Structure électronique et propriétés de réseaux cohérents de nanocristaux semi-conducteurs

Notre époque moderne n’a cessé de voir l’arbre du savoir [1] croître et s’étendre. Comme résultat de cette croissance, la science se subdivise de manière exponentielle en de plus en plus de branches. Une branche apparue il y a un siècle telle que la physique quantique, est aujourd’hui un vaste domaine d’étude comportant lui-même des centaines de thématiques. Entre un scientifique spécialisé en biologie cellulaire et un autre spécialisé en théorie des cordes, il n’y a souvent plus que le mot “scientifique” en commun. D’Aristote à Descartes, en passant par Hypatie, Al-Khwarizmi et Averroès, tous ce sont distingués par leur pluridisciplinarité. S’il est vrai que la quantité de savoir augmentant pousse naturellement vers une spécialisation, il n’en demeure pas moins que cette spécialisation est avant tout un choix. En particulier, on peut se demander si l’émergence d’une nouvelle branche est réellement condamnée à une dichotomie d’une ancienne.

Pour arriver à un tel résultat, il est clair qu’il n’est pas suffisant d’observer les systèmes naturels qui nous entourent, mais d’agir sur ces derniers. En physique des solides, cette action peut se matérialiser par la structuration des matériaux. De part leur caractère non-naturel, ces matériaux modifiés sont souvent désignés par l’appellation systèmes artificiels. En fonction de la taille caractéristique à laquelle nous modifions la structure, certaines propriétés se voient à leur tour altérées. Par exemple, une structuration périodique à l’échelle millimétrique modifie les propriétés mécaniques (phononiques) du système [3]. Ces dernières années, de nouveaux méta-matériaux inspirés de l’Origami, l’art japonais du pliage du papier, ont été façonnés [4,5]. Leur propriétés mécaniques telle que la réponse à une force étirant l’objet, sont modifiées en fonction du type de pliage choisi. À une échelle de structuration micrométrique, ce sont les propriétés optiques qui peuvent être atteintes. Par exemple, dans les réseaux en nid d’abeilles de micro-piliers semi conducteurs, les polaritons  se comportent de manière similaire aux électrons dans une couche monoatomique de carbone, le graphène [6–8]. Enfin, les moyens technologiques se développant, la structuration à l’échelle nanométrique devient envisageable. À cette échelle, ce sont les propriétés électroniques qui sont modifiées. Plusieurs approches ont été développées dans ce sens, notamment en s’appuyant sur des effets de proximités. Par exemple, le dépôt de réseaux de molécules de CO sur une surface de cuivre permet de générer un potentiel électrostatique dans le métal [9–11]. Ce potentiel modifie par conséquent les comportements du gaz d’électrons dans le métal. Récemment, la synthèse expérimentale de réseaux cohérents de nanocristaux semi-conducteurs a été démontrée [2, 12] (figure 1). Les électrons se déplaçant dans ces structures ressentent les effets liés à la nano-structuration du système. Ce résultat ouvre donc une nouvelle voie à la modification des propriétés opto-électroniques des matériaux semi-conducteurs. Dans cette thèse, nous présentons une étude portant sur les propriétés de ces réseaux cohérents de nanocristaux semi-conducteurs. Nous montrons que ces systèmes artificiels représentent une nouvelle branche de la physique des solides qui est construite sur le rassemblent de plusieurs autres. Les branches concernées sont celles relevant des domaines d’étude des nanocristaux semi-conducteurs, du graphène et autres réseaux bidimensionnels ainsi que des phases quantiques topologiques de la matière.

Les nanocristaux semi-conducteurs

Propriétés électroniques des semi-conducteurs 

Dans ce travail, les semi-conducteurs étudiés sont dits de type III-V, II-VI et IV-VI. Ces matériaux sont constitués de deux éléments atomiques distincts, chacun appartenant à une colonne du tableau de Mendeleïev. Par exemple, la colonne III inclut les éléments Al (Aluminium), Ga (Gallium) et In (Indium). La colonne V quant à elle inclut les éléments P (Phosphore), As (Arsenic), Sb (Antimoine). Par conséquent, les semi-conducteurs AlP, AlAs, AlSb, GaP, GaAs, GaSb, InP, InAs et InSb font tous partie de la famille des semi-conducteurs III-V. Les semi-conducteurs III-V et II-VI considérés dans ce qui suit ont tous des structures atomiques de type Zinc-Blende (figure 1.1a). La structure Zinc-Blende est basée sur le réseau de Bravais cubique à faces centrées (CFC). Chaque nœud de ce réseau porte un motif avec les deux éléments atomiques (III et V, par exemple), de positions relatives (0, 0, 0)a et (0.25, 0.25, 0.25)a, où a est le paramètre de la maille CFC. Cette structure est analogue à la structure diamant des semi-conducteurs IV (silicium, germanium), à la différence que le motif de la structure diamant contient deux éléments identiques issus de la colonne IV. Le semi-conducteur IV-VI considéré dans ce travail (PbSe) possède une structure de type Rock-Salt (figure 1.1b). Cette structure peut être encore vue comme deux réseaux CFC interpénétrés. Le réseau CFC de l’élément IV est décalé suivant le vecteur (0.5, 0.5, 0.5)a par rapport à celui de l’élément VI. Afin de prédire les propriétés électroniques de ces systèmes, plusieurs méthodologies existent. Ces approches peuvent être triées en deux catégories principales : les approches de premiers principes (dites ab initio) et les approches semi-empiriques. Dans tous les cas, il est nécessaire d’avoir recours à des approximations résultant de la complexité des systèmes à étudier. En effet, les systèmes en matière condensée contiennent un grand nombre d’atomes, et par conséquent d’électrons. L’Hamiltonien décrit alors un problème à N corps. Ce qui rend ce problème complexe à résoudre est principalement l’interaction entre les différents éléments. Une première approximation consiste à supposer que les ions du système sont immobiles et à traiter un Hamiltonien indépendant du temps. Le problème vient ensuite de l’interaction entre les électrons. Il est impossible de rigoureusement séparer l’Hamiltonien à N électrons en N Hamiltoniens à 1 électron. Le recours à certaines approximations devient nécessaire. Le choix entre les approches ab initio et semi empiriques est généralement motivé par la nature du problème à traiter. Dans le présent travail, le nombre d’atomes étant très grand (atteignant quelques millions pour certains aspects du travail), les approches semi-empiriques sont les plus adaptées. Nous avons principalement utilisé deux méthodes semi-empiriques : la méthode des liaisons fortes et la méthode k · p.

En 1954, Slater et Koster introduisent des simplifications à la méthode des liaisons fortes [17]. Ils considèrent qu’il serait plus judicieux de l’utiliser comme une méthode d’interpolation basée sur d’autres approches. Ainsi, les intégrales de couplages (de saut) entre les orbitales atomiques comme celle de l’équation (1.10) sont approximées par des constantes géométriques et des paramètres qui dépendent de la nature des orbitales en question. Ces paramètres sont obtenus en ajustant les résultats des liaisons fortes sur les résultats d’autres méthodes (par exemple ab initio). Une autre approximation, appelée approximation à deux centres, est ajoutée en sus. Cette approximation permet de considérer que l’interaction entre deux orbitales ne dépend que de leurs natures et de leurs positions relatives (figure 1.2). Ainsi, deux orbitales S se couplent via un terme constant et isotrope nommé VSSσ. Les orbitales P quant à elles se couplent via deux termes VP P σ et VP P π pondérés par des facteurs dépendants de l’angle entre les orbitales. Enfin, les orbitales sont souvent considérées comme étant orthogonales. Les intégrales de recouvrement sont donc considérées nulles.

Reste alors une question essentielle : jusqu’à quelle distance considère-on les intégrales de couplage comme étant non-nulles ?

Dans la méthode simplifiée, les notions de premiers voisins, seconds voisins etc sont introduites. Les premiers voisins d’un atome donné sont tous les atomes situés à une distance minimale de ce dernier. Par exemple, dans le réseau Zinc-Blende présenté précédemment, chaque atome possède 4 premiers voisins. Les seconds voisins sont donc les atomes situés à la distance minimale suivante etc. L’amplitude des termes de couplage est logiquement de plus en plus faible lorsque l’ordre des voisins augmente. Il est à noter que si l’on veut utiliser un modèle avec des couplages aux seconds voisins, le nombre de paramètres à ajuster est plus conséquent. Dans cette thèse, nous nous limitons principalement aux couplages premiers voisins. Les modèles en liaisons fortes de type SP3D5S ∗ avec seulement des couplages aux premiers voisins ont largement fait leur preuve dans la description des semi conducteurs [18–22].

La méthode des liaisons fortes dépend donc de ces paramètres de couplage (VSSσ, VP P σ, VSP σ etc) et des énergies de chaque orbitale. L’Hamiltonien électronique de chaque matériau semiconducteur est reproduit par un jeu de paramètres spécifiques. Ces paramètres sont obtenus en ajustant la structure de bandes en liaisons fortes du matériau massif sur la structure de bandes obtenue par une méthode ab initio. Dans la suite, nous nommerons liaisons fortes atomistique, la méthode qui consiste à utiliser les orbitales atomiques du matériau en question comme base d’orbitales. Par exemple, dans le cas du Séléniure de Cadmium (CdSe), les atomes de Cd et de Se sont chacun représentés par 20 orbitales atomiques (SP3D5S ∗ orbitales deux fois dégénérées en spin, S ∗ est une seconde orbitale S à plus haute énergie), couplées par les différents paramètres de couplage (VSSσ, VP P σ, VSP σ etc). Le couplage spin-orbite est également inclus dans la méthode des liaisons fortes atomistique (voir sous-section 1.3.1 pour une introduction au couplage spin-orbite). Les paramètres de liaisons fortes utilisés pour ces différents semi-conducteurs sont disponibles dans les références [18, 23–27].

Lorsque la structure n’est pas massive (3D), une attention particulière doit être portée à la présence des surfaces et interfaces. Dans les semi-conducteurs avec une structure ZincBlende, l’absence d’atomes voisins crée des liaisons pendantes. Celles-ci vont se traduire par l’apparition d’états électroniques (non-couplés) dans la structure de bandes, souvent dans la bande interdite (gap). Afin de supprimer ces états de surfaces, nous recouvrons (ou passivons) les surfaces par des pseudo atomes d’hydrogène. Ces pseudo-atomes permettent de saturer les liaisons pendantes en se couplant à ces dernières. Les paramètres de couplage sont définis tel que les états électroniques résultant de ce couplage soient positionnés loin de la zone autour du gap du semi-conducteur. Dans le semi-conducteur PbSe, il n’est pas nécessaire de passiver les surfaces car il n’y a pas de liaisons pendantes [26]. Dans la suite, nous verrons que pour obtenir les structures de bandes électroniques il faut diagonaliser la matrice de l’Hamiltonien décrite par la méthode des liaisons fortes. Pour faire cela, nous avons utilisé deux approches en fonction de la taille n de la matrice considérée (dimension n × n). Pour de faibles tailles (n 6 3.104 ), nous avons utilisé une approche de diagonalisation complète. Cette approche est basée sur les algorithmes QL et QR de décomposition de matrice [28–30] et est implémentée dans la libraire LAPACK (Linear Algebra Package) [31]. Pour de plus grandes tailles de matrice (jusqu’à 8.107 ), nous avons utilisé une approche de diagonalisation partielle basée sur l’algorithme de Jacobi-Davidson [32]. Cette approche nous permet d’obtenir un nombre choisi de valeurs et vecteurs propres autour d’une énergie σ. Dans ce qui suit, σ est toujours fixée dans le gap énergétique du semi-conducteur. Cette méthode est implémentée dans la librairie TB_Sim que nous avons utilisée dans ce travail [33].

Structures de bandes des semi-conducteurs étudiés 

Excepté HgTe qui est un semi-métal, tous les semi-conducteurs Zinc-Blende étudiés dans ce travail présentent une structure de bandes de même forme que celle de la figure 1.3b [35]. Sur cette figure, seules les bandes autour de la bande interdite du semi-conducteur sont représentées. La bande interdite des semi-conducteurs étudiés, appelée également gap énergétique (noté Eg), est située au centre de la zone de Brillouin (point Γ, figure 1.3a). Dans tout ce qui suit, l’énergie nulle correspond au sommet de la bande de valence du matériau massif. Les bandes en dessous du gap (avec une énergie négative) représentent les bandes de valence les plus hautes (totalement occupées par des électrons). La bande au dessus du gap représente la bande de conduction la plus basse. Cette bande présente un caractère S et une masse effective m∗ isotrope. Les 3 bandes de valence quant à elles présentent une forte anisotropie des masses effectives ainsi qu’un caractère P. La séparation énergétique entre ces bandes, notée ∆SO, est due à la présence du couplage spin-orbite .

Les nanocristaux dans la littérature

Histoire des nanocristaux
Les nanocristaux, également connus sous le nom de boîtes quantiques (ou Quantum Dots), sont aujourd’hui un emblème de la physique des solides [36]. Leur histoire commença au début des années 1980 quand A. I. Ekimov et A. A. Onushchenko rapportèrent l’observation d’effets quantiques dépendant de la taille dans des cristaux semi-conducteurs microscopiques [37]. Peu de temps après, ces deux derniers ont fait appel à Al. L. Efros afin de caractériser théoriquement cette dépendance en taille [38]. En parallèle, travaillant sur des colloïdes de CdS, L. E. Brus synthétisa des cristaux de taille nanométrique et observa également des effets de taille sur le spectre d’absorption [39]. Aujourd’hui, quelques décennies après, on retrouve des nanocristaux sous de très nombreuses formes et tailles. Il existe plusieurs manières de les obtenir dont voici un court résumé nonexhaustif.

Nanocristaux auto-assemblés Les nanocristaux auto-assemblés peuvent apparaître spontanément quand on fait croître des hétérostructures semi-conductrices. Dues à une différence de paramètres de maille, des contraintes mécaniques existent à l’interface entre deux semiconducteurs. Afin de relaxer ces contraintes, des petits amas de matière se forment. Par un choix judicieux des semi-conducteurs, ces îlots permettent de confiner l’électron dans les trois directions de l’espace et définissent donc des boîtes quantiques.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
1 Contexte de la thèse
1.1 Les nanocristaux semi-conducteurs
1.1.1 Propriétés électroniques des semi-conducteurs
1.1.2 Les nanocristaux dans la littérature
1.1.3 Propriétés et applications des nanocristaux
1.2 Les réseaux cohérents
1.2.1 Les différents réseaux bidimensionnels
1.2.2 Introduction aux verres de spin
1.3 Introduction aux phases quantiques topologiques
1.3.1 Le couplage spin-orbite
1.3.2 Effet Hall Quantique de Spin (EHQS)
2 Propriétés électroniques des réseaux artificiels
2.1 Réseaux artificiels colloïdaux
2.1.1 Quand les nanocristaux s’auto-assemblent
2.1.2 Qui s’assemblent se ressemblent : le modèle LEGO R
2.2 Réseaux artificiels lithographiés
2.2.1 Du nanocristal sphérique au triangulaire
2.2.2 Reproduction de réseaux simples
2.2.3 Vers des réseaux exotiques
2.2.4 Multicouches et graphène AA
3 Les facteurs g dans les nanostructures
3.1 Généralités sur les facteurs g
3.1.1 Les facteurs g dans les nanocristaux
3.1.2 Le cas des nanocristaux sphériques
3.2 Universalité des facteurs g
3.2.1 Comportement universel
3.2.2 Calcul et obtention d’une expression analytique
3.2.3 Anisotropies et termes de surface
4 Désordre dans les réseaux de nanocristaux
4.1 Désordre inhérent de type Anderson
4.1.1 EHQS dans les réseaux HgTe
4.1.2 Flocons et moments magnétiques
4.1.3 Les flocons face au désordre
4.2 Désordre particulier dans les réseaux PbSe
4.2.1 Un désordre réductible, quésaco ?
4.2.2 Comment connaître le désordre résiduel ?
4.2.3 Effets du désordre résiduel
Conclusions

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *