Structure et stabilité des radicaux

 Les radicaux : généralités 

Les radicaux libres sont des espèces chimiques qui possèdent un électron non apparié, ce qui en fait des espèces particulièrement réactives. Leur durée de vie est très courte (temps de demie vie inférieur à 10-3 s). De plus, contrairement aux espèces ioniques qui n’interagissent qu’avec un partenaire de polarité opposée, les radicaux réagissent entre eux, et ce à une vitesse proche de la vitesse de la diffusion (10⁹ -10¹⁰ M-1.s-1) par dismutation ou dimérisation. Les radicaux dits persistants, comme le fameux radical triphénylméthyle1a, sont des radicaux stabilisés qui ne réagissent que lentement sur eux-mêmes.

Structure et stabilité des radicaux

L’orbitale moléculaire la plus haute occupée par l’électron célibataire d’un radical libre est appelée SOMO (Singly Occupied Molecular Orbital). Son interaction avec une orbitale vide (interaction à 1 électron, SOMO-LUMO) ou pleine (interaction à 3 électrons, SOMO-HOMO) est dans les deux cas stabilisante. Les radicaux sont en effet des espèces ambiphiles, pouvant être stabilisées par des substituants électrodonneurs ou électroattracteurs. Les radicaux acquièrent ainsi un caractère électrophile (SOMO basse) ou nucléophile (SOMO haute), selon la nature des substituants.

Lorsque ces deux effets sont corrélés (substituants à la fois donneurs et attracteurs), le radical est particulièrement stabilisé, c’est l’effet capto-datif.

Les radicaux peuvent également être stabilisés par des substituants alkyles (stabilisation par hyperconjugaison).

Réactivité des radicaux 

Selon la théorie des orbitales frontières, deux cas se présentent lors de l’interaction d’un radical avec un substrat :
• Interactions entre la SOMO d’un radical électrophile et la HOMO du substrat,
• Interactions entre la SOMO d’un radical nucléophile et la LUMO du substrat.

La réaction entre un radical et un substrat sera d’autant plus favorable que l’écart énergétique entre les orbitales des partenaires sera faible. Par exemple, une réaction d’addition d’un radical nucléophile sur une oléfine pauvre en électrons sera d’autant plus rapide que la SOMO du radical sera élevée. Expérimentalement, ceci a été vérifié par exemple en comparant les constantes de vitesse de l’addition de divers radicaux alkyles sur le vinyl phosphonate .

L’utilisation de ces effets polaires permet ainsi de mieux rationaliser la chimiosélectivité des réactions radicalaires. Les effets stériques, quant à eux, interviennent essentiellement en ce qui concerne l’encombrement autour du substrat, et non du radical. En effet, ils peuvent influencer l’approche du radical vers le substrat (recouvrement orbitalaire plus ou moins favorable, gêne stérique) et seront ainsi responsables de certaines régiosélectivités ou stéréoséléctivités constatées. L’influence de ces effets stériques a été étudiée expérimentalement en comparant les cinétiques d’addition radicalaire du radical cyclohexyle sur différentes oléfines substituées .

Revenons à présent un peu plus en détails sur l’ensemble des paramètres qui vont intervenir dans une réaction radicalaire, afin de souligner les contraintes cinétiques de ces réactions.

Afin de réaliser un couplage sélectif entre un radical R. et un autre réactif non radicalaire  (une oléfine ou une molécule A-B par exemple), plusieurs facteurs entrent en jeu, dont les cinétiques sont à prendre en compte :
• l’addition du radical R. sur la molécule souhaitée (de vitesse va= ka[R. ][A-B]),
• la recombinaison de deux radicaux (de vitesse vd= kd[R. ]2 ),
• les réactions éventuelles des radicaux de la réaction avec le solvant,
• dans le cas où A=B est une oléfine, le radical formé R-AB. peut ensuite réagir sur une deuxième molécule A=B, d’où les problèmes de polymérisation.

Notons toutefois que certaines observations peuvent conduire à d’utiles simplifications du problème :
• les réactions de dismutation des radicaux entre eux pourront être évitées puisque ces réactions sont du deuxième ordre par rapport à R. , contrairement à la réaction d’addition radicalaire désirée qui est du premier ordre par rapport à R. . Or étant donné que la concentration de R. est maintenue très faible dans le milieu (~10-8 M), l’addition radicalaire sera favorisée en pratique dès lors que ka>100 M-1s-1 (kd~10⁹ M-1s-1).
• Les réactions des radicaux avec le solvant sont fréquentes, parfois assez rapides (ks~10² -10⁴ M -1s -1), mais dans certains cas réversibles. Elles pourront être évitées en choisissant judicieusement le solvant. Ces réactions seront donc négligées pour des réactions d’addition radicalaire relativement rapides : ka>10³ -10⁵ M-1s-1.
• En ce qui concerne les additions sur les molécules A=B (oléfines) et leur éventuelle polymérisation, il faudra s’assurer que l’étape de « terminaison » est plus rapide que l’addition sur une autre molécule A=B, mais plus lente que la première addition. Cela implique que les radicaux R. et R-AB. doivent avoir une réactivité bien distincte vis-à vis de la molécule A=B choisie.

Ces contraintes cinétiques sont à associer à la réactivité des radicaux : les effets polaires et stériques que nous avons étudiés précédemment sont les paramètres qui guident les réactions radicalaires. Illustrons ceci avec l’exemple de la cyclisation 5 exo ou 6-endo du radical 5-hexényle, cyclisation que nous reverrons dans plusieurs chapitres en exposant nos travaux et résultats (Schéma I.6). Ce tableau comparatif des constantes de vitesse relatives des cyclisations 5-exo ou 6-endo montre que la cyclisation 5-exo est largement favorisée par rapport au mode 6-endo. La cyclisation 6-endo aurait pourtant conduit à un radical intermédiaire secondaire plus stabilisé. Cette réaction de cyclisation est donc sous contrôle cinétique. Dans l’état de transition 5-exo, l’angle d’attaque du radical sur l’oléfine, estimé à 109°, permet un bon recouvrement des orbitales frontières du radical (SOMO) et de l’oléfine (HOMO). Par contre, pour l’état de transition 6-endo, l’angle d’approche plus faible (94°) induit un recouvrement moindre des orbitales frontières mises en jeu : cet état de transition est moins favorable .

Beckwith et al. ont mené des études cinétiques montrant que le mode de cylisation exo est souvent dominant. Les constantes de vitesse ci-dessus des cyclisations 5-exo et 6-endo montrent en effet plusieurs points :
• l’encombrement stérique autour du centre du radical ne modifie pas la préférence du mode exo ;
• la présence de substituants en α, β ou γ du radical 5-hexényle augmente considérablement la vitesse de cyclisation et la régiosélectivité (toujours en faveur du mode 5-exo), par effet Thorpe-Ingold ; il en est de même lorsqu’un hétéroatome (azote, oxygène…) est présent sur la chaîne 5-hexényle ;
• par contre, si le centre « attaqué » est encombré (présence d’un substituant en 5), le mode 6- endo commence à être favorisé, puisque la cyclisation 5-exo est très ralentie. Il en est de même pour un radical 5-hexényle ayant un substituant cétone en α du radical, qui ouvre largement l’angle à 120°, « éloignant » l’approche d’une attaque 5-exo et donc favorisant considérablement la cyclisation 6-endo. (5-exo : 6-endo , 3 : 97).

Après ces considérations générales sur les radicaux et leur réactivité, étudions l’un des principaux types de réactions en chimie radicalaire : les réactions radicalaires en chaîne.

Réactions radicalaires en chaîne : exemple de l’étain 

Les réactions radicalaires par propagation de chaîne sont très courantes. Ces réactions se décomposent en trois étapes :
• une étape d’amorçage ou initiation, dans laquelle le radical initial propagateur est formé,
• une étape de propagation au cours de laquelle un nouveau radical est formé par addition du radical amorceur sur un substrat, régénérant à son tour ce même radical, ce qui va propager la chaîne radicalaire,
• une étape de terminaison dans laquelle la combinaison ou la dismutation de radicaux conduit à la disparition des espèces radicalaires dans le milieu.

Ces réactions radicalaires en chaîne sont très fréquentes ; notamment dans le domaine des réactions radicalaires utilisant l’étain. Malgré leur toxicité et les problèmes liés à leur purification, les dérivés stannylés sont très souvent utilisés. Parmi eux, l’hydrure de tributylétain est probablement le réactif le plus populaire en chimie radicalaire . La génération d’un radical RSn. est facilitée par la labilité de la liaison Sn-H. Ce radical stannylé formé possède une forte affinité pour de nombreux hétéroatomes (halogènes…) ou groupes fonctionnels , ce qui permet de former efficacement (la liaison finale formée C-H est beaucoup plus forte que la liaison Sn-H) des radicaux de manière sélective. De plus, l’hydrure de tributylétain est compatible avec bon nombre de groupements fonctionnels.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
CHAP. I : BIBLIOGRAPHIE GENERALE : CHIMIE RADICALAIRE ET CHIMIE DES ISONITRILES
I. Chimie radicalaire
I.1. Les radicaux : généralités
I.1.1. Structure et stabilité des radicaux
I.1.2. Réactivité des radicaux
I.2. Réactions radicalaires en chaîne : exemple de l’étain
I.3. Chimie radicalaire sans étain
II. Les isonitriles
II.1 Historique et synthèse des isonitriles
II.2. Réactivité des isonitriles
II.2.1. Généralités
II.2.2. Isonitriles et radicaux
II.2.3. Isonitriles et chimie organométallique
II.2.4. Acidité en α du groupement isonitrile
II.2.5. Réactions d’α-additions
II.3. Applications aux réactions multicomposant
II.4. Réaction de Ugi et post-condensations
Conclusions
CHAP. II : REACTION DE UGI ET POST-CONDENSATIONS RADICALAIRES PAR TRANSFERT DE XANTHATES
A. Chimie radicalaire par transfert de xanthates : Bibliographie
I. Chimie radicalaire par transfert de xanthates : généralités
I.1. Principe général
I.2. Méthodes de préparation des xanthates
II. Applications synthétiques des xanthates : additions intermoléculaires et cyclisations radicalaires
II.1. Réactions radicalaires par transfert de xanthate
II.2. Réactions de cyclisations radicalaires sur des aromatiques
III. Conversion du groupement xanthate
Conclusions
B. Cyclisations radicalaires par transfert de xanthates
I. Synthèse des précurseurs Ugi-xanthates : Présentation
II. Résultats expérimentaux : Vers la formation de cycles de taille « moyenne »
II.1. Synthèse des précurseurs et cyclisation radicalaire
II.2. Essais diastéréosélectifs
III. Résultats expérimentaux :
Vers la formation de cycles de taille « plus grande »
Conclusion
IV. Précurseur de Ugi contenant une triple liaison : Couplage radicalaire ?
IV.1. Position du problème
IV.2. Essais de cyclisations radicalaires
IV.2.1. Cyclisations radicalaires sur des adduits de Ugi
IV.2.2. Cyclisations radicalaires sur des précurseurs « modèles »
IV.3. Essais de fonctionnalisation des 4-méthylène-pyrrolidin-2-ones
IV.4. Essais d’additions radicalaires intermoléculaires
Conclusions
CHAP. III : REACTION DE UGI ET POST-CONDENSATIONS RADICALAIRES A PARTIR D’HYDRAZONES ET D’ETHERS D’OXIMES
A. Thiophénol et additions radicalaires sur une double liaison C=N : bibliographie
I. Additions radicalaires sur la double liaison C=N
II. Chimie radicalaire utilisant le radical sulfanyle
B. Réactions d’addition-cyclisation à base de thiophénol sur des adduits de Ugi contenant une double liaison C=N : résultats expérimentaux
I. Introduction aux cyclisations radicalaires sur des hydrazones et des éthers d’oximes
II. Synthèse des précurseurs
II.1. Couplage de Ugi et Ugi-Smiles
II.2. Synthèse des composés « acides » de la réaction Multicomposant
II.3. Synthèse des précurseurs de Ugi : résultats expérimentaux
III. Réactions d’addition-cyclisation radicalaire via le thiophénol
C. Autres essais radicalaires sur les adduits de Ugi contenant une hydrazone
I. Réactions radicalaires avec les xanthates
II. Réactions radicalaires via le radical p-toluène sulfonyle
III. Essais de couplages intermoléculaires avec le Mn(III)
Conclusions
CHAP. IV : REACTION DE UGI ET OXYDATIONS RADICALAIRES AVEC DU MN(III)
A. Chimie radicalaire par oxydo-réduction par le Manganèse (III) : Bibliographie
I. Oxydation radicalaire par le manganèse (III) : Présentation et Réactivité
II. Introduction du cuivre (II) dans les oxydations radicalaires par le manganèse (III)
III. Exemples synthétiques
III.1. Cyclisations radicalaires oxydantes induites par du manganèse (III)
III.2. Réactions radicalaires intermoléculaires induites par du manganèse (III)
Conclusion
B. Chimie radicalaire par oxydo-réduction par le Manganèse (III) : Résultats expérimentaux
I. Réactions radicalaires intramoléculaires induites par du Mn(III) sur des substrats de Ugi
I.1. Essais de cyclisation radicalaire à partir de l’aldéhyde malonique comme composé de départ de la réaction de Ugi
I.2. Essais de cyclisation radicalaire à partir d’acides maloniques comme composés de départ de la réaction de Ugi
Conclusion
II. Réactions radicalaires intermoléculaires induites par du Mn(III) sur des substrats de Ugi
II.1. Premier essai d’addition radicalaire intermoléculaire induite par le manganèse
(III) sur des substrats de Ugi
II.2. Considérations mécanistiques
II.3. Résultats expérimentaux
II.4. Synthèse d’indanes et de systèmes analogues par voie radicalaire (littérature)
Conclusions et perspectives
CONCLUSION GENERALE

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