σμήχω « smêchô » ou frotter, nettoyer est l’origine grecque du mot smectite. Par déformation, le mot s’est ensuite transformé en σμηκτις Γῆ « smêktis Gễ», la terre qui nettoie. Les grecs avaient cerné certaines propriétés de ce matériau et s’en servaient déjà pour dégraisser leurs étoffes (Morin 1809). Trois mille ans plus tard, les problématiques auxquelles ces minéraux contribuent à répondre sont beaucoup plus vastes. L’étude des argiles trouve son origine au XIXème siècle (Velde and Meunier 2008). A cette époque, toute fraction minérale présentant une taille inférieure à 2µm, et dont l’identification était impossible au microscope optique, avait l’appellation « argile ». On y retrouvait entre autres des silicates, des carbonates et des oxydes. Ce n’est qu’au milieu des années trente que l’apparition de la science consacrée aux minéraux argileux ou « argilologie » a connu un réel essor (Bergaya 2013). Au cours de ces années, l’argile prend le sens de « minéral lamellaire de la famille des phyllosilicates ». Dès lors, de nombreux champs d’étude se sont focalisés sur la compréhension de ces espèces. Les différentes terminologies et distinctions du terme « argile » sont ainsi héritées des études effectuées par des minéralogistes, céramistes, chimistes, physiciens, biologistes… Dans cette thèse, nous entendrons par « argile » l’ensemble des minéraux appartenant au groupe des phyllosilicates aussi appelés minéraux argileux et ce, quelle que soit leur taille. Cette vaste famille de minéraux s’étend du talc au mica en passant par les chlorites. Les smectites s’incluent également dans cette famille, où elles représentent un sous-groupe entier. On les définit comme des minéraux lamellaires constitués de deux couches de tétraèdres (Si, Al) enfermant une couche octaédrique (Mg, Al, Li etc.). Les smectites sont caractérisées par leur petite taille entrainant d’importantes surfaces spécifiques, leur abondance, leur porosité ainsi que leurs propriétés de charges. Les substitutions isomorphiques au sein de la couche tétraédrique et/ou octaédrique entrainent un déficit permanent de charge de l’édifice cristallin. Par définition, les smectites présentent la capacité de pouvoir échanger molécules d’eau et cations avec leur milieu. Cette dernière est estimée par la capacité d’échange cationique ou CEC, exprimée en milliéquivalent par gramme. Les smectites les plus réactives peuvent ainsi présenter des CEC de l’ordre de 120Meq/g. Des substitutions anioniques peuvent également avoir lieu. Les groupements hydroxylés présents sur la couche octaédrique peuvent ainsi être substitués par du fluor, du chlore ou encore du soufre. Les smectites ont la particularité de se former partout à la surface du globe. Le démantèlement des roches, verres volcaniques, par l’activité météorique ou l’action du couvert végétal (Velde and Meunier 2008) sont autant de facteurs permettant la nucléation de ces minéraux. La chimie des minéraux nucléés est le résultat combiné de la nature chimique des roches et des conditions du milieu (pH, température, pression…). On retrouve ainsi les smectites en grande quantité lors de la pédogenèse ou dans des formations géologiques héritées des différents processus évoqués. On parle de bentonite pour évoquer les roches à composante smectitique (montmorillonite) majoritaire. Les roches bentonitiques, et par conséquent les smectites, se retrouvent au cœur des questions environnementales et sociétales, ces minéraux apportant une réponse potentielle au contrôle et à la gestion des déchets (Eisenhour and Brown 2009). Ce choix est motivé par leur forte capacité de sorption doublée d’une conductivité hydraulique faible. Elles sont largement utilisées dans le cadre du nettoyage et l’adsorption de fuites bénignes dans le domaine industriel. Elles sont mises en forme dans des géotextiles, barrières ouvragées, afin de prévenir les éventuels départs de polluants et de métaux lourds dans les déchets ménagers, industriels et miniers (Gates et al. 2009). Récemment les problématiques de stockage et de gestion des déchets radioactifs ont également fait appel aux propriétés des bentonites. Ainsi, l’enfouissement envisagé des déchets radioactifs verrait, comme barrière ultime contre la dispersion des polluants dans le milieu naturel, l’encaissant géologique in-situ à composante bentonitique doublé d’une barrière ouvragée formée de ce même matériau (Andra 2001a, 2001b). La compréhension fine de la dynamique et de la structure des espèces mobiles dans l’interfoliaire des smectites, en perpétuelle interaction avec l’environnement, se pose comme une problématique majeure des sciences des argiles du XXème siècle, et ce, afin de pouvoir comprendre, maîtriser et prédire les réactions de ce matériau. En effet, Dans des conditions non saturées en eau, plus de 80% de l’eau présente dans les bentonites se trouvent dans l’espace interfoliaire des smectites.
Cette thèse ambitionne donc de décrire structure et organisation des espèces présentes au sein de l’interfoliaire des smectites. Cette thématique a suscité l’intérêt de la communauté scientifique depuis plus d’un demi-siècle et se retrouve fortement corrélée aux études et développements via la diffraction des rayons X (DRX). Cette technique est en effet l’un des premiers et principaux outils de caractérisation des structures cristallines. Ainsi, au début des années trente, (Hendricks and Fry 1930) montrent la nature cristalline de la montmorillonite d’un sol par DRX. C’est trois années plus tard que Hofmann et al. (1933) mettent en exergue la présence d’eau « liquide » entre les couches cristallines. En effet, ils observèrent le déplacement des raies de diffraction hk0 et 00l d’échantillons de montmorillonites soumis à la déshydratation. Le seul mouvement des raies 00l leur permet de déduire que l’intercalation d’eau « liquide » entre les couches cristallines était responsable du dégonflement de l’édifice cristallin et par conséquent de la migration des raies 00l. De plus, les distances basales à l’état sec observées leur permettent de déduire la structure en TOT à 6.6 Å. Cette hydratation est apparue initialement comme un processus graduel avec l’incorporation de n molécules d’eau (Nagelschmidt 1936). La discrétisation des états d’hydratation est formulée par Bradley et al. (1937). Ces auteurs observent le déplacement de la raie 001 en fonction de l’humidité et notent également que ce déplacement se fait discrètement par paliers de ~3Å. L’augmentation de la maille selon c* est ainsi décrite par la présence « d’états d’hydratation discrets et définis » à 9.6, 12.4, 15.4, 18.4 et 21.4Å. L’étude de Hendricks and Jefferson (1938) pose les bases des études à venir en matière d’hydratation des smectites. En effet, ces derniers rationalisent le modèle d’hydratation en couches en considérant une structure d’eau sous la forme d’un réseau hexagonal plan composé de 4 molécules d’eau par maille. De plus, ils entrevoient les hétérogénéités d’hydratation en considérant la position de la raie 001 comme pouvant être « apparente à une position intermédiaire » dans le cas d’un cristal composé de feuillets avec différents états d’hydratation. Ainsi, cette étude réconcilie les visions d’hydratations graduelle (Hofmann et al. 1933; Nagelschmidt 1936) et séquentielle (Bradley et al. 1937) jusqu’alors toujours controversées. Il faut attendre Hendricks et al. (1940) pour voir les premiers consensus sur les positions des cations. Leur étude couplée DRX/analyses thermiques d’échantillons de montmorillonite saturée à différentes humidités et avec différents cations a permis de montrer que la nature du cation contrôlait la température de désorption d’eau, en lien avec un mouvement systématique de la raie 001. Ce faisant, il démontrait la position interfoliaire des cations ainsi que leur contrôle sur l’espacement interfoliaire. Les dix années qui suivent ces premières descriptions mettent l’accent sur la compréhension des hétérogénéités structurales au sein de ces minéraux ainsi que sur la compréhension du processus d’hydratation. Ainsi Mering (1946) énonce un processus d’hydratation initié sur les surfaces externes des particules suivies des espèces interfoliaires de façon plus ou moins hétérogène. Les années suivantes se focalisent sur l’analyse du gonflement cristallin en fonction de l’humidité relative (Glaeser and Méring 1954; Glaeser and Mering 1968). En parallèle, le développement théorique du calcul des raies hkl (Hendricks and Teller 1942; Jagodzinski 1949; Brindley and Mering 1951; Kakinoki and Komura 1952; MacEwan 1958) ou 00l (Méring 1949) pour des structures défectueuses apparait, sur la base d’un formalisme matriciel (Drits and Tchoubar 1990; Sakharov and Lanson 2013).
STRUCTURE ET CLASSIFICATION DES MINERAUX ARGILEUX
Rappels de cristallographie
Les minéraux présentent une structure ordonnée, composée par la répétition périodique d’une maille élémentaire. Cette maille décrit la structure minimale nécessaire pour reconstruire la totalité du cristal, lorsqu’elle est dupliquée dans les trois directions de l’espace.
Réseau 3D
Dans un espace à trois dimensions, on considère une origine (O) et trois vecteurs non colinéaires pour définir un repère. Les trois vecteurs a, b et c sont caractérisés par leur longueur et par les angles α, β et γ qu’ils décrivent.
Le squelette de base des minéraux argileux
La couche tétraédrique
Les premiers efforts de définition et de classification des minéraux argileux furent entrepris au cours de l’International Soil Congress à Amsterdam en 1950 et reportés par Brindley et al. (1951). Cette classification a ensuite subi de nombreuses modifications, au fil des différents congrès nationaux et internationaux sur cette thématique. Finalement, c’est le Nomenclature Committee of the Association Internationale pour l’Etude des Argiles (AIPEA) établi en 1966 et composé de différents membres de groupes nationaux, qui fait office de référence en la matière. Le squelette de base des minéraux argileux est défini ainsi : « Les minéraux argileux appartiennent à la famille des phyllosilicates et sont constitués d’une couche tétraédrique bidimensionnelle de composition T2O5 avec T pouvant être Si4+, Al3+ ou Fe3+. Ces tétraèdres sont liés dans un même plan par trois de leurs sommets, le quatrième étant orienté dans une autre direction. Les couches tétraédriques sont liées dans la structure à des couches octaédriques ou à des groupes de cations coordonnés ou indépendants. » (Brindley and Pedro 1972). Plus récemment, la définition a été élargie : « le terme de minéraux argileux fait référence aux phyllosilicates et aux minéraux qui confèrent leur plasticité à l’argile et qui durcissent au séchage ou à la cuisson » (Guggenheim and Martin 1995). Il y est ainsi également défini le terme argile tel qu’un « matériau naturel composé majoritairement de minéraux de petite taille, généralement plastique en présence des quantités d’eau appropriées et qui durcit au séchage ou à la cuisson. Les argiles contiennent généralement des phyllosilicates, mais d’autres matériaux peuvent être présents et avec des caractéristiques semblables. Les phases associées dans les argiles peuvent inclure des minéraux qui n’influencent pas la plasticité ainsi que de la matière organique. » .
Nous retiendrons que cette couche est formée d’une charpente de tétraèdres constitués d’un cation central (couramment Si4+ , Al3+ ou Fe3+), T, coordiné à quatre anions O2- . Chaque tétraèdre partage trois oxygènes formant un réseau bidimensionnel pseudohexagonal selon l’axe (a, b). On distingue deux types d’oxygènes : les oxygènes apicaux (Oxa) non partagés pointant dans une direction pseudo perpendiculaire au plan basal et les oxygènes basaux (Oxb) tous liés dans un même plan (Figure 2-3). La cavité ditrigonale (Figure 2-4) formée par l’arrangement des tétraèdres est sujette à des modifications de géométrie. En effet, les éventuelles différences de taille latérale entre la couche tétraédrique et la couche octaédrique imposent une accommodation à la structure cristalline. Cette dernière se traduit par une rotation des tétraèdres adjacents dans le plan (a, b). On quantifie cette rotation ou « twist » (Bradley 1940; Radoslovitch 1962) par l’angle alpha formé par une droite recoupant deux atomes de silicium partagés et la droite recoupant l’un de ces deux atomes et leur oxygène commun. Cet angle est susceptible de varier, il est de l’ordre de 3-4° dans les talcs et peut atteindre 23° dans certains micas durs. L’augmentation de la valeur de cet angle implique un basculement mécanique des tétraèdres qui s’éloignent de la coplanarité idéale. La couche prend alors un aspect ondulé.
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Table des matières
1 INTRODUCTION
2 STRUCTURE ET CLASSIFICATION DES MINERAUX ARGILEUX
2.1 Rappels de cristallographie
2.1.1 Réseau 3D
2.1.2 Le réseau réciproque
2.2 Le squelette de base des minéraux argileux
2.2.1 La couche tétraédrique
2.2.2 La couche octaédrique
2.3 Types de feuillets
2.3.1 Les phyllosilicates 2 :1
2.3.1.1 Minéraux argileux 2 :1 (X=0)
2.3.1.2 Minéraux argileux 2:1 (X=0.4 -1.2)
2.3.1.2.1 Gonflement de l’édifice cristallin
2.3.1.3 La vermiculite (X=1.2-1.8)
2.3.1.4 L’illite (X=1.5-1.8)
2.3.1.5 Mica vrai/dur(X=2/4)
2.3.2 Le cristal
3 RAPPELS THEORIQUES ET PRATIQUES
3.1 Diffraction des rayons X (DRX) et calcul du profil des raies 00l
3.1.1 Facteur de structure
3.1.2 Fonction d’interférence
3.1.3 Facteur de Lorentz-polarisation
3.2 Interstratification
3.3 Exemple de modélisation de diffractogramme de rayons X
3.4 Synthèse de Smectites
3.4.1 Synthèse d’échantillons fluorés
3.4.1.1 Smectites haute temperature
3.4.1.2 Synthèse de micas fluorés
3.4.2 Synthèse hydrothermale
3.4.2.1 Composés de départ
3.4.2.2 Synthèse
3.5 Simulation Monte Carlo dans l’espace Grand canonique
3.5.1 Les ensembles en mécanique statistique
3.5.2 Simulation
3.5.2.1 La méthode Monte Carlo
3.5.2.2 Le champ de force et interaction inter-atomique
3.5.2.3 Paramètres régissant la modélisation ClayFF
3.5.2.4 Limites périodiques et image minimale
4 INTERLAYER STRUCTURE MODEL OF TRI-HYDRATED LOW-CHARGE SMECTITE BY X-RAY DIFFRACTION AND MONTE CARLO MODELING IN THE GRAND CANONICAL ENSEMBLE
4.1 Abstract
4.1.1 Introduction
4.2 Materials and methods
4.2.1 Samples
4.2.2 X-ray diffraction (XRD) and profile modeling of 00l reflections
4.2.3 Grand Canonical Monte Carlo (GCMC) simulations
4.3 Results
4.3.1 GCMC simulations
4.3.2 Simulation of 00l reflections with GCMC-computed atomic profiles
4.4 Discussion
4.4.1 Assessment of the methodology used to determine interlayer configuration in 3W montmorillonite
4.4.1.1 Validation of GCMC interlayer configuration
4.4.1.2 Sensitivity of XRD to interlayer species configuration
4.4.2 Configuration of interlayer H2O and cations in 3W montmorillonite
4.4.3 Configuration of the first and second hydration shells
4.4.4 Origin of the stability of the montmorillonite 3W hydrate
4.4.5 Simplified interlayer model for XRD simulation of 3W hydrates
4.5 Implications
4.5.1 Acknowledgments
5 CONCLUSION