Synthèse de polyaniline en systèmes micellaires

Généralités sur les polymères conducteurs 

Le terme de polymère conducteur englobe à la fois des conducteurs ioniques et électroniques selon que le matériau polymère est caractérisé par une forte mobilité d‘ions ou d‘électrons [1]. Les polymères conducteurs ioniques sont généralement des complexes polymère/sel. Pour avoir un bon conducteur ionique, il faut une bonne solvatation du sel, assurée par la présence d‘hétéroatomes (O, S, P ou N) et une bonne mobilité des chaînes. Ces polymères sont principalement utilisés comme électrolytes dans des batteries rechargeables de forte densité d‘énergie [2] et ne seront pas décrits davantage dans ce travail. Les polymères conducteurs électroniques sont classés en 2 catégories : les polymères conducteurs extrinsèques (PCE) et les polymères conducteurs intrinsèques (PCI). Les polymères conducteurs extrinsèques sont constitués d‘une matrice polymère isolante mélangée avec des charges conductrices telles que poudres métalliques ou carbone. La conduction du polymère chargé est assurée par la percolation des particules introduites. Des valeurs de conductivité, de l‘ordre de 10 S/cm sont atteintes toute en préservant les propriétés mécaniques du polymère [1], [2], [3]. Les polymères conducteurs intrinsèques (PCI) sont des polymères conjugués pouvant comporter des hétéroatomes O, S, N… (tels que dans le polypyrrole, le polythiophène ou la polyaniline) qui participent à la délocalisation des électrons.

Structure électronique à l’état non dopé 

La structure électronique des polymères conjugués peut être décrite par une structure de bande [5]. Les orbitales liantes π forment une bande d‘énergie appelée bande de valence, BV. Les niveaux de cette bande sont occupés par les électrons de valence. Le plus haut niveau occupé de cette bande est appelé HOMO pour Highest Occupied Molecular Orbital. Les orbitales antiliantes π* forment une bande d‘énergie appelée bande de conduction, BC. Le plus bas niveau de cette bande est nommé LUMO pour Lowest Unoccupied Molecular Orbital. Dans le cas de l‘éthylène, la longueur de conjugaison est minimale avec un écart important entre les niveaux π et π*. En augmentant la longueur de conjugaison, l‘écart entre les niveaux diminue et lorsque la longueur de la chaîne devient grande, les orbitales moléculaires sont si proches les unes des autres qu‘elles deviennent indiscernables et qu‘elles constituent des bandes d‘énergie permises (Figure 1.1.). Dans un semi-conducteur, comme dans un isolant, ces deux bandes sont séparées par une bande interdite appelée couramment « gap » (Figure 1.2.). Le gap peut être décrit comme la différence entre le potentiel d‘ionisation, PI (énergie à fournir pour arracher un électron de l‘HOMO) et l‘affinité électronique, AE (énergie gagnée par la molécule en acceptant un électron sur la LUMO). Dans un isolant, le gap est si grand (>5eV) que les électrons ne peuvent passer de la bande de valence à la bande de conduction : les électrons ne circulent pas dans le solide. Dans les semi-conducteurs, la valeur du gap est plus faible (1,12 eV pour le silicium, 0,66 eV pour le germanium, 2,26 eV pour le phosphure de gallium). Si on fournit une énergie supérieure au gap (par  activation thermique, électromagnétique, irradiation, etc…), les électrons sont alors capables de passer de la bande de valence à la bande de conduction, et de circuler dans le matériau.

Dopage des polymères π-conjugués 

Méthodes de dopage 

Le principe du dopage des semi-conducteurs inorganiques consiste à introduire des impuretés donneuses (dopage de type n), ou accepteuses (dopage de type p) d‘électrons dans le matériau. Dans le cas des semi-conducteurs organiques, on parle également de « dopage » par abus de langage. Cependant, comparé au dopage des semi-conducteurs inorganiques, le dopage des polymères relève de processus chimiques et physiques différents et réalisés à des taux de l‘ordre de 10% à 50% (contre des parties par millions pour les semi-conducteurs inorganiques) [5]. Le dopage peut être effectué par voie chimique (réaction redox ou réactions acidebase), électrochimique, photochimique ou par injection de charges à l‘interface Métal/Semiconducteur. Dans le cas du dopage photochimique, le polymère semi conducteur est localement oxydé et réduit par photo-absorption et séparation de charges (exposition à un rayonnement d‘énergie supérieur à son gap). Il y a ainsi création de paires électron-trou et séparation en porteurs de charge libres. A l‘issue de cette photo-excitation, une recombinaison peut avoir lieu. Elle peut être radiative, donnant ainsi naissance à une photoluminescence (cas du poly(pphénylène vinylène), poly p-phényl phénol ) ou non radiative (polyacetylène, polythiophène) [5], [12].

Les porteurs de charges : solitons, polarons, bipolarons 

Dans le cas des polymères conjugués à structure dégénérée (cas du transpolyacétylène), le défaut créé par l‘injection de charges positives (oxydation) ou négatives (réduction) est appelé soliton. Le soliton est chargé, ne possède pas d‘extension spatiale finie et est donc délocalisé sur toute la chaîne conjuguée (Figure 1.3). Si deux solitons se trouvent sur la même chaîne conjuguée, ils n‘entrent pas en interaction et restent indépendants. La plupart des polymères conjugués ont des structures non dégénérées à l‘état fondamental.

Dans un système non dégénéré, la permutation des simples et doubles liaisons modifie l’énergie du système. Le défaut ainsi fabriqué (ion-radical) est d’extension finie. Il faut que la même phase d’alternance soit retrouvée de part et d’autre du défaut, sinon il serait trop coûteux en énergie de changer la structure de toute la chaîne. Toutefois cette déformation localisée coûte de l’énergie mécanique E1, qui est compensée par un gain en énergie électronique. L’ionisation provoque l’apparition de niveaux d’énergie localisés : un niveau de la bande HOMO passe dans la bande interdite, un niveau de la bande LUMO descend dans la bande interdite, conduisant à un gain en énergie ΔE. Si ΔE est supérieur à E1, le processus est favorable du point de vue énergétique. Il y a formation d’un polaron (ion radical pour les chimistes) (Figure 1.4.). Cette entité possède une charge et un spin S = ½. L’injection d’une nouvelle charge conduit à la présence de deux charges sur la même chaîne : soit, il y a création d‘un deuxième polaron de même signe, à côté du premier, soit on enlève (ou on rajoute) un électron supplémentaire au polaron existant. Il est plus favorable énergiquement qu’elles s’associent, la nouvelle charge profitant de la déformation déjà introduite. L’espèce formée s’appelle un bipolaron (Figure 1.5.) : il a une charge double et ne possède pas de spin car les deux spins initiaux s’apparient. Le bipolaron est d’extension finie (quelques unités de monomères).

Problématique de mise en forme des polymères conducteurs 

La rigidité et les fortes interactions interchaînes propres aux systèmes à doubles liaisons conjuguées impliquent que les polymères conducteurs intrinsèques sont généralement infusibles et insolubles. Par conséquent, la formation d‘un film continu à la surface d‘un substrat métallique par traitement thermique ou solubilisation d‘un polymère conducteur préformé (généralement obtenu sous forme de poudre) est difficile.

Pour faciliter la mise en œuvre de films polymères conducteurs, différentes stratégies ont été envisagées :

– l‘utilisation de monomères substitués par des groupements R de nature variée : groupements alkyl ou alkylsulfonate par exemple pour améliorer respectivement la solubilité en solvant organique ou en phase aqueuse. Dans le cas du pyrrole, la substitution en position 3, bien que difficile à effectuer, est préférable à la substitution en position 1 (sur l‘azote) : Dans ce dernier cas, on observe en effet une diminution importante de la conductivité du polymère (5 à 7 ordres de grandeur) [16].

– l‘utilisation d‘anions tensioactifs comme dopant : oxydation chimique de l‘aniline en présence d‘acide dodecylbenzènesulfonique (ADBS), d‘acide benzènesulfonique (BSA), l‘acide sulfosalicylique (SSA), d‘acide p-toluène sulfonique (TSA) ou d‘acide camphrosulfonique (ACS) par exemple [17]–[20], [21].

– la formation de suspensions de particules colloïdales de polymères conducteurs par oxydation chimique ou électrochimique en phase aqueuse en présence d‘un stabilisateur macromoléculaire apte le plus souvent à établir des liaisons hydrogène (POE, chitosan, copolymère alcool vinylique/acétate de vinyle, méthylcellulose…) avec le PCI [22].

– la formation de particules colloïdales cœur-écorce stabilisées stériquement à partir de latex polymère (polystyrène, polyuréthane…) [23]. Dans ce cas, un chemin de conductivité peut s‘établir entre les chaînes PCI au cours de la formation du film par évaporation, conduisant à un revêtement conducteur.

– l‘imprégnation de particules de silice colloïdale par des PCI de type polypyrrole ou polyaniline conduit à des nanocomposites pouvant être intégrés dans des formulations de peinture anticorrosion.

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Table des matières

INTRODUCTION
CONTEXTE SCIENTIFIQUE
CHAPITRE 1 : ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE
1.1. Généralités sur les polymères conducteurs
1.1.1. Structure électronique à l’état non dopé
1.1.2. Dopage des polymères π-conjugués
1.1.3. Problématique de mise en forme des polymères conducteurs
1.2. Polyaniline
1.2.1. Introduction
1.2.2. Synthèse de la polyaniline par oxydation chimique
1.2.3. Mécanisme de polymérisation
1.2.4. Facteurs influençant la conductivité électrique de la polyaniline
1.2.5. Applications de la polyaniline
1.2.6. Mode d’action de la polyaniline vis-à-vis de la corrosion des métaux
1.3. Références
CHAPITRE 2: TECHNIQUES EXPÉRIMENTALES
2.1. Produits chimiques
2.2. Synthèse et caractérisation de l’acide décylphosphonique
2.2.1. Synthèse du décylphosphonate de diéthyle
2.2.2. Synthèse de l’acide décylphosphonique
2.2.3. Caractérisation de l’acide décylphosphonique
2.2.3.1. Spectrométrie par Résonance Magnétique Nucléaire (RMN)
2.2.3.2. Propriétés thermiques
2.2.3.3. Spectroscopie Infrarouge à Transformée de Fourier (IRTF)
2.3. Synthèse et caractérisation de la polyaniline
2.3.1. Synthèse de polyaniline éméraldine sel de référence (PANI-HCl)
2.3.2. Synthèse de polyaniline éméraldine base de référence (PANI-EB)
2.3.3. Synthèse de polyaniline en milieu micellaire direct (MD)
2.3.4. Synthèse de polyaniline en milieu micellaire inverse (MI)
2.3.5. Techniques de caractérisation de la PANI
2.3.5.1. Spectroscopie d’absorption UV-visible
2.3.5.2. Diffusion Dynamique de la Lumière (DDL)
2.3.5.3. Analyse thermogravimétrique
2.3.5.4. Spectroscopie Infrarouge à Transformée de Fourier (IRTF)
2.3.5.5. Microscopie électronique à balayage (MEB)
2.3.5.6. Diffraction des rayons X (DRX)
2.3.5.7. Conductivité par la méthode quatre pointes
2.3.5.8. Viscosité
2.3.5.9. Solubilité
2.4. Evaluation des performances anticorrosives de la PANI
2.4.1. Formation des peintures
2.4.1.1. Préparation du substrat
2.4.2. Propriétés de protection des revêtements
2.4.2.1. Vieillissement en enceinte brouillard salin
2.4.2.2. Spectroscopie d’Impédance Electrochimique (SIE)
2.4.2.3. Détermination de la concentration de fer par spectrométrie d’absorption
atomique
2.5. Références
CHAPITRE 3: SYNTHÈSE ET CARACTÉRISATION DE DISPERSION COLLOÏDALES DE POLYANILINE PRÉPARÉES EN MILIEU MICELLAIRE EAUACIDE DÉCYLPHOSPHONIQUE
3.1. Introduction
3.2. Synthèse de la suspension colloïdale de polyaniline et vitesse de réaction
3.3. Caractérisation de la suspension colloïdale
3.4. Caractérisation de la polyaniline précipitée
3.4.1. Rendement de la réaction et conductivité électrique
3.4.2. Viscosité intrinsèque
3.4.3. Spectres IRTF
3.4.4. Analyse élémentaire
3.4.5. Stabilité thermique
3.4.6. Morphologie
3.5. Conclusion
3.6. Références
CONCLUSION

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