Superposition d’écoulements orthogonaux dans des fluides complexes

À mi-chemin entre les solides et les fluides visqueux, les fluides à seuil présentent des caractéristiques particulières. Sous certaines conditions, les quelques millilitres d’un tel fluide posés sur un plan ne couleront pas. Avec l’application d’un faible effort, ils se déformeront comme des solides élastiques, reprenant leur forme d’origine lorsqu’on supprime la contrainte. Sous un effort plus important, ils coulent tels de simples fluides visqueux. Ces caractéristiques sont exploitées dans de nombreux exemples autour de nous. De la mousse à raser qui ne s’écoule pas sur la joue mais s’étale bien quand on la presse avec la main, à la peinture qui ne coule pas une fois appliquée sur un mur en passant par le ciment qui évite la sédimentation des granulats mais qui s’écoule entre les éléments d’un coffrage ou la mayonnaise qui tient dans la cuillère mais s’étale facilement sur la viande, les exemples de tels comportements sont multiples. Pour comprendre et maîtriser l’écoulement de ces fluides, nous devons connaître le lien entre la contrainte appliquée et la déformation qui en résulte. De cette relation, nous pouvons déterminer les paramètres comportementaux de la loi d’écoulement puis prédire les écoulements dans toutes les configurations. La rhéologie est la science qui s’intéresse à la caractérisation des lois d’écoulement et à la mesure de leurs paramètres.

Le mot rhéologie provient du grec rheo qui signifie couler, verser et du suffixe fréquemment utilisé logie, la science. Cette science est donc, selon la définition du Groupe Français de Rhéologie, la science qui s’intéresse à la “matière en écoulement, [les] contraintes qu’il faut lui appliquer et [les] modifications de structure qui en résultent”. Toujours selon cette définition, et comme nous le présentions précédemment, la rhéologie se retrouve “dans tous les domaines de l’activité humaine aussi bien que dans les phénomènes naturels”. Les applications de cette science sont essentielles dans de nombreuses industries. Les enjeux économiques, mais aussi sociétaux quand il s’agit de phénomènes naturels ou de problèmes écologiques (transports de fluides, durabilité des bétons), sont immenses. On apprécie donc l’importance de la mesure en rhéologie.

Pour effectuer cette mesure, plusieurs appareils ont été développés au fil des ans. Certains sont devenus des standards utilisés par les équipes du monde entier, d’autres restent au stade de prototype, mais tous cherchent à relier pertinemment la contrainte et la déformation dans le fluide. On doit dans ce but faire des approximations sur les champs de vitesse et de contrainte. Pour cela, on se place généralement dans le cadre du cisaillement simple. Ce type de mesure consiste à appliquer au fluide une contrainte de cisaillement homogène permettant une écriture simple des tenseurs de contrainte et de déformation. On obtient alors une relation scalaire entre les invariants de ces tenseurs. Or, la plupart des applications de ces lois se situent dans des problèmes tridimensionnels (écoulements entre des obstacles, extrusion, écrasement,…) au cours desquels les fluides sont soumis à des cisaillements complexes. La mesure en cisaillement simple n’est alors pas suffisante pour prédire correctement l’écoulement.

Rhéophysique, une science de mesure 

Rhéologie générale

Loi de comportement Pour décrire le comportement des fluides et prédire leur écoulement, il faut se placer dans le cadre de la mécanique des milieux continus où l’on peut exprimer la loi de comportement. C’est cette relation entre le tenseur des contraintes et celui des déformations qui caractérise le fluide. On peut décomposer le tenseur des contraintes σ, appelé tenseur des contraintes de Cauchy, en deux termes : la pression hydrostatique p, qui ne provoque pas de déformation, et le déviateur des contraintes, τ . On a alors :

σ = −pδ + τ (I.1)

Le cisaillement simple

Le cisaillement simple est une sollicitation pour laquelle l’écriture des deux tenseurs présentés précédemment est évidente puisqu’ils ne contiennent qu’un unique terme extradiagonal : le terme de cisaillement. Cette sollicitation consiste à placer un certain volume de fluide entre deux plateaux parallèles et à le déformer en appliquant à l’un des deux plateaux un mouvement de translation. On mesure la force F nécessaire pour effectuer ce mouvement (voir figure I.1), le déplacement δ du plateau, ainsi que la vitesse V donnée par V = dδ/dt .

En considérant que l’espacement entre les plateaux est égal h et que la surface de contact entre le fluide et le plateau est S, alors on peut définir la contrainte de cisaillement τ = F/S ainsi que le taux de déformation γ˙ = V /h et la déformation γ = δ/h, tous les trois homogènes dans le matériau. Pour obtenir la loi de comportement, il suffira de cisailler le matériau en déplaçant la plaque supérieure à différentes vitesses et de mesurer en continu la force nécessaire pour effectuer ce déplacement.

Les différentes types de fluides 

Fluides visqueux

Un fluide newtonien est un type de fluide pour lequel la partie déviatorique du tenseur des contraintes, τ , et celui des taux de déformation, d, sont proportionnels. On définit la viscosité η de la manière suivante :

τ = 2 η d (I.4)

On définit les invariants des tenseurs présentés respectivement ci dessus par la contrainte de cisaillement τ et le taux de cisaillement γ˙ . On peut alors tracer le comportement du fluide .

Suspensions de particules non colloïdales dans un fluide newtonien

Les suspensions de particules non colloïdales dans un fluide newtonien ont un comportement particulier. Si la mesure dans un cisaillement stationnaire donne une viscosité constante et fait donc penser à un fluide visqueux simple, la même mesure par un cisaillement oscillant donne un résultat surprenant en première analyse. Narumi , puis Bricker et Butler ont montré cet effet dans leurs articles respectifs. avec ceux de Narumi en (a) et ceux de Bricker et Butler en I.3b.

Ce phénomène de changement de viscosité lors d’une mesure en imposant des oscillations est dû à un changement dans la microstructure parn réarrangement des particules. Les auteurs ont exclu l’hypothèse de migration des particules, les résultats étant similaires en géométrie plan-plan et en géométrie de Couette. La microstructure est orientée par l’écoulement. Le changement de sens de l’écoulement implique une réorganisation qui se traduit transitoirement par une baisse de la viscosité. Ceci sera pour nous l’occasion de tester ce comportement non linéaire sous différents écoulements.

Solides élastiques 

Un solide élastique linéaire isotrope est un solide pour lequel, en introduisant le module d’Young par E et le coefficient de Poisson ν, on peut écrire la loi de comportement tensorielle d’un solide élastique, linéaire et isotrope reliant le tenseur des contraintes τ et le tenseur des déformations ε de la manière suivante :

Eεij = (1 + ν)τij − ντkkδij .

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Table des matières

Introduction
I Rhéophysique, une science de mesure
I.A Rhéologie générale
I.B La rhéométrie, état de l’art des différentes techniques
I.C Les motivations, notre idée
II Théorie des écoulements
II.A Rappel sur les tenseurs
II.B Écoulements plan-plan
II.C Correspondance valeurs locales – mesures macroscopiques
II.D Superposition
III Matériel et Méthodes
III.A Matériaux
III.B Matériel
III.C Mise en œuvre
III.D Conditions aux limites
III.E Influence de la surface sur la mesure
IV Résultats : comparaison rotation / écrasement
IV.A Viscosité des fluides newtoniens
IV.B Comportement non linéaire des suspensions visqueuses
IV.C Élastoplasticité des fluides à seuil
IV.D Oscillations sur les fluides à seuil
IV.E Adhésion des fluides à seuil
V Superposition des deux écoulements
V.A Validation du principe de superposition sur fluide newtonien
V.B Suspensions : influence de la superpositon
V.C Fluides à seuil : critère d’écoulement 3D
V.D Fluides à seuil : loi d’écoulement 3D
V.E Fluides à seuil : anisotropie suite à un écoulement ?
Conclusion

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