Les maladies héréditaires de l’hémoglobine sont très répandues dans le monde. Chaque année, environ 350 000 nourrissons naissent avec des troubles ayant une relation avec une anomalie de l’hémoglobine dont les plus courantes sont les thalassémies et la drépanocytose (55). Les hémoglobinopathies sont :
– soient des anomalies qualitatives de l’Hb ou hémoglobinoses lorsqu’il y a production d’une chaine de globines anormales. Les plus fréquentes sont l’Hb S, l’Hb C et l’Hb E
– soient des anomalies quantitatives (thalassémies) lorsqu’il y a un déficit partiel ou complet de la production de β-globine (β-thalassémies) ou d’α-globine (α-thalassemies), sans altération de la protéine. Ces différentes anomalies peuvent être associées (comme l’association drépanothalassémie) (38).
Les hémoglobinoses sont dues à l’apparition d’une hémoglobine pathologique qui se distingue des hémoglobines normales par une modification structurale affectant certaines chaînes polypeptidiques de l’hémoglobine. Les anomalies les plus fréquentes affectent les chaînes polypeptidiques bêta, plus rarement leschaînes alpha (et) exceptionnellement les chaînes gamma ou delta. La modification la plus habituelle est la substitution d’un acide aminé de la chaîne béta par un autre acide aminé. C’est ainsi que dans les trois hémoglobinoses à diffusion mondiale à savoir la drépanocytose, l’hémoglobinose C et l’hémoglobinose E, l’anomalie structurale est la substitution d’un seul acide aminé des chaînes bêta de l’hémoglobine A par un autre acide aminé (32). Une anomalie de l’hémoglobine peut être recherchée devant des signes cliniques et biologiques, le plus souvent une anémie, plus rarement une cyanose ou une polyglobulie (par extension devant des céphalées, des acouphènes, des vertiges). Elle peut aussi être recherchée en raison de la constatation d’éléments purement biologiques comme une hémolyse ou une microcytose. Elle peut être également demandée lors d’une enquête familiale ou du dépistage systématique chez une personne appartenant à une ethnie dite « à risque » (Afrique sub-saharienne, Afrique du Nord, Bassin méditerranéen, Antilles, Asie, Moyen-Orient et ProcheOrient), ou encore dans un contexte anesthésique, anténatal, pré-greffe… Enfin, il peut s’agir d’un test de confirmation d’un dépistage néonatal (12).
PHYSIOLOGIE DE L’HEMOGLOBINE
Structure de l’hémoglobine
L’hémoglobine humaine comporte :
– une partie protéique : les chaines de globine, au nombre de quatre et identiques deux à deux (deux chaines de type α et deux chaines non α : (β; γ ; δ) unies par des liaisons non covalentes
– et une partie non protéique : l’hème (11).
L’hémoglobine présente une structure primaire définie par la séquence en acides aminés des chaînes de globine, une structure secondaire (alternance d’hélices alpha et non-alpha), une structure tertiaire définie par l’arrangement tridimensionnel du monomère de globine qui permet de délimiter une poche à hème, et une structure quaternaire définie par les interactions entre les monomères au sein du tétramère (figure 1). Les chaînes α et β sont assemblées entre elles par des liaisons fortes (liaisons α1β1 et α2β2) et par des liaisons faibles (liaisons α1β2 et α2β1), les premières jouant un rôle essentiel dans la stabilité de la molécule et les secondes dans le processus de transition allostérique. En fonction de leur localisation, des mutations concernant des acides aminés impliqués dans les liaisons entre monomères sont responsables d’hémoglobines dites instables et/ou ayant une affinité modifiée pour l’oxygène (Figure 2) (12). Chez l’adulte, l’hémoglobine principale est l’hémoglobine HbA (HbA1 = α2β2) associée à des hémoglobines dites minoritaires : les hémoglobines A2 (HbA2 = α2δ2) et HbF (HbF =α 2γ2).
Structure de l’hème
L’hémoglobine est un tétramère de poids moléculaire 64 500 D faite de l’union d’une portion protéique (la globine), et d’un groupement porphyrique (l’hème) contenant du fer. L’hème est une molécule plane composée de :
– quatre (4) noyaux pyrrol à sommet azoté réunis par des ponts méthyl (-CH-) ;
– huit (8) chaînes latérales (4 méthyles, 2 vinyles, 2 acides propioniques),
– un (1) atome de fer central fixé aux 4 atomes d’azote des noyaux pyrrol avec deux (2) valences libres.
La molécule d’hème est logée dans une cavité en forme de V au niveau de chaque sous-unité de globine. C’est une protoporphyrine ayant à son centre unatome de fer sous forme réduite, qui peut fixer de façon réversible un atome d’oxygène (8).
Structure de la globine
La globine comporte quatre (4) chaînes polypeptidiques identiques deux (2) à deux (2) :
– deux (2) chaînes α avec 141 acides aminés
– et deux (2) chaînes non α, qui sont β, δ, γ avec 146 acides aminés.Chacune de ces chaines est reliée à un groupement héminique avec un atome de fer (7).
Evolution ontogénique des hémoglobines humaines
Pendant la période embryonnaire, différents types de chaines vont être synthétisées δ, ε, puis α et γ. En effet, l’érythropoïèse débute dans la lignée primitive érythroblastique du sac vitellin avec l’activation des loci α et β dès la fin de la 3e semaine de gestation. Pendant cette phase ce sont les hémoglobines embryonnaires qui sont synthétisées. Au stade fœtal, la synthèse de l’hémoglobine fœtale est d’abord réalisée dans le foie (jusqu’à la vingtième semaine) puis dans la rate et la moelle osseuse. La biosynthèse de l’hémoglobine de l’adulte débute dès la dixième semaine dans les érythroblastes de la moelle osseuse et dans les réticulocytes circulants. Toutes les hémoglobines sont des tétramères mais se distinguent par la nature des chaines de globines qui les constituent.
Trois hémoglobines embryonnaires sont successivement synthétisées :
❖ Gower 1 (δ2ε2),
❖ Gower 2 (α2ε2)
❖ Portland (δ2γ2).
Dès la cinquième semaine de gestation, les hémoglobines embryonnaires sont progressivement remplacées par l’hémoglobine fœtale (α2γ2) qui devient alors majoritaire à partir de la dixième semaine jusqu’à la naissance. (Figure 5) Chez l’adulte sain, trois (3) Hb différentes coexistent :
❖ l’Hb A1 (α2β2) : représente la majorité des hémoglobines retrouvées dans le globule rouge (97% de l’Hb totale)
❖ l’Hb A2 (α2β2) : constitue moins de 3% des hémoglobines érythrocytaires
❖ l’hémoglobine F ou fœtale (α2γ2) est présente à l’état de traces (˂1%). Le statut hémoglobinique adulte est atteint en principe entre l’âge de 1 à 4 ans (27 ; 11).
Fonctions de l’hémoglobine
Chaque chaîne de globine possède une poche à hème qui permet à l’hémoglobine d’assurer sa fonction oxyphorique. L’ Hb assure donc la fixation de l’oxygène au niveau des poumons puis sa libération au niveau des tissus. Au cours de la fixation ou de la libération de l’oxygène, les sous unités α et β se déplacent les unes par rapport aux autres avec dilatation de la molécule à l’état désoxygéné et contraction à l’état oxygéné ce, qui fait comparer la molécule d’Hb à un poumon à l’échelle moléculaire. Les principaux mouvements se font au niveau des liaisons faibles α1-β2 et α2- β1, ce qui explique les anomalies structurales à ce niveau lors d’une mutation: affinité accrue de l’Hb pour l’oxygène avec mauvaise libération d’O2 au niveau des tissus ou plus rarement l’inverse.
L’Hb assure également le transport du CO2 des tissus aux poumons, ce CO2 se combine aux groupements aminés de la globine pour former la carbaminohémoglobine (8 ; 12).
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Table des matières
INTRODUCTION
I.PHYSIOLOGIE DE L’HEMOGLOBINE
I.1. Structure de l’hémoglobine
I.1.1. Structure de l’hème
I.2. Structure des gènes de l’hémoglobine
I.3. Evolution ontogénique des hémoglobines humaines
I.4. Fonctions de l’hémoglobine
I.5. Biosynthèse
I.5.1. Synthèse des chaines polypeptidiques de la globine et contrôle génétique
I.5.1.1. Groupe des gènes de type α
I.5.1.2 Groupe des gènes de type β
I.5.2. Synthèse de l’hème
I.6. Catabolisme
II. HEMOGLOBINOPATHIES
II.1. Hémoglobinoses
II.1.1. Hémoglobinose S ou drépanocytose
II.1.1.1. Physiopathologie de la drépanocytose
II.1.2. Autres substitutions
II.2. Thalassémies et la persistance héréditaire de l’hémoglobine fœtale
II.2.1. β-thalassémies
II.2.1.1. Forme homozygote ou thalassémie majeure
II.2.1.2. Formes hétérozygotes
II.2.1.3. Cas particuliers à rattacher aux β-thalassémies
II.2.2. α-Thalassémies
II.2.2.1. Formes homozygotes : l’anasarque fœtale ou Hydrops foetalis
II.2.2.2. Formes hétérozygotes
II.2.3. Persistance héréditaire de l’hémoglobine fœtale
III. DIAGNOSTIC BIOLOGIQUE DES HEMOGLOBINOPATHIES
III.1. Examens hématologiques et biochimiques spécifiques
III.1.1. Numération formule sanguine
III.1.2. Tests cytologiques
III.1.2.1. Test de falciformation d’EMMEL
III.1.2.2. Test de Kleihauer
III.1.3. Autres examens
III.1.3.1. Test de stabilité de l’hémoglobine à l’isopropanol
III.1.3.2. Test de solubilité de l’hémoglobine S ou test d’ITANO
III.1.3.3. Dosage de l’hémoglobine fœtale
III.1.3.4. Etude de la distribution de la densité des globules rouges
III.1.3.5. Exploration de la fixation de l’oxygène
III.2. Techniques électrophorétiques
III.2.1. Electrophorèse de l’hémoglobine à pH alcalin
III.2.2. Electrophorèse sur gel à pH acide
III.2.3. Electrophorèse capillaire
III.2.4. Isoélectrofocalisation
III.3. Chromatographie liquide haute performance
III.4. Biologie moléculaire
CONCLUSION