Ayant vécu en contact étroit avec la nature, l’homme avait su tirer profit des ressources qu’elle offre. Il avait même réussi à maîtriser ses effets nocifs pour les exploiter à des fins utiles. L’usage des toxines, c’est-à-dire des poisons d’origine naturelle, pour ses besoins élémentaires de survie (se nourrir, se défendre, …) est à comptabiliser parmi ses réussites les plus remarquables.
Certaines de ces utilisations traditionnelles se sont maintenues à travers les civilisations et même jusqu’à nos jours. L’homme moderne, s’inspirant d’un grand nombre de ces usages empiriques, a développé d’autres exploitations des toxines, pour améliorer sa qualité de vie. Les utilisations de ces substances dans le traitement de différentes pathologies en sont des exemples probants (HABERMEHL, 1981) :
• le venin de crapaud (sécrétion de la peau) est probablement le premier venin animal utilisé en thérapeutique. Des poudres de peau sont utilisées en Asie de l’est ou du sudest (exemple : Taiwan) dans le traitement des maladies du cœur et de l’hydropsie (ascite)
• des préparations de venin d’abeille sont utilisées pour traiter les maladies rhumatismales, les douleurs des muscles et de l’articulation, les arthrites, la névralgie
• les propriétés analgésiques de plusieurs venins de serpent sont employées pour apaiser les douleurs atroces des cancers en phase terminale.
Avec le développement de la Toxicologie qui est la science des poisons, le nombre de toxines connues a augmenté. Une grande variété de molécules ont été découvertes et plusieurs mécanismes d’action ont été élucidés, ce qui a modernisé et diversifié les utilisations des toxines tant sur le plan fondamental qu’appliqué. Les toxines constituent actuellement des outils de recherche scientifique dans les sciences du vivant, et aussi des sources de médicaments, de produits cosmétiques et agricoles. A titre d’illustration, elles sont employées par exemple comme :
• outils efficaces pour l’exploration, l’élucidation de phénomènes biologiques (BENNET et CUATRECASAS, 1977 ; BIZZINI, 1977 ; OLSNES et PIHL, 1977) :
– plusieurs toxines ont contribué à l’élucidation de différentes voies métaboliques dont la réplication de l’ADN, la biosynthèse des protéines, la chaîne respiratoire
– d’autres ont permis d’explorer les récepteurs et les interactions biologiques importantes ainsi que les fonctions régulatrices de la cellule
– le mécanisme d’action de la toxine tétanique a apporté des éclaircissements sur les fonctions fondamentales du système nerveux central
– les toxines bactériennes cytolytiques ont servi de sondes pour élucider l’organisation et la fonction des membranes biologiques et pour étudier les facteurs qui contrôlent leur intégrité et leur perméabilité.
• médicaments dans le traitement de plusieurs pathologies (ROCHAT et coll., 1976 ; HABERMEHL, 1981):
– la digitaline (toxine de plante) est utilisée pour traiter les insuffisances cardiaques
– des antibiotiques de plus en plus nombreux sont employés dans le traitement de plusieurs maladies infectieuses
– le venin de crotale est préconisé pour traiter l’épilepsie et certaines tumeurs malignes, et recommandé pour son action analgésique
– la toxine ziconotide de Conus malus a permis la synthèse du Prialt®, utilisé pour le traitement de douleurs intenses chroniques. Elle est 2000 fois plus active que la morphine, sans les effets de dépendance physique
– la toxine botulique sécrétée par la bactérie Clostridium botulinum est connue pour le traitement du strabisme et des spasmes de paupières, mais également dans le domaine de la cosmétique pour son effet anti-ride
– les toxines des plantes ont des actions thérapeutiques variées : tonicardiaques, antitumorales, antipaludiques, anesthésiques ou analgésiques…
• alternatives aux pesticides de synthèse (KOVENDAN et coll., 2011 ; PATIL et coll., 2012) :
– l’azadirachtine isolée des graines d’Azadirachta indica, a une activité anti-appétente et inhibitrice de croissance pour les insectes
– les toxines de Bacillus thuringiensis ont une propriété « anti-insectes », attaquant les larves des lépidoptères (chenilles) et les larves de moustique. Ces toxines recouvrent presque 90% du marché des bio-insecticides.
Les recherches sur les zootoxines et les toxines microbiennes étaient plus nombreuses et plus développées à cause des effets qu’elles provoquent sur la santé humaine et animale (fréquence, gravité, nombre de victimes …). Mais les phytotoxines, grâce à la multiplicité et la disponibilité des organismes sources, la diversité et l’originalité de leur structure et de leurs propriétés pharmacologiques, ont connu un peu plus tard un regain d’intérêt qui s’est traduit par le développement spectaculaire des investigations sur les plantes toxiques. A Madagascar, plusieurs plantes passent pour toxiques. Cependant, elles sont en général mal connues. Les informations les concernant sont souvent fragmentaires, incohérentes et peu sûres. Ceci serait dû en grande partie à la méfiance, la peur et au tabou qui les entourent : pour l’opinion publique, elles évoquent toujours les maladies, la mort, la sorcellerie.
ETUDES SUR TERRAIN
Zones d’étude
Les investigations poussées sur les plantes toxiques malgaches avaient pour objectif de valoriser la biodiversité végétale endémique de l’Île par la mise en évidence de propriétés susceptibles de connaître des applications utiles. Pour cela, les recherches au sein de l’unité de Toxicologie ont porté sur des plantes issues de toutes les régions de Madagascar et ne se sont pas cantonnées à une zone d’étude particulière. A la faveur de financements obtenus dans le cadre des projets scientifiques gérés par le LABASM, nous avons pu nous rendre dans quelques formations végétales réparties dans les différentes aires biogéographiques malgaches, pour y effectuer des enquêtes ethnobotaniques et récolter des échantillons de plantes. En outre, nous avons souvent eu la possibilité d’associer nos missions de reconnaissance et de récolte sur terrain à celles de nos partenaires tels que le Département de Biologie et Ecologie végétales (DBEV, Faculté des sciences) ou le Silo National de Graines Forestières (SNGF) qui possèdent non seulement des données floristiques fournies sur des aires d’étude précises, mais aussi une bonne connaissance des infrastructures de terrain grâce à leurs antennes locales.
Les principales formations végétales que nous avons pu visiter sont les suivantes :
– dans le domaine de l’Est : les formations forestières de la côte est, de FéneriveEst au nord jusqu’à Mahanoro au sud, la Forêt d’Amparafana, la forêt d’Analamazaotra (Andasibe), la réserve de Manombo (Farafangana) ;
– dans le domaine de l’Ouest : les savanes du nord-ouest jusqu’à Port-Berger et du sud-ouest jusqu’à Morondava, les forêts d’Ampijoroa, de Marofandilia, d’Andranomena ;
– dans le domaine du Centre : la forêt de Mandraka, celle d’Ambohitantely, celled’Antsaralahy (Anjozorobe), les forêts d’eucalyptus des environs de Manjakandriana ;
– dans le domaine du Sud : les formations arbustives et arborescentes des alentours de Toliara, l’Arboretum d’Antsokay, le bush d’Andavadaoka, celui d’Andranovelona, le Parc national de Tsimanampetsotsa, la forêt de Zombitse (Sakaraha).
Enquêtes ethnobotaniques et récolte de plantes
Les travaux de terrain proprement dits consistaient à enquêter dans une localité donnée sur les plantes connaissant des usages traditionnels, plus précisément :
– les plantes utilisées comme raticides ou insecticides ou pour tuer les chiens errants ou d’autres animaux nuisibles, … ;
– celles possédant des vertus médicinales diverses ;
– celles à propriétés particulières (par exemple soporifiques, énergisantes,…) ;
– et celles connues pour leur toxicité.
Ces enquêtes ethnobotaniques étaient menées avec l’accord des autorités officielles telles que les présidents de Fokontany, de Firaisana, de Fivondronana, de Délégation spéciale ou les Préfets, …, auprès :
– des autorités locales traditionnelles : tangalamena, guérisseurs, femmes accoucheuses (renin-jaza), doyens des villages, notables, …
– des responsables des centres de santé (médecins, assistants de santé ou autres) ou des médecins libres ;
– d’autres personnes ressources telles que les agents du service des Eaux et forêts, de l’Agriculture, …
– des agents de proximité (ONG, projets)
– des communautés villageoises, des ménages, …
Pour chaque plante citée par la personne interrogée, le maximum d’informations était recueilli sur une fiche d’enquête mise au point au laboratoire . Les données, aussi précises et détaillées que possible, incluaient le nom vernaculaire et/ou scientifique, les effets principaux et secondaires, les organismes-cibles, les organes ou parties utilisés, le mode de préparation de la drogue le cas échéant, la posologie de celle-ci, ainsi que d’autres informations utiles. Le même procédé était appliqué aux plantes inventoriées dans la bibliographie et qui ont été trouvées sur les lieux.
Sous la direction de guides recrutés sur place, les différentes plantes qui ont été, soit révélées par les enquêtes, soit indiquées dans la littérature, étaient repérées. Les organes utilisés étaient alors récoltés en priorité puis systématiquement complétés avec les autres parties végétales qui étaient disponibles au moment de la mission. Des photos des plantes comprenant des vues d’ensemble et des gros plans sur les différents organes étaient prises. Les échantillons ainsi obtenus subissaient une première préparation destinée à faciliter leur transport jusqu’au laboratoire, c’est-à dire que les rameaux étaient effeuillés, et les tiges éventuellement débarrassées du lichen par grattage avant d’être écorcées, de même pour les racines. Les différents organes étaient séchés à l’air et à l’ombre (pour éviter les dégradations moléculaires dues aux rayons du soleil) jusqu’au moment du retour où ils étaient emballés dans des grands sacs aérés (type gonim-bary). Des herbiers étaient en outre confectionnés pour une détermination systématique ultérieure.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 : Les plantes-matériels d’étude
Chapitre 2 : Etude chimique
Chapitre 3 : Effets sur les animaux
Chapitre 4 : Effets sur les végétaux
Chapitre 5 : Effets sur les microorganismes
Chapitre 6 : Monographie sur les Albizia malgaches toxiques
Conclusion générale
Discussion générale et perspectives
Références bibliographiques
Annexes
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