La justification de la tenue des structures aéronautiques soumises à des chargements dynamiques tels que des impacts de débris de pneu, des chocs d’oiseau ou des situations de crash est primordiale pour la certification finale d’un avion. Pour chaque scénario, plusieurs jeux de paramètres doivent être considérés (angle d’impact, vitesse, masse… ) et dans chaque cas, la vérification de critères de sécurité, tels que la non perforation ou la tenue résiduelle de la structure, doit être démontrée. Durant le processus de design, il est inenvisageable de réaliser des essais pour tester l’ensemble des configurations et fixer le design des différentes structures pour des questions de coût et de délais. Aussi, les méthodes de simulations numériques sont largement utilisées chez Airbus pour retenir la meilleure solution en terme de sécurité et de coût.
L’utilisation croissante des matériaux composites dans les structures concernées par ces chargements dynamiques fait apparaître de nouveaux enjeux. En effet, le même niveau de confiance que dans le cas de structures métalliques doit pouvoir être apporté à des simulations de chocs sur des structures en composite. Cependant, représenter le comportement des composites stratifiés pour ces chargements requiert une bonne connaissance des phénomènes de dégradation. Dans le cas d’impact, le mode d’endommagement principal est le délaminage. Il présente la particularité d’être peu visible et peut parfois être très étendu. Dès lors, l’apport de la simulation numérique pour prédire ces délaminages est un point clé du dimensionnement, notamment pour la prédiction de la tenue résiduelle de la structure.
Les modèles éléments finis couramment utilisés chez Airbus pour la représentation des stratifiés sont des modèles de coques multi-couche permettant de représenter l’orthotropie du matériau. Les dégradations au sein du matériau sont prises en compte via des critères d’initiation, puis des lois d’évolution de l’endommagement dans les plis de l’empilement. Dans cette approche, le délaminage n’est pas modélisé. Cette modélisation macroscopique est valide jusqu’à l’apparition des premiers dommages dans la structure. Bien qu’incomplète, elle offre l’avantage de pouvoir mener des calculs sur des structures de grandes dimensions pour des coûts de calcul raisonnables, en terme de degrés de liberté et de temps de calcul. Néanmoins, afin d’améliorer la conception et les performances des structures en composite, la représentation du délaminage et sa prise en compte en cours de calcul sont souhaitables. Dès lors, une échelle de modélisation plus fine est nécessaire.
Le méso-modèle composite présenté dans [Ladevèze, 1995] considère la structure composite stratifiée comme un empilement de plis homogènes et d’interfaces assurant le transfert des contraintes et déplacements entre les plis. La représentation effective dans le maillage des interfaces entre les plis du stratifié permet ainsi de modéliser explicitement le délaminage via leur dégradation [Allix et Ladevèze, 1992, Schellekens et de Borst, 1993]. L’utilisation de ce type de modélisation requiert le maillage de chaque pli du stratifié avec des éléments 3D et l’insertion d’éléments dédiés pour les interfaces. L’application d’un tel modèle à une structure industrielle similaire à celle présentée figure 2 conduit cependant à un nombre de degrés de liberté prohibitif. En effet, la longueur caractéristique de la process zone, zone en cours d’endommagement en pointe de délaminage, conduit à l’utilisation d’un maillage très fin pour pouvoir représenter correctement le phénomène. La bonne description du champ de contrainte dans cette zone peut ainsi conduire à l’utilisation de plusieurs éléments dans l’épaisseur de chaque pli du stratifié. Les tailles caractéristiques des éléments utilisés sont alors de l’ordre de 0.1mm. D’autre part, la présence des interfaces réduit considérablement le pas de temps de calcul dans le cas d’un schéma explicite, et conduit donc à une augmentation importante des itérations par rapport à des calculs classiques. Les calculs résultants de cette modélisation sont donc hors de portée des moyens de calcul actuels, et une approche spécifique doit être mise en œuvre. Dès lors, l’objectif du travail présenté ici est de mettre en place une méthode de calcul permettant de représenter correctement les phénomènes de dégradation dans le composite, tout en gardant des temps de calcul raisonnables. À terme, cette méthode devra fonctionner dans le logiciel de calcul Abaqus utilisé chez Airbus. La spécificité des structures considérées est leur taille importante. La présence de ces fissures dans la structure modifie sa raideur, et a donc une incidence sur son comportement global. D’autre part, la longueur de la process zone est très faible devant les dimensions de la structure à modéliser. L’utilisation du méso-modèle n’est ainsi nécessaire que dans une partie restreinte de la structure, pour pouvoir représenter l’initiation et la propagation du délaminage. Deux échelles de modélisation de la structure doivent dès lors être considérées : au niveau local pour prédire l’évolution des dégradations du matériau ; au niveau global pour rendre compte du comportement modifié de la structure. D’autre part, dans un cadre dynamique, ceci implique également de considérer des temps caractéristiques d’évolution différents dans chaque modèle local et global, et donc de pouvoir introduire des pas de temps différents.
Le méso-modèle n’étant nécessaire que dans une zone limitée de la structure, une modélisation de type coque peut être utilisée dans le reste de la structure. Pour faciliter un raccord avec des modèles 3D, des éléments de coque 3D paraissent pertinents pour représenter la structure à l’échelle macroscopique. La construction de tels éléments n’est cependant pas directe, et nécessite la mise en place d’une démarche spécifique afin d’éviter des phénomènes de blocage. L’enjeu est alors de pouvoir représenter de façon précise le champ de déformation dans la coque. Deux approches sont couramment utilisées dans la littérature. La première solution consiste à adapter les éléments 3D linéaires classiques via des méthodes permettant de représenter correctement les déformations dans l’élément [Bathe et Dvorkin, 1984, Simo et Rifai, 1990]. L’autre choix possible est de repartir de la théorie des coques [Parisch, 1995].
Pour coupler les deux modélisations, on se propose de mettre en place une méthode multi-échelle en espace et en temps. En ce qui concerne le couplage en espace, des méthodes multi-échelles basées sur des décompositions de domaine constituent un premier point d’entrée [Mandel, 1993, Farhat et Roux, 1991, Ladevèze, 1999]. La particularité du problème conduit également à s’intéresser à des méthodes de type superposition. Dans ce cas là, un maillage raffiné est superposé, dans les zones d’intérêt, au maillage global de la structure étudiée [Whitcomb, 1991], [Guidault et al., 2008]. Ces méthodes permettent ainsi de conserver le maillage global de la structure tout en précisant la modélisation d’une zone restreinte. Pour le cas qui nous intéresse ici, le comportement macroscopique de la structure est connu : c’est un comportement de coque. Conserver un maillage global de la structure pendant toute la durée du calcul impose que cette échelle macroscopique soit alors continue. Le second point à prendre en compte concerne la discrétisation temporelle du problème et le schéma de résolution. En effet, des schémas explicites sont traditionnellement utilisés pour résoudre les problèmes de choc. Dès lors, le pas de temps du calcul est fixé par le plus petit élément du maillage. Les méthodes de sous-cyclage [Belytschko et al., 1979] ou mixtes en temps [Belytschko et Mullen, 1978, Hughes et Liu, 1978] permettent d’adapter schéma de résolution et pas de temps aux différentes zones de la structure. Les travaux de [Gravouil et Combescure, 2001] utilisent ces approches couplées avec une méthode de décomposition de domaine. Ils constituent le point de départ de l’étude présentée ici. L’approche choisie consiste alors à utiliser un maillage global de la structure par des éléments de coque 3D, constituant une représentation continue du comportement macroscopique de la structure. La superposition de maillages utilisant une modélisation de type méso-modèle dans les zones d’intérêt de la structure permet alors de prévoir l’initiation et la propagation du délaminage dans la structure. Les conséquences des dégradations locales du matériau sont alors répercutées au niveau macroscopique par le calcul d’un résidu d’équilibre.
Dégradation des composites stratifiés
Description des composites stratifiés étudiés
Les composites considérés ici sont des stratifiés. Ils sont constitués par un empilement de plis élémentaires unidirectionnels (c.f. figure 1.1). Chaque pli est constitué de fibres continues, qui peuvent être en carbone ou en verre, orientées dans la même direction et noyées dans une matrice en résine. Une zone riche en matrice, l’interface, assure la cohésion entre les plis de l’empilement. Les fibres ont un diamètre de l’ordre de 100 µm. L’épaisseur d’un pli est de l’ordre de 0,1mm, et les stratifiés utilisés dans les structures aéronautiques ont des épaisseurs de quelques millimètres.
L’intérêt principal de ce type de matériau réside dans la possibilité d’adapter leurs propriétés mécaniques au chargement appliqué à la structure. En effet, l’orientation spécifique des fibres définit l’orientation du pli par rapport à la direction de chargement. Les propriétés mécaniques du stratifié sont directement liées à la séquence d’orientation des différents plis dans l’empilement. Dès lors, le matériau peut être défini pour tenir au mieux le chargement auquel il est destiné. Macroscopiquement, le stratifié a un comportement orthotrope.
Description des modes de dégradations
La structure spécifique des stratifiés entraîne des modes de dégradations particuliers qui ont été étudiés à travers de nombreuses campagnes expérimentales. Les différents scénarios sont présentés dans la figure 1.2. A l’échelle du pli, deux principaux modes de dégradations continues peuvent apparaître. Les décohésions fibres / matrice résultent d’une dégradation de l’interface entre les deux constituants du plis. D’autre part, des microvides ou microfissures apparaissent dans la matrice. Ces dégradations sont essentiellement déclenchées par la présence de défauts de fabrication. La coalescence de ces dégradations dans le pli conduit à l’apparition de fissures transverses, traversant toute l’épaisseur du pli. Ces fissures se propagent parallèlement aux fibres. Ces fissures se propagent ensuite dans l’interface, zone riche en matrice située entre les plis, créant ainsi des micro-délaminages. Ce phénomène correspond à la séparation locale des plis de l’empilement. Ce micro délaminage peut conduire à des délaminages de plus grande ampleur visibles à l’échelle macroscopique, correspondant à la séparation de plis adjacents dans le stratifié.
Outre ce mécanisme de couplage entre fissuration transverse et délaminage, des sollicitations macroscopiques du stratifié peuvent engendrer des macro délaminages. Les propriétés mécaniques de l’empilement sont alors considérablement réduites. C’est en particulier dans ce cadre que se place cette étude. Enfin, dans chaque pli, les fibres sont chargées différemment en fonction de l’orientation des plis. Même si leur contrainte à rupture est élevée, elles peuvent cependant rompre dans le cas de sollicitations sévères de traction ou de compression. Les critères liés à ce phénomène restent une question ouverte, récemment étudiée dans [Hinton et al., 2004].
Dans les structures aéronautiques, le délaminage est le phénomène de dégradation le plus problématique. Dans le cas de choc, il peut se propager sur des surfaces très importantes, s’étendant souvent au delà de la zone de chargement initial. Les ordres de grandeurs associés aux aires délaminées sont ainsi similaires à ceux de la structure impactée. De plus, le délaminage n’est pas forcément visible à l’oeil nu (c.f. figure 1.3). La capacité à prévoir son apparition dans le cas de chargement dynamique est donc indispensable pour vérifier la tenue des structures stratifiées.
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Table des matières
Introduction
I Cadre de l’étude et contexte scientifique
1 Contexte industriel
1 Cadre de l’étude
2 Dégradation des composites stratifiés
2.1 Description des composites stratifiés étudiés
2.2 Description des modes de dégradations
3 Caractéristiques des calculs réalisés
3.1 Modèle éléments finis
3.2 Schéma de résolution et temps de calcul
3.3 Critères de dimensionnement
3.4 Résultats obtenus et limitations
4 Bilan
2 Etude bibliographique
1 Modélisation du délaminage
1.1 Caractérisation du délaminage
1.2 Approches macroscopiques
1.3 Modélisation mésoscopique
1.4 Bilan
2 Modélisation des structures élancées
2.1 Difficultés numériques
2.2 Développement d’éléments de coques 3D
2.3 Représentation de fissures macroscopiques
2.4 Bilan
3 Approches multi-échelles et de sous-structuration
3.1 Méthodes de décomposition de domaine
3.2 Méthodes de superposition
3.3 Approches multi-échelles en temps
3.4 Bilan
II Vers une méthode multi-échelle
3 Analyse du problème
1 Définition d’un cas d’étude
2 Équations du problème
2.1 Équations continues de la dynamique
2.2 Discrétisation spatiale des équations
2.3 Discrétisation temporelle des équations
3 Contraintes liées à l’utilisation du méso-modèle
3.1 Définition du pas de temps de calcul
3.2 Définition du maillage
4 Bilan et objectifs
4 Prédiction du délaminage par une méthode de décomposition de domaine
1 Définition du problème
1.1 Décomposition en sous-domaines du problème
1.2 Équations du problème
2 Application au cas test 2D
2.1 Définition des maillages et des calculs
2.2 Comparaison des résultats
3 Bilan et limitations
5 Choix d’une représentation macroscopique de coque 3D
1 Objectifs
2 Reconstruction des contraintes et déplacements 3D
2.1 Reconstruction du champ de contrainte
2.2 Reconstruction du champ de déplacement
3 Choix d’un élément
3.1 Définition de l’élément
3.2 Validation
4 Couplage des éléments Q16 avec le méso-modèle
4.1 Équations
4.2 Application
5 Bilan
6 Utilisation d’une échelle globale continue de coque
1 Principes généraux et équations du problème
1.1 Présentation générale de la méthode proposée
1.2 Équations du problème
2 Gestion des échelles spatiales
2.1 Analyse des difficultés
2.2 Différenciation des problèmes local et global
2.3 Illustrations
3 Gestion des échelles temporelles
3.1 Algorithme de résolution
3.2 Interpolation des vitesses du problème global
4 Bilan
Conclusions et perspectives
Bibliographie