Synthèse de nouveaux complexes monophosphines boranes d’Au(I)

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Synthèse d’une monophosphine borane hautement acide de Lewis

Design rationnel du ligand ambiphile

Comme énoncé plus tôt, la stratégie adoptée repose sur l’utilisation de ligands ambiphiles monodentes. Si les monophosphines alanes possèdent un caractère acide de Lewis plus prononcé, une haute réactivité leur confère une grande sensibilité rendant très souvent leur synthèse ardue. Par ailleurs des travaux menés par l’équipe montrent que la coordination d’une phosphine alane de type géminale (II.1) sur un précurseur (tht)AuCl conduit à la formation du complexe zwitterionique I.7 issue de l’abstraction du chlorure de l’Au(I) par l’Al, masquant ainsi le caractère acide de Lewis de l’aluminium (Schéma 1).1 A l’inverse, les phosphines boranes se montrent particulièrement polyvalentes. Des travaux de l’équipe décrivent notamment la formation des complexes neutres II.2 et I.10 à interaction Z par coordination de iPrPBCy et iPrPBFlu sur (dms)AuCl (Schéma 1).2
Parmi les mono-phosphine boranes décrites dans la littérature, celles constituées d’un espaceur de type ortho-phénylène ont pour la première fois été développées par notre équipe. La méthodologie de synthèse employée est efficace, généralisable et donne donc facilement accès à de nombreuses modulations. Elle consiste à réaliser une succession de réactions d’échanges halogène/métal sur des liaisons C(sp2)-Br et de piéger les espèces métallées (généralement organolithiées) par des électrophiles phosphorés (R2PX avec X un halogène) et borés (R’2BX avec X un groupement partant) (Schéma 2). Les groupements R et R’ sont installés indépendamment, permettant ainsi de moduler à souhait les propriétés stériques et électroniques des fragments phosphorés et borés. Cette voie de synthèse a depuis permis l’élaboration de nombreuses phosphines boranes (composés II.3-9) dans lesquels l’acidité du fragment borane et la basicité du fragment phosphine ont pu être variées.
Si le groupement boryle de la plupart des mono-phosphines boranes (II.3-8) n’est que légèrement acide de Lewis, le composé II.9 (R = iPr) se démarque par une forte acidité due au caractère anti-aromatique du groupement borafluorène. Cette acidité se traduit par la présence d’une interaction dative intramoléculaire P→B. Cette interaction σ-donneuse est responsable d’une quaternisation du phosphore et du bore, visible en RMN 31P, 11B et par diffraction des rayons-X. Bien que le composé II.9 soit intéressant dans le cadre de mes travaux, sa stabilité (dégradation au-dessus de -60°C) empêche son utilisation.
Il convient donc de synthétiser un autre candidat aux propriétés similaires. Parmi les boranes les plus acides de Lewis décrits dans la littérature, le B(C6F5)3 reste de loin le plus utilisé. En règle générale, la fonctionnalisation par des pentafluorophényles (groupements très électro-attracteurs) est classiquement employée pour accroître l’électrophilie des hétéro-éléments. Par conséquent la phosphine borane II.10 semble être un choix idéal, d’autant plus que l’électrophile ClB(C6F5)2 requis pour la synthèse est commercialement disponible.
Toutefois l’équipe de Douglas Stephan montre à plusieurs reprises que des phosphines (même encombrées) peuvent réagir avec des boranes déficients en électrons pour générer des adduits phosphonium borates par substitution nucléophile aromatique sur une liaison C(sp2)-F (Schéma 3).
De même, en 2010, l’équipe de Wagner décrit un couplage ionique entre les partenaires (C6F5)2BOEt (II.11) et tBu2P-CH2Li (II.12) menant à la formation du phosphonium borate II.13, et cela même à basse température. Le composé ciblé (C6F5)2BCH2P(tBu)2 n’est pas observé (Schéma 4.haut).8 Ces couplages étant ceux communément utilisés pour la synthèse des phosphines boranes à espaceur ortho-phénylène, ce résultat met en exergue les limitations de la synthèse de II.10. Cinq ans plus tard, Erker décrit la synthèse de phosphines boranes à espaceur alcényle (II.14) et remarque la formation du produit II.15 par thermolyse (Schéma 4.bas).9,10 Erker met ici en évidence d’éventuels problèmes de stabilité de ces espèces.
Ces exemples montrent que les boranes substitués par des pentafluorophényles sont très assujettis aux SNAr. Un analogue iPr2P-C6H4-BFxyl2 (II.16 = iPrPBFxyl) plus robuste que II.10 a donc été imaginé au laboratoire, conformément au cahier des charges stipulé plus tôt (Schéma 5). L’acidité de B(Fxyl)3 étant proche de celle de B(C6F5)3, un borane substitué par deux groupements Fxyl a été envisagé.11 En effet, la présence de triflurorométhyles très électro-attracteurs en positions méta des aryles permet de minimiser l’encombrement stérique au niveau du bore qui présente alors une forte acidité de Lewis. A mon arrivé au LHFA, le premier verrou du projet venait d’être débloqué par le travail de Maxime Boudjelel (Ph.D soutenu en 2019) ayant développé une méthode de synthèse de iPrPBFxyl fiable et efficace sur grande quantité (>5g).

Complexation du ligand ambiphile avec l’Au(I)

Les complexes phosphines boranes d’Au(I) dans la littérature

Les dernières décennies ont vu l’apparition de méthodes versatiles pour la synthèse de phosphines boranes. De nombreuses modulations ont ainsi pu être apportées à ces composés ambiphiles donnant accès à une série de phosphines boranes aux propriétés stériques et électroniques variables. Ce développement s’est naturellement accompagné d’une intensification de leur coordination avec les métaux de transition. L’étude structurale des espèces résultantes permet aujourd’hui de mieux appréhender les facteurs régissant le mode de coordination adopté par ces ligands ambiphiles.
A notre connaissance, une dizaine de complexes phosphines boranes d’Au(I) ont été décrits à ce jour (Schéma 13). Ces derniers sont préparés à partir de précurseur LAuCl (L= diméthylsulfure ou tétrahydrothiophène) par simple coordination du ligand (Schéma 12). Généralement insoluble dans les solvants apolaires (ie pentane, hexane, etc.), ces espèces sont purifiées par lavage ou cristallisation et isolées avec de bons rendements. Il est à noter que seuls des complexes chlorure d’Au(I) ont été synthétisés. Deux modes de coordination des ligands ambiphiles sont observés. Les composés II.25 à II.27 présentent un fragment borane « pendant » tandis que les complexes II.28 à II.33 montrent l’existence d’une interaction dative Au→B. La force de l’interaction Z propre à chaque composé a pu être évaluée à partir des données structurales obtenues par diffraction des rayons X. Une classification basée sur le facteur r(Au-B) est représentée dans le Schéma 13 et montre une force d’interaction fortement dépendante de la structure du ligand.
Les complexes II.29, II.32 et II.33 sont issus de la complexation de mono-, tri- et diphosphine borane à espaceur ortho-phénylène. Dans ces espèces, les fragments donneurs sont des groupements iPr2P et les fragments accepteurs sont des tri-arylboranes. Ces ligands possèdent donc des propriétés stériques et électroniques proches et ne diffèrent principalement que par leur denticité. Tandis que les monophosphines boranes conduisent à des complexes tri-coordinés en forme T, les diphosphines boranes mènent à des complexes tétra-coordinés présentant de légères distorsions du plan carré. Les contraintes géométriques imposées par les diphosphines boranes rapprochent le bore du métal et induisent un renforcement de l’interaction Z par rapport aux complexes monophosphines boranes (composé II.29 vs II.33). Par ailleurs, les triphosphines boranes entraînent la formation de complexes penta-coordinés de géométrie bipyramidale à base trigonale. Bien que présentant une interaction Au→B plus importante qu’avec les monophosphines (composé II.29 vs II.32), une légère distorsion du plan trigonale impliquent un éloignement de l’or et de l’accepteur par rapport aux complexes diphosphines boranes (composé II.32 vs II.33).
La force de l’interaction Z semble également dépendre du caractère coordinant du ou des donneurs. Bien que les acidités des fragments boranes de II.27 et II.29 soit proches, le passage de Ph2P à iPr2P se traduit par une diminution de r(Au-B). Ce phénomène est d’autant plus visible par comparaison des complexes II.31 et II.33. En somme, plus le fragment donneur est riche en électrons et plus l’interaction Z est forte.
La nature de l’espaceur s’avère aussi être très déterminante. Les complexes II.26 et II.29 possèdent tous deux un groupement borane di substitué par des phényles. Pourtant aucune n’interaction n’est observée dans le cas d’une phosphine borane géminale (complexe II.26). De récents travaux réalisés par le groupe d’Erker sont encore plus représentatifs. Les auteurs décrivent la synthèse de deux monophosphines boranes à espaceur alcènyle fonctionnalisés par un groupement triméthylsilyle en position α ou β du phosphore. Ils montrent que leur coordination sur l’Au(I) génèrent les complexes II.28 et II.30 caractérisés par des distances interatomiques d(Au-B) très différentes. Un écart d’environ 0.626 Ǻ est observé par diffraction des rayons-X.
De manière plus évidente, la série des complexes mono-phosphinoboranes (II.25-30) montre que la force d’interaction Z est principalement sensible à l’acidité de Lewis du fragment accepteur. Plus le borane est substitué par des groupements électro-attracteurs et plus son aptitude à accepter une densité électronique provenant du métal est élevée. Par exemple, les complexes II.10 et II.30 développés par notre équipe et celle d’Erker présentent des interactions Au→B proche de la liaison covalente avec des facteurs r(Au-B) respectifs de 1.209 et 1.068. Cette tendance est encore plus frappante au sein de la série des composés II.31, II.31+, II.31-F et II.31-Cl développée par l’équipe d’Inagaki. La substitution en para du phényle par des groupements de plus en plus électroattracteurs a pour conséquence une diminution de r(Au-B). L’analyse par diffraction des rayons-X indique que cette contraction de la distance Au-B s’accompagne d’une légère diminution de l’angle a(P-Au-Cipso) (Cipso désigne ici le carbone aromatique lié au bore) et suggère une interaction directe entre l’or et cette atome (Schéma 13). Malgré la forte acidité de Lewis de certaines phosphines boranes, il est à noter qu’aucun complexe zwittérionique issu de l’abstraction du chlorure de l’or vers le bore n’est observé.
Bien qu’un certain nombre de complexes phosphines boranes d’Au(I) aient été synthétisés, la réactivité de ces espèces n’a été que peu étudiée. Néanmoins quelques applications en catalyse ont été développées par le groupe d’Inagaki.22 Dans des travaux publiés en 2015, les auteurs parviennent à préparer le complexe cationique II.31+ par abstraction du chlorure avec AgSbF6 (Schéma 14). L’analyse par diffraction des rayons-X révèle une distance interatomique d(Au-B) de 2.521 Ǻ (r(Au-B) = 1.145) contre 2.335 Ǻ (r(Au-B) = 1.061 Ǻ) dans le complexe II.31.
Cet affaiblissement de l’interaction Z permet au métal et au bore de conserver une plus forte acidité de Lewis. Les auteurs montrent que cette exaltation de l’acidité confère au complexe une plus forte activité dans des réactivités de cycloisomérisation d’énynes. Alors qu’aucune réaction n’est observée depuis II.31 à température ambiante, une conversion de 83% est atteinte en moins de 5 minutes à partir de II.31+. Ce dernier se montre également bien plus réactif que son analogue non-boré [(Ph3P)2Au]SbF6 où seulement 9% de conversion est observée après 24 heures. Cependant l’activité de II.31+ n’est que légèrement supérieure à celle du complexe [(Ph3P)Au]SbF6 plus classique.
Le bénéfice de ces complexes cationiques est mis plus en avant dans une autre réactivité développée par le groupe sur la cyclisation d’yne-diols (Schéma 16).23 Alors que [(Ph3P)2Au]SbF6 et [(Ph3P)Au]SbF6 ne s’avèrent être que faiblement actifs dans la cycloisomérisation de II.37, les catalyseurs II.31-F+ (=32-F/AgSbF6) et II.31-Cl+ (=II.31-Cl/AgSbF6) conduisent au produit II.38 avec des conversions respectives de 79% et 58% après 1 heure à température ambiante. Les auteurs émettent l’hypothèse du passage par un intermédiaire présentant une interaction O→B entre le substrat (alcool) et le ligand (di-phosphine borane). Cette éventuelle assistance chélate du bore semble favoriser la cycloisomérisation avec cependant un fort effet de substituant (Schéma 16). En effet, seulement 20% de conversion est atteinte avec II.31+.

Synthèse de nouveaux complexes (iPrPBFxyl)AuR

Comme évoqué précédemment (cf. objectifs, stratégie et organisation du projet de thèse dans Chapitre I), le premier verrou à l’étude de la réactivité de complexes mono-phosphinoborane d’or repose sur la préparation d’espèces (PB)Au(I)R constituées d’un ligand ambiphile (PB) et d’un co-ligand organique (R), jusqu’alors jamais reporté dans la littérature. Pour ce faire, plusieurs voies de synthèse ont été explorées.

Synthèse directe

La première stratégie explorée pour la mise au point de cette nouvelle plateforme (iPrPBFxyl)AuR peut être qualifiée de « directe ». Une voie de synthèse par succession de transmétallation et d’échange de ligand a tout d’abord été étudiée à partir du (tht)AuCl. Ce précurseur est classiquement rencontré en raison de la faible coordination du tétrahydrothiophène permettant ici un échange facile avec le ligand iPrPBFxyl (Schéma 17). Deux voies ont été envisagées selon l’ordre dans lequel ces étapes interviennent dans la séquence réactionnelle.
Schéma 18. Stratégie de synthèse du complexe II.40 par transmétallation de II.39 avec p-F-PhMgBr.
Pratiquement, la voie la plus simple consiste à transmétaller un fragment organique depuis le complexe (iPrPBFxyl)AuCl (II.39). Ce dernier est préalablement préparé par addition de iPrPBFxyl à une solution de (tht)AuCl dans le dichlorométhane (Schéma 18). Après seulement 10 minutes d’agitation à température ambiante, un contrôle par RMN 31P{1H} indique la formation totale d’une nouvelle espèce résonnant à 65.2 ppm contre 29.8 ppm pour le ligand seul. L’évaporation des volatiles suivie d’un lavage du résidu au pentane conduit à un solide blanc. Ce dernier est identifié comme étant le complexe II.39 par RMN multi-noyaux et est ainsi isolé avec un rendement de 84%.
Des monocristaux ont été obtenus par diffusion lente de pentane dans une solution saturée de II.39 dans le DCM à -20°C. Leur analyse par diffraction des rayons-X a permis de confirmer la structure du composé et montre des propriétés de coordination intéressantes (Schéma 19). L’angle P-Au-Cl de 174.24(2) ° indique la formation d’un complexe di-coordiné linéaire classiquement rencontré pour les espèces d’Au(I). Toutefois la somme des angles CAr-B-CAr (∑(CBC) = 354.5(1) ° ≠ 360 °) montre une légère pyramidalisation du bore suggérant la présence d’une interaction σ-donneuse Au→B. De manière plus éloquente, la distance interatomique Au-B est courte à 2.555(2) Å. Le complexe II.39 présente alors un facteur r(Au-B) de 1.161 et se positionne comme le complexe monophosphine borane à espaceur ortho-phénylène possédant l’interaction Z la plus forte (Schéma 13). Comme attendu, la présence d’un fragment accepteur hautement acide de Lewis mène à un renforcement de l’interaction Au→B. A titre comparatif, l’interaction Au→B s’avère même plus forte que dans (iPrPBFlu)AuCl II.2b (cf. complexe II.2b dans Schéma 13) pourtant équipé d’un fragment borafluorène très acide de Lewis (r(Au-B) = 1.360).
Afin d’installer un groupement organique sur le centre métallique, une solution de chlorure de p-F-phénylmagnésium a été ajoutée goutte-à-goutte à une solution de II.39 dans le THF à -78°C. Le mélange réactionnel est laissé revenir à température ambiante sur la nuit conduisant à la production massive d’un solide violet attribué à des espèces d’Au(0). Un contrôle du brut par RMN 31P{1H} et 19F{1H} montre une réaction non-univoque avec la formation de nombreux signaux. L’évaporation des solvants suivie d’une extraction du résidu au toluène mènent à l’obtention d’une solution limpide et incolore de laquelle l’or métallique précipite de nouveau rapidement. Par ailleurs, la RMN 11B{1H} montre l’apparition au cours de la réaction de trois espèces de type « ate ». Ces observations mettent en évidence la non-compatibilité entre le fragment accepteur du ligand et l’organomagnésien. Par conséquent d’autres agents de transmetallation ont été testés.
Dans la littérature, et de manière anecdotique, la synthèse à basse température de complexes (tht)AuAr s’est avérée possible via l’utilisation d’agents de transmetallation « doux » tels que les organobismuthines.25 BiPh3 a donc été ajouté à une solution de II.39 dans le DCM à -78°C (Schéma 20). Neanmoins, un contrôle par RMN 31P{1H} ne révèle aucune conversion du complexe de départ après 5h. Un retour progressif à température ambiante entraine la formation rapide d’un « miroir d’or » tandis qu’une nouvelle vérification indique la formation d’un mélange constitué majoritairement du produit de départ II.39 (74 % par intégration relative), d’une espèce non-identifiée résonant à -5.4 ppm (26%) sans aucune trace du produit désiré (II.41). Aucune évolution significative n’est observée lorsque la solution est portée à 100°C.
Une deuxième voie passant par la préparation préalable d’un intermédiaire (tht)AuR (avec R un fragment organique) a été explorée. Une fois généré, cet intermédiaire sera engagé dans une réaction d’échange entre le tétahydrothiophène et iPrPBFxyl pour conduire au complexe désiré (iPrPBFxyl)AuR (Schéma 21). Contrairement à la voie de synthèse discutée plus tôt, le ligand ambiphile est ajouté dans un milieu ne contenant plus d’agents de transmétallation.
Schéma 22. Exemples de synthèses de complexes (tht)AuAr reportées dans la littérature par transmétallation d’aryles riches (haut) et pauvres en électrons (bas).
Malheureusement, le faible caractère donneur du tétrahydrothiophène confèrent aux espèces (tht)AuAr une faible stabilité thermique rendant leur isolement compliquée. Le groupe de Schmidbaur parvient cependant en 2003 à synthétiser le complexe II.42 par transmétallation à basse température en présence de BiPh3 (Schéma 22.haut).1 Les auteurs observent la formation à température ambiante d’un solide noir thermolabile contenant II.42. Pareillement, les équipes de Lloyd-Jones et Russell décrivent plus tard la synthèse de II.43 avec des organozinciques (Schéma 22.haut).26 Là aussi les auteurs observent une décomposition de celui-ci au-dessus de -50°C les forçant à le caractériser en solution à – 80°C sous forme d’un mélange. L’incorporation de groupements pauvres en électrons permettant de stabiliser ces espèces, notre équipe montre en 2015 qu’il est possible de synthétiser et d’isoler (à basse température) le complexe II.44 (Schéma 22.bas).27 Bien que le fragment aromatique C6F5 soit extrêmement électro-attracteur, le complexe résultant demeure peu stable limitant le rendement à 12%. De manière analogue, le groupe d’Espinet parvient à isoler le complexe II.45 avec un rendement de 67% par transmetallation entre (tht)AuCl et LiMesF (Schéma 22.bas).28 Il est à noter que la réaction est dans ce cas réalisée à température ambiante pendant 14 heures. Bien que l’incorporation d’aryles pauvres contribue fortement à stabiliser les espèces (tht)AuAr, il peut être anticipé que leur présence au sein des complexes finaux (iPrPBFxyl)AuAr (obtenus par échange avec iPrPBFxyl) limite leur réactivité. C’est pourquoi l’incorporation d’aryles faiblement électro-attracteurs a exclusivement été étudiée. Pour ce faire, plusieurs conditions de transmétallation à basse température ont été envisagées (cf. condition a-c dans Schéma 23). Les premiers tests ont montré que les ajouts à -80°C de Bi(p-F-Ph)3, (p-F-Ph)Li et (p-F-Ph)ZnCl à une solution de (tht)AuCl mènent à des solutions incolores et limpides. Cependant, la production massive d’un précipité noir est observée au-dessus de -20°C (faible quantité pour Bi(p-F-Ph)3). Ces observations expérimentales font écho aux travaux cités précédemment et viennent confirmer l’instabilité de l’intermédiaire II.46. Une séquence réactionnelle sans isolement de II.46 a été donc été envisagée. Cette méthodologie a dans un premier temps été appliquée à la synthèse d’un composé II.47 déjà décrit dans la littérature (Schéma 23).29 Après plusieurs heures à -80°C, un équivalent de Cy3P a été ajouté à une solution de (tht)Au(p-F-Ph) (II.46) qui fut ensuite portée à température ambiante. Un suivi de l’avancement par RMN confirme dans les trois cas la formation du produit II.47 résonant à 57 ppm en RMN 31P{1H} et 117 ppm en 19F{1H}. Toutefois, les conditions douces offertes par transmétallation depuis Bi(p-F-Ph) (condition a) ne conduisent à Cy3PAu(p-F-Ph) (II.47) qu’en faible proportion dans le milieu réactionnel (10%). Cependant, le produit est généré à hauteur de 48% et 77% depuis (p-F-Ph)Li (condition b) et (p-F-Ph)ZnCl (condition c). L’emploi d’organozinciques semble donc plus adapté.

Etude d’addition oxydante de liaisons C(sp2)-X sur un complexe d’Au(I).

Comme évoqué dans la partie introductive (cf. Chapitre I), l’or se montre réticent à s’engager dans des processus d’oxydo-réduction à 2 électrons. L’utilisation d’oxydants externes forts a dans un premier temps permis de palier à ce problème et de développer la chimie de l’Au(III). Cependant les conditions de réactions décrites manquent systématiquement de tolérance. C’est en se basant sur un design rationnel de ligand que les premiers verrous ont été levés. De nombreux efforts de recherche ont été engagés au sein de notre équipe ayant acquis au fil des années une expertise dans ce domaine.
En 2014, le groupe décrit la première preuve directe d’addition oxydante C(sp2)-X (X= I et Cl) à un seul atome d’or.31 Cette étude fut réalisée à partir de trois complexes halogénures d’Au(I) coordinnés par une diphényl(8-halogénonaphthyl)phosphine (composés II.58a-c). Dans le cas de II.58a (X = I), une addition oxydante conduisant au complexe II.59a avec 98% de rendement est observée après 12 heures à température ambiante (Schéma 36). L’étude cinétique de la réaction (analyse d’Eyring) indique une barrière d’activation (ΔG≠) de 21.4 kcal.mol-1. Une réaction plus lente nécessitant un chauffage à 130 °C est observée depuis II.58b (X = Br). En revanche, aucune réaction ne se produit depuis II.58c (X = Cl). Ces résultats sont corroborés par des études DFT révélant des énergies d’activations de 21.9 kcal.mol-1 pour l’addition oxydante C(sp2)-I, 32.1 kcal.mol-1 pour la C(sp2)-Br et 39.7 kcal.mol-1 pour la liaison C(sp2)-Cl. Le système tire avantage de la chélation de la phosphine pour réaliser une addition oxydante intramoléculaire. La formation de métallacycles (P^C) confère aux complexes d’Au(III) une grande stabilité thermique. De nombreuses applications ont ainsi pu être développées à partir de ces plateformes. Par exemple, ces espèces (P^C)Au(III) se sont avérés être des catalyseurs hautement réactifs pour l’hydroarylation d’alcynes.32 Certaines réactivités inédites à l’Au(III) telles que l’insertion migratoire d’oléfines33,34 ou la β-H élimination35 ont ainsi pu être étudiées.
La robustesse de ces complexes ont pour la première fois permis l’isolement d’intermédiaires réactionnels tels que les complexes d’Au(III) π-arène36 et π-allyle37.
La chimie de coordination de l’Au(I) montre une forte préférence pour une géométrie linéaire di-coordinée. Toutefois, Laguna et Jones constatent une tendance pour la diphosphine 1,2-bis(diphénylphosphino)-1,2-dicarba-closo-dodecaborane (DPCb) à former des complexes tri-coordinés.38 Sur la base de ces travaux, le complexe cationique II.60 a été préparé au sein de notre laboratoire (Schéma 36).39 L’analyse par diffraction des rayons-X indique un angle de morsure proche de 100 ° et une distance interatomique d(Au-N) de 2.221 (2) Å. A titre de comparaison, cette dernière est mesurée à 2.102 (3) Å dans le complexe de Gagosz Ph3PAuNTf2. Comme l’illustre le diagramme de Walsh (Schéma 37), la distorsion angulaire imposée par le ligand DPCb provoque une déstabilisation ainsi qu’un changement de géométrie de la HOMO. Ces espèces sont dès lors plus à même de réagir avec l’orbitale σ* des électrophiles E-X (Schéma 37). Leur réactivité dans des processus d’addition oxydante a donc été étudiée. Une conversion rapide de II.60 vers de nouveaux complexes d’Au(III) II.61a-c est observée en présence d’aryles iodés (< 1 min – 4 heures) dans des conditions douces (Schéma 36). La transformation s’avère être d’autant plus favorable que l’électrophile est riche en électrons. Des calculs DFT estiment une barrière d’activation d’environ 13.3 kcal.mol-1 pour II.61b, soit 8 kcal.mol-1 de moins que par addition oxydante intramoléculaire de la diphényl(8-iodonaphthyl)phosphine reportée précédemment. Il s’agit du premier exemple d’addition oxydante intermoléculaire de liaison C(sp2)-X (X=halogène). Plus tard ces complexes (P^P)Au(I) cationiques se sont également montrés actifs pour l’addition oxydante de liaisons C-C du biphénylène et de la benzocyclobuténone.40
En 2015, le groupe de Toste décrit la préparation d’un complexe d’Au(III) remarquablement stable (Schéma 38.haut). Les auteurs tirent profit de la tension de cycle présente au sein du biphénylène pour favoriser l’addition oxydante C(sp2)-C(sp2) et éviter la décomposition du complexe d’Au(III) par processus réducteur. L’ajout de sel d’argent à une solution de II.62 conduit à la génération in situ d’une espèce d’Au(I) cationique qui réagit rapidement avec le biphénylène en conditions douces pour générer le complexe aqua II.63. Un traitement par nBu4NCl mène au produit II.64 obtenu avec 80% de rendement depuis II.62 après purification par chromatographie sur colonne. Les complexes II.62 et II.64 montrent notamment une activité catalytique (en présence de AgOTf) dans des réactivités de Mukaiyama-Michael entre le cinnamaldéhyde (II.65) et le silylacétal de cétène (II.66) (Schéma 38.bas). Une divergence de régio-sélectivité est néanmoins constatée. Les complexes d’Au(I) se comportent très classiquement comme des acides de Lewis « mou » carbophiles, c’est pourquoi une forte sélectivité pour l’addition 1,4 (composé II.67) est observée depuis II.62. A contrario, l’Au(III) possède un caractère « dur » qui confère une oxophilie au métal se traduiant par un changement de régio-sélectivité en faveur de l’adduit 1,2 (composé II.68). Cette étude vient étayer la complémentarité de l’or dans ces différents degrés d’oxydation.

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Table des matières

Chapitre I : Introduction générale
I – Introduction à la chimie de l’or
I.1 – Un métal aux propriétés fascinantes
I.2 – Propriétés de coordination
I.3 – Avènement de la chimie de l’or : catalyse à l’Au(I)
I.4 – La Renaissance de l’or
I.4.a – Les couplages oxydants
I.4.b – La ruée vers l’Au(III)
II – Coopérativité Métal/Acide de Lewis
II.1 – Les composés ambiphiles comme ligands
II.2 – Réactivité des complexes à accepteur « pendant »
II.3 – Les complexes comportant une interaction M→Z
II.3.a – Description d’une interaction entre métal et ligand σ-accepteur
II.3.b – Réactivité des complexes à interactions Z
III – Objectifs, stratégie et organisation du projet de thèse
IV – Bibliographie
Chapitre II : Synthèse de nouveaux complexes monophosphines boranes d’Au(I)
I – Synthèse d’une monophosphine borane hautement acide de Lewis
I.1 – Design rationnel du ligand ambiphile
I.2 – Synthèse de iPrPBFxyl
II – Complexation du ligand ambiphile avec l’Au(I)
II.1 – Les complexes phosphines boranes d’Au(I) dans la littérature
II.2 – Synthèse de nouveaux complexes (iPrPBFxyl)AuR
II.2.a – Synthèse directe
II.2.b – Synthèse indirecte
III – Etude d’addition oxydante
III.1 – Etude d’addition oxydante de liaisons C(sp2)-X sur un complexe d’Au(I).
III.2 – Tentative d’addition oxydante sur le complexe (iPrPBFxyl)AuR
IV – Conclusion et perspectives
V – Partie expérimentale / Supplementary information
VI – Bibliographie

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