Les produits naturels, extraits de micro-organismes, de plantes ou d’animaux, sont une source intarissable d’inspiration pour les chimistes organiciens. La synthèse de composés possédant des propriétés biologiques intéressantes, généralement présents en faibles quantités à l’état naturel, est un défi auquel de nombreux chimistes ont été confrontés. Ces travaux conduisent souvent au développement de méthodes de synthèse originales et efficaces, qui permettent d’accéder aux composés souhaités, mais également à des analogues, dont les propriétés biologiques peuvent s’avérer supérieures à celle de la molécule naturelle elle même.
Les motifs de type 1,3-polyols sont particulièrement fréquents dans les composés biologiquement actifs, et les stéréochimies relatives et absolues de ces motifs peuvent avoir une grande influence sur les propriétés biologiques d’une molécule d’intérêt. De nombreuses méthodes de synthèse ont donc été développées afin de préparer des motifs 1,3-diols de manière stéréocontrôlée et de construire successivement des enchaînements de type 1,3-polyols. Ces méthodes ont fait l’objet d’une étude bibliographique et seront décrites dans le Chapitre 1, accompagnées de quelques exemples de leur application à la synthèse de 1,3 polyols. Cependant, peu de méthodes de synthèse générales et efficaces, permettant d’accéder à des 1,3-polyols de manière stéréocontrôlée, ont été rapportées dans la bibliographie, celles-ci étant souvent sensibles aux variations structurales des substrats utilisés.
Pour notre part, nous avons développé une méthode de synthèse de 1,3,5,7-tétraols de type C , permettant d’accéder à tous les diastéréoisomères, en utilisant deux séquences « cyclisation de Prins/oxydation/réduction » à partir d’un alcool homoallylique A et d’un aldéhyde B, suivies d’une coupure réductrice.
La valorisation de cette méthode a été illustrée par la synthèse totale d’un produit naturel, le (+)-cryptocaryol A qui est une lactone possédant une chaîne latérale 1,3,5,7,9- pentahydroxylée.
Avant-propos sur la numérotation des composés
Les composés présentés dans ce manuscrit seront numérotés de la façon suivante, selon leur ordre d’apparition dans le texte :
– Les numéros des molécules décrites dans le chapitre X seront précédés de la lettre X.
– Les numéros de molécules se rapportant à des résultats exposés dans la bibliographie seront précédés de la lettre B.
– Les numéros de molécules correspondant à une structure-type ou à une formule générale intervenant dans les schémas rétrosynthétiques seront précédés de la lettre R.
– Les composés synthétisés lors de nos travaux seront numérotés à partir de 1 dans chaque chapitre.
– Les numéros de molécules correspondant à des états de transition seront précédés des lettres ET.
– Les numéros des molécules décrites dans l’annexe X seront précédés de la lettre AX.
Bibliographie Synthèse stéréosélective de 1,3-diols
Les 1,3-polyols sont formés d’une succession d’unités 1,3-diols, dont les groupements hydroxyles possèdent des stéréochimies relatives syn ou anti, et ces structures sont présentes dans de nombreux produits naturels possédant des propriétés biologiques intéressantes . Particulièrement fréquents dans les macrolides polyéniques, tels que la roxaticine qui est un antifongique, les 1,3-polyols sont également présents dans des composés acycliques tels que la tétrafibricine, un inhibiteur des récepteurs du fibrinogène qui inhibe l’agrégation plaquettaire. Dans certains composés naturels, le motif 1,3-polyol se trouve sous forme d’éther d’alkyle : c’est le cas par exemple du mirabilène C isonitrile, qui possède des propriétés antibactériennes et antifongiques.
Ces molécules appartiennent à une grande famille de produits naturels appelés polycétides. Les 1,3-polyols naturels sont biosynthétisés grâce à des enzymes multifonctionnelles appelées polycétide synthases, via un processus itératif très similaire à celui mis en jeu dans la synthèse des acides gras. La biosynthèse commence par la condensation décarboxylante de Claisen d’une unité malonyle [unité C2 portée par une protéine de transport (ACP)] sur une unité acétyle [liée à une cystéine de la cétosynthase (KS)], catalysée par la cétosynthase, pour former un β-cétothioester . Le β-cétothioester est ensuite transformé en β hydroxythioester grâce à une réduction enzymatique stéréosélective par le NADPH, catalysée par une cétoréductase (KR). Le cycle recommence à nouveau par un transfert de la chaîne acyle de l’ACP à la KS et la répétition de cette séquence permet l’élongation des unités thioesters activés, via une incorporation itérative de fragments portant deux carbones, pour construire le motif 1,3-polyol. Celui-ci est finalement libéré par une enzyme thioestérase (TE) et peut subir des modifications post-synthétiques. Ces séquences itératives permettent d’obtenir une grande variété de structures à partir d’unités simples de type acétate et malonate.
Du fait de la présence de motifs 1,3-polyols dans de nombreux produits naturels biologiquement actifs, la synthèse des 1,3-polyols a fait l’objet de nombreux travaux. Il n’existe cependant à ce jour aucune approche générale et flexible permettant d’accéder à ces motifs 1,3-polyols avec des stéréochimies relatives bien déterminées, car des changements minimes dans la structure des substrats de départ peuvent conduire à d’importantes chutes de rendements ou à des variations de stéréosélectivité.
La synthèse de 1,3-polyols est généralement réalisée par introduction successive d’unités 1,3-diols de manière stéréocontrôlée, soit de façon itérative, soit de façon convergente. Un nombre important de stratégies et méthodes permettant d’accéder aux 1,3-diols de manière stéréosélective a été développé et la mise au point de méthodes continue, à l’heure actuelle, d’être réalisée par de nombreux groupes. Dans cette étude bibliographique, nous avons souhaité présenter les principales méthodes de synthèse de 1,3-diols acycliques syn et anti, et nous avons choisi de nous limiter aux 1,3-diols non substitués en position C2 . Les méthodes seront classées selon le type de substrat mis en jeu, et selon le nombre de fonctions oxygénées et de centres stéréogènes initialement présents dans le substrat de départ . Nous examinerons successivement la formation des 1,3-diols à partir de β-hydroxycétones, de β-hydroxyaldéhydes, d’hydroxyépoxydes, de dicétones et d’alcools homoallyliques, allyliques ou saturés.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 : Bibliographie – Synthèse stéréosélective de 1,3-diols
I. Introduction
II. A partir de β-hydroxycarbonyles et d’hydroxyépoxydes
II.1. A partir de β-hydroxycétones
II.1.1. Réduction stéréosélective
II.1.1.1. Réduction par un hydrure
II.1.1.2. Réduction radicalaire
II.1.2. Hydrogénation asymétrique
II.1.3. Réduction enzymatique
II.2. A partir de β-hydroxyaldéhydes ou équivalents
II.2.1. Alkylation
II.2.1.1. Alkylation de β-alcoxyaldéhydes
II.2.1.2. Alkyation d’acétals contrôlée par le substrat
II.2.2. Allylation
II.2.2.1. Allylation diastéréosélective de β-hydroxy ou β-alcoxyaldéhydes
II.2.2.2. Allylation de β-hydroxy ou β-alcoxyaldéhydes contrôlée par le réactif
II.2.3. Aldolisation 1,3-stéréocontrôlée
II.2.3.1. Aldolisations diastéréosélectives : contrôle par le substrat
II.2.3.2. Aldolisations contrôlées par le réactif
II.2.4. Aldolisation/réduction in situ
II.3. A partir d’hydroxyépoxydes optiquement actifs
II.3.1. Addition nucléophile
II.3.2. Ouverture intramoléculaire d’époxydes
II.3.3. Réduction
III. A partir de composés dicarbonylés
III.1. Réduction diastéréo- et énantiosélective de 1,3-dicétones
III.2. Hydrogénation asymétrique de 1,3-dicétones
III.3. Réduction enzymatique
IV. A partir de composés possédant un seul centre oxygéné, de configuration absolue déterminée
IV.1. A partir d’alcools homoallyliques fonctionnalisés ou non
IV.1.1. Iodocarbonatation
IV.1.2. Oxymercuration/hydroformylation
IV.1.3. Silylformylation
IV.1.4. Addition intramoléculaire conjuguée d’un hémiacétal sur un accepteur de Michael
IV.1.4.1 Conditions basiques
IV.1.4.2 Conditions acides
IV.1.5. Hémiacétalisation par formation d’un complexe π-allylique du palladium
IV.2. Réarrangement d’alcools allyliques
IV.3. Activation dirigée de liaisons C-H à partir d’alcools secondaires ou tertiaires saturés
IV.4. Dégradation oxydante de γ-butyrolactones
V. Résumé
VI. Application à la synthèse de composés polyhydroxylés 1,3
V.1. Approche itérative
V.2. Approche divergente
V.3. Approche convergente
Chapitre 2 : Synthèse diastéréosélective de 1,3,5,7-tétraols par cyclisation de Prins/coupure réductrice – Synthèse du (+)-cryptocaryol A
I. Introduction et état de l’art
I.1. Introduction
I.2. Réaction de Prins et cyclisation de Prins
I.3. Application de la cyclisation de Prins à la synthèse d’anti 1,3-diols
II. Résultats : synthèse de tétraols
II.1. Analyse rétrosynthétique
II.2. Etude préliminaire
II.3. Synthèse de tétraols optiquement actifs
II.3.1. Synthèse des substrats
II.3.2. Synthèse des aldéhydes tétrahydropyraniques II.R3
II.3.3. Synthèse des bis-tétrahydropyranes II.26
II.3.4. Etude de l’influence du groupement protecteur de l’aldéhyde tétrahydropyranique II.R3
II.3.5. Synthèse de 1,3,5,7-tétraols monoprotégés
II.3.6. Synthèse de 1,3,5,7-tétraols diprotégés
II.3.7. Vérification des stéréochimies relatives des substituants en C6, C8
II.3.8. Différenciation des doubles liaisons
II.3.8.1. Epoxydation dirigée par la présence d’un alcool homoallylique
II.3.8.2. Réaction d’iodolactonisation
III. Application : synthèse totale du (+)-cryptocaryol A
III.1. Introduction
III.1.1. Isolement, structure et propriétés
III.1.2. Synthèses précédentes du cryptocaryol A
III.2. Analyse rétrosynthétique
III.3. Synthèse totale du (+)-cryptocaryol A
IV. Conclusion
Chapitre 3 : Approche synthétique de la filipine III
I. Introduction
I.1. Isolement, structure et propriétés
I.1.1. Isolement et structure
I.1.2. Propriétés
I.2. Synthèses précédentes
II. Résultats
A- Première approche
II.A.1. Analyse rétrosynthétique
II.A.2. Synthèse du fragment polyénique conjugué C17-C28
II.A.2.1. Introduction
II.A.2.2. Désymétrisation d’un dialdéhyde triénique à l’aide d’une réaction de Horner-Wadsworth-Emmons (HWE)
II.A.2.2.1. Analyse rétrosynthétique
II.A.2.2.2. Synthèse du fragment C17-C28
II.A.2.3. Double fonctionnalisation d’un phosphonate
II.A.2.3.1. Etat de l’art
II.A.2.3.2. Analyse rétrosynthétique
II.A.2.3.3. Synthèse
B- Seconde approche
II.B.1. Analyse rétrosynthétique
II.B.2. Synthèse du fragment polyénique C15-C28
II.B.2.1. Synthèse du fragment C15-C28 (composé de type III.R10) grâce à une séquence métathèse croisée/allylation/élimination
II.B.2.1.1. Etat de l’art
II.B.2.1.2. Analyse rétrosynthétique
II.B.2.1.3. Synthèse de l’ester C15-C28 (composé de type III.R11)
II.B.2.2. Synthèse du fragment polyénique par couplage de Heck
II.B.2.2.1. Etat de l’art
II.B.2.2.2. Analyse rétrosynthétique du fragment C15-C28
II.B.2.2.3. Synthèse de l’aldéhyde pentaénique C15-C28
II.B.2.2.4. Résumé
II.B.3. Synthèse du fragment polyol C1-C14
II.B.3.1. Analyse rétrosynthétique
II.B.3.2. Synthèse de la méthylcétone de type III.R19 (fragment C6-C13)
II.B.3.2.1. Rétrosynthèse
II.B.3.2.2. Synthèse de la cétone III.58
II.B.3.3. Synthèse de l’aldéhyde de type III.R20 (fragment C1-C5)
II.B.3.3.1. Rétrosynthèse
II.B.3.3.2. Synthèse de l’aldéhyde III.71
II.B.3.3.2.1. A partir de l’oxazolidinone III.61
II.B.3.3.2.2. Etude des conditions de coupure de la copule
II.B.3.3.2.3. A partir d’une oxazolidinone chirale disubstituée
II.B.3.4. Construction du fragment polyol C1-C14
II.B.3.4.1. Etude de la réaction d’aldolisation
II.B.3.4.2. Confirmation des stéréochimies relatives de III.106 et III.108
II.B.3.4.3. Obtention de la méthylcétone C1-C14
II.B.3.5. Seconde approche du fragment polyol C1-C14
II.B.3.5.1. Synthèse de l’amide de Weinreb III.R24 (fragment C6-C13)
II.B.3.5.1.1. Rétrosynthèse
II.B.3.5.1.2. Validation de la stratégie
II.B.3.5.1.3. Synthèse du fragment C6-C13 énantio-enrichi
II.B.3.5.2. Couplage des composés III.141 et III.102
II.B.3.5.3. Résumé
II.B.4. Couplage des fragments : création de la liaison C14-C15
II.B.4.1. Obtention du squelette carboné de la filipine III
II.B.4.2. Etude de la formation du séco-acide
III. Conclusion et perspectives
IV. Schéma récapitulatif de la synthèse
Conclusion générale
Annexes