre de paquets-années consommés, sera toujours bénéfique pour un patient.
Tabac et densité minérale osseuse
L’exposition à la fumée de tabac et ses composants toxiques est associée à une diminution de la densité de la masse osseuse, en agissant sur plusieurs mécanismes physiopathologiques qui prédisposent les fumeurs à cette fragilité osseuse. Mécaniquement, l’os est alors plus sensible à un risque de fracture car sa structure est elle-même moins solide. Sur le long terme, le tabac s’est révélé être un facteur de risque d’ostéoporose et de fracture ostéoporotique. (104) Le mécanisme d’ostéoporose se caractérise par une diminution de la densité cellulaire et minérale osseuse, corrélé au vieillissement d’un individu. Ce phénomène est à l’origine d’une diminution de la résistance mécanique de l’os et de l’augmentation de l’incidence des fractures proportionnellement à l’âge des patients. (108) La consommation de tabac exerce une action directe sur l’os et son architecture cellulaire, mais également une action indirecte en modulant l’activité de certaines hormones. (14)
Hypoperfusion tissulaire
Comme nous l’avons vu un peu plus tôt, l’administration de nicotine diminue le flux sanguin tissulaire, cutané et sous-cutané, en provoquant une vasoconstriction des capillaires sanguins. Ainsi, si un tissu reçoit moins de sang, il reçoit également moins d’oxygène. De plus, le monoxyde de carbone présent dans la fumée de cigarette déplace l’oxygène lié à l’hémoglobine pour prendre sa place, ce qui sous-entend qu’à quantité de sang égale reçue par un tissu, la tension en oxygène de celui-ci sera inférieure chez le fumeur. (127) L’association de ces deux effets signifie que le tissu cicatriciel d’un fumeur est moins perfusé, avec un sang moins riche en oxygène. Sur le long terme, l’administration chronique de nicotine diminue la perfusion distale et le débit sanguin dans les capillaires, mais perturbe également le mécanisme d’angiogenèse, ce qui diminue la création de nouveaux vaisseaux sanguins de la microvascularisation. Cette altération est toutefois réversible à l’arrêt de la consommation, sans dommage histologique notable. (128) En aigu, la mesure de la microcirculation témoigne que lors de la prise d’une cigarette et dans les quelques minutes qui suivent, le débit sanguin capillaire diminue d’environ 25%, avant d’être récupéré de moitié une dizaine de minutes plus tard. Ces mesures de débit ont été prise avant et après une opération. (129) Il est donc toujours bénéfique d’encourager l’arrêt du tabac autour d’une opération chirurgicale, même le jour d’une intervention. Bien évidemment, plus l’arrêt aura lieu tôt en amont, plus les bénéfices seront importants. (105) Pour une cicatrisation optimale, un tissu a besoin d’un apport suffisant en oxygène et en nutriments (apportés par la circulation sanguine). La consommation tabagique ne permet donc pas une cicatrisation dans des conditions optimales.
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Table des matières
INTRODUCTION
ÉTUDES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Tabagisme : généralités
1.1. Caractéristiques physico-chimiques
1.1.1. La plante de tabac
1.1.2. Nicotine
1.1.3. Mécanisme d’action de la nicotine
1.1.4. Acétylcholine
1.1.5. Récepteurs nicotiniques de l’Acétylcholine (nAChR)
1.2. Dépendance au tabagisme
1.2.1. Système dopaminergique et dépendance physique
1.2.1.1. Mécanisme de renforcement
1.2.1.2. « Up-regulation »
1.2.2. Dépendance psychologique et comportementale
1.3. Effets périphériques de la nicotine sur l’organisme
1.3.1. Masse corporelle
1.3.2. Système cardiovasculaire
1.3.3. Autres effets
1.4. Fumée de tabac
1.4.1. Composition et caractéristiques
1.4.2. Toxicités
1.4.2.1. Système respiratoire
1.4.2.2. Monoxyde de carbone
1.4.2.3. Tabagisme et cancers
1.4.2.4. Grossesse et nourrisson
1.4.2.5. Autres méfaits du tabagisme
1.4.3. Tabagisme passif
2. Chirurgie orthopédique et tabagisme
2.1. Os
2.1.1. Tabac et densité minérale osseuse
2.1.1.1. Action directe du tabac sur le métabolisme osseux
2.1.1.2. Action indirecte du tabac sur le métabolisme osseux
2.1.2. Tabac et chirurgie orthopédique
2.1.2.1. Fractures
2.1.2.2. Arthrodèses et implants prothétiques
2.2. Tissus mous
2.2.1. Hypoperfusion tissulaire
2.2.2. Cicatrisation et infection
2.3. Autres tissus
2.3.1. Ligaments
2.3.2. Cartilage
2.3.3. Tendons
2.4. Bénéfices de l’arrêt du tabac en période péri-opératoire
3. Accompagnement au sevrage tabagique
3.1. Nature de l’accompagnement
3.2. Supports à la disposition du praticien
3.3. Thérapeutiques disponibles
3.3.1. Traitements substituts nicotiniques
3.3.2. Traitements pharmacologiques
3.3.3. Quid de la cigarette électronique ?
DÉMARCHE EXPÉRIMENTALE
1. Matériel et méthodes
1.1. Conception de l’étude et recrutement des sondés
1.2. Présentation de l’enquête
1.2.1. Questionnaire à l’attention des pharmaciens d’officine
1.2.2. Questionnaire à l’attention des chirurgiens-orthopédiques et des anesthésistes
1.3. Collecte des résultats et analyse
2. Résultats
2.1. Résultats du questionnaire destiné aux pharmaciens d’officine
2.2. Résultats du questionnaire destiné aux chirurgiens-orthopédiques et aux anesthésistes
2.2.1. Réponses des chirurgiens-orthopédiques
2.2.2. Réponse de l’anesthésiste
3. Discussion
3.1. En officine
3.2. À l’hôpital
3.3. Perspectives d’amélioration du suivi
CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
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