Les composites ร matrices cรฉramiques (CMC)
Les applications aรฉrospatiales demandent des matรฉriaux aux propriรฉtรฉs mรฉcaniques รฉlevรฉes, rรฉsistants ร lโoxydation et stables en tempรฉrature. Les matรฉriaux cรฉramiques possรจdent des propriรฉtรฉs intรฉressantes dans ce sens : une rรฉsistance mรฉcanique et une rigiditรฉ รฉlevรฉes, une faible densitรฉ et des tempรฉratures de fusion ou de dรฉgradation trรจs รฉlevรฉes. Cependant, les cรฉramiques sont fragiles et peu tenaces. Cโest notamment pour surmonter ces inconvรฉnients majeurs que les Composites ร Matrice Cรฉramique (CMC) ont รฉtรฉ dรฉveloppรฉs. Cette synthรจse se concentrera sur les matรฉriaux renforcรฉs par des fibres longues.
Structure et constituants des CMC
Les CMC ont รฉtรฉ introduits dans le but dโamรฉliorer la tรฉnacitรฉ et la tolรฉrance ร lโendommagement des cรฉramiques. Pour รฉviter la ruine catastrophique du matรฉriau, la gestion de lโinterface entre fibres et matrice est essentielle. En effet, le chargement doit รชtre rรฉparti le plus uniformรฉment possible dans les fibres par le biais de contraintes de cisaillement interfaciales. Cependant, cette interface ne doit pas รชtre trop rรฉsistante pour permettre la dรฉcohรฉsion. F. W. Zok et C. G. Levi [5] dรฉcrivent les deux classes les plus communes : les composites ร interphase faibleย et les composites ร matrice faible . La premiรจre, la plus courante, est basรฉe sur lโajout dโune interphase mรฉcaniquement faible entre fibres et matrice. Il sโagit gรฉnรฉralement de carbone ou de nitrure de bore (BN), dont lโarrangement atomique selon des plans reliรฉs entre eux par des liaisons de Van Der Waals les rend facilement clivables. La faible rรฉsistance et la microstructure lamellaire de ce constituant en fait un site privilรฉgiรฉ pour favoriser la bifurcation des fissures amorcรฉes dans la matrice dense. Quand ce type de composite est utilisรฉ en atmosphรจre oxydante, lโajout dโune barriรจre environnementale est gรฉnรฉralement nรฉcessaire pour protรฉger lโinterphase. Dans le cas dโapplications oรน les fibres nโont pas besoin dโรชtre protรฉgรฉes de lโenvironnement extรฉrieur, un autre concept a รฉtรฉ plus rรฉcemment envisagรฉ : les composites ร matrice faible. Lโintroduction dโune porositรฉ dans la matrice diminue lโรฉnergie de propagation des fissures dans celle-ci relativement aux fibres. Cette structure favorise รฉgalement la dรฉviation des fissures aux interfaces fibre/matrice. Comparรฉs ร la premiรจre famille, ces composites possรจdent lโavantage de ne pas nรฉcessiter dโinterphase mais sont en gรฉnรฉral moins rรฉfractaires. Si quelques รฉtudes ont รฉtรฉ conduites sur lโajout dโune barriรจre thermique et environnementale pour augmenter les tempรฉratures dโutilisation du matรฉriau [6], lโutilisation des composites oxyde/oxyde est rรฉservรฉe ร des tempรฉratures plus basse mais pour un coรปt dโรฉlaboration plus bas que les nonoxydes.
Plus rarement rencontrรฉe dans la littรฉrature, une derniรจre mรฉthode consiste ร dรฉposer une interphase sur les fibres, puis ร lโรฉliminer par un traitement thermique: cโest le principe de lโinterphase fugitive. Quelle que soit la structure, une dissipation dโรฉnergie par frottement est toujours recherchรฉe ร travers lโextraction des fibres.
Les principaux composites ร matrice cรฉramique (CMC) ร interphase faible sont basรฉs sur des couples fibres de carbone/matrice carbone (Cf/C) et fibres de carbone/matrice carbure de silicium (Cf/SiC). Ces matรฉriaux sont dโores et dรฉjร utilisรฉs dans le domaine aรฉronautique. Dรจs les annรฉes 1960, les composites Cf/C ont รฉtรฉ utilisรฉs comme protection thermique sur la navette spatiale amรฉricaine, disques de freins dโavions (F-15, Concordeโฆ), ainsi que pour des applications militaires. Les avantages de ces matรฉriaux rรฉsident dans leur rรฉsistance aux hautes tempรฉratures et aux chocs thermiques, leur faible densitรฉ et dโune certaine tolรฉrance au dommage. En atmosphรจre oxydante, leur tenue en tempรฉrature est toutefois limitรฉe par leur sensibilitรฉ ร lโoxydation, dรจs que la tempรฉrature excรจde 400 ยฐC. Les applications envisagรฉes se sont donc concentrรฉes sur le secteur du spatial et les environnements non oxydants (fours fonctionnant sous atmosphรจre inerte, par exemple).
Une des solutions dรฉveloppรฉes pour outrepasser cette limite des composites Cf/C consiste ร substituer partiellement ou totalement le carbone constituant la matrice par du carbure de silicium (SiC). Vers la fin des annรฉes 1970, ces composites ont รฉtรฉ dรฉveloppรฉs pour des applications aรฉronautiques telles que des pointes avant de lanceurs rรฉutilisables ou des bords dโattaque dโailes dโavions. Une seconde amรฉlioration consiste ร remplacer les fibres de C par des fibres de SiC, lโaboutissement รฉtant lโรฉlaboration de composites composรฉs dโune matrice de carbure de silicium renforcรฉe par des fibres de carbure de silicium (SiCf/SiC). Lโutilisation de tels composites a รฉtรฉ envisagรฉe pour des bords dโattaque ou des zones trรจs chaudes dโaรฉronefs. Pour des applications ร des tempรฉratures trรจs รฉlevรฉes et en environnement oxydant, des matรฉriaux ultrarรฉfractaires sont aujourdโhui รฉtudiรฉs pour rรฉaliser la matrice, notamment les carbures et borures de Zirconium et dโHafnium (HfC, ZrC, HfB2 et ZrB2 ). Ces cรฉramiques ont de trรจs bonnes propriรฉtรฉs mรฉcaniques, des points de fusion trรจs รฉlevรฉs (supรฉrieurs ร 3000 ยฐC) et ont lโavantage de former des oxydes parmi les plus rรฉfractaires connus.
Enfin, pour une gamme de tempรฉratures plus modรฉrรฉe, nรฉanmoins supรฉrieure ร celles de la plupart des alliages mรฉtalliques, les composites oxyde/oxyde (principalement composรฉs de silice et/ou dโalumine) semblent trouver leur place. Les fibres oxydes ne requiรจrent pas de protection contre lโoxydation. Lโรฉlaboration de ces composites repose donc principalement sur le principe des matrices poreuses.
Quelques interphases ont tout de mรชme รฉtรฉ dรฉveloppรฉes : oxydes de zirconium, dโhafnium, de titane ou dโรฉtain (ZrO2 , HfO2 , TiO2 , et SnO2 ), ainsi que des oxydes mixtes de type barite (BaSO4 ), monazite (LaPO4 ) et pรฉrovskite (CaTiO3 ) [8]. Cependant, leur introduction complique la production du matรฉriau et en augmente le coรปt, pour un apport sur les propriรฉtรฉs mรฉcaniques limitรฉ. Ces composites oxyde/oxyde sont de plus en plus รฉtudiรฉs en raison de leurs propriรฉtรฉs ร des tempรฉratures intermรฉdiaires (700-1000 ยฐC) intรฉressantes et de leur coรปt plus faible que celui des composites SiC/SiC. Ce type de matรฉriau a fait lโobjet de notre travail. Le comportement mรฉcanique des fibres, ainsi que celui des composites, seront dรฉtaillรฉs dans la suite en fonction de la tempรฉrature et pour diffรฉrentes atmosphรจres.
Les fibres oxydes
Des cรฉramiques techniques, lโalumine est lโune des plus intรฉressantes pour des applications mรฉcaniques en tempรฉrature, en raison de ses propriรฉtรฉs spรฉcifiques. En effet, sa contrainte ร rupture et son module dโYoung sont รฉlevรฉs pour une faible masse volumique. Lโinertie chimique des fibres constituรฉes essentiellement dโalumine et la conservation des propriรฉtรฉs entre la tempรฉrature ambiante jusquโร des tempรฉratures de lโordre de 1000 ยฐC font dโelles de bonnes candidates pour des applications en tempรฉrature dans des atmosphรจres oxydantes. Les fibres oxydes dรฉveloppรฉes actuellement sont principalement constituรฉes dโalumine ou dโalumine/silice.
Le dรฉveloppement des fibres oxydes date du dรฉbut des annรฉes 1970 [9]. Parmi les fibres les plus รฉtudiรฉes, la gamme NextelTM, de la sociรฉtรฉ 3M et notamment les fibres NextelTM 610 (N610) et NextelTM 720 (N720) sont majoritaires. Peu dโautres fournisseurs proposent des fibres oxydes matures. Les fibres ALF B2 et ALF D3 de la sociรฉtรฉ Nitivy, qui ont des compositions proches des fibres N610 et N720 respectivement, ainsi que les fibres Altex, reprรฉsentent les seules alternatives commerciales.
Les fibres N610 sont รฉlaborรฉes par un procรฉdรฉ sol-gel dรฉcrit dans le brevet EP0 294 208 [10]. Un polymรจre contenant des sels de fer est ajoutรฉ au prรฉcurseur dโalumine. Lโajout du fer permet la formation dโune structure dโalumine alpha dense aprรจs frittage ร 1300 ยฐC pendant 5 minutes (contre plus de 1500 ยฐC sans additif), tout en conservant une microstructure fine (diamรจtre moyen des grains de 0,22 ยตm pouvant atteindre jusquโร 0,5 ยตm pour les plus gros). La microstructure de la fibre, observรฉe au Microscope รlectronique en Transmission (MET) . Lโajout de silice permet de rรฉduire de maniรจre significative la taille des grains. Avec un taux de silice compris entre 0,5 et 2% en masse, la taille des grains diminue ร 0,15 ยตm en moyenne, pour un maximum de 0,25 ยตm. Aprรจs mรฉlange, la solution est concentrรฉe avant que les fibres soient extrudรฉes et calcinรฉes. Dans ces conditions, la transition de phase ? โ ? se dรฉroule entre 900 et 1025 ยฐC, un court traitement thermique ร 1300 ยฐC permettant enfin dโobtenir une fibre dense.
Les fibres N610 sont composรฉes ร 99% dโalumine alphaย qui est responsable de leur module dโYoung et de leur contrainte ร rupture รฉlevรฉs (373 GPa et 3,63 GPa). La densitรฉ (3,9 g.cm-3 ) et le module dโYoung des fibres sont plus faibles que ceux de lโalumine frittรฉe dense (3,98 g.cm-3 et 400 GPa) en raison de la prรฉsence dโune faible porositรฉ et dโautres espรจces telles que la silice et lโoxyde de fer (Fe2O3). Ces diffรฉrences ne semblent pas impacter le coefficient de dilatation thermique qui est proche de celui de lโalumine monolithique entre 25 et 1000 ยฐC. A 1000 ยฐC, D.M. Wilson [12] a notรฉ une baisse de 70% de la contrainte ร rupture en traction. Il a proposรฉ un critรจre arbitraire permettant de dรฉfinir une tempรฉrature maximale dโutilisation comme รฉtant la tempรฉrature de fluage sous air impliquant 1% de dรฉformation aprรจs 1000 h sous une contrainte de 69 MPa. Cette tempรฉrature est de 1000 ยฐC pour la fibre N610.
Le critรจre appliquรฉ aux fibres N610 permet ร D. M. Wilson [12] de dรฉmontrer que les fibres N720 sont plus rรฉsistantes au fluage en calculant une tempรฉrature limite dโutilisation de 1150 ยฐC, soit 150 ยฐC de plus que celle des fibres N610. Ces fibres prรฉsentent une masse volumique et un coefficient de dilatation lรฉgรจrement infรฉrieurs .
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Table des matiรจres
Introduction gรฉnรฉrale
Chapitre 1 : รtat de lโart
1.1 Les composites ร matrices cรฉramiques (CMC)
1.1.1 Structure et constituants des CMC
1.1.2 Les fibres oxydes
1.1.3 Composites oxyde/oxyde commerciaux ร fibres N610
1.2 Endommagement des composites oxyde/oxyde
1.2.1 Propriรฉtรฉs ร tempรฉrature ambiante
1.2.2 Comportement mรฉcanique des composites oxyde/oxyde
1.2.3 Caractรฉrisation de lโendommagement
1.2.4 Modรฉlisation de lโendommagement
1.2.4.1 Modรจles dโendommagement utilisรฉs pour les composites
1.2.4.2 La famille des modรจles ODM
1.3 Gรฉnรฉralitรฉs sur le fluage
1.4 Effet de la tempรฉrature sur la microstructure et le comportement fibres N610
1.4.1 Vieillissement thermique des fibres N610
1.4.2 Fluage des fibres
1.4.3 Effet de lโatmosphรจre sur le fluage des fibres
1.4.4 Comparaison de la N610 ร des fibres plus stables en tempรฉrature
1.5 Effet de la tempรฉrature sur le comportement mรฉcanique des composites ร fibres N610
1.5.1 Comportement sous sollicitations monotones
1.5.2 Comportement en fluage des composites
1.6 Modรฉlisation du fluage des CMC
1.7 Rรฉsumรฉ
Chapitre 2 : Matรฉriel et mรฉthodes
2.1 รlaboration du composite oxyde/oxyde
2.1.1 Procรฉdรฉ dโรฉlaboration
2.1.2 Mesure de la porositรฉ
2.2 Contrรดles non destructifs (CND) des plaques รฉlaborรฉes
2.2.1 Techniques de contrรดle par thermographie infrarouge
2.2.2 Techniques de contrรดle par ultrasons
2.2.3 Contrรดle des plaques
2.3 Mise en ลuvre des essais
2.3.1 Essais de traction en tempรฉrature
2.3.2 Essais de flexion 4 points
2.3.3 Essais de compression
2.4 Essais micromรฉcaniques sous MEB
2.5 Mesure de dilatation thermique
Chapitre 3 : รtude expรฉrimentale du comportement รฉlastique-endommageable
3.1 Introduction
3.2 Propriรฉtรฉs รฉlastiques et ร rupture ร tempรฉrature ambiante
3.2.1 Comportement en traction
3.2.2 Comportement en flexion 4 points
3.3 Endommagement ร tempรฉrature ambiante
3.3.1 Enregistrement de lโรฉmission acoustique en cours dโessai
3.3.2 Observation de lโendommagement
3.4 Effet de la tempรฉrature sur la microstructure et les propriรฉtรฉs du matรฉriau
3.4.1 Effet de la tempรฉrature sur le matรฉriau
3.4.2 Effet de la tempรฉrature sur le comportement
3.4.3 Comportement sous sollicitations monotones au-dessus de 1100 ยฐC
3.4.4 Dรฉpendance du module dโYoung ร la tempรฉrature
3.5 Analyse statistique de la rupture en flexion 4 points
3.5.1 Rappels sur la statistique de Weibull
3.5.2 Estimation de la loi de Weibull et fiabilitรฉ des paramรจtres
3.5.3 Fiabilitรฉ de lโestimation des paramรจtres
3.5.4 Effet de la tempรฉrature
3.6 Rรฉsumรฉ et perspectives
Chapitre 4 : Modรฉlisation du comportement thermomรฉcanique des composites oxyde/oxyde
4.1 Introduction
4.2 Simplification de la loi autorisรฉe par le comportement observรฉ
4.3 Description du modรจle en condition uniaxiale
4.3.1 Expression de la loi de comportement
4.3.2 Implรฉmentation de la loi de comportement
4.3.3 Introduction de lโeffet de la tempรฉrature
4.3.3.1 Dilatation thermique
4.3.3.2 Dรฉpendance des propriรฉtรฉs ร la tempรฉrature
4.3.4 Influence des paramรจtres sur le comportement simulรฉ
4.4 Identification et validation de la loi de comportement
4.4.1 Identification uniaxiale
4.4.2 Validation de la loi en flexion 4 points
4.5 Loi de comportement en contraintes planes
4.5.1 รcriture de la loi
4.5.2 Identification du comportement dans le plan
4.6 Dรฉveloppement dโune thรฉorie non linรฉaire des stratifiรฉs
4.6.1 La CLT en รฉlasticitรฉ
4.6.2 Introduction de la thermoรฉlasticitรฉ dans la CLT
4.6.3 Dรฉveloppement dโune CLT non linรฉaire
4.6.4 Implรฉmentation de la CLT non linรฉaire
4.6.4.1 Calcul des efforts
4.6.4.2 Dรฉfinition de la stratรฉgie de rรฉsolution
4.7 Applications de la CLT
4.7.1 รtude de stratifications complexes
4.7.2 รtude du comportement en flexion par la CLT
4.8 Rรฉsumรฉ et perspectives
Chapitre 5 : Etude expรฉrimentale et numรฉrique du fluage
Conclusion gรฉnรฉrale