Le syndrome d’épuisement professionnel, dans la littérature, est fréquent parmi le personnel soignant. Dans les années 70 émergeait aux Etats-Unis un nouveau concept, le syndrome d’épuisement professionnel ou Burnout Syndrome (BOS). Ce terme a d’abord été utilisé par Harold B. Bradley, puis par le psychanalyste Herbert J. Freudenberger et par la psychologue Christina Maslach. Leurs nombreux travaux ont conduit à la définition du syndrome mais également à l’élaboration de l’outil de mesure : le Maslach Burnout Inventory (MBI) [1,2]. De nos jours, le stress fait partie intégrante de la plupart des secteurs d’activité dans le milieu du travail. Herbert J. Freudenberger justifia le terme métaphorique de Burnout en disant : « je me suis rendu compte au cours de mon exercice quotidien que les gens sont parfois victimes d’incendie, tout comme les immeubles ; sous l’effet de la tension produite dans un monde du travail de plus en plus complexe, leurs ressources internes en viennent à se consumer comme sous l’action des flammes, ne laissant qu’un vide immense à l’intérieur, même si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte » .
SYNDROME D’EPUISEMENT PROFESSIONNEL
Le terme maintenant consacré en français présente le défaut d’être vague et semble couvrir tous les effets du travail sur l’individu. Il n’est qu’un pâle reflet du terme plus imagé burnout. Usure professionnelle ou usure au travail sont aussi des expressions rencontrées. Elles mettent l’accent sur l’idée d’une évolution progressive du syndrome. Malgré ces critiques, le terme de Syndrome d’Epuisement Professionnel des Soignants ou SEPS s’est imposé en langue française.
DEFINITIONS
En 1974, Herbert J. Freudenberger propose une première définition du burnout comme : «l’épuisement professionnel est un état causé par l’utilisation excessive de son énergie et de ses ressources, qui provoque un sentiment d’avoir échoué, d’être épuisé ou encore d’être exténué» [33]. D’autres auteurs suivront, insistant sur différents points. En 1976, Maslach décrit l’épuisement professionnel des professions d’aide comme «une incapacité d’adaptation de l’intervenant à un niveau de stress émotionnel continu causé par l’environnement de travail» [33]. En 1980, Freudenberger et Richelson mettent l’accent sur «l’épuisement des ressources internes de l’individu et sur la diminution de son énergie, de sa vitalité et de sa capacité à fonctionner, qui résultent d’un effort soutenu déployé par cet individu pour atteindre un but irréalisable et ce, en contexte de travail, plus particulièrement dans les professions d’aide» [33]. Avec Freudenberger, en 1985, l’épuisement professionnel est présenté comme un processus évolutif [34]. Plusieurs auteurs le définissent comme un ensemble de stress-tension-stratégie, cyclique et évolutif ; d’autres comme un état d’esprit et de cours [29,35]. La dimension de l’épuisement physique et psychique de l’épuisement professionnel existe, mais la symptomatologie clinique n’a rien de spécifique. C’est une expérience psychique négative vécue par un individu, qui comporte plusieurs composantes décrites par Maslach et Jackson : épuisement émotionnel, déshumanisation de la relation avec le client et/ou attitudes négatives envers les personnes aidées. Enfin, il est accompagné d’une perte de sentiment d’accomplissement personnel ou de l’acquisition d’une image de soi négative. Mais les auteurs ne sont pas tous du même avis. Certains considèrent plus l’épuisement professionnel comme un état que comme un processus. Si, pour tous les professionnels, on retrouve épuisement émotionnel et perte d’accomplissement de soi au travail, il n’y a que dans les professions d’aide que la déshumanisation de la relation avec autrui a un impact si important [34]. La relation à l’autre est au centre des professions de relation d’aide et constitue le sens du travail de l’individu qui en a fait ce choix .
CARACTERISTIQUES DU SYNDROME D’EPUISEMENT PROFESSIONNEL DES SOIGNANTS
Pour tenter d’arriver à une définition unique et acceptable, il paraît indispensable de discuter les caractéristiques et les dimensions physiques et psychiques du SEPS.
SIGNES CLINIQUES NON SPECIFIQUES
Les signes cliniques décrits sont des symptômes somatiques, psychiques et comportementaux variés, banals et non caractéristiques. Sur le plan physique, ce sont des signes et des symptômes somatiques non spécifiques comme une fatigue ou une lassitude, des céphalées, des troubles digestifs variés, des troubles du sommeil, des infections rhinopharyngées, grippales ou pseudo- grippales prolongées ou répétées. Les troubles fréquents du comportement alimentaire tiennent une place particulière dans une population jeune et essentiellement féminine [33]. Sur le plan comportemental, ce sont des manifestations inhabituelles pour le sujet : une irritabilité trop fréquente, une sensibilité accrue aux frustrations, une fragilité émotionnelle faisant passer du rire à la bouderie ou aux pleurs, une promptitude à la colère ou aux larmes indiquant une surcharge émotionnelle, une méfiance ou une rigidité envers autrui, une attitude cynique ou de toute puissance pouvant mener à des conduites de risque pour soi-même ou pour autrui. Il s’agit d’attitudes dites défensives : une rigidité le plus souvent acquise, une résistance excessive au changement, des attitudes négatives ou pessimistes, un pseudo activisme, le sujet passant encore plus de temps sur les lieux de travail tout en devenant, sans s’en rendre compte, de moins en moins efficace. Enfin, pour «tenir le coup», le sujet peut être amené à faire usage d’alcool ou de psychotropes «empruntés à la pharmacie du service» pour se détendre ; cette automédication étant dangereuse car source de dépendance durable [33]. L’évolution se fait vers un état de fatigue grandissant, des attitudes thérapeutiques de plus en plus inadaptées et inopérantes marquées par une moins grande efficacité et un manque de rigueur dans la pratique des soins. Aux yeux des collègues, le sujet apparaît comme déprimé. Ce qui est parfois le cas, l’épuisement professionnel pouvant précéder une authentique maladie dépressive. Cependant le sujet fait de grands efforts pour tenir son poste dans un contexte peu gratifiant. Il peut même, paradoxalement, ne plus arriver à quitter un travail, par ailleurs devenu une source de souffrance, réalisant ainsi un tableau d’acharnement au travail. Ce type de comportement pathologique est marqué par un présentéisme anormal au travail. Il est le fait des cadres, des médecins séniors, des chefs de service ou d’unité. Leur présence permanente et peu efficace est une source de désorganisation du travail et de stress pour leurs équipes [33]. D’autres sujets réagissent par un désir de changement, voire de fuite du travail qu’ils ne peuvent plus tolérer. On observe alors un absentéisme progressif et répété. Des demandes de mutation peuvent parfois provoquer dans certains services de véritables hémorragies de personnel. Le syndrome présente une assez grande «contagiosité» ; c’est ce qui en fait sa gravité et son originalité sur un plan psychosociologique [33]. Les signes cliniques n’ont en fait rien de véritablement spécifiques. Peu d’éléments distinguent ces symptômes de la symptomatologie décrite dans la pathologie due au stress.
L’intérêt et le grand mérite du travail de H. Freudenberger ont été :
❖ d’avoir attiré l’attention sur le terme de burnout qui semblait décrire un état clinique qu’aucun autre terme de la psychiatrie ou de la psychologie classique n’arrivait à résumer,
❖ d’avoir repéré qu’il touchait des personnes engagées dans une relation d’aide,
❖ enfin d’avoir montré qu’il s’agissait de troubles progressivement acquis.
DESCRIPTION DU SYNDROME
Pour tenter de délimiter un syndrome aux contours moins flous, les définitions vont se multiplier. Mais une des particularités «historiques» du burnout est que le syndrome se dessine «en même temps» que s’élaborent des instruments de mesure. Les trois dimensions fondamentales de ce syndrome sont :
– l’épuisement émotionnel,
– la déshumanisation de la relation interpersonnelle,
– la diminution de l’accomplissement personnel.
La description de ces trois éléments permet la reconnaissance du syndrome et apporte une compréhension psycho-dynamique, sorte de modélisation de l’installation du burnout syndrome chez l’individu .
➤ L’épuisement émotionnel
L’épuisement émotionnel est autant physique que psychique. Intérieurement, le sujet aura le sentiment d’être «vidé», ressentira une fatigue affective au travail, une difficulté à être en relation avec les émotions de l’autre, si bien que travailler avec certains malades est de plus en plus difficile affectivement. C’est comme si l’individu avait atteint son seuil de saturation émotionnelle et n’était plus capable d’accueillir une émotion nouvelle. Il parle aussi d’une fatigue importante ressentie de façon inhabituelle. À la différence d’autres moments de fatigue, celle-ci n’est pas ou peu améliorée par le repos. L’un des signaux devenu classique est l’absence d’effets bénéfiques des vacances ou du repos [35].
Extérieurement, on observe des explosions émotionnelles comme des crises de larmes ou de colère, mais aussi des refus d’agir ou de répondre à une demande même anodine. Cet épuisement émotionnel est souvent accompagné de l’incapacité à exprimer toute émotion. Il s’agit d’un renforcement d’une des conduites les plus fréquentes de la tradition médicale car exprimer ses propres sentiments est souvent vu comme un signe de faiblesse. Ainsi, toute émotion nouvelle va donner lieu à des expressions psychiques et/ou comportementales variées. Paradoxalement, cet épuisement peut prendre l’aspect d’une froideur, d’un hyper contrôle apparemment absolu des émotions [35].
➤ La dépersonnalisation
La dépersonnalisation est le noyau dur du syndrome. Ce second critère est marqué par un détachement, une sécheresse relationnelle s’apparentant au cynisme. Le malade est plus considéré comme un objet, comme une chose qu’une personne. Il s’agit là d’une mise à distance de l’autre qui va être stigmatisée par des petits signes langagiers qui souvent n’apparaissent qu’à un observateur étranger à la situation ou externe au service. Cet état s’installe progressivement et lentement. La distanciation à l’autre est parfois l’aboutissement d’un épuisement émotionnel [35]. C’est un mode de protection de soi et de son intégrité psychique, seule attitude permettant de réaliser le travail relationnel. Cette mise à distance de l’autre se fait très «sournoisement», à l’insu du soignant et malgré lui. Mais il est ressenti souvent douloureusement comme une forme d’échec personnel qui peut s’exprimer plus ou moins ouvertement dans la troisième dimension du syndrome [35].
➤ La diminution de l’accomplissement personnel
Elle résulte des deux autres et est très douloureuse pour l’individu. Elle peut s’exprimer par un sentiment de ne pas être efficace, de ne plus savoir aider les gens, d’être frustré dans son travail en un mot de ne plus faire du bon travail. En effet, l’orientation professionnelle et le travail de soignant sont fondés sur la relation avec autrui. Constatant cette distanciation, le sujet va la ressentir comme un échec. Il n’est plus à la hauteur. Il commence à douter de lui et de ses capacités d’aller vers l’autre. Ainsi apparaissent la dévalorisation de soi, la culpabilité, la démotivation. Les conséquences de tant de difficultés sont variées et variables : absentéisme motivé ou non, abandon de travail, manque de rigueur ou même erreurs professionnelles. Chez la plupart des sujets, on observe un désinvestissement du travail. Prendre quotidiennement son poste devient de plus en plus difficile [35].
Cette attitude de fuite s’observe plus fréquemment dans certaines catégories de personnel (aides-soignants, infirmiers). Ailleurs, on notera un surinvestissement d’activité professionnelle jusqu’à ne plus pouvoir quitter le service ou y «traîner» de manière très illogique (« présentéisme » inefficace) .
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : RAPPELS
I. HISTORIQUE
I.1. PHASE NOVATRICE
I.1.1. Herbert Freudenberger et la première description
I.1.2. Les relations interpersonnelles
I.2. LA PHASE EMPIRIQUE
I.2.1. Premières études cliniques
I.2.2. Syndrome tridimensionnel
II. LE CONCEPT D’EPUISEMENT PROFESSIONNEL
II.1. INTERET ET ENJEU D’UNE DEFINITION
II.1.1. Eviter la confusion
II.1.2. Un enjeu économique
II.2. LES TERMES
II.2.1. Burnout syndrome
II.2.2. Karoshi
II.2.3. Syndrome d’épuisement professionnel
II.3.DEFINITIONS
II.4.CARACTERISTIQUES DU SYNDROME D’EPUISEMENT PROFESSIONNEL DES SOIGNANTS
II.4.1. Signes cliniques non spécifiques
II.4.2. Description du syndrome
II.5. DEFINITION UNIQUE RETENUE
II.6. LE MASLACH BURNOUT INVENTORY
III. LES IMPACTS DU SYNDROME D’EPUISEMENT PROFESSIONNEL
III.1. CONSEQUENCES PHYSIQUES ET EMOTIONNELLES
III.2.CONSEQUENCES ATTITUDINALES ET COMPORTEMENTALES
III.2.1. Au niveau de l’individu
III.2.2. Au niveau de la vie privée
III.2.3. Au niveau du travail
DEUXIEME PARTIE : NOTRE ETUDE : MATERIELS ET METHODES
I. CADRE DE L’ETUDE
II. ELABORATION DU QUESTIONNAIRE
III. POPULATION CIBLE
IV. PARAMETRES RECUEILLIS
IV.1. CARACTERISTIQUES DEMOGRAPHIQUES
IV.2. CARACTERISTIQUES LIEES A L’ACTIVITE PROFESSIONNELLE
IV.3. CARACTERISTIQUES LIEES AU BURNOUT SYNDROME
V. ETAT DES LIEUX
V.1. NOMBRE DE MEDECINS ET APPRENANTS PAR SERVICE
V.2. ADMISSIONS PAR SERVICE
V.3. INTERVENTIONSMENSUELLES REALISEES
VI. RECUEIL ET EXPLOITATION DES DONNEES
VII. CRITERE D’INCLUSION
VIII. CRITERE D’EXCLUSION
IX. ANALYSE DES DONNEES
X. BIAIS DE L’ETUDE
XI. CONSIDERATIONS ETHIQUES
XII. RESULTATS
XII.1. BURNOUT CHEZ LES MEDECINS
XII.1.1. Organigramme
XII.1.2. Caractéristiques de l’échantillon
XII.1.3. Caractéristiques démographiques et professionnelles
XII.1.4. Burnout syndrome
XII.2. ETUDE DES CORRELATIONS
XII.2.1. Burnout et caractéristiques démographiques
XII.2.2. Burnout syndrome selon les caractéristiques professionnelles
TROISIEME PARTIE : DISCUSSION
I. APPROCHE DE L’ETUDE REALISEE
I.1. SYNTHESE DES RESULTATS
I.1.1. Accueil de l’étude
I.I.2. Principaux résultats
I.2. LIMITES DE L’ETUDE
I.3. DIFFICULTES RENCONTREES
II. NOTRE ETUDE ET LA LITTERATURE
II.1. BURNOUT SYNDROME, TITRE ET SECTEUR D’ACTIVITE
II.2. BURNOUT ET CARACTERISTIQUES DEMOGRAPHIQUES
II.3. BURNOUT ET ANCIENNETE
II.4. BURNOUT ET CENTRE HOSPITALIER
II.5. DEMARCHES A ENTREPRENDRE
II.6. L’AVENIR DU SYNDROME D’EPUISEMENT PROFESSIONNEL
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXE