Structure des systèmes non liés 10;12Li et 13Be

Les noyaux légers riches en neutrons

              Les noyaux stables sont caractérisés par une énergie de liaison par nucléon B/A de valeur quasiment constante autour de 8 MeV/nucléon (sauf pour les noyaux les plus légers). Pour de tels noyaux le rapport N/Z varie entre 1 et 1,5, et les énergies de séparation des nucléons Sn,p (protons ou neutrons) 1 ne subissent pas des variations importantes. Leur rayon peut être décrit simplement avec la formule R = r0A1/3 (avec r0 ∼ 1,2 fm) et leur densité moyenne est presque constante (ρ0 ∼ 0,15 fm−3), ceci se manifestant avec une répartition homogène des protons et des neutrons (il n’y a pas de découplage entre les distributions des protons et des neutrons). Au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la stabilité, ces propriétés évoluent rapidement, les noyaux deviennent instables, avec des durées de vie de plus en plus courtes. Le rapport N/Z des noyaux hors de la vallée de stabilité peut varier entre 0,6 et 4, et leur énergies de séparation Sn,p ont des valeurs entre 0 et 40 MeV [Tan99]. Cette variation engendre dans certains cas un découplage des distributions de protons et de neutrons, et peut être considérée la cause de certains phénomènes de seuil, comme le halo nucléaire apparaissant pour les noyaux proches des drip-lines, ayant une énergie de séparation très réduite. Dans ces noyaux la densité des neutrons (protons) de valence présente une traîne très étendue (plusieurs fois celle des noyaux stables). Ce phénomène peut se manifester autant pour les neutrons que pour les protons, avec la seule différence que pour les protons cette manifestation est moins évidente à cause de la barrière Coulombienne, qui ne permet pas aux protons d’avoir une fonction d’onde spatialement très étendue comme dans le premier cas. Dans notre étude l’intérêt sera focalisé sur les noyaux riches en neutrons et en particulier sur ceux ayant un excès de neutrons tellement grand qu’ils se trouvent au-delà du seuil d’émission de neutrons (figure 1.1). Le schéma en figure 1.2, représente une comparaison entre les potentiels typiques des noyaux stables et riches en neutrons. Pour un noyau stable, les potentiels des protons et des neutrons ont des caractéristiques similaires, exception faite pour la contribution Coulombienne, qui rend le potentiel des protons moins profond. Les énergies de séparation des protons et des neutrons sont dans ces conditions quasiment les mêmes. Si le nombre de neutrons en excès augmente, le potentiel des protons devient plus profond à cause de l’interaction n-p attractive [Tan99]. Par conséquent, l’énergie de séparation des protons devient plus grande, tandis que l’énergie de séparation des neutrons diminue rapidement, sa valeur étant proche de zéro à proximité de la drip-line. La différence entre les énergies de séparation Sn,p peut jouer un rôle important dans la formation du halo nucléaire et entraine d’autres conséquences du point de vue dynamique et structurel, comme par exemple l’apparition de nouveaux modes d’excitation (les résonances dipolaires de type « soft ») ainsi que des phénomènes de corrélation entre les nucléons faiblement liés, comme dans le cas des halos borroméens de deux neutrons (§ 1.2.1).

Modélisation des systèmes à trois corps

               Comme nous l’avons anticipé, la diminution de l’énergie de séparation d’un neutron pour des noyaux qui approchent la drip-line neutron a comme conséquence de créer des effets de seuil dus au découplage des distributions de densité des neutrons et des protons. Le phénomène du halo nucléaire a été découvert suite à une étude systématique de Tanihata et collaborateurs, menée à travers des expériences de collisions à des énergies relativistes (800-900 MeV/nucléon) pour déterminer les rayons des isotopes légers riches en neutrons [Tan85a, Tan85b, Tan88]. La mesure de la section efficace d’interaction, qui est directement liée au rayon nucléaire à hautes énergies, a révélé que certains isotopes très riches en neutrons ont des rayons beaucoup plus grands par rapport aux noyaux stables. Le 11Li représente un des cas les plus spectaculaires, sa densité de matière ayant un rayon qui peut être comparé à celui du 48Ca. Ce phénomène a été ensuite interprété comme une conséquence de l’extension spatiale beaucoup plus marquée pour la fonction d’onde du neutron (ou des neutrons) de valence, ayant une queue exponentielle décroissante inversement proportionnelle à l’énergie de séparation [Han87]. Fedorov et collaborateurs [Fed93] ont aussi montré que le halo d’un neutron ne peut se développer que si la fonction d’onde du dernier neutron est s ou p, ceci étant dû au fait qu’une barrière centrifuge plus importante cause une diminution de la traîne de la fonction d’onde. Beaucoup d’études ont été désormais menées sur le halo nucléaire, et il est possible de classer ces systèmes selon qu’un ou deux neutrons soient responsables de la grande extension spatiale observée. Ainsi, des noyaux comme le 11Be et le 19C sont des exemples de noyaux avec un halo d’un neutron, tandis que d’autres comme l’6He, le 11Li et le 14Be possèdent un halo de deux neutrons. Ces derniers, sont aussi qualifiés de noyaux « borroméens » [Zhu93] : cette dénomination designe un système à trois corps lié dont aucun de ses sous-systèmes binaires n’est lié (figure 1.4). Dans les trois cas mentionnés les sous-systèmes correspondants (5He, 10Li et 13Be) sont instables par rapport à l’émission d’un neutron. Cette caractéristique est liée à des effets d’appariement, très marqués pour les noyaux les plus légers : les systèmes avec un nombre pair de neutrons ont en effet une énergie de liaison plus importante par rapport à ceux qui en possèdent un nombre impair. La figure 1.5 représente l’énergie de séparation en fonction du nombre de masse A, pour les chaînes isotopiques de l’hélium, du lithium, du béryllium et du bore. Pour chaque élément, les effets d’appariement sont évidents le long de la chaîne. De plus, lorsqu’on approche le seuil d’émission d’un neutron, il y a systématiquement un ou plusieurs isotopes avec un nombre impair de neutrons qui ne sont pas liés. Cette observation met en évidence l’importance des corrélations entre les deux neutrons de valence et le cœur pour lier le système. Afin de comprendre la façon dont ces corrélations agissent pour déterminer la structure de systèmes à trois corps borroméens, il est fondamental de connaître les intéractions à deux corps entre le cœur et chacun des deux neutrons ainsi que l’interaction neutronneutron (ceci afin de modéliser la fonction d’onde du système). L’interaction neutronneutron a déjà été étudiée à l’aide de réactions dans lesquelles deux neutrons interagissent dans l’état final [Mac01]. L’interaction cœur-neutron, par contre, dans la plupart des cas n’est pas encore bien connue, puisqu’il est difficile de faire des mesures de diffusion de neutrons sur une cible radioactive, voire pratiquement impossible quand le cœur même est un noyau près de la drip-line neutron, comme c’est le cas pour le 9Li et le 12Be. Il est néanmoins possible d’étudier l’intéraction cœur-neutron dans l’état final en observant les éventuelles structures dans le continuum pour le 10Li et le 13Be. Une étude théorique faite par Thompson et collaborateurs a montré que l’introduction d’un état s très près du seuil dans le 10Li et dans le 13Be peut avoir une forte influence sur la structure des états du 11Li [Tho94] et du 14Be [Tho95, Tho96]. En particulier, dans le cas du 11Li les auteurs ont réalisé des calculs utilisant une interaction à trois corps cœur-nn, avec une superposition de configurations s et p variables. Les distributions en moment parallèle mesurées pour les fragments de 9Li [Orr92] ont été reproduites en supposant que 50 % de la fonction d’onde du système soit de type s, cette contribution ayant l’effet d’augmenter le rayon du noyau, reproduisant de cette façon sa grande extension spatiale. Pour ce qui concerne le 14Be, des calculs de fonction d’onde à trois corps du même type, réalisés avec l’hypothèse d’un cœur inerte, ont montré qu’une variation de la contribution de l’onde s à la fonction d’onde de l’état cause des changements importants dans l’énergie de liaison du système borroméen, et certaines configurations reproduisent l’énergie de liaison et le rayon expérimentaux, ainsi que les distributions en moment du cœur. Néanmoins, une description réaliste de ces systèmes ne peut pas négliger les degrés de liberté internes du cœur. Un modèle microscopique [Des95] utilisant des configurations de type 12Be+n+n et traitant les excitations du cœur, a permis de confirmer l’image d’un halo de deux neutrons et de reproduire l’énergie de liaison du 14Be, à condition que seule une partie (les deux tiers) de la fonction d’onde soit constituée par la configuration 12Beg.s.+n+n.

La production de faisceaux radioactifs au GANIL

              Pour produire des faisceaux d’ions radioactifs il est d’abord nécessaire d’accélérer un faisceau d’ions stables (que l’on appelle primaire), pour l’envoyer sur une cible de production. Différentes espèces nucléaires radioactives peuvent ainsi être produites par fragmentation des ions incidents ou des noyaux de la cible, avec des intensités qui dépendent fortement des espèces  nucléaires que l’on cherche à produire, les sections efficaces étant d’autant plus faibles que les noyaux s’éloignent de la stabilité. Ensuite, pour obtenir le faisceau secondaire d’ions radioactifs recherché, il faut séparer les ions d’intérêt de tous les autres, en tenant compte des caractéristiques des noyaux que l’on souhaite étudier (comme leur masse et leur durée de vie). La méthode de production du faisceau radioactif employée lors de notre expérience utilise la fragmentation de faisceaux primaires de hautes énergies (de quelques dizaines jusqu’à des centaines de MeV/nucléon) sur des cibles de production relativement minces. De nombreuses études réalisées à hautes énergies (E ≫ 100 MeV/nucléon), où la fragmentation du projectile domine tous les autres processus, ont montré que le mécanisme de fragmentation peut être décrit comme un processus en deux étapes [Hüf75] : une première (« abrasion ») dans laquelle les parties du projectile et la cible se recouvrant sont arrachées, puis une deuxième (« ablation ») dans laquelle le quasi-projectile restant continue avec une vitesse proche de celle du projectile et se désexcite en émettant une où plusieurs particules légères . Des mesures réalisées ensuite à des énergies intermédiaires [Gue83, Bor83] (inférieures à 100 MeV/nucléon) ont montré que, même si des faibles signatures d’autres processus (comme le transfert de nucléons) peuvent apparaître, ce type de schéma est encore valide et la fragmentation du projectile est encore le processus dominant. De ce fait, en utilisant des faisceaux primaires avec de telles énergies, une large quantité d’espèces nucléaires radioactives peut être produite, avec des masses s’étendant de celle du faisceau jusqu’à des systèmes beaucoup plus légers. Les intensités des faisceaux secondaires produits dépendent de la section efficace du processus de fragmentation ainsi que des propriétés de la cible (nombre atomique et de masse, épaisseur), de l’efficacité de collection du séparateur et de celle de transmission au point de l’expérience [Mor04]. Les taux de production peuvent alors être accrus en augmentant l’épaisseur de la cible, ceci en faisant des compromis sur la dispersion du faisceau secondaire en angle et en énergie. De plus, en utilisant des cibles de production avec un faible nombre de masse (généralement béryllium ou carbone), en raison de l’énergie du faisceau primaire et de la cinématique inverse, les fragments produits seront focalisés vers l’avant. À la sortie de la cible il y aura ainsi une partie du faisceau primaire ralenti par le passage à travers la cible et une varieté de noyaux radioactifs issus de la fragmentation du faisceau, qui gardent la plupart de l’énergie du faisceau primaire et sont distribués dans un cône de faible ouverture angulaire. Dans le cas de production de noyaux très riches en neutrons comme ceux que l’on cherche à obtenir, la faible durée de vie des ions produits (inférieure à la seconde) rend nécessaire une sélection en vol des fragments. La focalisation vers l’avant nous permet d’utiliser des systèmes d’aimants dipôlaires (comportant une acceptance réduite) couplés à des systèmes de fentes et de champs électriques, pour sélectionner les ions suivant leur vitesse et leur rapport charge-masse. Toutefois, avec une telle sélection (faite par la rigidité magnétique des dipôles) des contaminants ayant un rapport charge-masse similaire à celui de l’ion recherché, peuvent encore être présents. Ce problème a été fortement réduit avec l’utilisation de dégradeurs en énergie [Mue93], qui introduisent un autre degré de sélection suivant la perte d’énergie spécifique à chaque isotope, éliminant ainsi de telles ambiguïtés dans la plupart des cas. Comme nous le verrons dans le paragraphe suivant, une configuration de ce type est utilisée pour la sélection des ions dans le spectromètre LISE.

Les détecteurs à pistes de silicium

              Deux détecteurs de silicium de dimensions 50×50 mm2 et d’épaisseur 500 µm composent la première partie du télescope ∆E-E. Chacun d’entre eux est divisé en seize pistes dotées d’un dépôt résistif agissant comme un diviseur de charge. Les deux détecteurs sont orientés respectivement de façon verticale et horizontale pour donner la position des ions en X et Y. Lorsqu’un ion traverse une des pistes, un signal est collecté à chacune de ses extrémités, l’amplitude de chaque signal étant inversement proportionnelle à la distance entre l’extrémité et le point d’impact de l’ion (figure 2.6). Les informations des deux détecteurs combinées donnent ainsi la position de l’ion en X et Y. En même temps, la somme des signaux de deux extrémités est proportionnelle à l’énergie déposée par l’ion. Chaque extrémité de piste dispose d’une voie électronique indépendante, ce qui donne 32 voies pour chacun des deux détecteurs.

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Table des matières

1 Introduction 
1.1 L’étude des systèmes non liés 
1.1.1 Les noyaux légers riches en neutrons
1.1.2 Structure des noyaux non liés : résonances dans le continuum
1.2 Motivations
1.2.1 Modélisation des systèmes à trois corps
1.2.2 Structure en couches au-delà de la drip-line neutron
1.3 Approche expérimentale 
1.3.1 Réactions pour sonder les systèmes non liés
1.3.2 Méthode de la masse manquante
1.3.3 Méthode de la masse invariante
1.4 Les systèmes étudiés
1.4.1 L’7He
1.4.2 Le 10Li
1.4.3 Le 12Li
1.4.4 Le 13Be
2 L’expérience 
2.1 Description de l’expérience
2.2 La production de faisceaux radioactifs au GANIL 
2.2.1 Le spectromètre LISE et le faisceau secondaire
2.3 Le dispositif expérimental 
2.3.1 Caractérisation du faisceau incident
2.3.1.1 Le scintillateur plastique Trifoil
2.3.1.2 Les chambres à dérive
2.3.2 Détection des fragments chargés : le télescope
2.3.2.1 Les détecteurs à pistes de silicium
2.3.2.2 Les détecteurs à iodure de césium
2.3.3 Détection des neutrons : le multidétecteur DéMoN
2.3.3.1 Le principe de détection de neutrons
2.3.3.2 Discrimination neutron – γ
2.3.3.3 L’efficacité de détection des neutrons
2.3.3.4 Le phénomène de diaphonie
2.4 L’électronique et le système d’acquisition 
3 Étalonnage des détecteurs et analyse des données 
3.1 Sélection des ions incidents par temps de vol 
3.2 Étalonnage des chambres à dérive 
3.2.1 Calibration en position
3.2.2 Détermination du profil du faisceau
3.3 Étalonnage du télescope
3.3.1 Détecteurs silicium à pistes (Si)
3.3.1.1 Étalonnages préliminaires
3.3.1.2 Calibration en position
3.3.1.3 Calibration en énergie
3.3.2 Cristaux à iodure de césium (CsI)
3.3.2.1 Étalonnages préliminaires
3.3.2.2 Calibration en énergie
3.3.3 Identification et sélection des fragments chargés
3.3.3.1 Validation des événements dans le télescope
3.3.3.2 Matrices d’identification
3.3.3.3 Sélection des produits de réaction
3.4 Étalonnage de DéMoN 
3.4.1 Calibration des modules en temps de vol
3.4.2 Discrimination neutron – γ : sélection des événements
3.4.3 Calibration en énergie
3.4.4 Mesure de l’énergie cinétique des neutrons
3.5 Reconstruction de la cinématique 
3.5.1 Décroissance vers un fragment excité
3.6 Simulation de l’expérience 
3.6.1 Caractéristiques du faisceau
3.6.2 Décroissance du système non lié
3.6.3 Détection du fragment et du neutron
4 Résultats 
4.1 Récapitulatif des réactions étudiées 
4.2 Sections efficaces de production des fragments
4.3 Les systèmes fragment-neutron 
4.3.1 Spectres en énergie des neutrons
4.3.2 Distributions angulaires des neutrons, sections efficaces et multiplicité de neutrons
4.3.3 Distributions en moment transverse et parallèle
4.3.4 Vitesse relative fragment-neutron
4.3.5 Énergie de décroissance
4.4 Distribution des événements non corrélés
4.4.1 Origine de la distribution non corrélée
4.4.2 La technique de mélange d’événements
5 Interprétation des résultats 
5.1 Description théorique des états non liés
5.1.1 Modèle de l’interaction dans l’état final pour le knockout d’un ou deux protons
5.1.2 Description des états résonants
5.1.2.1 Largeur de particule indépendante
5.2 Application aux données
5.2.1 7He
5.2.2 10Li
5.2.3 12Li
5.2.4 13Be
Conclusions et perspectives
Annexes

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