Les milieux lagunaires apparaissent depuis la plus haute antiquité comme des sites d’une importance économique. Cette réputation s’appuie sur l’exploitation des ressources aussi bien minérales que biologiques. Déjà, les Phéniciens utilisaient certains sites lagunaires pour la fabrication du sel, marchandise de grande valeur commerciale dans l’antiquité. Le domaine lagunaire occupe une place essentielle dans la pêche artisanale côtière, pratiquée depuis les temps les plus anciens. Cette activité a permis l’émergence de techniques adaptées et spécifiques aux lagunes comme en témoigne les pêcheries fixe (bordigues) installées sur le pourtour de la Méditerranée.
D’autre part, les lagunes côtières occupent jusqu’à 13% du linéaire côtier mondial et sont présentes sur une large aire de répartition allant des tropiques aux pôles (Lasserre et Postma, 1982). L’importance économique de ces milieux n’a fait que s’accroître au cours du temps. La diversification des activités, la mise en exploitation de sites, de plus en plus nombreux, l’intérêt commercial pour de nouvelles espèces, l’amélioration des techniques assurent notamment le passage de la cueillette à l’élevage, fait de ces milieux des gisements encore riches de ressources exploitables à l’heure actuelle.
Les caractéristiques des lagunes sont très variables tant au niveau de leur morphologie (taille, forme, profondeur) que du climat (situation géographique), du bassin versant (conditionnant les apports d’eau douce) ou encore de l’ouverture sur la mer ou l’océan (conditionnant les apports d’eau marine). Malgré ces différences, certaines similitudes existent et ces écosystèmes sont classés parmi les plus productifs de la biosphère, généralement caractérisés par une forte production primaire qui peut atteindre 200 à 400 gC.m-2.an-1 (Nixon, 1982). Cette richesse a entraîné le développement d’importantes activités anthropiques directement sur les lagunes (pêche artisanale, aquaculture, etc.) auxquelles s’ajoutent des activités développées sur le bassin versant impliquant des incidences sur l’écosystème lagunaire (urbanisation, tourisme, agriculture, industrie). La multitude de ces activités rend ces milieux particulièrement fragiles et leur développement durable nécessite une gestion intégrée (Vallejo, 1982).
La place des milieux lagunaires à l’interface continent-mer, leur confère des caractéristiques physico-chimiques et biologiques originales, graduellement changeantes d’une extrémité à l’autre. Cette production biologique est largement soutenue par les apports continentaux enrichissant. Les lagunes sont ainsi le siège d’une forte production biologique, et constituent des aires de nurseries et d’alimentation pour plusieurs espèces autochtones et immigrantes des côtes contiguës. En plus de leurs potentialités halieutiques et aquacoles, ces écosystèmes sont soumis à des fluctuations et des perturbations naturelles et anthropiques.
SYNTHESE SUR LES ECOSYSTEMES LAGUNAIRES
Le monde des eaux peut être partagé en deux grands domaines : Le domaine continental où circulent les eaux dites ‘’douces’’ et dans lequel les phénomènes de dissolution et d’érosion jouent un rôle prépondérant. Le domaine maritime occupé par un énorme volume d’eaux fortement salées, où dominent les phénomènes de concentration et d’accumulation. La frontière entre ces deux domaines est la ligne de rivage, espace unidimensionnel à l’échelle du monde, peut parfois s’étaler et devenir localement une surface. Il apparaît alors un domaine intermédiaire original qui n’est pas simplement la somme ou la différence des deux autres ; c’est le domaine lagunaire (Boutière, 1979-80). Le caractère fondamental du domaine lagunaire est son instabilité. Instabilité dans le temps d’abord car le devenir normal d’une lagune est son comblement, à la fois pour des raisons physiques et pour des raisons biologiques. En effet, elle piège une bonne partie des sédiments venant de l’extérieur, et renferme des matériaux organiques qui ne s’évacuent pas. Instabilité de ses caractères physiques, chimiques et biologiques, s’exprimant par des fluctuations et des écarts qui n’ont de signification biologique qu’en fonction de la durée de vie des organismes concernés. L’objectif de ce chapitre est, la connaissance de ces milieux particuliers que sont les lagunes côtières, et la définition des points importants de leur classification.
Définitions et classification
Le domaine lagunaire est défini comme le résultat d’un étalement local de la ligne de rivage. Comparativement au milieu marin, la nappe lagunaire possède une inertie extrêmement faible où toutes les caractéristiques physiques et biologiques de ce domaine découlent de cette constatation essentielle. Le terme saumâtre est d’origine latine « Salmadisus », qui signifie d’un goût proche de l’eau de mer. D’après Dussard (1966), le milieu saumâtre est caractérisé par des eaux poïkilohalines avec une salinité entre 0,5 g.l-1 (eaux oligohalines) et plus de 46 g.l-1 (eaux hyperhalines). Kienner (1978) établit une classification des milieux saumâtres et range au sein desquels toutes les lagunes, qui par définition, correspondent aux plans d’eaux littoraux dont les eaux sont partiellement salées en raison de l’influence des marées. D’autre part, Redeke (in Kienner, 1978) simplifie cette définition et considère ce type de milieu, comme étant un mélange d’eaux marines et douces, d’où l’euryhalinité des biocénoses colonisant ce biotope. Dans le domaine marin, les espèces sont plutôt sténohalines car elles évoluent dans des conditions de salinité relativement stables.
La classification des milieux saumâtres est essentiellement basée sur le degré halin, celui-ci semble être le facteur déterminant pour ces milieux. En effet . plusieurs auteurs parmi eux Remane (1940), Petit (1954) et Kienner (1978), ont tenté de classer ces milieux en se basant sur le critère ‘’variations halines’’. Une autre classification s’appuyant sur la comparaison des biocénoses des divers milieux saumâtres s’est avérée pratique à plus d’un titre (Remane et Schliepper, 1958, 1971; Guelorget et al., 1983a). Petit (1954) et Kienner (1978), ont dressé une classification spécifique aux lagunes méditerranéennes, en se basant sur les limites extrêmes de la salinité.
Les différentes classifications sus-citées se basant toutes sur le degré halin, ne sont en fait que le fruit d’un travail localisé d’où leur limite régionale ; les différentes fluctuations des limites extrêmes de la salinité des différentes zones sont en réalité subordonnées à la latitude. Un travail de synthèse regroupant des études de planctonologie, de benthologie et de chimie pourra dans une certaine mesure aboutir à une classification plus exhaustive. Le système proposé au cours du symposium qui s’est tenu à Venise en 1958 sur la classification des eaux en fonction de leur degré halin, définit une série d’eaux types, caractérisées par une salinité moyenne allant de 0,5 g.l-1 pour les eaux limniques à plus de 40 g.l-1 pour les eaux hyperhalines ou sursalées. Une classification faisant le consensus de la majorité des auteurs méditerranéen (fig. I.1) et assez similaire à celle du Système de Venise (1958), a été proposée par Pora et Bacescu (1977). Différentes catégories d’eaux sont définies dans cette classification. On appelle une eau mixo-oligohaline une eau dont la salinité est comprise entre 0,5 et 5 g.l-1, limite maximale de salinité totale pour une eau douce. Les eaux ayant une salinité allant de 5 à 18 g.l-1 sont des eaux mixo mésohalines ; au-dessus ce sont des eaux mixo-polyhalines, jusqu’à une isohalinité de 30 g.l-1. De 30 à 40 g.l-1 les eaux marines sont dites euhalines. Au-dessus de 40 g.l-1, les eaux sont qualifiées d’hyperhalines, telles sont les eaux de surface de certaines parties de la mer Rouge qui peuvent atteindre 45-46 g.l-1, des marais salants, des flaques lagunaires isolées pendant la saison chaude ainsi que certaines flaques supralittorales.
Cependant et comme l’avait déjà signalé Sacchi et Testard (1971), il est extrêmement rare que toute la lagune ou tout un estuaire, puissent entrer dans une seule catégorie ; variant à la fois dans le temps, en liaison avec les saisons ou le stade évolutif, et dans l’espace, dans toute l’étendue de leurs eaux.
D’autre part, Guelorget et Perthuisot (1983), qualifie de paralique tous les milieux aquatiques en contact avec la mer, mais distincts des domaines continental et marin, surtout par leur organisation biologique, hydrologique et sédimentologique. Les travaux de Guelorget et al. (1981), Ibrahim et al. (1982), Guelorget et al. (1982), Guelorget et al. (1983 a), Elsayed et al. (1985), Frisoni et Guelorget (1986), Guelorget et al. (1989), ont montré que l’organisation biologique dans ce domaine dépend plutôt d’un autre paramètre complexe : le confinement. Ce dernier correspond au temps de renouvellement des éléments vitaux (éléments nutritifs, oligo-éléments, vitamines, etc.) venant de la mer en un point donné de la lagune. Autrement dit, au cours de leur trajet vers le domaine lagunaire, ces éléments subissent des piégeages chimiques et biologiques, et les peuplements s’organisent selon la raréfaction de ces éléments. Selon cette école du domaine paralique, la salinité se trouve elle-même commandée par le confinement. Il s’établit ainsi des gradients biologiques et chimiques superposés au gradient de confinement. Les auteurs précisent que la salinité n’est pas le facteur écologique directeur des milieux lagunaires : la distribution des espèces et leurs gradients quantitatifs (densités, biomasses) dépendent du confinement, c’est-à-dire le temps de renouvellement des éléments d’origine marine, en un point considéré d’un bassin. Ils ont défini (à partir de la répartition de la macrofaune invertébrée et du phytoplancton), une échelle de confinement pour les zones proches de la mer ou ‘’proche paralique’’. Ces écosystèmes comportent six zones de confinement (de I à VI) (fig. I.2), et chaque zone est définie par sa composition en macroflore et en macrofaune benthique qui lui correspond.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : MILIEUX LAGUNAIRES
CHAPITRE I : SYNTHESE SUR LES ECOSYSTEMES LAGUNAIRES
1. Introduction
2. Définitions et classification
3. Particularités physiologiques et productivité des eaux saumâtres
CHAPITRE II : PRESENTATION DE LA LAGUNE MELLAH
1. Situation géographique
2. Morphométrie
3. Conditions météorologiques
3. 1. Température de l’air
3. 2. Précipitations et évaporation
3. 3. Régime des vents
4. Hydrodynamisme
4. 1. Bassin versant
4. 2. Marées et courants
5. Nature du fond
6. Aménagement et exploitation
7. Conclusions
DEUXIEME PARTIE : SYSTEME PELAGIQUE
CHAPITRE I : ENVIRONNEMENT PHYSICO-CHIMIQUE
1. Introduction
2. Matériel et méthodes
2.1. Choix des stations
2.2. Méthodes de prélèvements et d’analyses
2.2.1. Température et salinité
2.2.2. Oxygène dissous, pH et transparence des eaux
2.2.3. Sels nutritifs
2.2.4. Dosage de la chlorophylle a et des phéopigments
2.2.5. Matière en suspension (M.E.S)
2.2.6. Carbone organique particulaire (C.O.P)
3. Résultats
3.1. Caractères hydrologiques
3.1.1. Température
3.1.2. Salinité
3.1.3. pH
3.1.4. Oxygène dissous
3.1.5. Transparence des eaux
3.2. Sels nutritifs
3.2.1. Azote ammoniacal (N-NH4+)
3.2.2. Nitrates (NO3-).
3.2.4. Phosphates (PO4 3-)
3.3. Matières organiques
3.3.1. Chlorophylle a et phéopigments
3.3.2. Matières en suspension et carbone organique particulaire
4. Fonctionnement hydrologique de la lagune
5. Discussion et conclusions
CHAPITRE II : PHYTOPLANCTON
1. Introduction
2. Matériel et méthodes
2.1. Choix des stations
2.2. Echantillonnage et analyse du phytoplancton
3. Conditions physico-chimiques
3.1. Température et salinité
3.2. pH et transparence des eaux
4. Peuplements phytoplanctoniques
4.1. Composition et distribution taxonomique
4.2. Distribution spatio-temporelle
4.3. Structure des peuplements
5. Echanges des peuplements phytoplanctoniques avec le littoral adjacent
6. Discussion et conclusions
CHAPITRE III : ZOOPLANCTON
1. Introduction
2. Matériel et méthodes
3. Composition taxonomique
4. Abondance des peuplements zooplanctoniques
4.1 Composants holoplanctoniques
4.2. Composants méroplanctoniques
4.3. Nectobenthos
5. Echanges des peuplements zooplanctoniques avec le littoral adjacent
6. Discussion et conclusions
TROISIEME PARTIE : SYSTEME BENTHIQUE
CHAPITRE I : SEDIMENTS
1. Introduction
2. Matériel et méthodes
2.1. Choix des stations et prélèvement
2.2. Analyses sédimentaires
2. 2. 1. Evaluation des pélites
2. 2. 2. Analyse granulométrique
2. 2. 3. Autres analyses sédimentaires
3. Expression des résultats
3. 1. Histogrammes de fréquence
3. 2. Courbes cumulatives semi-logarithmiques
3. 3. Indices granulométriques
3. 4. Triangle de Folk
4. Résultats
4.1. Caractéristiques granulométriques
4.1.1. Teneurs en pélites
4.1.2. Granulométrie
4.2. Cartographie sédimentaire
4.3. Matière organique sédimentaire (M.O.S)
4.4. Teneur en carbonates totaux
5. Discussion et conclusions
CHAPITRE II : MACROFAUNE BENTHIQUE
1. Introduction
2. Matériel et méthodes
2.1. Choix des stations
2.2. Echantillonnage
2.3. Traitement des échantillons
2.4. Expression des résultats
2.4.1. Caractéristiques analytiques
2.4.2. Indices biocénotiques
2.4.3.Autres analyses
3. Description des peuplements macrobenthiques
3.1. Description générale
3.2. Organisation trophique
3.3. Variations temporelles de la composition spécifique
4. Structure et organisation de la macrofaune benthique
CONCLUSION GENERALE