Les progrès réalisés en matière d’analyse environnementale ont permis de mettre en évidence la présence de polluants émergents. Les polluants de l’eau à traiter ont diverses origines, ils peuvent être inorganiques ou organiques (phénols, composés halogénés, aromatiques, sulfones, métaux lourds, résidus pétrochimiques, perturbateurs endocriniens, colorants, pesticides, composés pharmaceutiques et détergents), certains sont facilement dégradable chimiquement ou biologiquement, d’autres sont récalcitrants aux méthodes de traitement classiques et c’est pourquoi, il est nécessaire de rechercher un mode de traitement convenable. Beaucoup de colorants présents dans les eaux de rejets des industries de textiles font partie de cette catégorie de polluants, ils sont caractérisés aussi par de fortes variations de pH, de fortes demandes chimiques en oxygène et une bio-toxicité accrue à l’égard des bactéries. L’oxydation a toujours été présentée comme une alternative «propre», pas ou peu productrice de déchets et permettant souvent de rendre biodégradable ou de détoxifier un effluent avant un éventuel traitement biologique. Toutefois, les procédés utilisant des oxydants traditionnels (peroxyde d’hydrogène, persulfate de potassium ou de sodium, dichlorure et ses dérivés acides hypochloreux, ozone, dibromure, dioxyde de chlore, permanganate de potassium, etc.) ne permettent pas de dégrader totalement les composés organiques; leur rôle étant souvent de désinfecter les eaux, celles principalement, destinées à la consommation. En outre, les oxydants classiques pour la plupart, de nature électrophile sont sélectifs et incorporent dans la molécule à oxyder de nouveaux atomes. Lorsque ces derniers sont des halogènes, l’oxydation génère alors des sous-produits d’oxydation à caractère souvent toxique.
LES HÉTÉROPOLYANIONS
GÉNÉRALITÉ
La chimie des polyanions se situe à la jonction entre la chimie de coordination traditionnelle et la chimie du solide. Les hétéropolyanions (HPAs) sont des solides pouvant être préparés dans une large gamme de composition et de structure. Ces HPAs sont connus pour la couleur généralement bleue de leurs produits réduits. L’état oxydé de ces espèces peut prendre diverses couleurs, selon leur composition et selon le degré d’oxydation des métaux de transition. Les membres les plus étudiés de cette famille sont les HPAs à structure de Dawson, grâce à leur plus grande stabilité et à leur facilité de préparation [1,2]. La polycondensation conduit alors à une espèce mixte appelée hétéropolyanion et cette réaction est régie par des facteurs thermodynamiques tels que l’acidité du milieu, la concentration des différentes espèces, la nature du solvant… Ces espèces anioniques polycondensées à structure distincte, ont suscité un intérêt croissant depuis une vingtaine d’années. Parmi leurs propriétés intéressantes, citons leur solubilité dans la plupart des solvants courants, leur résistance à l’oxydation, leur capacité à conserver des électrons et les propriétés électrochromes qui en résultent [3,4]. Les hétéropolyanions ditungsto-phosphoriques présentent différentes espèces moléculaires et structurales, entre autres, les espèces saturées et les espèces lacunaires (vacantes). Les espèces lacunaires permettent d’accéder à un nombre important de nouveaux produits. En raison de leurs propriétés oxydoréductrices, ces hétéropolyanions continuent à faire l’objet des travaux de recherche dans différents domaines, notamment, la catalyse hétérogène et homogène, la science des matériaux (conducteurs électroniques, protoniques, capteurs), la chimie analytique (précipitation et extraction sélective de cations organiques et inorganiques) [5-7]. Dans le domaine de médecine, un grand nombre de polytungstates a été testé comme agents antitumoraux et antiviraux et antisida. Certains HPA de type Dawson, saturés et lacunaires, ont synergiquement augmenté l’activité antibactérienne des antibiotiques des B-lactames [8,9]. Certains sels de polyoxometalate se sont révélés biologiquement actifs, particuliérement les molybdates et les vanadates [10-12]. Ils sont très sélectifs vis-à-vis de l’inhibition de certaines enzymes (phosphatases, déshydrogénase, isomérases) [13,14].
Les HPAs sont représentés par la formules chimique générale [XxMyOy] q- , où M (élément constitutif, et est le plus souvent molybdène Mo ou tungstène W, et X est l’hétéroatome appelé également atome central peut être de nature variée : (P, B, Si, Ge, Al, Sn, Zn, Cd, Ni, Pd, Pt, Co, Mn, Ce, Rh, Fe, Cr, Th etc. Ces hétéropolyanions sont des structures constituées de fragments M-O de taille et de formes différentes. L’assemblage des polyèdres de coordination [XOm] et [MOn] forme les structures d’HPA les plus typiquement observées [15]. La vaste majorité des structures polyoxoanioniques, basée sur des unités octaédriques MO6, ne contient pas plus de deux atomes d’oxygène non partagés dans chaque unité polyédrique. De plus, selon les types et la nature des HPAs, les structures peuvent être plus au moins protonées. Les hétéropolyanions sont habituellement caractérisés par le rapport du nombre d’atomes métalliques à l’atome central : M/X. Le rapport entre les atomes addendas et l’hétéroatome est variable mais est fréquemment de 6, 9, 11 ou 12. Les addendas sont organisés autour de l’atome central en formant généralement des octaèdres MO6 (plus rarement des tétraèdres et des pentaèdres) reliés ente eux par les sommets, les arêtes ou les faces [15].
HISTORIQUE
L’étude des hétéropolyanions a débuté au 19ème siècle. C’est en 1826 que le premier hétéropolycomposé apparait dans la littérature, attribué aux travaux de Berzelius [16], qui observa la formation d’un précipité jaune, par réaction en milieu aqueux de molybdate d’ammonium et d’acide phosphorique, le 12-molybdophosphate d’ammonium. Les sels d’hétéropolymolybdates de fer et de chrome ont été signalés en 1854 par Struve [17]. L’acide 12-tungstosilicique a été caractérisé par Marignac en 1862 [18]. Dix ans plus tard le champ des polyanions a connu un grand développement et 60 différents types d’acides d’hétéropolyanions (une centaine de sels correspondants) ont vu le jour. En 1908 Miolati a tenté de donner une interprétation structurale à ces matériaux par l’application de la théorie de la coordination ionique [19]. Cette théorie a été développée par Rosenheim [20,21] et a régné durant un quart de siècle.
Hétéropolyanions de Dawson
Nous nous intéressons plus particulièrement à la structure de Dawson qui est l’objectif des travaux de cette thèse. Cette structure a été établie pour la première fois en 1953 [37] par Dawson mais avait déjà été proposée auparavant par Wells en 1945 [38]. La structure de Wells-Dawson (Figure I-3) a pour formule générale X2 n+M18O62 (16-2n)- avec un rapport métal/hétéroatome (M/X) de 9. L’HPA de type Dawson peut être décrit par l’assemblage de deux fragments trivacants de Keggin XM9O34. La structure est formée d’un empilement d’octaèdres autour d’un hétéroélément (X). L’association d’octaèdres MO6 dans lesquels l’atome métalliques est au centre et dont les sommets sont constitués d’atomes d’oxygène conduit à deux types de groupements.
– Les groupements ditungstiques M2O10 qui résultent de la condensation suivant une arête de deux octaèdres MO6.
– Les groupements tritungstiques M3O13, déjà rencontrés dans la structure de Keggin et qui résultent de l’union de trois octaèdres WO6 mettant deux à deux une arête en commun.
On distingue huit types d’oxygène différents :
– 6 atomes d’oxygène communs à un tétraèdre et aux deux octaèdres d’un même groupement M2O10.
– 2 atomes d’oxygène communs à un tétraèdre et aux trois octaèdres d’un même groupement M3O13.
– 12 atomes d’oxygène assurent la jonction par les sommets entre les groupements M2O10 et M3O13.
– 6 atomes d’oxygène assurent la jonction par les sommets entre les groupements M2O10.
– 6 atomes d’oxygène assurent la jonction entre les octaèdres des groupements M2O10.
– 6 atomes d’oxygène communs aux octaèdres d’un même groupement M3O13.
– 6 atomes d’oxygène communs aux octaèdres d’un même groupement M2O10.
– 18 atomes d’oxygène terminaux, reliés à un seul atome métallique M.
De même que pour les structures de Keggin, les structures de Dawson possèdent des isomères dont les deux principaux sont α et β. Les isomères β et γ sont obtenus par rotation de π/3 d’une ou deux triades M3O13, respectivement. Pour les isomères α*, β*, et γ*, sont dérivés des isomères α, β, et γ, respectivement, par rotation de π/3 d’un fragment XM9 [37,40]. L’obtention d’une espèce hétéropolyanionique donnée est conditionnée par la nature des réactifs, leur stœchiométrie, leur séquence d’addition, le pH et la température de réaction. Il est possible d’hydrolyser partiellement un HPA de type Dawson pour aboutir à la perte d’un ou de plusieurs groupes MO. On obtient alors, un HPA avec un ou plusieurs sites vacants (lacunes). Il existe trois principaux HPAs lacunaires (Figure I-4): l’ion monolacunaire X2M17O61 qui peut avoir deux isomères α1 et α2 selon la position de la lacune, en position équatoriale ou en position apicale respectivement. L’ion trilacunaire X2M15O56 et l’ion hexalacunaire X2M12O48.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE BIBLIOGRAPHIQUE
CHAPITRE I LES HÉTÉROPOLYANIONS
I.1. GÉNÉRALITÉ
I.2. HISTORIQUE
I.3. STRUCTURE DES PRINCIPAUX HÉTÉROPOLYANIONS (HPAs)
I.3.1. Hétéropolyanions de Keggin
I.3.2. Hétéropolyanions de Dawson
I.3.3. Hétéropolyanions d’Anderson
I.4. NOUVELLES STRUCTURES A BASE DES HÉTÉROPOLYANIONS DE KEGGIN ET DE DAWSON
I.5. SYNTHÈSE D’HÉTÉROPOLYACIDES
I.5.1. Méthode classique « Ether »
I.5.2. Synthèse hydrothermale
I.6. STABILITÉ ET PROPRIÉTÉS DES HÉTÉROPOLYANIONS
I.6.1. Stabilité thermodynamique des hétéropolyanions en solution
I.6.2. Stabilité thermique des hétéropolyanions
I.6.3. Stabilité structurale des hétéropolyanions
I.6.4. Propriétés acido-basiques des hétéropolyanions
I.6.5. La réduction des hétéropolyanions
I.6.6. Les propriétés oxydo-réductrices (redox)
I.7. CARACTÉRISTIQUES DE LA SURFACE DES HPA
I.8. APPLICATIONS DES HÉTÉROPOLYANIONS
I.8.1. Les hétéropolyanions en catalyse
Photocatalyse
Electro-catalyse
Autres exemples de catalyse
I.8.2. Les hétéropolyanions dans l’industrie des colorants, pigments et encores
I.8.3. Les hétéropolyanions en médecine
I.8.4. Les hétéropolyanions en biochimie
I.8.5. Les hétéropolyanions en chimie analytique
I.8.6. Les hétéropolyanions en science des matériaux
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CHAPITRE II LES COLORANTS
II.1. HISTORIQUE
II.2. DÉFINITIONS
II.3. STRUCTURE CHIMIQUE DES COLORANTS
II.3.1. Le groupement chromophore
II.3.2. Le groupement auxochrome
II.4. NATURE DES PRINCIPAUX COLORANTS
II.4.1. Colorants naturels
II.4.1.1. Colorants d’origine végétale
II.4.1.2. Colorants d’origine animale
II.4.2. Colorants synthétiques
II.5. CLASSIFICATION DES COLORANTS
II.5.1. Classification tinctoriale
II.5.2. Classification chimique
II.6. UTILISATION ET APPLICATION DES COLORANTS
II.7. PROPRIÉTÉS DES COLORANTS ÉTUDIÉS
II.7.1. Vert de Malachite (C.I.Basic Green 4)
II.7.1.1. Toxicité du vert de Malachite
II.7.1.1.1. Chez les poissons
II.7.1.1.2. Chez les animaux de laboratoire et chez l’homme
II.7.2. Écarlate Solophényl BNLE (C.I. Direct Red 89)
II.7.2.1. Toxicité du l’écarlate Solophényl BNLE
II.8. IMPACT ENVIRONNEMENTAL DES COLORANTS TEXTILES
II.9. NORMES ET RÉGLEMENTATION
II.10. TRAITEMENT DES EAUX DES REJETS TEXTILES
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CHAPITRE III LES PROCÉDÉS D’OXYDATION AVANCÉE
III.1. INTRODUCTION
III.2. OXYDATION ET RÉACTIFS OXYDANTS
III.2.1. Chimie des oxydants
III.3. PROCÉDÉS RADICALAIRES ET RÉACTIVITÉ
III.3.1. POA et principes de base
III.3.2. Génération des radicaux .OH
III.3.2.1. Réactivité des radicaux .OH
III.3.2.2. Mécanisme de dégradation par les radicaux .OH
III.3.2.2.1. Abstraction d’un atome d’hydrogène
III.3.2.2.2. Addition électrophile sur la double liaison
III.3.2.2.3. Transfert d’électrons
III.3.2.3. Réactions parasites
III.3.2.4. Procédés régénérant des radicaux .OH
III.3.2.4.1. Procédés basé sur l’ozonation
a. Ozonation simple (O3)
b. Procédé O3/UV
c. Peroxonation (O3/H2O2)
d. Procédé (O3/H2O2/UV)
III.3.2.4.2. Procédé basé sur la photolyse de H2O2 (UV/H2O2)
III.3.2.4.3. Procédé basé sur la photocatalyse hétérogène (TiO2/UV)
III.3.2.4.4. Procédés basé sur l’irradiation par ultrason (sonolyse)
III.3.2.4.5. Procédés électrochimiques
III.3.2.4.6 Procédés basés sur le réactif de Fenton (H2O2/Fe2+)
a. Principaux mécanismes de l’action du Fer(II) ou Fer(III) sur le H2O2
b. Facteurs influençant l’efficacité du procédé Fenton
c. Inconvénients du système Fenton
III.3.2.4.7. Procédés Fenton-like
III.3.3. Génération des radicaux SO4.-
III.3.3.1. Réactivité des radicaux SO4.-
III.3.3.2. Avantages du persulfate par rapport aux autres oxydants
III.3.3.2.1. Comparaison avec l’ozone et le peroxyde
III.3.3.2.2. Comparaison avec le permanganate
III.3.3.3. Méthodes d’activation du persulfate
III.3.3.3.1. Activation par les métaux
III.3.3.3.2. Activation thermique
III.3.3.3.3. Activation par photolyse
III.3.3.3.4. Activation par l’électron
III.3.3.4. Stabilité des radicaux sulfates en solution aqueuse
III.3.3.5. Mode d’action du radical sulfate
III.3.3.5.1. Réactivité avec les composés organiques
a. Réactivité avec les composés aromatiques
b. Réactivité avec les alcools
c. Réactivité avec les aminoacides
III.3.3.5.1. Réactivité avec les composés inorganiques
III.3.3.6. Comparaison du mode d’action du radical sulfate par rapport au Radical hydroxyle
III.3.3.7. Oxydation de différentes classes de composés par les radicaux sulfate
III.3.3.7.1. Oxydation des colorants
III.3.3.7.2. Oxydation des contaminants organiques
III.3.3.7.3. Oxydation des perturbateurs endocriniens, pharmaceutiques et antibiotiques
CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES