Synthèse des logiques d’efficience et des modèles comportementaux: L' »Adaptative Market Hypothesis »

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Développement de l’IE en France et enjeux actuels

« Pour trouver le plein emploi, il faut pratiquer l’ouverture sur l’extérieur et la rigueur dans la gestion économique par la maîtrise de l’inflation et un taux d’épargne élevé, mettre en oeuvre une fiscalité qui encourage l’initiative, réforme le système éducatif, adapte le système de protection sociale et promouvoir l’innovation. » (Esambert, 1991, p. 99)
Cette direction suggérée par Bernard Esambert (1991) rejoint la vision que nous défendons dans notre travail. La recherche et l’innovation dans le domaine financier sont cruciales pour le développement d’une économie saine. Les nouveaux instruments et structures sont développés afin de mieux répondre aux évolutions économiques et la recherche fondamentale participe à une meilleure compréhension des dynamiques de marchés et encourage le développement de nouveaux outils traduisant la complexité des problématiques financières. Selon nous, tout pays se laissant aller à la facilité et se satisfaisant des outils existants, certes pratiques mais souvent mal adaptés aux complexités des réalités des marchés modernes, se verra régulièrement balayé par des phénomènes qu’il n’aura pas su anticiper, qu’il ne comprendra que très partiellement mais qui affecteront durablement son développement économique. La crise économique Asiatique de 1997 est sans aucun doute l’un des exemples les plus frappant de l’inadéquation de la structure financière de tout un ensemble de pays face à un développement rapide des investissements. Le manque de compréhension des risques liés à l’afflux massif de capitaux étrangers, dont les rentes exigées restaient souvent libellées dans des devises étrangères notamment en dollar US, a conduit à des politiques de développement structurel inadéquates.
C’est en choisissant des solutions centrées sur le court terme et en mal appréhendant les risques sous-jacents à leurs investissements que les pays et leurs entreprises fragilisent leurs positions et donc leur compétitivité.
Il ne faut cependant pas croire que l’inadaptation des structures et des outils financiers ou encore de la compréhension des dynamiques des marchés ne concernent pas les pays aux économies plus développées. Nous avançons l’idée que l’ensemble des pays concernés de près ou de loin par la mondialisation (de fait la quasi-totalité des pays) ne peuvent faire l’économie du développement de structures dévouées non seulement à la recherche mais aussi à l’éducation financière de ses cadres, de ses managers et dans une certaine mesure de l’ensemble de sa population. Ce dernier point s’éloigne certes des pistes suivies dans les chapitres suivants de notre travail qui se focalisent sur l’amélioration d’outils d’analyse de risque, plus orientés vers les cadres, gérants et décideurs, cependant il nous semble important d’inclure un commentaire sur la nécessité de donner une formation financière et économique élémentaire à la base la plus large possible de la population française. Comment en effet promulguer des lois appropriées au développement sur le long terme s’il n’existe pas une compréhension, même imparfaite des enjeux et des règles de la compétition mondiale, des forces et faiblesses du pays, des solutions accessibles et des efforts nécessaires pour « garantir » le succès de ces solutions. Si une telle éducation de l’ensemble de la population n’est pas mise en place, les discours politiques fallacieux continueront de séduire par leurs promesses illusoires une partie importante des personnes qui voteront donc pour des programmes contribuant à terme à l’affaiblissement économique de la France.

Le rapport Martre et la prise de conscience du retard français

En France, nous retrouvons dès les années quatre vingt l’émergence d’une prise de conscience politique des enjeux liés à la compétitivité et à l’innovation. La mise en place d’une volonté nationale relative à ces problématiques s’est développée autour de l’axe de l’information scientifique et technique. « L’expression « veille technologique » s’impose officiellement avec en 1988 la création d’un comité ministériel « d’Orientation Stratégique de l’Information scientifique et de la Veille technologique” qui défini les grandes lignes de la politique française en matière de veille scientifique et technologique.. Dans cette même lignée est crée un an plus tard le groupe « Veille technologique et politique des brevets » de la sous-commission « Innovation et Recherche ». En parallèle commencent à émerger des initiatives éducatives, initiatives qui conduiront à la mise en place de formations diplômantes avec notamment la création du DEA et du Doctorat de l’Université d’Aix-Marseille III sous la direction du professeur Henri Dou.
En soi les activités de veille ne sont pas nouvelles et la France possède un long historique en la matière. Cependant, le renouveau et l’essor contemporain de ces activités s’expliquent par l ‘émergence de nouvelles technologies qui vont permettre de systématiser et améliorer les démarches existantes. La veille commence d’ailleurs a être considérée différemment et certains auteurs l’envisage de manière plus ouverte: pour Philippe Baumard « La veille au sens large du terme correspond à « l’ensemble des activités mises en oeuvre pour appréhender les dimensions historiques, juridiques, politiques, sociales, culturelles, économiques, et technologiques des espaces de compétition de la firme  » (Baumard, Stratégie et surveillance des environnements concurrentiels, 1991, p. 29).
Il faudra attendre les années 90 et les travaux du groupe « Information et compétitivité », de chercheurs tels que Christian Harbulot et Philippe Baumard avec notamment une série d’articles publiée en anglais pour la revue Social Intelligence7 puis ceux de la commission « Compétitivité française » dans le cadre du Xème plan (1989-1992) pour aboutir à l’émergence d’un concept plus large : l’intelligence économique.
Jusqu’au début des années 1990 un vocabulaire d’inspiration militaire avait été mis en avant notamment par Christian Harbulot (Harbulot, La machine de guerre économique, 1992) pour décrire les rapports de force entre nations et entre entreprises. Plusieurs éléments ont contribué à repenser les dynamiques économiques et commerciales dans cette direction. L’effondrement du bloc communiste, l’accélération de la mondialisation des échanges économiques et la montée en puissance rapide de certain pays défaits militairement lors de la deuxième guerre mondiale (Japon, Allemagne). Sur ce dernier point, c’est bien le côté nationaliste des dynamiques de relance économique et la mise en place de systèmes d’intelligence qui est retenu comme facteur explicatif de leurs succès. La maîtrise de l’information est perçue comme fondamentale pour le développement économique et devient donc un enjeu majeur. Les différentes facettes de l’information sont considérées notamment ses dimensions défensives (protection des données et des savoirs) et ses aspects offensives (désinformation, contre information, etc.). Les logiques purement militaires font la place à des logiques d’affrontement économique.
Cependant ce vocabulaire, souvent dur et agressif, qui caractérise en France les écrits du début des années 1990, est peu à peu remplacé. Des auteurs, tels Philippe Baumard (Baumard, Stratégie et surveillance des environnements concurrentiels, 1991) introduisent dans leurs travaux « l’intelligence » au sens anglo-saxon du terme. L’importance des métaphores militaires diminue. L’intelligence, qui intègre le lien entre l’information récoltée et ses perspectives d’application, commence à être préférée aux notions de veille, de surveillance ou encore de renseignement. L’expression « intelligence économique » s’impose alors et c’est bien lui que nous retrouvons dans le rapport Martre.
Ce rapport dit « Martre » se situe dans la continuité des réflexions menées par le Commissariat Général du Plan présidé par A. Riboud, publié en 1989. Ce rapport loin d’être une analyse isolée s’apparente plus à volonté de définir précisément le concept d’intelligence économique en lui donnant une portée nationale, le transformant en un véritable projet de société. (Martre, 1994, p. 13)
Le rapport s’attache tout d’abord à analyser les systèmes d’intelligence économique mis en place par les pays les plus efficaces dans ce domaine. Une part prédominante de cette analyse est dévouée aux développements américains mais les pratiques et structures d’intelligence du japon, de l’Allemagne, du Royaume-Uni et de la Suède sont également analysés en détail et servent de base aux réflexions et suggestions pour les orientations à suivre en France. De plus quelques exemples supplémentaires de systèmes d’intelligence sont évoqués en annexe : les développements Chinois, Russe et Italien sont passés en revue.
Dans le contexte de nos travaux il est intéressant de se pencher sur le cas du Royaume-Uni. En effet, comme le souligne le rapport, le réseau de renseignement, mis en place pendant la première révolution économique, s’est progressivement orienté vers une spécialisation sur le secteur de la finance. Les auteurs suggèrent un lien entre l’absence de partage de ce savoir-faire vers le secteur industriel et un déclin de la dominance de l’industrie britannique, lien qu’il nous paraît difficile de corroborer. Cependant la dominance du Royaume-Uni dans le secteur financier en Europe est lui très manifeste.
Dans leur rapport annuel sur l’industrie du capital investissement l’EVCA, l’association européenne du capital investissement confirme la position de leader qu’occupe le Royaume-Uni en Europe (EVCA, 2005) Sur les 71.8 milliards d’euros levés en Europe en 2005, 63.6% des fonds proviennent de structures basées au Royaume Uni. Pour bien comprendre le gouffre qui séparent en la matière le Royaume-Uni du reste de l’Europe il nous suffit de constater que la France, deuxième plus gros collecteur de fonds dédiés au capital investissement ne pèse cette année là « que » 16% alors qu’elle a bénéficié d’un contexte particulièrement favorable, contexte que nous développerons plus en détail dans la section 2.4.2.1 de ce chapitre. Enfin il faut bien réaliser que le troisième pays en terme de fonds levés, l’Allemagne, n’a pesé lui que 4% du total européen avec 2.9 milliards d’euros levés8.
Dans son analyse des systèmes d’intelligence américains, le rapport Martre met en avant le côté « individualiste » des démarches des entreprises américaines. Il faut cependant noter que le rapport n’a que peu de recul face aux orientations du début des années 1990 qui voit émerger aux Etats Unis, notamment pendant la campagne présidentielle de 1992 une évolution des discours politiques. L’avènement de l’administration Clinton, qui s’oriente vers un certain protectionnisme et une plus grande implication de l’administration en matière de maîtrise de l’information et d’interaction avec les entreprises marque une volonté d’évolution très palpable, évolution qui se confirmera sous l’administration bush notamment au travers du développement du débat sur la sécurité économique pour la défense de l’industrie et de l’emploi américain.

Les rapports Carayon et l’émergence d’une volonté forte de changement

Le rapport 2003 et son analyse

Jean-Pierre Raffarin, premier ministre français, commandite en 2003 un rapport sur l’intelligence économique en France. Il s’adresse au député du Tarn, Bernard Carayon, et lui demande de « dresser un état des lieux sur la façon dont notre pays intègre la fonction d’intelligence économique dans son système éducatif et de formation, dans son action publique et au sein du monde des entreprises » (Carayon, Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale, Rapport au premier ministre, 2003, p. 3). Près de six mois plus tard Carayon remet son rapport au premier ministre. Il y fait un constat simple mais sans concession : les progrès effectués en France pour le développement de l’IE depuis le rapport Martre sont faibles et très fragmentés. Là où certaines grandes entreprises, côtoyant la compétition internationale, semblent avoir intégré avec succès certaines démarches dans le développement de leurs stratégies, les pouvoirs publics et les PME restent en arrière. Au final le développement de l’IE reste élitiste et a du mal à se mettre à la portée d’un plus grand nombre d’acteurs économiques. Parmi les causes de cet état de fait Carayon met en avant le manque d’objectifs économiques et scientifiques clairs à l’échelle nationale, le manque de coordination des administrations publiques, le manque de formation des équipes dirigeantes en somme, le manque d’une volonté politique forte pour le développement de L’IE. Nous pourrions donc nous demander si l’IE répond aux vrais besoins de la France ou si une évolution favorable de l’économie mondiale a remis en cause l’analyse de ces besoins telle que décrite par le rapport Martre.
La réponse de Carayon est sans équivoque : la mondialisation est plus que jamais présente et ses conséquences se font bien sentir : interdépendance croissante des économies et des états, montée en puissance d’organisations intergouvernementales (OIG) et non gouvernementales (ONG), poids des fonds d’investissements dans l’apport de liquidités aux économies. Un monde au final de plus en plus complexe qui se satisfait mal de solutions simplistes et qui a la capacité de sanctionner les erreurs et le manque de vision.
Loin des croyances naïves qu’il est possible pour la France d’échapper à cette mondialisation, le rapport Carayon propose au contraire un ensemble de solutions pour un renouveau de la compétitivité de l’économie française. L’axe principal de ces solutions repose sur les acteurs incontournables de l’économie française:
L’état et les collectivités territoriales qui doivent formuler les stratégies pour la défense des intérêts collectifs et les valeurs sociales. L’état doit donc être au centre de l’impulsion nécessaire à la formation et à la diffusion de des méthodologies les plus appropriées de l’IE.
Les entreprises qui pour survivre et prospérer n’ont d’autre alternative que de rechercher une compétitivité jamais définitivement acquise.
Les citoyens qui sont à part entière participant de cette toile économique et sans qui il ne peut exister de véritable compétitivité collective.
Après avoir dressé un portrait de la France et de son économie dans le contexte compétitif de la globalisation le rapport alterne l’analyse des problèmes par des propositions concrètes. Au nombre de 38 ces propositions couvrent un large éventail de sujets.
Nous passerons rapidement, pour le moment, sur le détail des sept premières propositions du deuxième chapitre qui adressent le rôle de l’état dans l’amélioration de la compétitivité des entreprises. Le rapport insiste sur la nécessité d’une plus grande implication politique et une refonte de la pensée stratégique pour mieux prendre en compte les exigences de la compétitivité internationale. Il propose la création de nouveaux postes et structures gouvernementales afin de pouvoir combler les besoins en la matière.
Suit un chapitre dédié aux dimensions protectrices de l’IE. On retrouve, dans ce chapitre, l’un des rares aspects de la finance intégrés à part entière dans l’IE : la protection financière (cette orientation est analysée plus en détail dans la section 2.3 de notre thèse). A l’intérieur de ce chapitre on trouve trois propositions ayant un lien marqué avec des problématiques financières. La proposition 14 est une réponse à une constatation simple : le phénomène croissant de l’externalisation de certains métiers stratégiques, par les entreprises comme par l’état, pose des problèmes de sécurité des informations des biens et des personnes. Parmi les services mis en avant, nous retrouvons l’Audit et le conseil financier institutionnel, secteurs dominés par les banques d’affaire et les cabinets anglo-saxons et américains. Or ces métiers sont des éléments incontournables à toute stratégie de développement économique.
Peut-être par pragmatisme, les besoins d’une réorientation des formations françaises dans ces secteurs ne sont pas abordés. Pour les auteurs il s’agit moins de changer les acteurs en place que de mieux les connaître. Concrètement ils jugent qu’un plus grand contrôle et l’établissement d’une réglementation est nécessaire. La proposition 15 s’inscrit elle dans une analyse des besoins stratégiques nationaux. Elle suggère la création d’un fonds d’investissement français pour favoriser une présence de l’état dans l’actionnariat des entreprises à intérêt stratégique. Cette suggestion vient en réponse au développement de différents éléments : la sous-capitalisation de certaines entreprises de croissance, la constatation d’un renforcement de la présence des capitaux étrangers dans le financement des entreprises françaises et l’existence de fonds similaires aux USA comme le fonds « In-Q-Tel » crée par la CIA en 1999. Il faut noter que cette proposition a vu le jour en 2006. Nous analysons cette mesure plus en détail dans la section 2.3.2.1Finance du secteur public.
Le rapport évoque aussi, dans ce troisième chapitre, un autre sujet d’actualité du monde économique et financier: la gouvernance des entreprises et le rôle des conseils d’administration. La « théorie de l’agence » ramène à deux problématiques fondamentales de la finance d’entreprise: les problèmes d’asymétrie d’information entre dirigeants et investisseurs et les problèmes de conflits d’intérêt entre actionnaires, créanciers et dirigeants. De nombreuses réflexions regroupant des chercheurs de champs scientifiques divers (Economie, Finance, Management, sciences de l’information) se sont engagées, soulignant une prise de conscience des enjeux pour les entreprises et leurs partenaires13.
La proposition 15 suggère quand à elle de favoriser une forme juridique particulière : la société à directoire et conseil de surveillance. De fait les principales sociétés cotées en France sont établies au travers de ce type de structure. Cependant, comme nous le verrons dans notre deuxième chapitre, cette structure juridique, bien que particulièrement adaptée aux moyennes et grosses entreprises, n’est pas en soi garante d’une meilleure circulation des informations.
Le quatrième chapitre du rapport Carayon est consacré à la politique d’influence française. Dans cette partie intitulée « repenser notre politique d’influence » les rédacteurs du rapport décrivent une France à l’influence internationale déclinante. Parmi les secteurs d’influence en retrait, la finance est de nouveau citée: « Notre place dans les institutions internationales financières ou de développement est notoirement insuffisante » (Carayon, Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale, Rapport au premier ministre, 2003, p. 57) en conséquence les propositions visent d’un côté à renforcer la réflexion stratégique à l’échelle française et Européenne (propositions 19-21) de l’autre côté à redéployer plus fortement l’implication française dans les institutions européennes (propositions 20-22). Loin des attitudes complaisantes fondées sur un regard tourné vers le passé les auteurs recadre les règles du jeu de l’influence contemporaine « le rayonnement et l’influence ne vont plus aujourd’hui de soi. Elles doivent faire l’objet d’initiatives coordonnées, de mesures innovantes » (Carayon, Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale, Rapport au premier ministre, 2003, p. 59). C’est sans doute l’une des idées les plus fondamentales de ce chapitre : il est nécessaire pour la France de remettre en cause ses acquis, notamment en matière d’influence. Pour s’adapter à un monde complexe aux changements rapides il n’est pas possible de se tenir à des schémas figés et ancrés dans un monde du passé disparu. C’est bien l’aspect inéluctable du changement qui contraint les acteurs de l’économie mondiale à se réinventer constamment au travers de stratégies adaptatives. Cette vision rejoint celle de l’économiste Schumpeter (Schumpeter, 1942). Pour qui la “destruction créatrice” permet aux anciennes manières de faire d’être détruites pour être remplacées par de nouvelles. Les auteurs du rapport se replacent donc bien dans la stratégie dessinée par le conseil européen à Lisbonne en 2000 (Conseil Européen, 2000). Cette stratégie de Lisbonne met en avant l’innovation comme source de création d’emploi qui couplée aux dimensions sociales et aux impératifs de développement durable permet une croissance économique forte. Le pilier économique de cette stratégie repose sur le besoin d’une adaptation constante aux évolutions des marchés et d’un investissement important pour la recherche et le développement. L’Europe vise ainsi à créer un espace européen compétitif, dynamique basé sur la société du savoir.

Le Rapport Carayon 2006 et la mise en avant des dimensions financières de l’IE

Ce rapport, rendu prés de trois ans après celui de 2003, a moins vocation de passer en revue les progrès faits que de proposer des lignes d’analyses et des solutions sur quelques sujets ciblés. « L’ensemble de ce rapport traite en filigrane de la volonté politique nécessaire pour donner à l’économie française, et notamment aux PME-PMI, les moyens de saisir les opportunités liées à la mondialisation» (Carayon, A armes égales : rapport au Premier ministre , 2006, p. 95). Cette orientation semble logique face au manque de recul par rapport aux actions menées depuis la remise du rapport précédent. « Les outils mis en place par les gouvernements depuis 2005 – Agence pour l’Innovation Industrielle, Agence Nationale pour la Recherche, OSEO, pôles de compétitivité… – sont prometteurs mais encore trop récents pour que leur efficacité soit mesurée.” Le rapport est structuré en quatre grandes parties. Tout d’abord Carayon recadre le contexte dans lequel évoluent les entreprises et la société française : la mondialisation, les évolutions technologiques et les « para pouvoirs » (ONG, fonds d’investissements) continuent à se renforcer. Dès cette première partie l’accent sur les problématiques financières apparaît. La première proposition vise d’ailleurs à limiter les actions spéculatives de certains fonds d’investissement qualifiés de « fonds vautours ». Les discussions s’orientent sur un nombre de sujets économiques et financiers : problèmes liés aux OPA, aux modes de rémunération des top managers, manque de dynamisme économique européen, etc…Plus frappant est le changement de ton face à la présence de capitaux étrangers au sein des entreprises françaises. Là ou le rapport 2003 semblait se focaliser sur les risques liés à cette présence forte des actionnaires étrangers, le rapport 2006 interprète cette présence comme un signe de l’ouverture de l’économie française: « La Place de Paris est la plus ouverte de tous les grands marchés financiers, un paradoxe pour un pays présenté si souvent comme protectionniste. » « Le taux de détention par les investisseurs non-résidents (…) atteignait 44,6 % du CAC40 en 2004. Il est en progression régulière (33,4 % en 1997). » (Carayon, A armes égales : rapport au Premier ministre , 2006, p. 25)
Cette analyse vient répondre aux critiques internationales qui ont suivi certaines décisions françaises (notamment après le Décret de décembre 2005).Suit la deuxième proposition de cette première partie concernant la publication annuelle des comptes des PME-PMI. Carayon suggère de supprimer cette obligation qui n’est imposée par aucun autre pays. Certes le désir de réciprocité est légitime et les risques de l’exploitation de ces informations par des concurrents sont réels cependant il nous paraît contradictoire de vouloir supprimer une telle source d’information alors que l’une des orientations principales de l’intelligence économique est de permettre une meilleure circulation de l’information utile. Dans cette partie du rapport les aspects défensifs de l’IE semblent bien primer sur les fonctions de recherche et de traitement stratégique de l’information
Nous passerons ici rapidement sur les propositions du rapport visant à renforcer d’un côté la présence des questions européennes en France et de l’autre la présence française au sein des centres de réflexion et de décision européens (voir l’analyse de la Caisse des Dépôts dans notre section 2.3.2.1 pour un exemple de réalisation de ces objectifs), afin de diriger notre analyse sur la deuxième partie du rapport.
Cette deuxième partie est consacrée aux problèmes de normalisation. Parmi les sujets présentés nous retrouvons une problématique fondamentale de la finance: l’harmonisation des normes comptables internationales. Depuis 2005 les normes IFRS (« International Financial Reporting Standards ») ont été substituées en Europe aux normes comptables nationales. Comme le remarque très bien Bernard Carayon l’élaboration de ces normes s’est faite pour donner une cohérence aux principes comptables internationaux. Pour mieux comprendre l’importance de ces orientations il faut garder à l’esprit que l’information comptable sert de base de travail aux analystes financiers. Harmoniser les règles comptables internationales permet donc aux analystes de pouvoir comparer rationnellement les compagnies de différent pays et de disposer d’une information calibrée reflétant les réalités économiques sous-jacentes aux entreprises.
Cependant, malgré leurs encouragements pour que cette réforme voie le jour en Europe, les autorités américaines n’ont pas jugé bon de changer leurs propres règles comptables (US GAAP). Cette décision américaine a aboutie à une situation contraire à tout principe de réciprocité: les entreprises européennes voulant être cotées aux USA doivent ainsi maintenir une double comptabilité, l’une conforme aux normes US GAAP et l’autre conforme aux normes internationales IFRS alors que les entreprises américaines voulant être cotées en Europe sont dispensées de cette double comptabilité. Bien entendu l’élaboration de rapports de résultats trimestriels et annuels représente un investissement en temps significatif et les coûts associés au maintien de cette double comptabilité ne sont pas négligeables Selon le rapport l’application de ces règles « constitue pour l’entreprise une charge initiale très élevée (plusieurs millions d’euros) et une charge annuelle récurrente (au minimum égale à un million d’Euros) » (Carayon, A armes égales : rapport au Premier ministre , 2006, p. 51).
De fait, cette position américaine donne aux groupes multinationaux ayant leur siège aux USA un avantage compétitif certain sur leurs concurrents implantés à l’étranger.
Il nous paraît cependant judicieux de souligner les orientations et les ajustements de stratégie des groupes européens concernés depuis l’établissement de ces règles. En effet nous assistons à un phénomène mal anticipé par les autorités américaines: les effets combinés de cette obligation de double comptabilité et l’application de la loi Sarbanes-Oxley de 2002 sur la réforme de la comptabilité des sociétés cotées et la protection des investisseurs. Cette dernière loi est appliquée à toutes les compagnies cotées aux États-Unis d’Amérique et concerne donc les groupes français et européens qui y sont implantés. Or une étude de 2006 par le cabinet d’audit Mazars (Mazars, 2006) souligne que 17% des entreprises françaises déclarent une sortie de la cote américaine envisageable et 8% la considère comme probable. Les résultats de cette étude semblent validés par l’actualité récente; Prenons à titre d’exemple Adecco, l’un des groupes français qui s’était appliqué à implémenter le plus rapidement les demandes américaines vient d’entrer dans un processus de sortie de cote du New York Stock Exchange.

IE et finance un espace vierge ? Le cas français.

L’orientation des recherches en IE en France s’explique par l’origine académique des acteurs ayant participé à son développement. Il suffit de regarder la genèse des évolutions de l’intelligence en France lors de ces vingt dernières années pour comprendre la faiblesse de sa relation avec la finance.
A partir du milieu des années 1990 un ensemble de formations spécifiquement dédiées à l’intelligence économique commencent à voir le jour en France. Ces formations se déclinent sous diverses formes: des séminaires sont voient le jour sous l’impulsion des chambres consulaires, des cycles de conférence sont organisés par quelques écoles de commerce et universités et des formations diplômantes commencent à être proposées. Ainsi dès 1995 le CERAM (Sophia Antipolis, groupe d’enseignement supérieur de la Chambre de Commerce et d’Industrie Nice Côte d’Azur) en partenariat avec l’Université d’Aix-Marseille III crée un master spécialisé en intelligence économique et management des projets complexes. En 1996 l’Institut de la Communication et des nouvelles Technologies implanté sur le site du Futuroscope crée un DESS « Intelligence économique et Développement des entreprises » sous l’égide de Jean-Louis Levet. Ces deux formations mettent en avant une orientation scientifique et managériale de l’IE. Toujours en 1996, l’Université de Marne la Vallée crée deux DESS « Ingénierie de l’Intelligence économique « et « Information et sécurité  » rattachés au Centre des Etudes de la défense. Ces deux formations approfondissent tout particulièrement les questions liées d’un côté à la mise en place de systèmes de veille et collecte d’information, de l’autre au renseignement et aux dimensions sécuritaires de L’IE. Citons encore le Master spécialisé en Intelligence Scientifique, Technique et Economique de l’école supérieure d’ingénieurs en électrotechnique et électronique de Paris, crée en 1997 et accrédités par la Conférence des Grandes Ecoles: L’IE y est abordée « sous la double perspective d’une part des enjeux économiques, organisationnels et culturels de l’économie mondialisée et, d’autre part, des technologies de l’information et de la communication. »15
Il n’est pas l’objet de cette section de répertorier l’ensemble des formations sur l’IE qui ont vu le jour depuis 1995, d’autan plus que la nouvelle impulsion depuis la publication du Le référentiel de formation en intelligence économique en 2005 a encouragé le développement des structures de formation en intelligence économique et en veille. Notons qu’à ce jour aucune formation diplômante ne propose un programme dédié aux applications financières de l’IE. Selon nous, ce manque de liens directs entre l’enseignement de la finance et les formations en IE s’explique en partie par un cloisonnement artificiel des structures de formation et non par une quelconque incompatibilité essentielle des sujets. Cependant nous montrerons dans la deuxième partie de notre travail comment certaines théories financières ont dénigré de manière implicite la possibilité de créer une information marginale créatrice de valeur ajoutée et donc la pertinence de l’intelligence économique.

Les liens existants entre IE et Finance

S’il n’existe que peu de liens directs entre l’enseignement de l’IE et la finance, il nous suffit d’observer les contenus des matières enseignées au sein des programmes de finance pour réaliser que la finance a développé de nombreuses méthodes de récolte, d’analyse des informations et de leur transformation en connaissance utile pour la prise de décision. Ainsi les cours de comptabilité financière visent entre autres à développer des techniques de transformation de l’information comptable pour son analyse afin de servir de base à la valorisation des entreprises et de leurs projets. Les cours d’économie visent quand à eux à offrir une autre vision sur les dynamiques des entreprises (micro économie) et des économies nationales (macro économie) afin d’offrir un cadre cohérent à l’analyse d’une entreprise ou d’un projet. De même, les cours de valorisation d’actifs et les cours dédiés aux fusions et acquisitions couvrent non seulement l’analyse de la situation historique et présente d’un potentiel investissement mais ils englobent des techniques d’analyse prospective. Nous retrouvons ces démarches dans le monde professionnel qui a personnalisé les approches académiques pour les rendre compatibles à leurs besoins et à leurs objectifs.
La fracture entre IE et finance est en fait moins importante qu’il n’y paraît. Nous retrouvons des pistes similaires à celles poursuivies par la finance dans quelques ouvrages consacrés à l’Intelligence économique et stratégique. Citons par exemple Christopher Murphy qui, dans son livre “competitive Intelligence: Gathering, analyzing and putting it to work”, consacre deux chapitre à l’analyse des comptes financiers (Murphy, 2005, p. chapitre 17 & 18). De même en France certaines démarches de veille, telle la veille financière, ont bien souligné la pertinence de certaines orientations: suivi de l’actualité financière et du mouvement des marchés pouvant affecter l’entreprise : marchés monétaires, matières premières, bourse, etc. D’autres pistes suggèrent d’appliquer l’analyse financière aux données comptables des entreprises concurrentes, aux fournisseurs voir aux comptes des clients.
Nous devons par ailleurs noter que le gouvernement Français au travers de son portail Internet suggère une déclinaison de l’IE : l’Intelligence Financière. « L’IE a un rôle à jouer pour éclaircir les enjeux de ce secteur d’autant plus que l’information financière est stratégique » (HRIE, 2006). Les enjeux liés à l’information comptable et financière sont très importants, ce qui a incité la plupart des places financières développées à s’accorder sur des règles de communication et de contrôle de ces informations. Si l’état français s’est engagé sur ce sujet, notamment au travers de l’application des standards comptables, il a entrepris d’autres démarches. Michel Viger rappelle que certaines associations, sous l’égide d’agences gouvernementales, ont déployé des initiatives très spécifiques. Ainsi l’IFN (Invest in France) qui est au centre de l’effort de promotion des investissements étrangers en France, a initié en 1999 une démarche d’IE visant l’anticipation des investissements internationaux vers la France.16
Il n’est guère surprenant de voir l’intérêt suscité par divers secteurs du monde financier et l’analyse de données financières: Les entreprises sont principalement jugées au travers de leurs résultats financiers, ce qui explique la nécessité pour tout analyste d’être capable de lire et interpréter les résultats comptables des compagnies. Appréhender une entreprise au travers de ses comptes financiers peut initialement paraître une démarche limitée mais ces résultats financiers cristallisent l’ensemble des activités sous-jacentes des entreprises et permettent d’en souligner forces et faiblesses.

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Table des matières

I L’Intelligence Economique, son développement en France et ses liens avec la finance et les marchés financiers
Introduction
Chapitre 1. Genèse contemporaine l’IE et définitions retenues
1.1 Dynamiques et écrits contemporains
1.2 Définitions retenues de L’IE
1.3 Champs d’application traditionnels de l’IE
Chapitre 2. Développement de l’IE en France et enjeux actuels
2.1 Le rapport Martre et la prise de conscience du retard français
2.2 Les rapports Carayon et l’émergence d’une volonté forte de changement
2.2.1 Le rapport 2003 et son analyse
2.2.2 Le suivi politique du rapport Carayon 2003
2.2.3 Le Rapport Carayon 2006 et la mise en avant des dimensions financières de l’IE.50
2.3 L’ouverture de l’IE aux dimensions financières
2.3.1. IE et finance un espace vierge ? Le cas français
2.3.2 Les liens existants entre IE et Finance
2.3.2.1 IE et Finance du secteur public
2.3.2.2 IE et Finance du secteur privé : banques, Capital risqueurs, fonds « private equity », fonds de pension
2.3.3 Conclusion
II Marchés financiers et efficience
Chapitre 3 Rôles et logiques des marchés financiers
3.1 Structure des marchés financiers
3.2 Logique des marchés financiers: notion d’efficience (EMH) et implications
3.3 CAPM : application des logiques d’équilibre de marché au taux de rentabilité exigé
Chapitre 4 Finance comportementale: un regard différent sur les réalités des marchés financiers
4.1 les limites des forces d’arbitrage
4.2 Les apports de la psychologie cognitive
4.3 Synthèse des logiques d’efficience et des modèles comportementaux: L' »Adaptative Market Hypothesis »
4.5 Conclusion: Théories financières et économiques et la place de l’intelligence économique
III les entreprises et l’information marginale face à l’évolution des modèles financiers
Chapitre 5: Outils financiers et projets d’entreprises
5.1 Introduction
5.2 La pertinence des outils d’analyse de la finance rationnelle pour les projets d’entreprise
5.2.1 Entreprises privées et asymétrie de l’information
5.2.2 Valorisation de projets. Rappel de l’approche recommandée par la finance rationnelle: La valeur actuelle nette
5.2.3 Traitement du risque statistique
5.2.4 Taux d’actualisation des flux de trésorerie
5.2.4.1 Rendements demandés pour les projets risqués et coût de capital
Chapitre 6 Modèle intégrant un paramètre subjectif d’aversion au risque pour la valorisation de projets
6.1 Présentation du modèle vérifiant nos hypothèses
6.1.1 Aversion au risque: aspects psychologiques de l’investissement
6.1.2 Inclusion d’une fonction d’aversion au risque
6.2 Construction des scénarios vérifiant le modèle
6.2.1 Paramètres additionnels
Chapitre 7 Présentation et analyse des résultats
7.1 Impact du Lambda sur le classement de projets
7.2 Taille des entreprises et Valeur Actuelle Nette subjective
7.3 Résultats et réponses à nos hypothèses
7.3.1 Limites de l’analyse
7.4. Conclusions
IV Conclusions et pistes de recherche
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