Système Rénine-Angiotensine-Aldostérone
Le système Rénine-Angiotensine-Aldostérone (SRAA) est un système hormonal en cascade qui joue un rôle central dans la régulation du volume extracellulaire, de la perfusion tissulaire, de l’homéostasie hydrosodée et de la pression artérielle. Il fonctionne comme un axe endocrinien dans lequel l’hormone active, l’angiotensine II (AngII) est formée dans l’espace extracellulaire par une séquence de clivages protéolytiques de ses précurseurs (Figure 1). Ce système a été mis en évidence il y a plus d’un siècle mais les dernières décennies ont permis de mettre en évidence son rôle important dans la mise en place des pathologies cardiovasculaires (CV) et rénales [1] .
Cascade catalytique
Le premier élément de la cascade catalytique du SRAA est la rénine. Cette enzyme est synthétisée et sécrétée principalement par les cellules de l’appareil juxtaglomérulaire rénal en réponse à une diminution de la perfusion rénale ou de la concentration de sodium circulant. La rénine catalyse l’hydrolyse de l’angiotensinogène, d’origine hépatique, en un décapeptide : l’angiotensine I (Figure 1). Cette dernière est ensuite clivée à son tour en un octapeptide, l’AngII, par l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ECA) produite principalement par l’épithélium pulmonaire (Figure 1). L’AngII ainsi libérée va pouvoir jouer de multiples rôles [1].
Angiotensine II
L’AngII est un hypertenseur puissant. Cet effet passe par une forte activité vasoconstrictrice ainsi que par une activation du système sympathique entraînant la libération de noradrénaline (Figure 1). De plus, l’AngII est capable d’induire la réabsorption rénale de sodium en agissant directement sur son transport au niveau du tubule rénal, et de manière indirecte, via l’induction de la synthèse d’aldostérone par le cortex surrénalien (cf. chapitre 1.3) [1]. Au-delà de son rôle dans la régulation de la pression artérielle, il a été montré que l’AngII était impliquée dans plusieurs mécanismes physiopathologiques tels que l’inflammation, la fibrose et le stress oxydant et participait à la lésion des organes [2]. Etant donnés les effets majeurs de l’AngII sur la pression artérielle et son implication dans les lésions tissulaires, des antagonistes de son récepteur principale, le récepteur à l’AngII de type 1 (AT1R) ainsi que des antagonistes de l’ECA ont été développés et sont aujourd’hui utilisés en clinique chez les patients souffrant de pathologies CV et rénales [1].
Aldostérone
Synthèse de l’aldostérone
L’aldostérone (Aldo) est une hormone stéroïdienne de la classe des minéralocorticoïdes. Elle est synthétisée à partir du cholestérol et sécrétée principalement au niveau de la zone corticale des glandes surrénales en réponse à une stimulation par l’AngII, par l’adrénocorticotrophine (ACTH) ou par une augmentation de la concentration plasmatique de potassium. Ces différents stimuli induisent une activation de l’expression du gène CYP11B2, qui code pour l’aldostérone synthase, conduisant donc à une augmentation de la production d’Aldo [3]. Une production extra-surrénalienne d’Aldo a également été décrite, notamment dans le système nerveux central [4] et dans le système CV [5].
Mécanismes d’action de l’aldostérone
Deux mécanismes d’action de l’Aldo ont été décrits : des effets génomiques et des effets non génomiques. Le mode d’action de l’Aldo le plus classiquement décrit est un effet génomique qui passe par l’activation de son récepteur, le récepteur minéralocorticoïde, ou MR (pour Mineralocorticoid Receptor), au niveau du néphron distal du rein (cf. chapitre 2.4). Les effets génomiques sont visibles avec un certain délai après l’activation du MR, ce qui correspond au temps nécessaire à la transcription, à la traduction et aux éventuelles modifications post-traductionnelles des protéines synthétisées. Certains effets de l’Aldo sur le pH et le calcium intracellulaire ont cependant été décrits sur des temps trop courts (quelques minutes) pour être attribués aux mécanismes classiques d’activation génomique du MR [6, 7]. De plus, ces effets non génomiques de l’Aldo sont insensibles à l’actinomycine D (inhibiteur de la transcription) et au cycloheximide (inhibiteur de la traduction) ce qui souligne bien le fait qu’ils ne passent pas par la production de nouvelles protéines [8]. Le travail de thèse présenté ici s’intéresse à l’étude d’une protéine cible du MR, la Neutrophil Gelatinase-Associated Lipocalin (NGAL), qui est donc produite via une activation génomique classique du MR.
Récepteur Minéralocorticoïde
Structure du récepteur minéralocorticoïde
Le récepteur minéralocorticoïde, est un facteur de transcription de la famille des récepteurs nucléaires stéroïdiens. Il est codé par le gène NR3C2, situé sur le chromosome 4 chez l’homme et 8 chez la souris. Il est composé de 10 exons, séparés les uns des autres par 8 introns, pour une longueur totale de 450 kb (Figure 2). Les deux premiers exons (1α et 1β) sont non codants et les huit suivants codent pour une protéine d’environ 100 kDa, composée de 984 acides aminés chez l’Homme et de 978 chez la souris. Cette protéine possède une structure tridimensionnelle typique des récepteurs nucléaires, avec 3 régions fonctionnelles majeures (Figure 2) [9] :
– Une région N-terminale (RNT) présentant des domaines de régulation de l’activité transcriptionnelle du MR.
– Un domaine central de liaison à l’ADN (DLA) en doigts de zinc, capable de se lier aux éléments de réponse aux hormones (HRE pour Hormone Response Element) présents dans les promoteurs des gènes cibles du MR.
– Un domaine de liaison au ligand (DLL) en position C-terminal.
Ces différents domaines vont permettre au MR de se lier à son ligand, aux promoteurs de ses gènes cibles et à ses co-régulateurs d’activité, afin qu’il puisse jouer son rôle de facteur de transcription [9].
Ligands endogènes du MR
Hormones minéralocorticoïdes et glucocorticoïdes
Le ligand historiquement décrit du MR est l’hormone minéralocorticoïde Aldo. Cependant, il a été montré que les hormones glucocorticoïdes (cortisol chez l’Homme et corticostérone chez le rongeur) étaient également capables de se lier au MR et que leur affinité avec le MR était similaire à celle de l’Aldo. A l’instar de l’Aldo, ces hormones sont synthétisées par le cortex surrénalien à partir du cholestérol et sont régulées avec le cycle circadien (pic maximal de sécrétion avant le réveil et minimal le soir avant le coucher). Cependant, leur concentration plasmatique est de 100 à 1000 fois supérieure à celle de l’Aldo. De ce fait, le MR devrait être saturé par les glucocorticoïdes en permanence, rendant sa régulation par l’Aldo impossible. Des mécanismes de sélectivité minéralocorticoïde existent donc et permettent à l’Aldo de jouer son rôle [10].
Sélectivité enzymatique
L’activation du MR par l’Aldo est rendue possible grâce à l’action de l’enzyme 11 bhydroxystéroïde déshydrogénase de type 2 (11b-HSD2). Cette enzyme est exprimée par les cellules cibles de l’Aldo et est capable de transformer le cortisol (ou corticostérone chez les rongeurs) en cortisone (ou 11-dehydrocorticosterone), un métabolite de faible affinité pour le MR. Cette enzyme va donc entraîner une absence de compétition locale entre les ligands qui va permettre à l’Aldo d’activer le MR, malgré la concentration beaucoup plus importante de glucocorticoïdes circulant [10]. L’expression de la 11b-HSD2 n’est cependant pas ubiquitaire, et certains tissus exprimant le MR n’expriment pas cette enzyme. Cela soulève donc la question du ligand du MR dans ces tissus. Pour essayer d’y répondre, des travaux de notre laboratoire ont, par exemple, montré une régulation différentielle de certains gènes en fonction du ligand (Aldo ou corticostérone) activant le MR dans le cœur de souris, malgré l’expression faible de 11b-HSD2 dans ce tissu [11]. Ceci suggère donc que d’autres mécanismes de sélectivité minéralocorticoïde existent.
Autres mécanismes de sélectivité minéralocorticoïde
Même si l’activité de la 11b-HSD2 est reconnue comme le mécanisme de sélectivité minéralocorticoïde prépondérant, certaines études ont permis de mettre en évidence d’autres mécanismes de sélectivité. Il a, par exemple, été décrit que la conformation et la translocation nucléaire du MR varient selon le ligand [12]. De plus, la stabilité du complexe Aldo/MR serait plus importante que celle du complexe cortisol/MR [13] et son activité de transactivation serait supérieure [10]. Enfin, il a été suggéré que les processus de dimérisation du MR pourraient également représenter une source de sélectivité minéralocorticoïde [14].
Autres mécanismes d’activation du MR
Plus récemment, il a également été montré que la protéine Rac1 (Ras-related C3 botulinum toxin substrate 1) était capable de potentialiser l’activité du MR, contribuant ainsi à une activation du MR indépendante du ligand dans des modèles animaux de lésions cardiaques et rénales [15]. Des modifications post traductionnelles du MR (phosphorylation, symoylation), comme celles observées pour les récepteurs aux glucocorticoïdes ou aux œstrogènes, sont également envisagées comme de possibles voies de régulation du MR [16]. De plus, un niveau de complexité supplémentaire est apporté par des « cross-talks » entre le MR et d’autres récepteurs cellulaires, tel que le récepteur de l’AngII AT1R [17–20]. Ces données indiquent que l’activation du MR ne nécessite pas forcément d’augmentation du niveau d’Aldo circulante, ce qui pourrait donc expliquer les effets bénéfiques des antagonistes du MR (cf. chapitre 2.5.1) observés dans des situations pathologiques dans lesquelles les niveaux d’Aldo ne sont pas augmentés.
Mode d’action du MR
Le MR, à l’instar des autres récepteurs stéroïdiens, est présent dans le cytoplasme des cellules où il est lié à des protéines chaperonnes, telle que l’Hsp90 (Heat Shock Protein 90), qui le maintiennent inactif et dans une conformation réceptive pour ses ligands. Les ligands du MR, et l’Aldo en particulier, diffusent librement à travers la membrane plasmique des cellules et vont se lier au domaine de liaison du ligand du MR et entraîner une modification de sa conformation. Celle-ci va induire la libération du MR de ses protéines chaperonnes et sa translocation dans le noyau (Figure 3). Une fois nucléaire, le MR va alors pouvoir se fixer sur des séquences spécifiques de l’ADN (régions HRE) et ainsi recruter différents corégulateurs transcriptionnels afin de mettre en place la machinerie de transcription (MT) des gènes cibles (Figure 3). Ces corégulateurs peuvent être des coactivateurs, aidant à la décompaction de la chromatine et à la transcription des gènes, ou des corépresseurs qui vont à l’inverse induire une compaction de la chromatine et une inhibition de la transcription [9].
|
Table des matières
I. INTRODUCTION
1 – Système Rénine-Angiotensine-Aldostérone
1.1 Cascade catalytique
1.2 Angiotensine II
1.3 Aldostérone
1.3.1 Synthèse de l’aldostérone
1.3.2 Mécanismes d’action de l’aldostérone
2 – Récepteur Minéralocorticoïde
2.1 Structure du récepteur minéralocorticoïde
2.2 Ligands endogènes du MR
2.2.1 Hormones minéralocorticoïdes et glucocorticoïdes
2.2.2 Sélectivité enzymatique
2.2.3 Autres mécanismes de sélectivité minéralocorticoïde
2.2.4 Autres mécanismes d’activation du MR
2.3 Mode d’action du MR
2.4 Rôle physiologique classique du MR
2.5 Implications physiopathologiques du MR
2.5.1 Antagonistes pharmacologiques du MR
2.5.2 Implication du MR dans les pathologies cardiovasculaires
2.5.3 Implication du MR dans les pathologies rénales
2.5.4 Mécanismes physiopathologiques de l’activation du MR
2.5.4.1 Implication du MR dans le stress oxydant
2.5.4.2 Implication du MR dans la fibrose
2.5.4.3 Implication du MR dans l’inflammation
3 – NGAL, une nouvelle cible du MR dans le système cardiovasculaire
3.1 La famille des lipocalines
3.2 Structure de NGAL
3.3 Expression de NGAL
3.4 Rôles de NGAL
3.4.1 Rôle bactériostatique et de modulation du fer
3.4.2 Rôle chimiotactique
3.4.3 Rôle de facteur de croissance, de différenciation et de prolifération
3.5 Récepteurs de NGAL
3.5.1 Le récepteur 24p3R
3.5.2 La mégaline
3.6 Implication de NGAL dans les mécanismes inflammatoires
3.7 Implication de NGAL dans les pathologies rénales
3.8 Implication de NGAL dans les pathologies cardiovasculaires
3.9 Implication de NGAL dans les effets délétères de l’activation du MR
4 – Objectifs de la thèse
II. MATERIEL & METHODES
1 – Modèles animaux
1.1 Invalidation génique constitutive et totale de NGAL
1.2 Déplétion de NGAL dans les cellules immunitaires
1.3 Traitement à l’angiotensine II
1.4 Traitement à l’isoprénaline
1.4.1 Modèle de traitement chronique à l’isoprénaline
1.4.2 Modèle de traitement aigu à l’isoprénaline
2 – Mesure de la pression artérielle
3 – Biologie moléculaire
3.1 Extraction et dosage de l’ARN des organes
3.2 Rétrotranscription et PCR quantitative
4 – Analyses histologiques
4.1 Marquage et quantification de la fibrose
4.2 Immunohistochimie
5 – Analyses statistiques
III. RESULTATS
1 – Spécificité du rôle de NGAL dans la fibrose induite par l’activation du MR
1.1 Modèle de traitement à l’Angiotensine II
1.1.1 Modèle de traitement aigu à l’Angiotensine II
1.1.2 Modèle de traitement chronique à l’Angiotensine II
1.1.2.1 L’invalidation génique de NGAL ne prévient pas l’hypertension artérielle induite par un traitement chronique à l’AngII
1.1.2.2 L’invalidation génique de NGAL ne prévient pas la fibrose cardiaque induite par un traitement chronique à l’AngII
1.1.2.3 L’AngII n’induit pas d’inflammation ou d’expression de NGAL après 3 semaines de traitement
1.2 Modèle de traitement à l’isoprénaline
1.2.1 Modèle de traitement chronique à l’isoprénaline
1.2.2 Modèle de traitement aigu à l’isoprénaline
1.3 Modèle d’infarctus du myocarde par ligature de l’artère coronaire gauche
2 – Mécanismes de l’implication de NGAL dans les effets de l’activation du MR
IV. DISCUSSION
V. CONCLUSION