La fiction littéraire
Selon la définition du dictionnaire encyclopédique Larousse, la fiction serait une création ou une invention de choses imaginaires et irréelles. En littérature la définition de cette notion renvoie à toute création littéraire faisant ainsi de n’importe quel roman une fiction aussi réaliste et aussi objective qu’il prétende l’être. Selon Jean TORTEL, définir vulgairement la production littéraire, revient à dire qu’elle n’est qu’une opposition fictionnelle à la réalité : « Elle oppose d’une façon radicale, et quelque peu méprisante, ce que la « vie réelle » comporte de sérieux ou de solide, à ce qui manque de fondement, à ce qui n’est que chimère ou billevesées. Ainsi comprise, la littérature est ce qui n’est pas « vérité », ce qui n’est pas utile ; elle ne peut ni se prouver, ni servir de preuve. » En effet, prise en charge par la fiction, la réalité perd toute son objectivité. Etant donné qu’un écrivain exprime implicitement et peut être sans même s’en rendre compte d’un point de vue qui lui est propre. Cette subversion est d’autant plus justifiée par l’aspect symbolique et métaphorique qui caractérise une œuvre littéraire. La relation qu’entretient l’univers fictionnel littéraire avec l’univers référentiel dépend du point de vue qu’adopte le romancier face à la réalité faisant de son œuvre un reflet (miroir subjectif et fragmenté) d’une réalité (objective). Selon Pier Macherey, c’est la combinaison de ces deux notions (réalité é et fiction) qui sont les fondements de l’œuvre littéraire : « Le texte littéraire produit un effet de réalité. Plus exactement, le texte littéraire produit en même temps un effet de fiction privilégiant tantôt l’un et tantôt l’autre, interprétant l’un à l’autre et inversement mais toujours sur la base de ce couple. » Donc, aussi subjective qu’elle puisse l’être, une œuvre fictionnelle recèle toujours une part de réalité à travers laquelle le destinataire de la fiction retrouve plus ou moins le monde réel dans lequel il évolue. Jean –pierre ESQUENAZI suppose que : « […], le récit de fiction constituerait un instrument dont nous disposons afin de mieux comprendre notre propre univers. »
La subversion lors de la fictionalisation de la réalité
Le terme subversion est selon la définition du dictionnaire encyclopédique Larousse, une action de bouleversement et de destruction qui s’effectue sur des valeurs ou sur des institutions établies quelles qu’elles soient (politiques ou sociales). L’étymon latin de « subversion » renvoie autant à la destruction qu’au bouleversement. En plus de son acception littéraire le terme « subvertir » jouit aussi d’un sens ayant une relation avec les mœurs et la morale d’un groupe social. Subvertir serait alors une action de détruire ou de bouleverser une cohérence préétablie par un groupe social. On ne peut cependant faire abstraction de l’étymologie (versus, vertere, versio) qui suggère l’existence de dérivés du terme « subversion » tels que « version » (variante) et « vers » (envers ou contre) et dont dérivent des termes tels que : « conversion, réversibilité, inversion, controversions (débat) » qui renvoient tous, de près ou de loin, à l’action de détruire ou de bouleverser. En littérature, cette subversion peut se manifester au niveau du contenu (niveau thématique) à savoir ; une contestation d’une pensée ou d’une valeur ancrée dans la conscience sociale collective ou au niveau de la forme et la technique de l’écriture (le niveau scriptural). Dans notre corpus, cette subversion se manifeste sur ces deux niveaux (thématique et scriptural) lors de la fictionalisation de la réalité (passage de la réalité a la fiction) à travers des contre-discours propres à l’univers fictionnel qui remettent en question des discours (vérités) préétablies dans la réalité.
Le roman policier entre fiction et réalité
Bien que jugé simple d’écriture comme de lecture et considéré comme un sousgenre au style adultérin qui dandine entre la standard et l’argotique ; un genre inscrit dans l’éphémère et la brièveté, faisant partie de la paralittérature, aborder ce genre romanesque qui, malgré toutes ces critiques négatives, a sus perdurer et s’imposer, n’est pas chose aisée. En effet, si le roman policier a pu se développer en dépit de cette critique souvent négative à son égard, c’est bien grâce à l’attrait que suscite ce genre chez les écrivains dont le nombre de ceux qui se laissent charmer par le roman policierne cesse d’augmenter. Cet attrait est d’autant plus justifié par la simplicité et la transparence de « la structure interprétative » de ce genre, ce qui ouvre la voie à diverses opportunités stylistiques dans la mesure où l’écrivain assure un tantinet son rôle créatif. Ce genre garantit et attise l’intérêt d’un nombre conséquent de lectorat. Ce dernier est attiré par le côté simple et sériel que présentent de nombreux passages dansce genre de romans mais aussi par le suspense et l’intrigue que couve la fiction policière. Ainsi, auteurs et lecteurs se rejoignent en ce qui concerne ce genre romanesque chacun garantissant la satisfaction de l’autre, par la validation positive du pacte implicite entre les écrivains et les lecteurs, et qui est à l’origine de ce qui est communément appelé : « l’horizon d’attente ». Ce genre romanesque semble ainsi plaire de manière générale aux romanciers et aux lecteurs autant qu’il fascine la critique littéraire qui ne cesse d’interroger le roman policier qui, par son succès, a conquis la scène internationale et a fait l’objet de maintes reprises qui ont favorisé sa variation et sa mutation. C’est cette complexité et cette mutation au niveau de ses fondements génériques qui ont sollicité l’attention des critiques et qui ont aiguisés leur curiosité. Toutefois, il nous semble impératif de souligner que le roman policier fait partie de la paralittérature et son statut littéraire n’est pas unanimement reconnu. Si le récit policier peut s’inspirer de faits réels, il reste tout de même une fiction de même que toutes autre productions littéraire. Cette fiction littéraire dont le point de départ est souvent un crime qui peut être de diverses natures et dont le récit s’organise autour de son élucidation. Cependant, pour qu’il y ait vraiment récit policier,l’intention du scripteur, quant à sa volonté d’inscrire sa fiction dans le genre policier, doit être explicite et cela à travers ce que Gérard Genette appelle : « le péritexte éditorial », notion qui regroupe : le titre et sa portée symbolique, le titre de la collection (par exemple la Série noir), le sous-genre, le texte de la quatrième de couverture et l’illustration de la première de couverture. En effet, l’absence de cetteintention explicite dans un roman l’exclut du genre policier même s’il comporte toutes les caractéristiques propres à ce genre citées au début de ce paragraphe comme on peut le constater chez Allain Robbe-Grillet dans son roman intitulé « Les Gommes » et aussi dans notre corpus. Cette absence de l’intention explicite serait alors une manière de revendiquer la non-appartenance d’une œuvre au genre policier. Ou serait-ce une manière subtile d’user des possibilités qu’offre ce genre notamment avec la relation étroite qu’il entretient avec la réalité tout en évitant son aspect ludique qui restreint l’œuvre à une simple perspective de divertissement ? Pour répondre à cette question est constituer un pont théorique qui nous permettra par la suite d’aborder le rapport : fiction/réalité en œuvre dans notre corpus, il convient de résumer brièvement l’évolution de ce genre littéraire sur la scène internationale d’une manière générale et sur la scène algérienne d’une manière particulière.
« Quand le passé rattrape le présent »
Comme nous l’avons souligné plus haut, à partir des années 90, l’apparition de récits mais aussi d’articles lesquels, à travers leurs contenus, mettent à nu une autre facette de l’Histoire algérienne, souvent évitée ou mise à l’écart, s’est faite de plus en plus intense. Au sujet de cette dépendance soudaine de la littérature magrébine à l’Histoire Benjamin STORA dit : « Ce grand déballage suscite surprises, malaises et interrogations. ». Ce soudain intérêt de la littérature pour l’Histoire et d’autant plus justifié par divers événements inhabituels qui ont marqué cette période à travers lesquels on assiste à un certain changement d’ordre politique ouvrant de ce fait la voie à l’expression de certaines opinions, qui, étaient considérées taboues. Parmi les événements les plus marquants de cette période on peut citer : la réhabilitation de certaines figures historiques algériennes qui ont étaient mises à l’ écart après l’indépendance telle que « Messali Hadj » ; l’inauguration d’un monument à la mémoire du GPRA (Gouvernement Provisoire Révolutionnaire Algérien) marquant de ce fait le retour d’une structure politique longtemps évincée par le système militaire en place et pour finir l’hommage rendu à la population juive en juillet 1999 lors d’une conférence qui s’est tenue à Constantine. Par chacun de ces gestes se miroitaient les prémisses d’un changement porteur d’une certaine forme de libération de la parole comme le constate Benjamin STORA : « En 1999-2001, tant en Algérie qu’au Maroc, le passé semble rattraper le présent. Cette soudaine résurgence se comprend par les spasmes de l’actualité. Les accessions au pouvoir, quasi simultanées, de Bouteflika et de Mohamed VI, en 1999, ont bousculé des certitudes, libéré bien des paroles et ébranlé de prétendues évidences. » Dès lors, marquer par divers événements qui, souvent ne sont pas aussi réjouissant comme ceux qu’on vient de citer, les écrivains algériens se sont mis à écrire pour dévoiler le non-dit de l’Histoire de leur pays, ils s’engagent alors dans une voie où la remise en question mène à la dénonciation et à la divulgation de l’Histoire. En ce sens, dans le cadre d’un entretien accordé au journal Liberté, Boualem SANSAL affirme que l’assassinat du présidant algérien Mohammed BOUDIAF est pour lui une désillusion qui l’a touché au plus profond de son être suite à laquelle il a décidé d’écrire pour « s’insurger » contre un système qui a souvent favorisé le mensonge au détriment de la vérité : « J’ai cru, avoue-t-il, en cet homme et sa mort a été pour moi, comme pour l’immense majorité des Algériens, un choc terrible. En me mettant à écrire, j’ai comme enfilé une tenue de combat pour m’insurger contre ce système qui nous a menés si bas dans la vie et si loin dans le silence et la lâcheté. » L’engagement de SANSAL passe alors par une écriture subversive à travers laquelle il diffuse une idéologie qui lui permet de contribuer à l’éveil de la conscience collective de la société algérienne. La subversion de l’Histoire dont fait montre son œuvre peut alors être considérée comme un témoignage sur la falsification dont fait l’objet le passé de l’Algérie et qui serait la cause du déclin de son présent.
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Table des matières
Introduction générale
Première partie : Subversion thématique dans Le Serment des barbares
Chapitre I : Jalons extratextuels
I-1- Quelques concepts de base
I-2- Littérature et contexte
I-3- Du hors-texte à la réception
Chapitre II : Le roman policier entre fiction et réalité.
II-1- Naissance et évolution
II-2- Le roman noir ; un témoin des réalités sociale
II-3- Le roman policier dans la littérature algérienne de langue française
Chapitre III : Réalité et fiction dans Le Serment des barbares
III-1- De la subversion thématique à l’ancrage de la réalité
III-2- De l’enquête policière à l’enquête sociale
III-3- Un discours subversif pour dénoncer les réalités
Chapitre IV : Histoire et fiction dans Le Serment des barbares
IV-1- « Quand le passé rattrape le présent »
IV-2- De l’histoire à l’Histoire
IV-3- Pour une reconsidération de l’Histoire
Synthèse de la première partie
Deuxième partie : Vers une poétique de la subversion
Chapitre I : Subversion de la structure narrative du genre policier
I-1- Subversion du schéma narratif du récit policier
I-2- Subversion du schéma actantiel
I-3- Le personnage principal ; entre réalité et fiction
Chapitre II : Le Serment des barbares ; une écriture éclatée
I 1- Fragmentation de l’écriture pour une écriture de la fragmentation
I-2- La fragmentation du système temporel entre le passé et le présent
I-3- Les textes enchâssés ; un détournement de la narration
Chapitre III : Le Serment des barbares une esthétique de la subversion
III-1- Variation morphologique du signe, pour une typographie du chaos
III-2- Le point-virgule ; une ponctuation du délire
III-3- Une écriture baroque
Synthèse de la deuxième partie
Conclusion générale
Bibliographie
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