Survol de la littérature sur les noms composés en grec moderne
Un nombre important de travaux ont été consacrés à la composition lexicale (ou morphologique) en général, et plus particulièrement à la composition nominale du grec moderne. Dans ce sous-chapitre, nous citons les travaux les plus significatifs qui ont été effectués dans le cadre de l’approche linguistique et qui servent aujourd’hui de référence pour la plupart des études portant sur la composition nominale en grec moderne.
Plusieurs auteurs ont déjà proposé des survols des travaux sur les noms composés en grec moderne notamment dans le cadre de l’approche linguistique (ou symbolique) (cf. Z. Gavriilidou 1997, A. Anastassiadis-Syméonidis 2004). Dans cette section, nous ne reprenons que les principales étapes de la réflexion sur la composition en grec moderne. Nous décrivons les principes qui régissent la composition nominale du grec moderne et nous présentons une typologie de classification.
Il faut rappeler que la langue grecque dans son état actuel comprend le grec populaire (ou la démotique ) ainsi que des résidus du grec ancien et du grec savant (ou katharevoussa ), ce que G. Gross (1996a : 22) appelle des « blocs erratiques », c’est-à-dire « des éléments ou constructions qui remontent à un état de langue antérieur ». La somme des trois constitue ce qu’on appelle largement le grec moderne. Malgré le fait que la démotique est depuis plus de 30 ans la langue officielle en Grèce, des résidus de la langue savante et du grec ancien persistent, ce qui rend le grec une langue riche en variantes et en mots composés.
Contrairement à la grande diversité des critères de définition concernant la composition nominale en français (cf. I, 1.2), en grec moderne, les noms composés sont essentiellement définis sur la base de critères morphologiques (Z. Gavriilidou 1997). Cependant, les linguistes et les grammairiens grecs se servent également d’un certain nombre de critères syntaxiques et sémantiques afin de définir les noms composés non-soudés, qui sont désignés sous différentes appellations, à savoir : noms phrastiques (Ch. Clairis et G. Babiniotis 1996), combinaisons figées ou noms composés juxtaposés lâches (D. Holton ; P. Mackridge et I. PhilippakiWarburton 2000 ), noms composés lâches (A. Tsopanakis 1994), noms composés polylexicaux lâches (A. Ralli 2004).
M. Triantaphyllidis (1941), dans sa grammaire intitulée Grammaire néohellénique de la démotique, consacre une grande partie aux noms composés soudés. Tout d’abord, il distingue les noms dérivés des noms composés : les noms dérivés sont formés à partir d’un suffixe ajouté à la base lexicale (mot racine) (e.g. τραγουδώ-τραγουδιστής/chanter-chanteur, ιδρύωίδρυµα/fonder-fondation, γάλα-γαλατάς/lait laitier) d’un mot simple, tandis que les noms composés sont formés à partir de l’union des bases lexicales (mots racines) de deux – ou plusieurs – mots simples ou dérivés (e.g. ανεµόµυλος/moulin à vent, αγριολούλουδο/fleur des champs, πανωφόρι/manteau). Le même auteur décrit explicitement les phénomènes de dérivation lexicale (ou morphologique) et de composition lexicale en grec moderne tout en mettant l’accent sur les principes qui les régissent. Plus particulièrement, concernant la dérivation nominale, il remarque que les noms peuvent dériver de verbes, de noms et d’adjectifs. Il donne la liste quasi-exhaustive des différents suffixes mis en jeu et de la valeur sémantique qu’ils apportent à l’unité lexicale dérivée. Quant à la composition nominale, il propose tout d’abord une classification des mots composés sur la base de leur sens : il les distingue donc en juxtaposés , dont le sens est la somme de leurs deux composants (e.g. ρυζόγαλο/riz au lait ρύζι/riz και/et γάλα/lait) ; déterminatifs , dont le premier composant devient complément (nominal, adjectival ou adverbial) du deuxième lors de leur analyse (e.g. κρασοπότηρο-ποτήρι του κρασιού/verre à vin) ; possessifs , qui désignent celui qui possède quelque chose (e.g. καλότυχος-‘εκείνος που έχει καλή τύχη’/chanceux-‘celui qui a de la chance’) ; et objectifs , dont l’un composant constitue le complément d’objet direct de l’autre (e.g. χαρτοπαίχτης/joueur aux cartes). Ensuite, il décrit le comportement morphologique des mots composés en insistant, plus spécifiquement, sur les phénomènes d’accentuation, de composition nominale savante et populaire et de sur-composition (i.e. formation des mots composés à plus de deux composants).
Dans la grammaire de M. Triantaphyllidis (1941), les noms composés non-soudés ne sont pas abordés. L’auteur (2005 : 178) signale que la composition (soudée) n’est pas un phénomène qui a lieu d’un seul coup. Le sentiment qu’il s’agisse d’un nom composé soudé peut tout simplement être expliqué par le fait qu’il existe des paires de mots fréquemment juxtaposés dans la phrase. Les limites entre la juxtaposition et la composition ne sont donc pas toujours claires. Pour cette raison, on retrouve souvent les mêmes combinaisons de mots qui sont écrites parfois en un seul mot (e.g. καληνύχτα/bonne nuit), parfois en deux (ou plusieurs) mots (e.g. καλή νύχτα/bonne nuit) ou, encore, des dérivés de ces combinaisons (e.g. καληνυχτίζω/faire la bonne nuit).
Selon A. Anastassiadis-Syméonidis (1986 : 138-143), qui effectue la première étude approfondie sur les noms composés polylexicaux, il existe six types de critères, qui permettent de constater si une séquence donnée constitue une séquence libre ou bien un nom composé : 1) phonologiques, 2) graphiques, 3) morphologiques, 4) syntaxiques, 5) sémantiques et 6) d’emploi.
Phonologiquement, les noms composés constituent une seule unité au niveau de la respiration, avec deux ou plusieurs accents dynamiques. Au niveau graphique, les composants ne sont pas soudés. Au niveau morphologique, les constituants d’un nom composé préservent leur forme complète au sein du nom composé. A. Anastassiadis-Syméonidis (1986 : 139) précise que les constituants des noms composés ne recouvrent pas toutes les catégories grammaticales, à savoir les conjonctions, les interjections, les verbes auxiliaires, les pronoms et l’article indéfini n’y sont pas présents. Elle ajoute qu’au niveau morphosyntaxique le nom composé est une séquence de mots linéaire, mais qui cache une structure hiérarchique.
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Table des matières
Introduction
REMIERE PARTIE : DELIMITATION DE L’ETUDE
Chapitre 1. Travaux antérieurs
1.1 Survol de la littérature sur les noms composés en grec moderne
1.1.1 Classification des noms composés en grec moderne
1.2 Survol de la littérature sur les noms composés en français
Chapitre 2. La notion de figement
2.1 Introduction
2.2 Les critères généraux et les propriétés générales du phénomène de figement
2.2.1 La polylexicalité
2.2.2 La non-compositionnalité du sens (ou les contraintes sémantiques)
2.2.3 Le blocage des propriétés transformationnelles
2.2.4 La non-actualisation des éléments constitutifs
2.2.5 La non-prédication des noms composés
2.2.6 Le blocage des paradigmes synonymiques (ou les contraintes lexicales)
2.2.7 La non-insertion
2.2.8 La coordination
2.2.9 Le degré de figement
2.2.10 Le défigement
2.2.11 Etymologie
2.3 Distinction des N (E + DET:G) N:G par rapport au degré de leur figement
2.3.1 Les N (E + DET:G) N:G entièrement figés
2.3.2 Les N (E + DET:G) N:G semi-figés (ou productifs)
2.3.3 Conclusion
DEUXIEME PARTIE : LE RECENSEMENT DES DONNEES
Chapitre 3. Brève description du dictionnaire électronique morphologique
3.1 Introduction
3.2 Le dictionnaire électronique morphologique des noms composés du grec moderne
Chapitre 4. Le recensement
4.1 Introduction
4.2 Méthodes de recensement
4.2.1 Validation des entrées N (E + DET:G) N:G du DELAC existant
4.2.2 Méthode manuelle : compilation de grammaires et de dictionnaires d’usage
4.2.3 Méthode semi-automatique : application de motifs morphosyntaxiques à des corpus de textes écrits
4.2.4 Proposition de sous-catégorisation des N (E + DET:G) N:G
Chapitre 5. La variation
5.1 Introduction
5.2 Les noms composés binaires
5.2.1 Variantes lexicales
5.2.1.1 Possibilité de substitution des formes savantes par des formes démotiques
5.2.1.2 Possibilité de substitution des formes du grec par des emprunts
5.2.1.3 Possibilité de substitution par des formes en latin
5.2.1.4 Possibilité de substitution du nom-tête par son diminutif
5.2.1.5 Possibilité de substitution du deuxième composant nominal par une forme non-lexicale
5.2.1.6 Variation de nombre
5.2.2 Variantes orthographiques
5.2.3 Possibilité de substitution par des formes abrégées
5.2.4 Variantes phonologiques
5.2.5 Variantes syntaxiques
5.2.5.1 La réduction du déterminant
5.2.5.2 La réduction du nom-tête
5.2.5.3 La réduction du deuxième composant nominal
5.2.5.4 La permutation
5.2.5.5 Les variantes de type AN
5.2.5.6 Les variantes soudées
5.2.5.7 Les variantes en N Prép (E+DET) N
5.2.5.8 Les N (E+Prép) (E+DET:G) N:G
5.3 Les noms composés complexes (ou surcomposés) de structure N1 (E+DET:G) A:G N2:G
5.3.1 Variantes lexicales
5.3.1.1 Possibilité de substitution des formes savantes par des formes démotiques
5.3.1.2 Possibilité de substitution d’un mot par un autre mot du même registre
5.3.1.3 Possibilité de substitution du singulier par le pluriel
5.3.2 Variantes orthographiques
5.3.3 Possibilité de substitution par des formes abrégées
5.3.3 Variantes syntaxiques
TROISIEME PARTIE : STRUCTURE LEXICALE INTERNE
Chapitre 6. Les différentes catégories et sous-catégories des N (E + DET:G) N:G
6.1 Introduction
6.1 Les noms composés binaires de structure N (E+DET:G) N:G
6.3 Les noms composés complexes (ou surcomposés)
6.4 Les noms composés entièrement figés
6.5 Les syntagmes nominaux semi-figés (ou productifs)
6.6 Les entités nommées
6.7 Les termes de spécialité
6.8 Les syntagmes nominaux figés faisant partie d’une phrase simple figée et qui ont également un emploi autonome en dehors de celle-ci
Chapitre 7. La structure lexicale interne des noms composés N (E+DET:G) N:G
7.1 Introduction
7.2 Les déterminants
7.2.1 Les déterminants dans les noms composés de structure N (E+DET:G) N:G
7.2.1.1 Déterminants définis
7.2.1.1.1 Articles définis
7.2.1.1.1 Possessifs sans source
7.2.1.2 Déterminants indéfinis
7.2.1.2.1 Articles et adjectifs indéfinis
7.2.1.2.2 Déterminants numéraux
7.2.1.2.3 Déterminant zéro
Conclusion