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Les conditions météorologiques
Les conditions météorologiques jouent un rôle important sur la distribution des bois le long des côtes de l’Arctique. Nous différencierons ici les conditions climatiques régionales (Maxwell., 1992), des conditions météorologiques locales qui désignent des phénomènes atmosphériques de court terme.
Des conditions météorologiques locales tels que de forts orages, d’importantes précipitations ou des vents violents peuvent influencer la fréquence des crues et par la même occasion l’érosion des rives, favorisant alors la chute des arbres dans les fleuves et les rivières. La quantité de bois flottés accumulés sur les plages de l’Arctique est donc directement liée à ces conditions météorologiques, qui vont également jouer un rôle important dans le transport des bois vers les mers limitrophes arctiques puis dans l’océan jusqu’à leur point d’échouage. Ce transport se fait principalement par les vents dominants qui sont régis par la force de Coriolis (rotation de la Terre) et dans une moindre mesure par les vents locaux, qui eux-mêmes sont liés aux courants marins de surface (Reimnitz et Maurer, 1979 ; Dyke et al., 1997; Alix, 2005, 2006).
Les courants marins
Tombés dans les rivières et les fleuves, les bois flottés arrivent dans les mers limitrophes (par ex. mer de Beaufort, des Tchouktches, Sibérienne orientale, Laptev, Kara, Barents, baie de James, baie d’Hudson, etc.) puis l’océan arctique où ils dérivent au gré des courants marins. Ces voies de circulation, et plus particulièrement celles des eaux de surface qui dépendent étroitement des vents dominants locaux, constituent un facteur essentiel influençant la distribution des bois échoués sur les plages.
Pour décrire ces courants de surface, nous reprendrons en grande partie la description d’Alix (2001), laquelle fut basée sur les études de Dyke et al., (1997) et d’Eggertsson (1994a) ainsi que les travaux du Service hydrographique et océanographique de la Marine (1974) (Figure 2). Plusieurs systèmes de courants règnent dans l’océan arctique dont les deux principaux sont :
– le courant giratoire de Beaufort qui forme un immense tourbillon anticyclonique dans le centre du bassin arctique ;
– le courant de dérive transpolaire qui traverse le bassin arctique par le nord jusqu’au détroit de Fram entre le Groënland et le Spitzberg. Il rejoint alors le courant est-groënlandais qui longe la côte est de l’île. Le courant transpolaire est divisé en deux branches : la branche polaire formée de la bordure du Beaufort gyral et la branche sibérienne qui transporte de la glace des mers de Laptev et Kara jusqu’au détroit de Fram (Eggertsson, 1994a ; Dyke et al., 1997).
Dans le détroit de Fram, 70% de la masse glaciaire de l’océan arctique est évacuée alors que les 30% restant passent par le centre de l’archipel canadien et le courant de Baffin. Au niveau du détroit de Béring, l’évacuation est quant à elle pratiquement inexistante. Ceci est dû au plus fort courant pacifique chaud qui traverse le détroit pour alimenter la branche polaire du courant transpolaire comparativement au faible courant froid passant par la mer des Tchouktches (Service hydrographique et océanographique de la Marine, 1974).
En périphérie du courant transpolaire, les courants des mers des Tchouktches, Laptev, Kara, Barents, etc. sont en effet moins puissants et forment souvent des tourbillons cycloniques (Service hydrographique et océanographique de la Marine, 1974).
A l’est du delta de Mackenzie dans l’Arctique occidental, le courant de la mer de Beaufort suit la côte continentale en direction du golfe d’Amundsen. A l’ouest du delta, le courant longe la côte du Yukon et de l’Alaska jusqu’à la pointe Barrow. Il rencontre alors la branche occidentale du courant Pacifique qui a traversé le détroit de Béring. Ce dernier se divise en deux branches : l’une longeant l’extrémité nord-ouest de l’Alaska avant de dériver vers le nord-ouest au niveau de la pointe Barrow et d’être entraînée par le courant giratoire de Beaufort, l’autre tournant vers l’île Herald puis autour de l’île Wrangell avant de se diriger vers le nord (Treshnikov, 1977) (Figure 2).
Dans le centre de l’archipel, les courants transportent les eaux froides du bassin arctique dans une direction générale sud-est en direction de la baie de Baffin et de la mer du Labrador et au sud en direction de la baie d’Hudson.
Dans la baie d’Hudson, les courants suivent le sens anti-horaire pour rejoindre des courants descendants de la rive ouest de la mer du Labrador (Straneo et Saucier, 2008).
Enfin, la dérive nord atlantique issue des eaux chaudes du Gulf Stream remonte en direction du courant norvégien. Ce courant norvégien se divise en deux branches, l’une continuant le long de la côte norvégienne en direction de la mer de Barents, l’autre dérivant vers le nord en direction de la côte ouest de Svalbard. Cette dernière se divise elle-même en deux : d’un côté en contournant Svalbard vers le nord-est puis continuant vers l’est et de l’autre en dérivant vers le nord-ouest puis le sud-ouest. Les tourbillons anticycloniques créés par la rencontre entre le courant norvégien et le courant est groënlandais provoquent des mélanges de leurs flux respectifs (Service hydrographique et océanographique de la Marine, 1974).
La découverte de ces divers courants de l’océan arctique doit beaucoup aux travaux sur le bois flotté (Giddings, 1943 ; Nansen, 1975 ; Eggertsson, 1994a). De récentes études tendent à montrer que peu de bois sont pris dans le courant giratoire de Beaufort et que la branche polaire transporte une plus faible quantité de bois que la branche sibérienne au niveau du courant transpolaire (Dyke et al., 1997).
La banquise (glace de mer)
Les conditions de la glace le long des côtes, la débâcle et le regel de la banquise jouent également un rôle dans l’acheminement des bois depuis leur lieu d’origine jusqu’à leur répartition sur les littoraux. En effet, les bois provenant de l’Arctique occidental ne pourraient pas se retrouver dans l’Arctique oriental sans la banquise car le temps de flottaison de chacune des essences ne serait pas assez long pour leur permettre de parcourir la distance qui sépare, par exemple, les fleuves sibériens des côtes groënlandaises (Häggblom, 1982). En d’autres termes, sans la banquise, les bois provenant de l’Arctique occidental couleraient avant leur arrivée sur des plages de l’Arctique oriental.
Dans le bassin arctique, le transport du bois flotté dépend de la glace multi-annuelle à savoir la banquise permanente (qui constitue 70% de l’océan arctique et se déplace perpétuellement d’un seul bloc dans le sens horaire par la force motrice des vents dominants et des courants de surface gradients) et la banquise saisonnière entre la banquise permanente et la banquise côtière (qui couvre 25% de l’océan et se morcelle en été en dérivant sous forme de blocs de glace) (Hibler, 1989 ; Eggertsson, 1994a).
Sur les côtes, le dépôt du bois ne peut se faire que lors de la fonte de la glace annuelle ou de banquise côtière fixée le long des côtes sur une épaisseur de 1 à 2 m (qui se fracture et fond à chaque débâcle printanière et se reforme à chaque automne) et en l’absence de plates-formes flottantes (fragments de glace multi-annuelle détachés d’une côte). A titre d’exemple, la plate-forme de la Ward Hunt, au nord de la terre d’Ellesmere bloque l’accès et le dépôt des bois sur les côtes (Stewart et England, 1983).
Par ailleurs, les bois peuvent circuler de manière annuelle au niveau des polynies qui correspondent à des zones libres de glace à l’intérieur de la banquise saisonnière par des phénomènes de remontées d’eaux profondes ou des zones où la débâcle est précoce et le regel tardif. C’est le cas par exemple de la polynie North Water de la mer de Kara ou celle de la partie nord de la baie de Baffin (Simon, 1982 ; Smith et Rigby, 1981). A l’inverse, sur certaines côtes, la banquise côtière peut être permanente et bloquer alors complètement l’accès aux bois. C’est par exemple le cas sur la côte ouest de la baie de Baffin où la présence annuelle de la banquise empêche les bois de se déposer. Ces derniers s’échouent alors préférentiellement sur la côte ouest du Groënland notamment sur les îles de la baie de Disko et plus au sud, annuellement libre de glace (Gulløv, 1981).
De par les connaissances sur la vitesse du courant Beaufort gyral (700 à 800 km/an) et du courant transpolaire (600 km/an), la durée de la dérive de la banquise permanente et donc du bois qui s’y est pris serait en moyenne de 2 km/jour (730 km/an) (Barry, 1989 ; Rigor, 1992 dans Eggertsson, 1994a). Le bois flotté pourrait alors prendre un minimum de 3 à 6 ans pour traverser l’océan arctique (Rigor, 1992 ; Eggertsson, 1994 a ; Dyke et al., 1997)
Le temps de flottaison
Le temps de flottaison joue un rôle sur la qualité des bois ainsi que sur la disponibilité des essences dans les amas des bois retrouvés sur les plages.
En effet, les bois flottés échoués sur les plages de l’Arctique correspondent à des parties séparées ou à un ensemble de parties d’arbres (troncs, racines, branches). L’état des bois sur les plages dépend fortement du temps de transport. Plus le périple du bois dans l’eau et la glace est long, plus il subit des dommages comme l’ébranchage, l’écorçage, ce qui caractérise une grande majorité des bois retrouvés en Arctique. Cependant, il n’est pas rare de trouver des troncs de grandes dimensions encore complets avec écorce, branches et racines, témoins d’un temps de flottaison certainement beaucoup plus court. Le temps de flottaison des bois peut aussi expliquer la rareté ou l’abondance de certaines essences dans les amas. Ce temps de flottaison varie en fonction de plusieurs facteurs comme la salinité et la température de l’eau (plus la salinité de l’eau est grande et la température basse, plus les bois flottent longtemps), l’organe de l’arbre, la densité de son bois (ex : la racine dense a un temps de flottaison plus long que certains troncs), l’écorçage subi pendant son trajet (l’écorce joue un rôle d’imperméabilité) mais aussi en fonction de l’espèce (Häggblom, 1982). L’épinette possède ainsi le plus long temps de flottaison (jusqu’à 17 mois) ce qui peut expliquer sa forte prépondérance dans les amas en Arctique. A l’inverse, le bouleau, qui est relativement abondant dans les forêts sibériennes, a un temps de flottaison plus court (6 mois), ce qui peut expliquer sa quasi-absence dans les amas de bois flottés arctiques, ces derniers pouvant plus facilement couler avant d’arriver sur les côtes (Eggertsson, 1994c). Le mélèze très présent en Sibérie mais au temps de flottaison relativement court (9 à 10 mois) n’est d’ailleurs pas exploité par l’industrie russe car trop de troncs coulent avant d’arriver à destination lors de leur transport par train de flottage (Krankina et Ethington, 1995). Ces temps de flottaison en fonction de l’espèce ont été mis en évidence par l’entremise de plusieurs expériences dans les eaux scandinaves qui visaient à immerger plusieurs bois de caractéristiques différentes (états, parties, espèces) jusqu’à ce qu’ils coulent (Häggblom, 1982).
Le facteur anthropique
En Arctique, les ressources ligneuses étant relativement rares, les bois flottés ainsi que les quelques arbres et arbustes présents furent très exploités par les habitants de la toundra. Ainsi, le facteur anthropique, souvent négligé, doit être pris en compte dans l’interprétation de l’évolution des amas de bois flottés sur les plages, tant du point de vue de l’abondance que de la composition xylologique.
Si aujourd’hui, le facteur anthropique sur la distribution des bois flottés sur les plages peut s’avérer négligeable dans beaucoup de régions de l’Arctique avec l’importation et l’accès au bois commercial, cela ne fut pas le cas pour les périodes couvrant l’Holocène récent jusqu’au début du XXème siècle. En effet, la collecte des fragments de bois par les Paléoesquimaux et Néoesquimaux lors de leurs déplacements a affecté la distribution des bois sur les plages et en l’occurrence les résultats des prospections de bois flottés des amas naturels. La majorité des études énoncées précédemment néglige ce facteur que certains chercheurs comme Laeyendecker (1993) ne manquent pas de rappeler. De même, le facteur anthropique a pu jouer un rôle sur l’exploitation des quelques arbres et arbustes dans la toundra forestière et arbustive comme en témoignent les travaux de Kaplan (2009) et Lemus Lauzon et al. (2012) qui montrent l’impact de l’établissement des Inuit dans la toundra au Labrador.
Comme exemple, nous pouvons citer la quasi-absence de bois dans le Navy Board Inlet au nord de la terre de Baffin où un seul bois daté de 4000-4250 BP a été retrouvé lors des prospections de Dyke et al., (1997). Le facteur anthropique pourrait expliquer la rareté du bois dans le secteur où l’occupation a été continue durant les 2000 dernières années par les Paléoesquimaux et Néoesquimaux. En témoignent d’ailleurs, les nombreux bois conservés dans les sites archéologiques comme Nunguvik ou Button Point (Mary-Rousselière, 1979a et b) et qui attestent de l’importance de l’utilisation du bois par les populations de la région.
Composition actuelle des essences de bois sur les plages et dans les sites archéologiques en Arctique oriental et occidental
Synthèse des connaissances sur les essences de bois flottés en Arctique
Les premières recherches sur le bois flotté arctique ont débuté au Svalbard à la fin du XIXe siècle (ex. Agardh, 1869 dans Eggertsson, 1994). Depuis cette période, plusieurs études sur le sujet ont été réalisées dans différentes parties de la zone circumpolaire. C’est le cas par exemple dans le détroit de Béring et la côte nord de l’Alaska (Giddings, 1941, 1943 ; Oswalt, 1951 ; Giddings, 1952b ; Van Stone, 1958 ; Alix, 2001 ; Alix et Brewster, 2004 ; Wheeler et Alix, 2004 ; Alix, 2005, 2006, 2008), sur les côtes de la mer de Beaufort et le dans le golfe d’Amundsen (Kindle, 1921 ; Giddings, 1952b ; Reimnitz et Maurer, 1979 ; Eggertsson, 1994 a et b; Eggertsson et Laeyendecker, 1995), au nord et au sud de la baie de Baffin dans le centre de l’archipel Arctique (Blake, 1972 ; Stewart et England, 1983 ; Dyke et al., 1997 ; England et al., 2008), au Groënland (Blake, 1975 ; Funder et al., 2011 ; Hellmann et al., 2013), sur JanMayen (Johansen, 1998), en Islande (Bartholin et Hjort, 1987 ; Eggertsson, 1993), au Svarlbard (Eurola, 1971 ; Salvigsen, 1981 ; Häggblom, 1982 ; Eggertsson, 1994c ; Hellmann et al., 2013), en Norvège (Johansen, 1999), en Russie (Johansen, 2001).
Les bois flottés trouvés à l’est dans le Haut-Arctique sont souvent plus petits (inférieur à 1 m de long et environ 20 cm de diamètre) et plus secs que dans l’Arctique de l’ouest où de nombreux bois flottés encore frais (avec écorce) d’une longueur supérieure à 10 m et de 20 à 40 cm de diamètre (voire plus) peuvent être régulièrement trouvés (Blake, 1972 ; Laeyendecker, 1993 ; Eggertsson et Laeyendecker, 1995 ; Dyke et al., 1997 ; Alix, 2005, 2009a).
Une synthèse des essences de bois flottés trouvées dans les différentes régions de l’Arctique peut être énoncée ici.
Sur les côtes ouest de l’Amérique du Nord (Alaska et nord du Canada), l’essence prédominante est l’épinette (Picea spp. cf. glauca et mariana) associée essentiellement au peuplier (Populus spp.), quelques espèces comme le mélèze (Larix spp. cf. laricina et quelques sibirica), le saule (Salix spp.), et plus rarement l’aulne (Alnus spp.) et le bouleau (Betula spp.). Ces essences proviendraient principalement de la toundra forestière américaine et sibérienne. D’autres essences comme le pin (Pinus spp.), la pruche (Tsuga spp.) ou le cèdre (Thuja spp.) peuvent également être présentes plus au sud-est de l’Alaska. Dans l’archipel canadien et notamment sur les côtes de l’île de Baffin, ces essences trouvées dans les amas de bois flottés sont souvent associés à du pin (Pinus spp. cf sylvestris, sibirica) provenant des côtes européennes et sibériennes. Plus au nord-est, (Groënland, Islande, Svalbard, Jan Mayen, Norvège), les amas de bois flottés sont d’ailleurs préférentiellement formés du pin provenant des côtes européennes et sibériennes avec comme essences secondaires l’épinette, le mélèze, quelques sapins et plus rarement des feuillus comme le peuplier, le bouleau, le saule et l’aulne. Sur la côte ouest de la Russie, au nord de la rivière Dvina, l’identification récente de bois flottés révèle une proportion presque identique d’épinette et de pin comme essences prédominantes pouvant provenir aussi de la toundra sibérienne et européenne norvégienne.
Synthèse des connaissances sur les essences de bois et charbons dans les sites archéologiques arctiques
A l’instar des bois trouvés sur les côtes, de nombreuses ressources ligneuses ont été mises au jour dans différents sites archéologiques thuléens et dorsétiens de l’Arctique. Une des premières études visant à analyser les vestiges en bois conservés dans les sites archéologiques en Arctique pour mieux comprendre les cultures inuites du passé a été réalisée au nord ouest de l’Alaska (Giddings, 1952a). Mais ce n’est que plus récemment que l’intérêt porté aux ressources ligneuses archéologiques et leur exploitation a connu un essor important notamment en Alaska (Stanford, 1976 ; Savelle, 1987 ; Arnold 1994 ; Alix, 2001 ; Wishart et Murray 2001 ; Mason, 2003 ; Alix, 2003, 2007, 2009 b; 2012 ; Deo Shaw, 2012), dans l’archipel de l’Arctique central comprenant l’île Victoria et l’île de Baffin (Maxwell, 1960 ; Schweingruber, 1977 ; Mary-Rousselière, 1979a et b ; Le Mouel et Hehmosth-Le Mouel, 1982 ; Mc Ghee, 1984 ; Le Mouel et Hehmosth-Le Mouel, 1985, 1986 ; Savelle, 1987 ; Laeyendecker, 1993a et b ; Eggertsson, 1994a ; Alix, 2009a et b), dans le détroit d’Hudson et les côtes du Québec-Labrador (Birket-Smith, 1929 ; McCartney, 1977 ; Laeyender, 1993a ; Fitzhugh et al., 2006; Zutter, 2012) ou encore au Groënland (Grønnow, 1996, 2012).
Ces restes ligneux apparaissent principalement sous la forme de charbons, de fragments de bois naturels ou travaillés (baguettes, hampes de flèches, harpons, arcs, récipients, manches, cuillères). Si un grand nombre de bois trouvés ne peuvent pas être attribués à un objet ou à une fonction précise, la détermination de leur espèce est toujours possible.
Ainsi, parmi les essences recensées dans les assemblages archéologiques, on retrouve une large majorité de conifères notamment d’épinette dans l’Arctique canadien et du mélèze plus à l’est comme au Groënland. Du pin a également été trouvé dans les sites archéologiques arctiques, souvent plus à l’est. Plusieurs feuillus sont aussi présents mais en moins grand nombre que l’épinette et le mélèze à savoir majoritairement du saule, du peuplier et beaucoup plus rarement du bouleau et de l’aulne. D’autres rares feuillus d’origine plus tempérée, probablement issus des premières expéditions (naufrages, commerce), ont parfois été trouvés dans certains assemblages. A titre d’exemple, le chêne (Quercus sp.), le hêtre (Fagus sp.), le frêne (Fraxinus sp.), le noisetier (Corylus sp.) sont attestés dans des sites historiques thuléens et dorsétiens du sud de la terre de Baffin et proviendraient de matériaux apportés par Martin Frobisher lors de son expédition de 1576 (Laeyendecker, 1993 a et b). De même, du genévrier (Juniperus sp.) a été également trouvé par exemple dans les sites Paléoesquimaux Qaaja et Qeqertassussuk dans la baie de Disko, à l’ouest du Groneland (Grønnow, 1994).
Absence de données sur les ressources ligneuses au Nunavik
En dépit de ces connaissances sur les ressources ligneuses en Arctique, aucune recherche visant à établir les caractéristiques et la répartition actuelle des amas de bois flottés sur les plages et des bois dans les sites archéologiques du Nunavik n’a encore été entreprise. Cette thèse vise, entre autres, à pallier cette lacune de connaissance sur les ressources ligneuses de la côte est de la baie d’Hudson et apporter des informations inédites sur le mode de collecte et d’exploitation des ressources ligneuses par les résidents passés et actuels.
TERRITOIRE D’ÉTUDE
Le Nunavik forme le tiers nord de la province de Québec (Canada). Couvrant une superficie d’environ 507 000 km², ce territoire est bordé par la baie d’Hudson à l’ouest, le détroit d’Hudson et la baie d’Ungava au nord-est et par le Labrador à l’est (Figure 4).
Le Nunavik comprend également les îles, qui font légalement partie du Nunavut, et le nord du Labrador.
Le Nunavik, en inuktitut « l’endroit où vivre » compte environ 12 000 habitants dont environ 90% sont inuits. La population se répartit dans les 14 villages côtiers suivants, cités par ordre décroissant de population (Figure 3) : Kuujjuaq, Puvirnituq, Inukjuak, Salluit, Kangiqsualujjuaq, Kuujjuarapik, Kangiqsujuaq, Akulivik, Kangirsuk, Umiujaq, Ivujivik, Quaqtaq, Tasiujaq, et Aupaluk (Robitaille et Choinière, 1988).
Évolution du contexte naturel au Nunavik
Le Nunavik est séparé du territoire du Nunavut par la baie d’Hudson à l’ouest et le détroit d’Hudson et la baie d’Ungava au nord. Au sud, le 55e parallèle le sépare de la région de la baie de James tandis que la région administrative de la Côte-Nord et la province de Terre-Neuve-et-Labrador constitue sa limite au sud-est.
Ce territoire présente un ensemble de plateaux formés de roches cristallines précambriennes et se termine dans sa partie nord-ouest en abrupts littoraux dont la hauteur peut atteindre plusieurs centaines de mètres. La côte est de la baie d’Hudson forme un arc bordé d’îles côtières constituées de calcaire, de grès, de quartzite et de dolomie d’âge précambien (Avramtchev, 1982). Ces roches reposent en discordance sur le socle granito-gneissique et forment un relief de cuestas dont le revers est orienté vers le littoral ouest.
Le paysage du Nunavik a beaucoup évolué au cours du Quaternaire.
Lors du dernier maximum glaciaire, il y a 18 000 ans BP (Wisconsinien supérieur), le Nunavik était couvert par l’inlandsis laurentien qui a engendré l’enfoncement des terres (enfoncement glacio-isostatique). Les mouvements et les processus glaciaires ont laissé diverses marques dont certaines demeurent très visibles dans le paysage (par ex. stries et cannelures, broutures, roches mutonnées, etc.).
La fonte du glacier a été entamée vers 8000 ans BP permettant le retrait des marges glaciaires. La disparition des dernières masses de glaces de la calotte laurentienne de la péninsule d’Ungava ne s’est pas effectuée avant 6000 BP (Gray et al., 1993; Lauriol et Gray, 1987 ; Gray, 2001). Les côtes libérées de glaces mais toujours enfoncées ont été submergées par des mers postglaciaires dès 7000 BP (Gray et Lauriol, 1985) : la mer de Tyrrell le long de la baie d’Hudson et du détroit d’Hudson et la mer d’Iberville le long de la baie d’Ungava. La limite marine maximale atteinte en altitude s’échelonne selon les lieux, entre 110 et 270 m (Gray et Lauriol, 1985). Le relèvement des terres allégées du poids du glacier (en fonte) a conduit à l’émersion des terres et par conséquent au retrait de la mer. Les courbes d’émersion des terres indiquent un relèvement isostatique rapide entre 7000 et 3000 BP, avec un taux moyen variant entre 4 et 9 m/siècle selon les régions. Ce taux a diminué de 1 à 0,5 m/siècle durant les trois derniers millénaires (Gray et al., 1993; Bhiry et al., 2011 ; Lavoie et al., 2012).
De plus, d’importants changements biogéographiques et écologiques sont survenus au Nunavik durant l’Holocène. Entre le début de la déglaciation il y a environ 8 000 BP (variable selon les secteurs) et 6000 BP environ, une toundra herbacée plus dense qu’aujourd’hui a colonisé les terres de l’Ungava au fur et à mesure que la glace reculait. Aux alentours de 7000-6000 BP, la toundra fut envahie par les arbustes, principalement les bouleaux (Betula glandulosa) et les aulnes (Alnus crispa). Entre 6000 et 4000 BP, les glaces n’occupaient plus que 70 000 km2 en Ungava. Le climat estival était plus chaud qu’aujourd’hui (Richard, 1995 ; Viau et al., 2006). Les données polliniques suggèrent que dans la zone actuelle de la toundra herbacée, une phase de toundra arbustive dense (composée de bouleaux glanduleux et aulnes crispés) s’est développée alors que dans l’actuelle zone de toundra arbustive, c’est une phase de taïga arbustive dense qui perdura jusqu’à 4000 BP. Les sapins, mélèzes, trembles et peupliers, aujourd’hui épars, y étaient plus nombreux et plus répandus (Richard et al., 1982, Richard et Grondin, 2009).
Entre 5000 et 4000 BP, les arbres (épinette noire, épinettte blanche, mélèze, peuplier baumier) atteignirent leur limite nordique d’extension postglaciaire (Payette, 1993) et leur densité maximale (Richard, 1981, Richard et al., 1982). A titre d’exemple, les forêts d’épinette atteignirent leur limite septentrionale un peu après 5000 BP près de la baie d’Ungava (Richard, 1981) et vers 4600-4500 BP près de la baie d’Hudson, dans la région de la rivière Boniface (Gajewski et al., 1993 ; Payette, 1993).
C’est à partir du Néoglaciaire, vers 4000 BP, que la végétation a connu alors une dynamique régressive et les arbustes et buissons sont devenus rares et rabougris comme on l’observe encore aujourd’hui. La toundra forestière telle que nous la connaissons est une formation végétale relativement récente : elle s’est constituée progressivement depuis la déglaciation régionale, principalement sous l’emprise croissante des feux (Asselin et Payette, 2005 ; Gajewski et al., 1996).
En terme bioclimatique, la péninsule d’Ungava est donc aujourd’hui formée par deux grands domaines : le domaine de la toundra arctique et le domaine de la toundra forestière subarctique (Richard, 1981 ; Payette, 1983 ; Richard, 1987). Le domaine de la toundra arctique s’étend de la limite des arbres à 58o N jusqu’au détroit d’Hudson à 62o N (Payette, 1996). Vers le sud, le domaine de la toundra forestière subarctique (ou hémi-arctique) se caractérise par un couvert forestier ouvert. Elle forme une bande qui traverse le nord du Québec entre 56o et 58o N (Lavoie et Payette, 1996).
Dans le cadre de cette recherche, nous pouvons considérer que, durant toute la période d’occupation humaine au Nunavik à savoir depuis environ 3800 ans, la limite des arbres, qui représente le contact entre la toundra forestière et la toundra arctique, n’a pas évoluée de manière significative (Payette et Lavoie, 1994).
Occupation humaine au Nunavik
Selon Taylor (1968) et Maxwell (1985), le début de l’occupation de l’Arctique de l’Est du Canada est survenu vers 4000 ans BP, suite à un mouvement migratoire en plusieurs vagues à partir de l’Alaska. Les groupes de l’Independance 1 se sont déplacés vers le Haut-Arctique (île d’Ellesmere, Groënland) alors que les Prédorsétiens ont migré vers l’Arctique central et oriental (bassin de Foxe, Terre de Baffin, détroit d’Hudson) (Helmer, 1994; McGhee, 2001; Ramsden et Tuck, 2001). Afin de mieux situer chronologiquement et culturellement cette étude, il convient de rappeler ci-dessous les principales différenciations chronoculturelles du Nunavik (Figure 3). Deux grandes cultures ont occupé ces terres arctiques depuis la dernière glaciation jusqu’au développement de la culture inuite actuelle : les Paléoesquimaux et les Néoesquimaux (Maxwell, 1985).
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Table des matières
AVANT- PROPOS
INTRODUCTION GENERALE
1. LES RESSOURCES LIGNEUSES EN ARCTIQUE
1.1 Sources potentielles des matériaux ligneux en Arctique et intérêt de leur étude
1.2 Cycle du bois flotté en Arctique
1.3 Facteurs influençant la composition et la distribution des bois flottés sur les plages
1.3.1 – La végétation des régions nordiques
1.3.2 – Les conditions météorologiques
1.3.3 – Les courants marins
1.3.4 – La banquise (glace de mer)
1.3.5 – Le temps de flottaison
1.3.6 – Le facteur anthropique
1.4 Composition actuelle des essences de bois sur les plages et dans les sites archéologiques en Arctique oriental et occidental
1.4.1 – Synthèse des connaissances sur les essences de bois flottés en Arctique
1.4.2 – Synthèse des connaissances sur les essences de bois et charbons dans les sites archéologiques arctiques
1.4.3 – Absence de données sur les ressources ligneuses au Nunavik
2. TERRITOIRE D’ÉTUDE
2.1 Évolution du contexte naturel au Nunavik
2.2 Occupation humaine au Nunavik
2.2.1 – Les Paléoesquimaux (Prédorsétiens et Dorsétiens)
2.2.2 – Les Néoesquimaux (Thuléens, Inuit)
2.3 Régions d’étude
2.3.1 – La région d’Ivujivik
2.3.2 – La région d’Akulivik
2.3.3 – La région d’Inukjuak
2.3.4 – La région d’Umiujaq et du lac Guillaume-Delisle
3. CADRE DE LA RECHERCHE ET PROBLEMATIQUE
4. OBJECTIFS
4.1 Objectif général
4.2 Objectifs spécifiques
5. MÉTHODOLOGIE
5.1 Prélèvement et analyse des ressources ligneuses actuelles et archéologiques sur la côte ouest du Nunavik (Chapitres 1 et 2)
5.1.1 – Collecte des bois flottés et ressources ligneuses archéologiques
5.1.2 – Analyse des bois et charbons de bois
a) Analyses xylologiques et anthracologiques
b) Evaluation de l’état morphologique et du volume des ressources ligneuses
c) Analyses des cernes de croissance
d) Analyses dendrochronologiques
5.2 Connaissances et perceptions des Inuit concernant la disponibilité et l’exploitation des ressources en bois sur la côte ouest du Nunavik (Chapitre 3)
5.2.1 – Enjeux de l’intégration des savoirs autochtones
5.2.2 – Type de recherche qualitative utilisé
5.2.3 – Préparation des entretiens
a) Accords éthiques préalables
b) Élaboration du guide d’entretien
c) Méthodes de recrutement
5.2.4 – Déroulement des entretiens
a) Lieu et moment de l’entrevue
b) Présentation du projet, signature du formulaire de consentement et enregistrement
c) L’entretien et ses limites
d) Renseignements personnels et compensation du participant
5.2.5 – Traitements des données qualitatives
a) Transcription et limite de la traduction
b) Analyse et interprétation des données
5.3 Différenciation entre bois flotté et non flotté par des analyses chimiques (Chapitre 4)
5.3.1 – Prélèvements et expérience sur le terrain
5.3.2 – Traitement des bois en laboratoire
5.3.3 – Traitement statistique
6. STRUCTURE DE LA THESE
6.1 Chapitre 1
6.2 Chapitre 2
6.3 Chapitre 3
6.4 Chapitre 4
7. BIBLIOGRAPHIE
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