Synthèse totale, révision structurale et histoire naturelle des cytochalasines de petite taille

Origine
Le terme « cytochalasine » vient du grec kytos, la cellule, et chalasis, la relaxation, préfigurant l’une de ses propriétés les plus connues : la déstructuration des filaments d’actine. Les cytochalasines se caractérisent par une partie perhydro-isoindolone hautement substituée à laquelle est attaché un macrocycle de type carbocycle, lactone ou carbonate. Les premières cytochalasines, cytochalasines A et B (CA et CB, Figure 1), ont été isolées presque simultanément par deux groupes différents de cultures de Phoma S298[1] et Helminthosporium dematioideum. [2] Depuis, plus d’une centaine de cytochalasines ou analogues ont été isolés de diverses sources fongiques incluant ascomycètes et basidiomycètes (Penicillium, Aspergillus, Zygosporium, Phoma, Metarhizum, Chaetomium, Rosellinia, Ascochyta, Hypoxylon, Xylaria et Phomopsis).

Diversité structurale 

D’abord nommées d’après leur source biologique d’origine (e.g. les phomines isolées de Phoma spp., les zygosporines de Zygosporium masonii), une nouvelle nomenclature rend les cytochalasines tributaires de l’acide aminé inséré dans leur isoindolone en position C10 .

Il est également possible de décompter 3 motifs structuraux typiques qui vont influencer leurs caractéristiques biologiques :
i) La région C-5-C-7 (en bleu, Figure 2). L’on peut décompter 5 états différents dont le plus classique est l’alcool allylique de la chaetoglobosine D ou de CB. Toutefois l’insaturation peut migrer en C-6-C-7 (e.g. chaetoglobosine E) ou se transformer en époxyde (chaetoglobosine A). Ces états découleraient de l’oxydation de la forme réduite où C-5 ne possède aucune fonction et l’alcène est en C-5-C-6 (e.g. periconiasines A-C). Une dernière possibilité est l’isomérisation de l’insaturation vers sa forme la plus stable en C-6-C-7 (e.g. chaetoglobosine B).
ii) La région C-20-C-23 (en rouge, Figure 2). Il apparait que les cytochalasines les plus courantes possèdent un carbonyle/hydroxyle en C-20 et C-23 ainsi qu’une insaturation en C-21-C-22, tous à divers degrés d’oxydation (e.g. aspochalasines C, D et Z, penochalasine H).
iii) La taille du macrocycle (en orange, Figure 2). Les cytochalasines possèdent un macrocycle à 14/13 chaînons pour les plus grandes (les chaetoglobosines en général) et 7 chaînons pour la plus petite (e.g. périconiasine G). Il existe néanmoins des exceptions à la structure habituelle des cytochalasines. En effet, les cytochalasines Z, isolées du champignon marin Spicaria elegans, possèdent une chaîne carbonée ouverte de 7 à 8 carbones plutôt qu’un macrocycle (en orange, Figure 2).[9] Les phomopsichalasines diffèrent quant à elles par leur tricycle 6/6/5 au lieu de l’habituel macrocycle.

BIOSYNTHÈSE : LES PKS – NRPS

Généralités

Les synthétases de peptides non ribosomiques (anglais : NRPS) et les polycétides synthases (anglais : PKS) sont des complexes multienzymatiques (200-2000 kDa)[11] impliqués, chez les bactéries (e.g Stigmatella aurantica, Myxococcus xanthus, Pseudomonas fluorescens Pf-5), les mycètes (e.g Cylindrocarpon lucidium, Stachybotrys charatum, Aspergillus flavipes, Geniculosporium sp., Chaetomium globosum), les plantes et certaines lignées d’animaux dans la biosynthèse de métabolites secondaires spécifiques dont les cytochalasines, produits hybrides de ces deux types d’enzymes .

L’origine du squelette polycétide de ce type de métabolite hybride a été découverte en 1985 par une étude biosynthétique de la fusarine C (Figure 4).[13] En revanche, ce n’est qu’en 2004, avec la découverte de la PKS–NRPS FUSS que l’origine de la pyrrolidone fut élucidée pour la première fois.[14] Ainsi, plusieurs produits naturels ont pu être rapprochés du cluster de gène codant pour leur PKS-NRPS : la tenelline (2007),[15] l’aspyridone A (2007)[16] et la desméthylbassianine (2011)[17] qui appartiennent à la même famille, la chaetoglobosine A (2007, 2013),[18],[19] la pseurotine (2007),[20] la dihydromaltophiline (2007),[21] l’acide cyclopiazonic (2008) [22] l’isoflavipucine et la dihydroisoflavipucine (2011),[23] la cytochalasine K (2011),[24] la xyrroline (2012),[25] et l’equisetine (2013).

Domaines et modules 

Dans la nature, il existe deux façons différentes de combiner PKSs et NRPSs.[27] La première est modulaire. Les bactéries, en général, organisent leur PKS-NRPS en modules (>110 kDa)[28] eux-mêmes constitués de plusieurs domaines séparés les uns des autres par environ 15 aminoacides (anglais : linkers),[29] chacun catalysant une réaction définie.[30],[31],[32],[33],[34],[35] Chaque module prenant en charge une seule étape de condensation, leur nombre corrèle ainsi directement avec le nombre d’étapes d’élongation durant la biosynthèse (Figure 5A). La seconde est itérative. Les PKS-NRPS fongiques (et quelques PKS-NRPS bactériennes)[21],[36] ne disposent que d’un unique module PKS adjoint à un unique module NRPS, ceux ci effectuant la synthèse itérative du métabolite (e.g. pretenelline A, dihydromaltophiline, Figure 5B et C).[37] Il est par conséquent très difficile de prédire le produit d’une PKS-NRPS itérative.

Il est à noter que les modules d’où qu’ils proviennent nécessitent un cœur minimal de domaines pour l’addition d’une unité monomérique et peuvent ensuite contenir un nombre variable de domaines optionnels responsables de la modification du composé. Un autre point important est l’ordre d’assemblage de ces enzymes. En effet, la prise en charge du substrat commence par la PKS et finit par la NRPS, exception faite de quelques rares bactéries (Figure 5A). Dans le cas d’une PKS, le cœur consiste en une acyltransférase (AT) permettant la sélection et le transfert d’une unité acyl-CoA (Figure 6), une protéine de transport d’acyle (ACP) avec un bras 4’-phosphopantéthéine (4’PP) et une kétoacyl synthase (KS) pour les condensations de Claisen décarboxylatives. Des modifications peuvent intervenir sur la chaîne en cours d’allongement à chaque cycle d’élongation grâce au bras 4’PP de l’ACP qui amène la molécule vers d’autres domaines pour introduire hydroxyles (avec une KR), doubles liaisons (par l’action successive d’une KR puis d’une DH), saturations (grâce à une KR, une DH et une ER) ou méthyles (à partir d’une S adénosine-méthionine et d’une MT).

De la même manière, un domaine d’adénylation (A) pour la sélection et l’activation des aminoacides après leur activation en aminoacyl-AMP (Figure 7), un domaine de condensation (C) catalysant la formation de liaisons peptidiques et un domaine de thiolation ou une protéine de transport (T ou PCP) avec un bras 4’PP permettant le transfert de la chaîne en élongation ou d’un monomère vers divers sites catalytiques constituent le cœur  des modules d’une NRPS. Finalement, parvenu à sa longueur maximale, le PK ou NRP attaché covalemment à l’enzyme est libérée par une thioesterase (TE).

Biosynthèse des cytochalasines

Les cytochalasines sont un groupe de métabolites secondaires hybrides issus de PKSNRPS fongiques (Phomopsis, Aspergillus, et Penicillium) [40],[41] qui possèdent une grande variété de propriétés biologiques.[42]

Les bases génétiques et moléculaires de la synthèse des cytochalasines n’ont été découvertes que récemment avec le cas de la chaetoglobosine A, isolée de Penicillium expansum. [18] En effet, une expérience de knockout du gène cheA (12 039 kb) encodant sa PKS-NRPS a permis de généraliser par la suite sa voie de biosynthèse à d’autres métabolites avec des expériences similaires (equisetine,[43] aspyridone A,[16],[44] pseurotine A,[20] acide cyclopiazonique,[45],[22] tenelline).[46] Ainsi, l’analyse du génome de Aspergillus clavatus, producteur des cytochalasines E et K, et une expérience de knockout ont permis d’identifier le cluster de gènes ccs (~30 kb) codant pour une PKS–NRPS et une supposée Baeyer–Villiger monooxygénase (BVMO) .

Le schéma biosynthétique des cytochalasines impliquerait une ER dissociée du domaine PKS-NRPS (encodée par ccsC) fonctionnant de concert avec le module PKS de ccsA pour synthétiser le squelette β-kétooctakétide. Par la suite, une molécule de phénylalanine serait activée par le domaine A de la NRPS et transférée sur le bras 4’PP du domaine T. Enfin, le domaine C de la NRPS catalyserait une condensation de l’acide aminé sur le thioester de la chaîne octakétide en amont, puis une réductase (R) libérerait le produit linéaire du domaine T par une réduction du thioester en aldéhyde (réaction NADPH-dépendante)[24] suivie d’une condensation de Knoevenagel intramoléculaire libérant une pyrrolone diénophile (Figure 9). Dans le cas des cytochalasines E et K, la cycloaddition intramoléculaire [4+2] de Diels– Alder (IMDA) impliquant l’intermédiaire pentaène surviendrait entre le diène terminal du précurseur linéaire et le diénophile 3-pyrrolin-2-one pour donner le carbocycle à 11 chaînons fusionné à la perhydroisoindolone. Bien que l’existence d’une telle enzyme n’ait pas encore été prouvée, cette étape nécessiterait une Diels–Alderase [47],[48] Ainsi, pour la biosynthèse de la lovastatine (Figure 10), une Diels-Alderase a été proposée pour la réaction IMDA à l’étape hexakétide, lorsque le polycétide est encore lié à l’ACP de la PKS LovB.[49] A l’inverse, Kasahara (2010) et Kim (2011) ont proposé une enzyme post-PKS-NRPS pour la biosynthèse de la solonapyrone et la spinosyne A, respectivement. En 2011, Tang a identifié le cluster de la cytochalasine E[50] chez Aspergillus clavatus NRRL1,[24] cluster constitué des 8 gènes impliqués dans la construction du squelette carboné (ccsA, ccsC), des modifications enzymatiques ultérieures (ccsBDG, ccsE), et un facteur de transcription (ccsR). Comme seul ccsF ne possédait pas de fonction attribuée, il a été suggéré qu’il codait pour une enzyme catalysant à la fois la condensation de Knoevenagel et la réaction IMDA.

CIBLES BIOLOGIQUES DES CYTOCHALASINES

En vue de réaliser par la suite des tests biologiques des composés synthétisés lors de nos travaux, nous nous proposons d’effectuer un état des principales cibles des cytochalasines. Parmi celles-ci figureront l’actine, les protéines de transport du glucose et la glycoprotéine P. Nous prendrons le parti de ne détailler ici que les interactions des deux premiers systèmes avec les cytochalasines.

L’ACTINE

Généralités
L’actine joue un rôle majeur pour l’architecture et les mouvements cellulaires (avec la tubuline et la formation de microtubules). Ubiquitaire, elle est particulièrement concentrée dans les myocytes et peut représenter jusqu’à 15 % de la masse totale protéique des cellules. Chez les mammifères, il existe 6 isoformes d’actine : 3 d’actines alpha dans les muscles striés squelettiques et cardiaque et les muscles lisses, 2 d’actines gamma dans le muscle lisse entérique et dans les tissus non musculaires et 1 d’actine beta (non-musculaire). Dans le cytoplasme de la cellule, la forme monomérique de l’actine (actine G, protéine bi-globulaire de 375 acides aminés, Ø 5.46 nm) associée à un cation divalent tel que le calcium ou le magnésium et un nucléotide (ATP ou ADP) s’auto-assemble en microfilaments (actine F), un arrangement hélicoïdal dextre (un tour d’hélice comportant 13 monomères) pouvant se lier à un grand nombre de protéines (Figure 11), édifiant ainsi un réseau bidimensionnel (plan et réticulé) associé à la membrane plasmique et un réseau tridimensionnel d’actine F qui donne un aspect gélatineux au cytosol : le cytosquelette de la cellule.[52] Les réseaux d’actine s’intriquent alors avec d’autres structures cellulaires telles les organelles, conférant finalement à la cellule sa forme et ses caractéristiques dynamiques.

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Table des matières

INTRODUCTION
1. DÉFINITIONS
1.1 Origine
1.2 Diversité structurale
2. BIOSYNTHÈSE : LES PKS – NRPS
2.1 Généralités
2.2 Domaines et modules
2.3 Biosynthèse des cytochalasines
3. CIBLES BIOLOGIQUES DES CYTOCHALASINES
3.1 L’ACTINE
3.1.1 Généralités
3.1.2 La polymérisation de l’actine
3.1.3 Toxines naturelles agissant sur l’actine
3.1.4 Les cytochalasines
3.1.4.1 Généralités
3.1.4.2 Interactions actine-CD, docking
3.1.4.3 Impact sur la polymérisation
3.1.4.4 Hydrolyse
3.1.4.5 Stabilité du filament
3.1.4.6 Mécanisme
3.2 LA PROTÉINE DE TRANSPORT DU GLUCOSE
3.2.1 Généralités
3.2.2 Interactions entre transporteurs de glucose et cytochalasines
3.2.2.1 Structure cristalline du complexe GLUT1-cytochalasine B (CB)
3.2.2.2 Phénomène d’inhibition par des cytochalasines
3.2.2.3 Relations structure-activité
4. LES PÉRICONIASINES
4.1 Origine des périconiasines A-H
4.2 Biosynthèse des périconiasines C et G
4.3 Projet de synthèse total des périconiasines, intérêt chimique et biologique
4.4 Stratégie de synthèse développée par Tang et Liu pour la synthèse des périconiasines A-E
4.4.1 La synthèse du précurseur linéaire de la réaction IMDA
4.4.2 Réaction IMDA et accès aux périconiasines
RÉSULTATS & DISCUSSION
1. VERS LA SYNTHÈSE TOTALE DE LA PÉRICONIASINE C
1.1 Analyse rétrosynthétique de la périconiasine C
1.2 Vers la synthèse totale de la périconiasine C
1.2.1 Synthèse du fragment pyrrolidinone 55 issue de la L-leucine
1.2.2 Synthèse du précurseur allylique
1.2.3 La réaction de Wacker-Tsuji ou l’oxydation de l’insaturation
1.2.4 L’allylation de la fonction cétone du composé
1.2.5 Vers l’introduction du diène
1.2.6 La réaction de Suzuki-Miyaura ou l’introduction du diène
1.2.7 Synthèse du substrat linéaire 83 de la réaction IMDA
1.2.8 La réaction de Diels-Alder Intramoléculaire (IMDA) sur le substrat
1.2.9 Vers la déprotection de la fonction TBS : accès à une diversité structurale
2. SYNTHÈSE TOTALE DE LA PÉRICONIASINE G
2.1 Analyse rétrosynthétique de la périconiasine G
2.2 Synthèse totale de la périconiasine G et de trois autres isomères
2.3 Révision de la structure 34 décrite par Dai
3. TESTS BIOLOGIQUES
3.1 Comportement des cellules HeLa face à des analogues de la périconiasine C
3.2 IC50 d’analogues de la périconiasine C face à des cellules MDA-MB-231
3.3 Comportement des bactéries Gram-positives Microccocus luteus et Staphylococcus aureus en présence de la périconiasine G
3.4 Germination, croissance et sporulation du champignon Botrytis cinerea en présence de la périconiasine G
CONCLUSION

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