Subversion de l’ordre chronologique

Le roman, genre littéraire protéiforme , n’a cessé de connaître des mutations au cours des siècles. En marge du Nouveau Roman français qui propose une réforme du roman classique, certains écrivains contemporains plus novateurs vont marquer une rupture radicale, une cassure définitive avec le roman de type balzacien. Ces adeptes d’une littérature moins illusionniste et moins naïve proposent aux lecteurs des romans à la lecture assez problématique. Parallèlement, en Afrique subsaharienne, Les soleils des indépendances , roman d’Ahmadou Kourouma, rompt avec le roman traditionnel africain. Ainsi, une nouvelle orientation du roman se dessine. Celui-ci devient le symbole d’une génération d’écrivains qui a révolutionné une certaine forme romanesque.

Ruptures et inventions 

Architecture du récit

Le récit peut être défini comme la représentation ou la narration d’un fait réel ou fictif par les moyens du langage écrit ou oral. L’écart par rapport aux normes caractérise les romans parodiques de Boubacar Boris Diop et de Camille Laurens. Ces derniers tournent en dérision l’écriture romanesque et rompent avec la routine réaliste. Ces deux écrivains de la postmodernité ont des idées de renouveau dans l’écriture et cultivent l’excentricité dans leur esthétique romanesque. Également, les tendances et les innovations qui habitent la plume de ces deux écrivains se conçoivent dans une exigence singulière de la forme. Avec l’avènement du Nouveau Roman, on assiste à la banqueroute du roman réaliste, fondé sur des intrigues et une temporalité cohérente. Les nouveaux auteurs, iconoclastes, subvertissent les règles et les usages de la logique romanesque. L’adjectif « nouveau » sous-entendant aussi réforme, les règles d’écriture établies par Balzac et ses épigones sont pourfendues, au profit de nouvelles perspectives d’écriture.

La linéarité chronologique est abolie, et le temps est englué dans la spirale de la répétition et de la circularité. Et comme le souligne Robbe-Grillet dans son ouvrage critique sur le Nouveau Roman : «dans le récit moderne le temps se trouve coupé de sa temporalité. Il ne coule plus. Il n’accomplit plus rien. Et c’est sans doute ce qui explique cette déception qui suit la lecture d’un livre aujourd’hui» . Cette désarticulation temporelle semble être au cœur de l’architecture du récit dans Les tambours de la mémoire et Dans ces bras-là.

Aussi, les lecteurs du roman réaliste ne s’étaient-ils pas habitués à des récits à narrateur unique. L’histoire, en effet, était généralement narrée à la troisième personne ou à la première personne du singulier. Toutefois, l’emboitement des voix narratives était déjà repérable dans Les faux- monnayeurs de Gide. Cette polyphonie narrative est aussi présente chez nos deux auteurs. Dans Les tambours de la mémoire, la parole se promène entre le couple narratorial, Fadel et les autres personnages. De même, Dans ces bras-là, la narration est alternativement assurée par la première personne « je » et la troisième personne du singulier « elle ». L’évocation d’un passé révolu et la mise en exergue des discours testimoniaux occasionnent le déroulement d’une polyphonie narrative. Ainsi, Boris Diop et Camille Laurens nous ont servi des romans aux récits redondants et polyphoniques. Le récit n’est plus l’affaire d’un seul narrateur, mais de deux, voire de multiples narrateurs.

Boris Diop et Camille Laurens délaissent la routine de l’écriture réaliste pour adopter comme technique d’écriture le renouvellement romanesque. L’éclatement de l’intrigue, la dislocation de l’espace et du temps et la démultiplication des voies narratives fondent le récit dans les deux romans. Le caractère général de la narration dans ces deux récits est la tendance à la redondance. La narration est circulaire et le récit revient toujours sur ses traces. L’intrigue est décousue et l’ordre chronologique est aussi perturbé. Les deux auteurs adoptent une architecture irrégulière qui privilégie les récits secondaires disparates au détriment d’un récit central. Camille Laurens et Boris Diop font un va-et-vient constant dans le temps. Également, la narration multifocale est proéminente dans Les tambours de la mémoire et Dans ces braslà. Ce sont des narrations à instances multiples.

Subversion de l’ordre chronologique 

Le temps définit le moment ou la période dans laquelle un événement ou un fait s’est produit. Sa loi propre demeure la succession. Dans son étude sur le temps romanesque, Michel Butor, adepte de la nouvelle écriture, proposera cette distinction: « dès que nous abordons la région du roman, il faut au moins supposer trois temps : celui de l’aventure, celui de l’écriture, celui de la lecture» . Aussi, dans son ouvrage critique, Figures III , Gérard Genette abonde dans le même sens et définit le récit comme « une séquence deux fois temporelle : il y a le temps de la chose racontée et le temps du récit (temps du signifié et temps du signifiant)»  . Ainsi, il existe le temps de l’histoire racontée, autrement dit le moment où celle-ci s’est passée et le temps du récit c’est-à-dire la relation entre la narration et l’histoire. Aussi, appréhende-t-il l’anachronie comme « les différentes formes de distorsion entre l’ordre de l’histoire et celui du récit» . Dans Les paradoxes du temps  de Laurent Dubois, le préfacier Étienne Klein ira plus loin en faisant la distinction entre le temps physique et le temps subjectif. Le premier est celui des horloges, il n’épuise pas le sens du temps vécu et le second est celui de la conscience. Le temps de la conscience, quant à lui, est purement subjectif.

La notion de temps n’est plus ce qu’elle était auparavant. Le temps linéaire et progressif, qui visait l’horizon du futur dans les siècles précédents, est en voie de disparition dans la nouvelle composition romanesque du XXème siècle. Selon Fournier Laurent Sébastian dans son compte rendu sur Régimes d’historicité : présentisme et expérience du temps de François Hartog,

chaque société se construit en référence à un ordre du temps pensé comme idéal. Mais au XXème siècle, cet ordre semble être brouillé par des penseurs […] qui ont exploré les brèches du temps, ses discontinuités et ses ruptures. Aujourd’hui le temps semble donc être orienté autour du présent, en particulier avec les notions de mémoire, de patrimoine et de témoignage.

Dans Les tambours de la mémoire et Dans ces bras-là, la mémoire retrace la courbe du temps. Et puisqu’il est question d’évoquer des souvenirs ou des illusions, les narrateurs procèdent par la technique de l’anachronisme. Ainsi, le rapport entre le temps de l’histoire et le temps du discours peut subir une destruction temporelle autrement dit des infidélités liées à l’ordre chronologique des événements. L’anachronisme peut être défini comme le repli ou le retour du temps sur lui-même. Il existe deux types d’anachronie narrative : l’anticipation et la rétrospection.

Soit, la narration est antérieure aux faits relatés: c’est la rétrospection appelée aussi analepse ou flash-back, le narrateur revient sur des événements déjà vécus souvent dans le but d’apporter des éclairages sur le passé d’un personnage. Eu égard à l’assertion du critique africain Makouta-Mboukou « on peut définir l’analepse comme un récit second dans le récit premier» . La narration peut être aussi postérieure aux faits racontés. Dans ce cas, c’est une anticipation appelée aussi prolepse ou cataphore. L’anticipation permet au narrateur d’imaginer des faits qui n’ont pas encore eu lieu. Il y a prolepse à chaque fois que le roman commence par son épilogue.

Les tambours de la mémoire de même que Dans ces bras-là sont deux romans qui s’inscrivent dans cette volonté d’abolition du temps. En outre, le récit est organisé selon un ordre vaguement chronologique et le temps de la narration est interverti à l’insu du lecteur. Cette négation du temps entrave probablement sa lecture. De plus, la lecture d’ensemble observe des ruptures et oblige le lecteur à être attentif au suspens. Le temps est circulaire et revient toujours sur ses traces. La linéarité est niée et reléguée au second plan. Dans ces deux romans, le « temps est par terre » , il agonise. Le passé inonde le présent des personnages et la mémoire joue un rôle non sans importance dans ce mécanisme.

Étudiez le temps chez Boris Diop et chez Camille Laurens, suppose une interrogation sur celui qui est lié aux souvenirs et à la conscience. De prime abord, dans les deux romans, le temps semble subjectif. Si Boris Diop met en évidence des personnages-narrateurs qui tentent de retracer simultanément le vécu de Fadel et de la reine Johanna Simentho à travers des souvenirs réels ou imaginés, Camille Laurens, par contre, par le biais de ses deux narratrices : « je » et « elle », effectue la réminiscence de son vécu personnel. D’abord, dans Les tambours de la mémoire, c’est avec une désarticulation accrue du temps que les narrateurs principaux Ismaïla et Ndella retracent le vécu de leur ami commun, Fadel Sarr, mort dans des circonstances non élucidées à Wissombo. Cependant, le point focal de leur récit semble être la question sur l’existence réelle ou fictive de la reine Johanna Simentho. Cette question mobilise tous les personnages du roman qui tentent de se souvenir de la prétendue reine. Déjà, ce flou originel, c’est-à-dire le doute sur l’existence de Johanna, inscrit le temps dans l’atemporalité. Alors que Dans ces bras-là, la narratrice fait de manière anachronique, le tour des hommes qui ont marqué sa vie. Toutefois son analyse vitale manque de linéarité et de cohérence. Tout au long du récit mémoriel, la narratrice érode le schéma qui retrace sa vie.

Dans le premier roman, le temps se fonde sur une bipolarisation passé et futur avec à chaque fois un retour au temps présent. Chez Boubacar Boris Diop, l’annulation de l’effet de réel s’appuie sur une fausse distanciation temporelle qui attribue à l’écriture un temps erroné. Il faudrait aussi signaler que dès les premières lignes, il y a une incertitude sur l’heure de départ. Ismaïla, le premier narrateur, envahi par l’obscurité de la pièce, jette un regard furtif sur l’horloge et donne une heure que celle-ci ne semble point affichée : « dans la pénombre de la chambre à coucher aux persiennes encore closes, les aiguilles de la petite horloge murale indiquent vaguement qu’il va bientôt être 7h30 » (LTM, 1). Le regard vague que jette Ismaïla sur l’horloge n’est-il pas les prémices d’une volonté de détruire la progressivité du temps ?

Au premier abord, dans Les tambours de la mémoire, les récits sont imbriqués les uns dans les autres, présent et passé se chevauchent. Le temps commence à se perturber dès le récit initial. En évoquant la vie commune de Fadel et de Ndella, le narrateur du moment Ismaïla fait simultanément des prolepses, en anticipant sur la réaction de sa femme quand il va lui annoncer la mort de Fadel : « elle est parfaitement capable de me foudroyer quelques minutes du regard et de grogner quelque chose signifiant à peu près que l’assassinat ou le suicide de Fadel Sarr ce n’était pas du tout son problème » (LTM, 5-6) ; en faisant de brefs retours en arrière dans la vie de couple des deux jeunes gens : « Si vous aviez connu Ndella, il y a une dizaine d’années, je veux dire à l’époque où elle vivait avec Fadel en concubinage…» (LTM, 6) et enfin en actualisant son récit par cette phrase : « chaque fois que je l’observe comme en ce moment-ci… » Dans Les tambours de la mémoire, Boris Diop fait beaucoup référence au passé. Le passé constitue un miroir absolu du présent, il est constamment lié à la vie des personnages. On pourrait même dire qu’ici l’ordre du passé domine. En effet, dans le second récit qui ouvre aussi la seconde partie de ce roman, la réception du colis post mortem de Fadel, permet aux narrateurs de passer en revue les sept années que Fadel Sarr a passées à Wissombo. Autrement dit, le narrateur part des conséquences pour aboutir aux causes puisque la mort de Fadel avait déjà été annoncée dans le premier récit.

Par contre, dans le second ouvrage, Camille Laurens évoque, de manière vaguement chronologique, des épisodes de sa vie: enfance, adolescence, mariage, maternité, divorce et nouvelles rencontres. La typographie du texte prouve qu’il y a une désarticulation du temps. Par exemple, entre deux chapitres, elle parle de sa propre naissance et de son mariage, pour ensuite revenir sur son enfance. Il n’y a pas de suite logique entre les événements. La linéarité du temps est détruite. La narratrice en cure chez un psychiatre raconte selon ses souvenirs et ses humeurs.

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Table des matières

Introduction
Première partie : Rupture et Invention
Chapitre I : Architecture du récit
I-1 Subversion de l’ordre chronologique
I-2 Ambivalence énonciative : polyphonie narrative
Chapitre II : Hybridation du roman contemporain
II-1 Récits entre réalité et fiction
II-2 Récits enchâssés et mise en abyme
II-3 Intertextualité
Deuxième partie : Procédés esthétiques et narratifs
Chapitre III : Discours mémoriel et jeu de langage
III-1 Discours de la mémoire
III-2 Traces de l’oralité et écriture du discours oral
Chapitre IV : Posture de lecteur et métadiscours
IV-1 Lecteur-écrivain
IV-2 Autocommentaires
Conclusion

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