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Masses d’eau et convection
Les masses d’eau
Nous venons donc de voir que les caractéristiques des eaux méditerranéennes dépendaient fortement des apports et forçages externes. En termes de moyenne, la température de surface varie entre 10 et 30 ˚C avec une forte variabilité saisonnière tandis que la salinité est de 37.5 g/l. La mer Méditerranée est un bassin d’évaporation : les apports en eau (fleuves, précipi-tations) y sont inférieurs à ses pertes (évaporation causée par les vents et la chaleur). La compensation s’effectue à travers le détroit de Gibraltar, où l’arrivée des eaux atlantiques (AW) va combler le déficit du bassin.
Ces eaux AW ont des propriétés différentes des eaux méditerranéennes, elles sont moins salées (36-37 PSU) et leur température est de 15-16˚C (Millot et Taupier-Letage, 2005). Au fil de leur parcours de la Méditerranée qui dure entre 20 et 50 ans elles vont se modifier et se transformer par évaporation et refroidissement, d’autres masses d’eaux vont ainsi être créées (Figure 1.7) :
• les eaux levantines intermédiaires (LIW, Levantine Intermediate Water) qui se forment dans le bassin levantin et sont situées entre 200 et 400 mètres de profondeur. Ces eaux sont chaudes et salées (θ ∼ 15˚C et S ∼ 39 en Méditerranée orientale et θ ∼ 13.5˚C et S>38.6 dans le bassin occidental) ;
• les eaux d’hiver intermédiaires (WIW, Winter Intermediate Water) dont la formation et le suivi sont décrits dans Juza et al., 2013 : elles se forment le long du plateau continental du Golfe du Lion et de la mer Baléare et circulent ensuite le long de la côte ou rejoignent le nord-est de la mer Baléare. Elles contribuent aux échanges en masse et en chaleur entre les bassins nord et sud de la Méditerranée Occidentale.
• les eaux profondes de la Méditerrannée Orientale qui se forment en mer Adriatique ou dans le bassin Levantin et les eaux profondes de la Méditerranée nord-ouest (WMDW, Western Mediterranean Deep Water) qui se forment dans le Golfe du Lion lors des hivers extrêmes avec une forte convection. Ces deux dernières masses d’eaux sont situées au delà de 1500 mètres de profondeur.
La convection
La convection profonde, qui génère les WMDW décrite dans la section précédente, est un phénomène qui ne se produit que dans quelques régions au monde : la mer de Weddell, la mer du Labrador, la mer du Groenland et la mer Méditerranée (Testor et Gascard, 2006). C’est un processus clé dans la circulation thermohaline car il permet des échanges de chaleur et de sel entre la surface et l’océan profond (Marshall et Schott, 1999). En Méditerranée Nord-Occidentale elle est déclenchée par des vents hivernaux froids et secs (Mistral et Tramontane) dans la zone du Golfe du Lion qui vont générer d’intenses pertes de chaleur (Bosse, 2015). La Méditerranée étant beaucoup plus accessible, avec des conditions climatiques moins extrêmes et recelant davantage de données que les autres mers, la convection y a déjà été analysée dans de nombreuses études. Ainsi le MEDOC-Group (1970) a le premier décrit les trois phases qui constituent la formation des eaux océaniques profondes :
• le préconditionnement : la circulation cyclonique de la Méditerranée Nord-Ouest en-traîne une remontée des isopycnes ce qui conduit à une stratification intégrée sur la verticale plus faible au centre du gyre qui est alors plus impacté par le refroidissement et l’évaporation. Cette phase démarre l’été précédant la convection.
• le mélange vertical : les eaux plus froides et plus salées à cause des vents (Mistral et Tramontane) vont plonger car elles deviennent plus denses que les eaux intermédiaires. Dans le cas d’une convection profonde, toute la colonne d’eau devient alors homogène.
• la phase de dispersion : les instabilités se développent, des tourbillons propagent les eaux nouvellement formées (Madron et al., 2013), les eaux intermédiaires sont advectées vers la zone de convection et celle-ci se restratifie. Testor et Gascard, 2006 décrivent cet export sur une large distance (plusieurs centaines de kilomètres) des nouvelles WMDW en 1994-1995. A partir du mois de mai, la stratification reprend ce qui peut prendre plusieurs années (Testor et al., 2018).
Les épisodes convectifs suivent une forte variabilité interannuelle. De 2009 à 2013, cinq épisodes de convection successifs atteignent 2300 mètres de profondeur tandis qu’en 2007, 2008 et 2014 la profondeur de la couche de mélange n’atteint pas les 1000 mètres (Bosse, 2015, Houpert, 2013). En 2015, la convection a dépassé 1000 m au mouillage LION (Madron et al., 2017) et le flotteur ARGO a enregistré une couche de mélange de 1400 m en février (Estournel, communication personnelle).
La surface de la zone de convection peut se calculer à partir de données satellitaires de couleur de l’eau. Houpert et al., 2016 estiment une surface pouvant aller de 13 000 km2 en hiver 2010 à 24 000 km2 en hiver 2013.
La convection pourrait être impactée par les changements climatiques décrits dans la sec-tion 1.2.5. En effet, les propriétés des masses d’eau se modifient à cause de changements atmosphériques de long terme (Schroeder et al., 2012). Les masses d’eaux profondes pour-raient alors se réchauffer de 0.9˚C à 2.5˚C selon le scenario socio-économique à venir. La convection deviendrait aussi moins intense ce qui aurait des répercussions sur les échanges avec l’océan Atlantique (Somot et al., 2006).
Ce sont ces échanges et la circulation des masses d’eau que nous allons décrire dans la section suivante.
La circulation générale
La circulation en Méditerranée a été étudiée à partir de différents outils : des réanalyses (Pinardi et al., 2015), des données in situ (Poulain et al., 2012b), des données altimétriques (Poulain et al., 2012b, Jebri et al., 2016) et des modèles régionaux. Nous en donnons une synthèse ci-dessous, par couche de profondeur.
La Méditerranée Nord-Occidentale
Circulation de surface (Figure 1.8A)
Les AW de surface entrent donc par le détroit de Gibraltar et se retrouvent prises dans un premier gyre anticyclonique en mer d’Alboran puis dans un second gyre, souvent anticyclo-nique, avant de former le front Almeria-Oran, entre Almeria en Espagne et Oran en Algérie, entre 0.7 et 2.5˚W. Les eaux se divisent ensuite entre un courant qui remonte vers le nord à travers les îles Baléares et le courant algérien (AC) qui longe les côtes d’Afrique du nord. Ce courant est très intense entre 0 et 2˚E puis s’affaiblit ensuite. Il est également très instable et associé à de nombreux tourbillons qui parfois se détachent et remontent vers le nord et le centre du bassin algérien (Millot, 1991) mais n’a pas une forte variabilité saisonnière. Avant de franchir le détroit de Sicile, le courant algérien est renforcé par un courant qui s’écoule le long du bord ouest de la Sardaigne. Il laisse ensuite derrière lui une branche qui remonte vers la mer Tyrrhénienne (Pinardi et al., 2015). Au niveau du canal de Sicile le courant algérien se transforme en courant atlantique-ionien dont une partie longe la côte tunisienne (Poulain et al., 2012b, Jebri et al., 2016). A la sortie du canal le courant se divise en deux branches : l’une se dirigeant vers le nord pour poursuivre une circulation anticyclonique et l’autre continuant au milieu de la mer Ionienne. Ces deux branches se rejoignent au nord de la Lybie. Dans les mers Adriatique et Egée c’est une circulation cyclonique qui domine. De nombreux gyres sont présents dans la mer Levantine : les gyres anticycloniques de Pelops et de Ierapetra et les gyres cycloniques de Rhodes et de Crête ouest (Poulain et al., 2012b).
Reprenons la branche se dirigeant vers la mer Tyrrhénienne que nous avions laissée pour nous consacrer à la partie orientale. En mer Tyrrhénienne sont présents trois gyres décrits par Artale et al., 1994. Ce sont des tourbillons cycloniques et anticycloniques qui varient de manière saisonnière. Les AW s’écoulent le long de la côte à l’est et continuent vers le nord-ouest (Vara et al., 2019). Ensuite une partie des eaux franchit le canal de Corse tandis que l’autre revient vers le sud en parallèle des côtes de Corse et de Sardaigne. Le transport des eaux à travers le canal de Corse a été étudié par Schroeder et al., 2011 qui ont montré la présence d’un anticyclone entre la Corse et l’île d’Elba, Sciascia et al., 2019 qui a montré des intrusions du WCC à travers le canal et Vignudelli et al., 2000 qui montre que les échanges entre la mer Tyrrhénienne et la mer Ligure sont causés par les différences de niveau stérique. Le courant sortant du canal de Corse est l’ECC (Eastern Corsica Current), il rejoint le WCC (Western Corsica Current) qui s’écoule de l’autre côté de la Corse pour former le Courant Nord (CN), objet d’étude de cette thèse et dont on parlera plus en détails dans la section 1.2.4. Ce courant longe les côtes italiennes, françaises et espagnoles avant de se diviser en deux : une partie franchit le détroit d’Ibiza vers le sud ouest et une autre continue la boucle cyclonique en passant au nord des îles Baléares : le Courant Nord Baléares. Cette branche est alimentée par les AW récentes à travers des apports par les détroits d’Ibiza, de Majorque et de Minorque.
Circulation intermédiaire (Figure 1.8B)
Intéressons nous maintenant à la circulation intermédiaire. Dans le bassin Levantin, vers Rhodes, les AW sont transformées par convection (voir ci dessus) en LIW. D’autres lieux de formation des eaux intermédiaires ont aussi été mentionnés comme les tourbillons anti-cycloniques de méso-échelle qui sont présents tout au long de l’année (Theocharis et al., 1993). Certaines de ces eaux entrent dans la mer Égée et forment les eaux profondes d’Égée (AeDW, Aegean Deep Water). Le reste traverse plusieurs gyres (Ierapetra, Pelops) en Médi-terranée orientale et s’introduisent dans la mer Adriatique où elles jouent aussi un rôle dans la formation d’eaux profondes (AdDw, Adriatic Deep Water). Ensuite elles rentrent dans la partie occidentale par le gyre sud ouest de la mer Tyrrhénienne, où leur salinité diminue. Les eaux qui n’ont pas pu rentrer à cause de la faible profondeur du détroit longent la côte de manière cyclonique. Ensuite elles passent par les canaux de Corse et de Sardaigne. Les eaux qui passent par le canal de Sardaigne peuvent être entraînées par des tourbillons ou alors longer la Sardaigne et la Corse pour retrouver la veine qui a franchi le canal de Corse. Les eaux sont alors transportées par le Courant Nord le long des côtes italiennes, françaises et espagnoles avant de franchir le détroit de Gibraltar pour la majeure partie d’entre elles tandis qu’une partie recircule le long des côtes algériennes (Menna et Poulain, 2010, Millot et Taupier-Letage, 2005). Dans le bassin Liguro-provençal, les LIW et les AW influencent la formation des WIW. Celles-ci peuvent s’accumuler au nord du canal d’Ibiza avec un effet im-portant sur la circulation (Balbín et al., 2014). Elles sont aussi impliquées dans la formation des WMDW, les années de forte convection.
Circulation profonde (Figure 1.8C)
Pour finir, les eaux profondes se forment dans les mers Égée, Adriatique, Tyrrhénienne et dans le bassin Liguro-provençal, à cause des vents du nord froids et secs. Dans la partie orientale, les AW deviennent plus denses, plongent et se mélangent aux LIW. Ensuite elles tournent de manière cyclonique dans le bassin oriental à une profondeur de 1000-1500 mètres, voire 4000-5000 mètres pour les plus denses. Au bout de plusieurs années de circulation ces eaux remontent, poussées par l’apparition d’eaux plus denses nouvellement formées chaque année et peuvent alors passer le canal de Sicile. Après leur passage elles retournent dans les profondeurs, étant plus denses que les eaux alentour. Elles circulent ensuite de manière cyclonique le long de la Sardaigne et de la Corse (Millot et Taupier-Letage, 2005).
Dans le bassin occidental, les WMDW se forment et circulent le long des côtes françaises et espagnoles ou sont transportées au large par des tourbillons. Elles repartent ensuite le long des côtes algériennes ou s’échappent par le détroit de Gibraltar.
Variabilité méso et subméso échelle
La Méditerranée est caractérisée par un rayon de Rossby faible (une dizaine de km), en plus de la circulation décrite ci-dessus, la variabilité océanique à méso et subméso échelle (de 1 à 50 km) y est importante. Celle-ci est primordiale dans les échanges de chaleur, sel et nutriments ainsi que dans la distribution et le mélange des masses d’eaux. Les tourbillons méso-échelle, les filaments, les méandres ont été observés et étudiés essentiellement à partir d’observations satellites et de mesures de courant (Robinson et al., 2001).
Concernant le bassin Occidental, les tourbillons anticycloniques qui se détachent du Cou-rant Algérien participent activement à la dynamique méso-échelle du bassin algérien et ont fait l’objet de plusieurs études : Millot, 1991, Taupier-Letage et al., 1998, Millot et al., 1997, Ayoub et al., 1998… Dans la partie nord, sur le plateau du Golfe du Lion, les plumes du Rhône sont un des mécanismes majeurs de transport de nutriments et de polluants (Gan-gloff et al., 2017). Le long du courant nord sont présents des tourbillons à partir du canal de Corse (Schroeder et al., 2011), jusqu’en mer des Baléares (Amores et al., 2013) et au détroit d’Ibiza en passant par la mer Ligure (Casella et al., 2011).
Le Courant Nord
Le Courant Nord a fait l’objet de nombreuses études. Il est l’un des principaux axes d’étude de cette thèse, c’est pourquoi nous consacrons cette section à sa description.
Le Courant Nord (CN) est donc le courant de pente qui s’écoule le long des côtes italienne, française et espagnole et qui constitue la partie nord de la boucle cyclonique du bassin occiden-tal. Il délimite ainsi au nord la circulation cyclonique en Méditerranée occidentale (Millot, 1987). C’est un courant fortement contraint par la bathymétrie. Poulain et al., 2012a ont montré comment les différences de la forme du talus continental influençaient les caractéris-tiques du CN. Il se forme en mer Ligure, par la jonction des eaux Atlantiques modifiées et des eaux intermédiaires des courants Corses Est (ECC) et Ouest (WCC) (Taupier-Letage et Millot, 1986). Ces deux courants ont à peu près le même apport en hiver mais le WCC de-vient le principal contributeur en été (Niewiadomska, 2008). Ainsi les importantes variations saisonnières du CN, avec un flux maximum/minimum en hiver/été respectivement (maximum de 1.5-2 Sv, Alberola et al., 1995), proviennent essentiellement de l’ECC (Béthoux et al., 1988).
Le CN est composé d’une forte composante barotrope homogène sur la profondeur et d’une composante barocline due au front de densité provenant des eaux atlantiques. Ainsi il s’écoule plus rapidement en surface avec des vitesses de l’ordre de 20 à 80 cm/s selon la saison (Niewiadomska, 2008, Alberola et al., 1995,Crepon et al., 1982) avec des études qui trouvent des pics à 90 cm/s (Poulain et al., 2012b, Sammari et al., 1995). Les vitesses décroissent avec la profondeur.
Alberola et al., 1995 trouvent un transport maximum loin de la côte (30km) en automne et qui se rapproche en hiver. En revanche, Sammari et al., 1995 montrent que le centre du CN est localisé à environ 20 km ou moins du printemps à début novembre et qu’il s’éloigne de la côte en novembre-décembre. Les résultats de Niewiadomska, 2008 met aussi en évidence un éloignement en novembre-décembre et un rapprochement en septembre-octobre mais la variabilité est estimée plus importante en hiver et ainsi affecterait davantage la détermination de la localisation du point à cause de possibles méandres. Les données utilisées par Taupier-Letage et Millot, 1986 indiquent que vers le mois de décembre, le CN n’est pas toujours situé près des côtes.
Le CN a une largeur d’environ 30 km mais qui varie de manière saisonnière en étant plus étroit de janvier à mars (Niewiadomska, 2008). Au contraire, à partir de fin mars il commence à revenir à une forme plus large qu’il atteint à partir de mai (Alberola et al., 1995). De plus, lorsqu’il atteint son maximum le courant est symétrique, tandis qu’à sa base il est asymétrique, augmentant très rapidement proche de la côte et diminuant sur une plus longue distance (Niewiadomska, 2008). Le CN est peu profond en été et profond de janvier à mars (Niewiadomska, 2008,Al-berola et al., 1995). Le transport du CN est le double de celui du WCC, nécessitant un apport en eau de la mer Tyrrhénienne car ils sont dirigés en opposition (Taupier-Letage et Millot, 1986, Béthoux et al., 1988). Le transport maximum (1,5-2 Sv jusqu’à 700m) est atteint en décembre et décroît ensuite jusqu’en juillet (Alberola et al., 1995). Les ajuste-ments géostrophiques causés par la convection auraient tendance à accélérer le transport du CN. Son rôle dans le transport des polluants lorsqu’il passe au large des villes sur la côte est important.
Le CN transporte les principales masses d’eau (MAW, LIW, WMDW) de la région. Il influence la circulation sur le plateau du Golfe du Lion et module l’apport en chaleur et en sel dans la zone de convection par advection et affecte donc le processus de formation des eaux profondes. Sur le plateau du Golfe du Lion, on peut observer une branche du CN s’introduisant à l’est, au centre ou à l’ouest à travers le talus continental (Petrenko, 2003, Estournel et al., 2003,…). Ce plateau est particulièrement soumis aux forçages des vents : le Mistral, la Tramontane et un vent d’est qui génèrent des upwellings à la côte.
Béthoux et al., 1988 ont montré que les apports d’eau douce (fleuve Arno, précipitations) influencent la variabilité du CN en augmentant son flux lorsque ceux-ci sont conséquents. En effet, ils peuvent introduire des eaux peu salées le long de la côte et dont la densité est alors plus faible.
Variabilité méso-échelle associée.
En hiver, particulièrement aux mois de février et mars, le CN devient associé à des méandres. Ils ont lieu pour une vaste gamme de longueur d’ondes (10-100 km) avec des vitesses de 10 à 20 km/jour et une largeur qui peut atteindre la largeur du CN. On retrouve aussi des méandres qui ont un pic d’énergie dans la bande des 3-6 jours et qui ont lieu plus près de la côte. Les fluctuations à méso-échelle du CN sont plus complexes, plus énergétiques et plus petites en automne qu’au printemps et en été (Sammari et al., 1995).
De plus, entre le CN en mer Ligure et la côte se forment fréquemment des tourbillons anticycloniques caractérisés par une longue durée de vie. Ces tourbillons sont constitués de petits vortex cycloniques et anticycloniques. Ils entraînent un upwelling vers la côte et un downwelling vers le large (Casella et al., 2011). Les instabilités baroclines et barotropes peuvent également générer ou entretenir des tourbillons au niveau du Golfe du Lion : Hu et al., 2011 ont montré comment le CN pouvait accélérer un tourbillon au niveau du Cap Creus et Schaeffer et al., 2011 ont étudié comment le CN contraignait des tourbillons à la côte vers Marseille.
Piterbarg et al., 2014 ont étudié la variabilité du front de densité du CN. La profondeur des isopycnes peut changer suite à des processus variés : ondes internes, interaction océan-atmosphère, méandres, forçages du vent. Les couches de surface sont davantage influencées par les interactions avec l’atmosphère (vent) tandis que les couches plus profondes sont influen-cées par des phénomènes adiabatiques tels que la propagation d’instabilités ou les méandres mentionnés plus haut.
Les études régionales réalisées avec l’altimétrie spatiale.
L’altimétrie spatiale a été utilisée sous diverses formes (données grillées, produits along-track, dont certains avec des traitements spéciaux) et à différentes échelles temporelles dans la Méditerranée. La circulation géostrophique moyenne de surface sur toute la Méditerranée a ainsi été décrite par Poulain et al., 2012b à l’aide de produits grillés combinés à des drifters. Birol et al., 2010 ont mis en évidence l’intérêt de l’altimétrie spatiale along-track dans l’observation de la variabilité saisonnière des courants côtiers tels que le CN et ainsi disposer de davantage de données régulières sur une série temporelle plus longue. Les études se sont aussi focalisées sur certaines régions pour mieux décrire leur dynamique :
— en mer Ligure, Vignudelli et al., 2000 ont étudié l’apport de la SLA de T/P pour analyser la variabilité du transport pour des échelles saisonnières et interannuelles, en combinaison avec des données in situ. Borrione et al., 2019 se sont intéressés aux méandres générés par des instabilités baroclines du CN vers le lieu de sa formation, au nord de la Corse.
— Au niveau du Golfe du Lion, Birol et Delebecque, 2014 ont analysé les variations saisonnières du CN à l’aide de données HF et Morrow et al., 2017 ont étudié les structures capturées par l’altimétrie along-track.
— Au niveau des îles Baléares, les caractéristiques générales de la circulation sont décrites dans Bouffard et al., 2010, en particulier le BC et le CN ainsi que des tourbillons anticycloniques. Les échanges au canal d’Ibiza sont décrits par Pascual et al., 2015 en combinant altimétrie along-track et radars HF et par Troupin et al., 2015 qui ont utilisé des données altimétriques HF.
— Dans le bassin Algérien, l’évolution d’un tourbillon méso-échelle a été décrite à partir de produits grillés par Cotroneo et al., 2016. Aulicino et al., 2018 ont étudié la dynamique du bassin et sa variabilité en automne en utilisant de données along-track.
Ainsi en quelques années ce sont des structures plus petites et plus proches de la côte qui ont été analysées. La conjonction entre données altimétriques et in situ a permis de mieux décrire la dynamique dans certaines régions et des progrès ont été réalisés dans l’observa-tion de la côte. Néanmoins les défis à venir restent de pouvoir mieux décrire les structures méso-échelle, d’améliorer encore les traitements vers la côte et de consolider les expertises sur l’utilisation des données HF, à fort potentiel. Les limitations restent dans la faible résolu-tion des produits grillés qui résultent d’une interpolation tandis que les produits along-track peuvent être situés loin des données in situ spatialement ou temporellement et ne donne qu’une composante du courant ce qui ne permet pas de décrire complètement une structure.
La Méditerranée dans un contexte de changement climatique
L’introduction générale souligne la pression anthropique qui pèse sur les systèmes côtiers et les catastrophes naturelles auxquelles ils doivent faire face. Nous présentons ici les spécificités méditerranéennes.
Les questions sur les impacts du changement climatique en mer Méditerranée sont au cœur du projet HyMeX (https:// www.hymex.org/ ?page=motivations) qui a pour objectifs d’améliorer notre compréhension du cycle de l’eau ainsi que la modélisation du système couplé océan-atmosphère-terre tout en analysant sa variabilité interannuelle et saisonnière dans le contexte du changement climatique et en se focalisant sur notre capacité d’adaptation à des évènements extrêmes aux niveaux social et économique.
En effet, avec 22 pays, 427 millions d’habitants dont 160 millions en zone côtière, les enjeux méditerranéens sont cruciaux en termes sociétaux. La mer Méditerranée est de plus une zone stratégique car il s’agit d’une route maritime par où transitent 25 % du trafic maritime mondial et 30 % du trafic pétrolier. 2 % de la pêche mondiale sont également réalisés en Méditerranée, dont les réserves de poissons s’amenuisent du fait de la surpêche. La pression anthropique du tourisme est également considérable avec des constructions sur le littoral qui peuvent être touchées par la montée du niveau de la mer ou les épisodes extrêmes tels que les vents violents, les inondations ou les crues éclair.
La Méditerranée contient également 8 à 9 % de la biodiveristé mondiale alors qu’elle ne représente que 0.8 % de la surface des océans. Cela représente environ 17 000 espèces de végétaux et d’animaux (Coll et al., 2010). 25 à 30 % des espèces méditerranéennes étant endémiques, la Méditerranée représente réellement une réserve de biodiversité. Celle-ci est en général plus importante vers les côtes.
Or la Méditerranée subit de plein fouet le changement climatique en cours avec une aug-mentation des températures et de l’acidification de l’eau qui vont augmenter le pH ce qui va détruire certaines espèces de phytoplancton ; une dégradation des habitats ; l’introduction d’espèces invasives ou la montée du niveau de la mer. Les fleuves charrient des eaux polluées que l’on retrouve ensuite au large et qui participent également à l’extinction des espèces et qui induit une salinité anormale des eaux et le plastique fait des ravages (Cózar et al., 2015). Ceci a un impact plus important en Méditerranée que dans l’océan global car le temps de résidence des eaux est plus faible que dans celui-ci ce qui implique une sensibilité au change-ment climatique accrue. Adloff et al., 2015 ont étudié la réponse au changement climatique de la Méditerranée dans un ensemble de modèles. Ceux-ci montrent un réchauffement et une augmentation en salinité de la mer Méditerranée et une circulation thermohaline qui se mo-difie. Dans les dernières décennies, les eaux Méditerranéennes ont augmenté en salinité et en température.
Validation avec l’altimétrie
D’après la section précédente, il existe donc de forts enjeux dans les études de la Médi-terranée. Nous avons également choisi cette région pour l’expertise qui s’y développe depuis de nombreuses années en océanographie spatiale. Nous détaillons ici l’intérêt de cette zone d’étude pour de la validation altimétrique.
La mer Méditerranée est une zone d’étude idéale car elle représente un véritable laboratoire de la circulation globale. Celle-ci est en effet reproduite pour des échelles spatio-temporelles plus courtes et la région est facile d’accès en comparaison des autres mers de type méditer-ranéen (c’est-à-dire des mers intérieures salées où la circulation thermohaline est prépondé-rante). C’est pourquoi de nombreuses données sont disponibles et de nombreuses campagnes de mesure ont été menées. La modélisation numérique y est également une technique d’analyse mature.
Avec un rayon de Rossby d’une dizaine de kilomètres, elle possède une importante varia-bilité méso et subméso échelle ce qui représente un défi pour les systèmes d’observation. La marée y est faible même si l’on peut noter la présence d’ondes internes. Dans un contexte altimétrique la mer Méditerranée a aussi été choisie comme zone de CALVAL pour SWOT Ayoub et al., 2015. Pascual et al., 2015 ont déjà commencé à montrer son potentiel comme zone de validation en comparant les données SARAL à des radars HF dans le canal d’Ibiza.
La Méditerranée a donc servi de tremplin à plusieurs reprises pour montrer le potentiel de l’altimétrie : Troupin et al., 2015 ont montré que SARAL permettait d’obtenir des courants géostrophiques jusqu’à 10 km de la côte ; Bouffard et al., 2008a soulignent l’intérêt des informations provenant de données multimissions, Birol et al., 2010 se sont intéressés aux aspects côtiers.
Ainsi d’après ces travaux la Méditerranée semble toute indiquée pour l’étude de la contri-bution de l’altimétrie spatiale à la connaissance de la dynamique côtière et de sa variabilité, qui est, rappelons-le, l’objet d’étude de cette thèse.
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Table des matières
Introduction générale
Des enjeux de la connaissance de la dynamique océanique côtière à l’importance des
nouvelles missions d’altimétrie spatiale
Enjeux et plan de l’étude
1 Contexte et zone d’étude
1.1 L’altimétrie spatiale
1.2 La Méditerranée Nord-Occidentale
2 Les outils d’observation et d’étude
2.1 Altimétrie
2.2 Autres observations spatiales
2.3 Données in situ
2.4 Modèle numérique
3 Synergie entre les données altimétriques et in situ pour observer et étudier les variations du Courant Nord
3.1 Introduction
3.2 Article
3.3 Discussions et perspectives
4 Signature en hauteur de mer des processus dynamiques : cas du CN et de la convection
4.1 Validation du modèle
4.2 Observabilité des processus régionaux par altimétrie spatiale
4.3 Courants altimétriques vs courants des radars HF, gliders et ADCP : analyse des différences
4.4 Conclusion
5 Étude de la circulation régionale
5.1 Complément de validation du modèle et méthodologie
5.2 Circulation moyenne en Méditerranée Nord-Occidentale
5.3 Cycle saisonnier
5.4 Variabilité interannuelle
5.5 Discussion
5.6 Conclusion et perspectives
6 Conclusions et perspectives
6.1 Conclusions
6.2 Perspectives
A Climatologies mensuelles des courants de surface
B Séries temporelles du transport des sections du chapitre 5 sans le cycle saisonnier
C Cartes mensuelles des courants de surface
D Cartes journalières des courants de surface : illustration de processus mésoéchelle
Bibliographie
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