Suivi non destructif de l’altération de marbres par méthodes acoustiques

Le marbre de Carrare occupe une place particulière dans notre patrimoine (Stefanaggi & Vergès-Belmin 2011): la blancheur de certaines de ses variétés, sa translucidité, son homogénéité et sa très faible porosité ont depuis l’antiquité été particulièrement appréciées pour réaliser les sculptures ornant demeures, parcs et jardins. Le Carrare est tellement apprécié que l’on en trouve partout dans le monde, que ce soit en statuaire, en stèles, ou en plaques décoratives de parement. Le Château de Versailles ne déroge pas à la règle (Maral 2011) : son parc comportait encore voici une trentaine d’années 338 sculptures en grande majorité en Carrare, datant de la construction du château, mais 27 d’entre elles ont été mises à l’abri à cause de leur état d’altération préoccupant. Elles ont pour partie été remplacées par des copies en matériau synthétique moulé.

Depuis 2008 la collection de statues du parc fait l’objet d’un suivi sanitaire : chaque œuvre est documentée par des relevés schématiques de constitution et d’altérations dessinés sur photos, et surtout de photographies à divers grossissements. L’objectif de ces dossiers est de constituer un témoin fiable de l’état de la sculpture, afin de les suivre d’année en année. Les pathologies rencontrées sont de quatre types selon la terminologie du glossaire ICOMOS (Vergès-Belmin et al. 2011) : désagrégation granulaire profonde, fissuration, recouvrements (algues, lichens, croûtes noires etc..) et enfin érosion.

Les restaurateurs en charge du suivi sanitaire notent une prévalence très faible de la désagrégation granulaire profonde, qu’ils dénomment sur place “désagrégation” : elle se rencontre sur les statues abritées de la pluie, par exemple sur les nymphes du Bain d’Apollon. Cependant ce type d’altération est peut être sous-estimé, la perte de cohésion interne pouvant être forte malgré un état de surface correct. Cette observation est conforme à la littérature : une statue souffrante de cette pathologie peut atteindre une baisse de résistance mécanique telle qu’elle peut s’effondrer sur elle-même (Will 2011). Ce type d’altération peut être suivi par des mesures de vitesse du son, dont nous préciserons les modalités et les limites au cours de ce manuscrit.

Le marbre de Carrare et ses mécanismes d’altération 

Le marbre, une pierre naturelle 

Historiquement, le terme « marbre » est une appellation traditionnelle dérivée du grec marmaros puis du latin marmor qui signifie « pierre brillante ». Il décrivait n’importe quelle pierre « lustrable », c’est-à-dire dont la surface pouvait être lustrée au moyen de polissage. Dans ce sens, ce terme n’a pas de définition géologique précise et ne se réfère qu’à la capacité d’une roche à être polie et à refléter la lumière. Il a par conséquent été utilisé pour définir toute pierre polie, ce qui a donné lieu à des problèmes d’identification. (Zúñiga 1994) et (Soler-Huertas 2005) ont abordé ce problème d’identification, en faisant des analyses petrophysiques sur des statues considérées comme faites de marbre dont les résultats ont prouvé l’utilisation de roches calcaires ou assimilées.

Scientifiquement parlant, le marbre est une roche métamorphique dérivant d’un calcaire ou d’une dolomie sédimentaire ayant été transformée généralement par métamorphisme régional ou plus rarement par métamorphisme de contact. Plus précisément, le métamorphisme désigne l’ensemble des transformations subies par une roche demeurant à l’état solide sous l’effet de modifications des conditions de température, de pression ou de fluide. Ces transformations, qui peuvent être chimiques, minéralogiques, texturales ou encore structurales, conduisent à une réorganisation des éléments dans la roche et à une cristallisation/recristallisation de minéraux (Gohau et al. 1997). Dans ce processus de transformation de la roche originelle, les structures sédimentaires sont souvent en grande partie effacées. Dans les roches carbonatées, la calcite et/ou la dolomite recristallise en un amas de cristaux engrenés de dimensions millimétriques à centimétriques. Les intercalations argileuses, les minéraux détritiques ou les oxydes minéraux présents dans le carbonate originel donnent alors au marbre diverses colorations (Négroni 2009). Dans cette étude, nous nous focaliserons sur le marbre de Carrare, puisque c’est la roche la plus utilisée dans la statuaire du parc du château de Versailles. Le marbre de Carrare de qualité statuaire est un marbre blanc très pur, extrait des carrières des Alpes Apuanes sur le territoire de Carrare en Italie . Cette roche est l’un des marbres les plus prisés au monde pour sa blancheur et son veinage peu abondant (il existe plusieurs qualités de marbre de Carrare plus ou moins blanches et plus ou moins veinées).

Pétrologiquement, la qualité « statuaire » du marbre de Carrare correspond à une roche hololeucocrate constituée à 99% de calcite, on trouve aussi de la dolomie, de la muscovite, de l’albite, du quartz et de la pyrite. L’analyse chimique, montre que le marbre se compose de plusieurs oxydes dont majoritairement la CaO et le CO2 .

L’altération du marbre 

Hormis les actes de vandalisme volontaire, l’altération subie par les roches est l’ensemble des processus qui résultent de la réaction de la pierre avec son environnement : l’atmosphère, l’hydrosphère et la biosphère. Selby (1993) a donné une définition plus précise : « Le processus d’altération et de dégradation du sol et des pierres est dû à des processus physiques, chimiques et biologiques.». Quand les roches sont utilisées dans des constructions ou des sculptures (figure I-2), Le risque d’endommagement augmente à cause de l’intervention d’autres facteurs (Siegesmund et al. 2000). Ces nouveaux facteurs peuvent inclure le type d’utilisation, la localisation de la pierre dans la construction, l’interaction avec d’autres matériaux et le microclimat. Il convient de signaler que plusieurs processus d’altération interfèrent parfois en même temps, ce qui accélère l’endommagement des pierres (Ruedrich et al. 2002). Par exemple, les variations d’humidité (alternance de cycles humiditéséchage) jouent un rôle essentiel dans les processus d’altération (Acheson 1963; Schlunder 1963; Amoroso & Fassina 1983, Fahey et al. 1984 ;Jerwood et al. 1990). Sans eau, il n’y a ni réaction chimique (pas d’altération chimique), ni transition de phases de sels et du gel (limite l’altération physique), ni de vie biologique (pas d’altération biologique).

Sur le site du Château de Versailles, le marbre de Carrare qui constitue la statuaire du Parc présente plusieurs pathologies. Parmi lesquelles on trouve la désagrégation granulaire qui se manifeste par une perte de cohésion granulaire due à la perte de matière à l’échelle granulaire (Weiss et al. 2002),c’est à dire entre les grains de la calcite (Figure I-3 et I-4). L’Annexe A décrit en détails la façon avec laquelle les minéraux se maintiennent entre eux pour donner plus de cohésion à la roche.

Dégradation physique
Lorsqu’on parle de dégradation physique, les pathologies les plus représentatives de ce que les restaurateurs trouvent sur le terrain sont : la désagrégation granulaire superficielle ou profonde, la fracturation/fissuration et la desquamation sans changer la composition chimique et minéralogique de la roche. Parmi les facteurs qui endommagent physiquement et mécaniquement le marbre, des travaux antérieurs ont déjà montré que l’on on trouve spécialement les chocs thermiques, les sels, les agents climatiques tels que l’humidité et les cycles de gel-dégel (Kessler 1919; Powers & Helmuth 1953; Camuffo 1995 ; Winkler 1997 ; Gimm 1999; Siegesmund et al. 2000).

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Table des matières

Introduction
Chapitre I : Le marbre de Carrare et ses mécanismes d’altération
I.1 LE MARBRE, UNE PIERRE NATURELLE
I.2 L’ALTERATION DU MARBRE
I.2.1 Dégradation physique
I.2.1.1 Altération par chocs thermiques
I.2.1.2 Altération par des sels
I.2.1.3 L’humidité
I.2.1.4 Le gel – dégel
I.2.2 Dégradation chimique
I.2.2.1 La dissolution
I.2.2.2 L’hydrolyse
I.2.2.3 L’hydratation
I.2.3 La dégradation biologique
I.3 LES PARAMETRES ET FACTEURS D’ALTERATION DU MARBRE
I.3.1 Les propriétés intrinsèques du marbre
I.3.1.1 La texture
I.3.1.2 La composition minéralogique
I.3.1.3 La porosité
I.3.1.4 La conductivité hydraulique
I.3.1.5 Les propriétés thermiques
I.3.2 Les paramètres environnementaux (facteurs extrinsèques)
I.3.2.1 La température
I.3.2.2 L’humidité
I.3.2.3 Le vent
I.4 CONCLUSION
Chapitre II : Matériel et méthodes
II.1 MATERIEL
II.1.1 Marbre vieilli ‘naturellement’
II.1.2 Marbre vieilli ‘artificiellement’
II.1.2.1 Vieillissement par cristallisation de sels
II.1.2.2 Vieillissement par chocs thermiques
II.2 CARACTERISATION DE L’ALTERATION
II.2.1 Comportement capillaire
II.2.1.1 Capillarité par la méthode de la goutte d’eau
II.2.1.2 Capillarité par le test de l’éponge
II.2.2 Rugosité
II.2.3 Résistance au percement
II.2.4 L’acoustique et la pierre
II.3 CONCLUSION
Chapitre III : Caractérisation par ondes de Volume
III.1 INTERACTION DES ONDES ULTRASONORES AVEC LE MARBRE
III.1.1 Introduction à l’acoustique ultrasonore
III.1.1.1 Ondes de volume
III.1.1.2 Ondes de surface
III.2 DISPOSITIF EXPERIMENTAL POUR L’ETUDE DE LA PROPAGATION DES ONDES DE VOLUME
III.3 ESTIMATION DE LA VITESSE ET DE L’ATTENUATION
III.3.1 Principe de mesure de la vitesse
III.3.1.1 Mesure relative des vitesses
III.3.1.2 Mesure absolue des vitesses
III.3.1.3 Calcul d’incertitude
III.3.2 Principe de mesure de l’atténuation
III.4 RESULTATS EXPERIMENTAUX
III.4.1 Méthode d’écho
III.4.2 Méthode de transmission
III.4.2.1 Plaques naturelles
III.4.2.2 Plaque altérée artificiellement
III.4.2.3 Propriétés physiques et mécaniques
III.5 ANALYSE TEMPS-FREQUENCE
III.5.1 Généralités
III.5.2 Plaques vieillies naturellement
III.5.3 Plaque vieillie artificiellement
III.5.3.1 Ondes de compression
III.5.3.2 Ondes de cisaillement
III.6 CONCLUSION
Chapitre IV : Estimation de l’altération du marbre par interaction d’une onde de surface
IV.1 ONDE DE RAYLEIGH
IV.1.1 Description de la vibration
IV.1.2 Equation de Rayleigh
IV.2 SYSTEME INSTRUMENTAL
IV.3 RESULTATS DES INVESTIGATIONS PAR ONDE DE RAYLEIGH
IV.3.1 Plaque Saine
IV.3.2 Echantillons des plinthes de statues du Château de Versailles
IV.3.3 Plaque vieillie artificiellement
IV.4 LA TRANSFORMEE DE FOURIER 2D
IV.5 TRANSFORMEE DE SLANT-STACK
IV.5.1 Principe
IV.5.2 Résultats expérimentaux
IV.5.2.1 Echantillons étudiés
IV.5.2.2 Banc instrumental
IV.5.2.3 Echantillon intact
IV.5.2.4 Echantillon vieilli
IV.6 CONCLUSION
Conclusion

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