Depuis plus dโune dรฉcennie, les oxydes de manganรจse de type AMnO3 sont au cลur dโun intense travail dโinvestigations. En effet, ces composรฉs prรฉsentent une variรฉtรฉ de phases et de propriรฉtรฉs รฉlectroniques trรจs riche. Notamment, lโeffet de magnรฉtorรฉsistance colossale (CMR) que certains de ces composรฉs prรฉsentent ร basse tempรฉrature est aujourdโhui au cลur dโune intense recherche pour en comprendre le mรฉcanisme. Cet effet trรจs spectaculaire consiste en une chute de plusieurs ordres de grandeur de la rรฉsistivitรฉ ร basse tempรฉrature sous lโeffet dโun champ magnรฉtique appliquรฉ. Il se rencontre dans les composรฉs isolants ร basse tempรฉrature qui deviennent mรฉtalliques sous des champs magnรฉtiques de quelques teslas. Typiquement, ce sont les composรฉs proches de Pr2/3Ca1/3MnO3 qui prรฉsentent, ร basse tempรฉrature, un รฉtat antiferromagnรฉtique isolant dรฉstabilisรฉ au profit dโun รฉtat ferromagnรฉtique mรฉtallique mรฉtastable, le champ magnรฉtique permettant de basculer du premier au second. Les mรฉcanismes de cette transformation magnรฉtique ne sont pas encore compris au dรฉbut de cette thรจse, ni les transitions isolant-mรฉtal (I-M) trรจs abruptes qui y sont associรฉes. De nombreuses hypothรจses et modรจles sont proposรฉs et les conclusions des diffรฉrentes expรฉriences menรฉes dans ce but ne sont pas toujours en accord. Certains pensent que le magnรฉtisme de ces composรฉs est inhomogรจne ร lโรฉchelle microscopique et que le champ magnรฉtique agit par modification de cette microstructure (par exemple par croissance ou nuclรฉation de clusters ferromagnรฉtiques mรฉtalliques). Dโautres pensent que la transition est due aux propriรฉtรฉs intrinsรจques de la structure magnรฉtique de ces รฉchantillons, et transforme la phase isolante dans sa totalitรฉ de maniรจre homogรจne.
Gรฉnรฉralitรฉs sur les oxydes de manganรจse, propriรฉtรฉs de la sรฉrie Pr1-xCaxMnO3 et problรฉmatique de cette thรจse
STRUCTURE CRISTALLINE ET ETATS ELECTRONIQUES DES OXYDES DE MANGANESE A STRUCTURE PEROVSKITEย
La structure Perovskite
Les oxydes de manganรจse auxquels nous nous sommes intรฉressรฉs cristallisent en une structure de type perovskite. Pour cette structure, de formule gรฉnรฉrique ABO3 dans le cas des oxydes, le rรฉseau de Bravais des sites B est cubique simple, les ions oxygรจne occupent les milieux des arrรชtes et le cation A le centre du cube. Le site B est donc occupรฉ pas un ion de coordinence octaรฉdrique, le manganรจse dans le cas des manganites. Dans cette structure perovskite, les cations manganรจse sont coordinรฉs par 6 oxygรจnes, formant ainsi les octaรจdres MnO6 typiques des manganites .
Le site A peut รชtre occupรฉ soit par des ions terre rare (La, Pr, Ndโฆ), donc ร degrรฉ dโoxydation (III), soit par des ions alcalino-terreux (Sr, Ca, Ba, โฆ), ร degrรฉ dโoxydation (II). Dans ces composรฉs, les liaisons chimiques ont un fort caractรจre ionique ; on peut donc dรฉfinir un rayon ionique pour chacune des diffรฉrentes espรจces chimiques. Dans le cadre dโun modรจle de sphรจres dures, la structure perovskite nโest cubique que si les rayons ioniques sont correctement accordรฉs, des distorsions sโobservent donc si ce nโest pas le cas. La structure cristalline compense alors en augmentant certaines distances A-O et en rรฉduisant dโautres ce qui provoque des rotations de lโensemble des octaรจdres MnO6 ainsi que la rรฉduction du volume du polyรจdre de coordinence du site A.
Etats รฉlectroniques des ions manganรจse dans le champ cristallin octaรฉdriqueย
Selon le degrรฉ dโoxydation du cation occupant le site A (II ou III), le manganรจse aura un degrรฉ dโoxydation (IV) ou (III), respectivement. Lโion manganรจse Mn3+ possรจde une configuration รฉlectronique 3d4 , lโion Mn4+ une configuration 3d3 . Dans les deux cas, le niveau d prรฉsente une dรฉgรฉnรฉrescence 5. En raison dโun fort couplage magnรฉtique de Hund JH entre les moments de spins portรฉs par les รฉlectrons de chaque orbitale (JH โ 2 ~ 3 eV), les ions manganรจse sont dans une configuration de haut spin .
Insรฉrรฉ dans un complexe octaรฉdrique, lโion Mn subit le champ รฉlectrostatique de son environnement dโoxygรจne local (champ cristallin), de symรฉtrie octaรฉdrique (on sโarrรชte dans lโรฉvaluation du champ cristallin aux premiers voisins). Cette symรฉtrie du champ cristallin lรจve la dรฉgรฉnรฉrescence de lโorbitale dย : les niveaux รฉlectroniques de lโion libre sont รฉclatรฉs en un sous niveau t2g triplement dรฉgรฉnรฉrรฉ (orbitales dxy, dxz et dyz ) et un sous niveau eg doublement dรฉgรฉnรฉrรฉ (orbitales dzยฒ et dyยฒ-xยฒ ) .
Dโautre part, les orbitales atomiques sont fortement hybridรฉes avec les niveaux 2p des oxygรจnes ligands. On doit alors considรฉrer quโelles forment des bandes liantes et anti-liantes de caractรจre eg et t2g sรฉparรฉes par un gap dโรฉnergie lรฉgรจrement infรฉrieur ร la rรฉpulsion de Hund JH. On peut alors considรฉrer que le Mn est dans une configuration de haut spin. Les bandes eg ou t2g doivent alors รชtre considรฉrรฉes comme des bandes complรจtement polarisรฉes en spin. La bande t2g est pleine pour les deux types dโions Mn. Elle constitue la bande de valence des composรฉs D2+MnO3 ne contenant formellement que des ions Mn4+, ces derniers sont donc isolants . Les composรฉs du type R3+MnO3 constituรฉs formellement dโions Mn3+ ont au contraire une bande de valence (la bande eg cette fois-ci) ร demi remplie.
Effet Jahn-Teller
Comme nous venons de le prรฉciser, les composรฉs du type R3+MnO3 ont une orbitale eg ร demi remplie. On sโattendrait donc ร un comportement mรฉtallique pour ces composรฉs. Or ils sont en gรฉnรฉral isolants (LaMnO3 est un exemple). La raison est lโapparition dโune levรฉe de dรฉgรฉnรฉrescence du niveau eg, ouvrant ainsi un gap au niveau de Fermi conduisant ainsi ร une localisation des charges. Cโest lโeffet Jahn-Teller . Jahn et Teller ont montrรฉ que lorsque lโorbitale eg dโun ion dans un champ cristallin octaรฉdrique est ร demi remplie (orbitale mono รฉlectronique), un abaissement de symรฉtrie (autrement dit une distorsion de lโoctaรจdre MnO6) lรจverait la dรฉgรฉnรฉrescence au niveau de lโorbitale eg dรฉgรฉnรฉrรฉe. Comme seul le niveau infรฉrieur est occupรฉ, il en rรฉsulte un gain en รฉnergie รฉlectronique. Cโest le coรปt en รฉnergie รฉlastique de la distorsion cristalline responsable de lโabaissement de symรฉtrie qui limite lโampleur de la distorsion. Si cet effet devient coopรฉratif, il sโensuit un ordre orbital dans tout le cristal, lโorientation spatiale des orbitales รฉtant fixรฉe par lโaxe local de la distorsion Jahn-Teller. Un gap sโouvre au niveau de Fermi et le composรฉ est alors isolant.
Relation entre ordre orbital et ordre magnรฉtique. Rรจgles de superรฉchange de Goodenough-Kanamori-Andersonย
Il a รฉtรฉ remarquรฉ trรจs tรดtย quโร lโordre orbital gรฉnรฉrรฉ par un effet Jahn-Teller coopรฉratif est associรฉ un ordre magnรฉtique bien particulier. Le calcul de ce lien passe par la considรฉration de transfert virtuel dโรฉlectron entre ions Mn voisins et revient ร un calcul de perturbation des รฉtats de spin ร un degrรฉ supรฉrieur ร 2. Ce calcul est trรจs complexe et ne correspond pas toujours ร lโexpรฉrience. Bien heureusement, un outil empirique puissant existe : les rรจgles de GoodenoughKanamori-Andersonย , qui dรฉterminent le couplage magnรฉtique du systรจme cation-anion-cation dโaprรจs lโรฉtat orbital des cations, permettent ainsi de prรฉvoir la structure magnรฉtique dโun cristal.
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Table des matiรจres
Introduction
Chapitre 1 : Gรฉnรฉralitรฉs sur les oxydes de manganรจse, propriรฉtรฉs de la sรฉrie Pr1- xCaxMnO3 et problรฉmatique de cette thรจse
A. STRUCTURE CRISTALLINE ET ETATS ELECTRONIQUES DES OXYDES DE MANGANESE A STRUCTURE PEROVSKITE
A.1. La structure Perovskite
A.2. Etats รฉlectroniques des ions manganรจse dans le champ cristallin octaรฉdrique
A.3. Effet Jahn-Teller
A.4. Relation entre ordre orbital et ordre magnรฉtique. Rรจgles de super-รฉchange de Goodenough-Kanamory-Anderson
A.5. Composรฉs ร valence mixte du manganรจse
A.5.a. Dรฉlocalisation des charges et double รฉchange
A.5.b. Mise en ordre des charges
A.5.c. Transition Isolant-Mรฉtal : modรจle de Hubbard et approche DMFT
A.5.d. Diagrammes de phases
B. MAGNETORESISTANCE, CANTING ET SEPARATION DE PHASE
B.1. Magnรฉtorรฉsistance
B.2. Origine de la magnรฉtorรฉsistance
B.2.a. Introduction
B.2.b. Une premiรจre approche de la magnรฉtorรฉsistance : le double รฉchange gรฉnรฉralisรฉ de de Gennes
B.2.c. GMR ร TC dans les FM-M : le rรดle des polarons
B.2.d. CMR ร basse tempรฉrature : des polarons vers la sรฉparation de phase
B.2.d.i. Notion de ยซ canting ยป et de sรฉparation de phase
B.2.c.ii. Sรฉparation de phase mรฉsoscopique
C. POURQUOI CHOISIR LA SERIE Pr1-xCaxMnO3?
C.1. Magnรฉtorรฉsistance colossale
C.2. Sรฉparation de phase et percolation
C.2.a. Sรฉparation de phase mรฉsoscopique FM-I/AF-I
C.2.b. Apparition de phase FM-M sous champ et percolation
C.2.c. Existence dโinhomogรฉnรฉitรฉs nanomรฉtriques magnรฉtiques ร basse tempรฉrature sans champ magnรฉtique
D. CONCLUSION
Chapitre II : Techniques expรฉrimentales et mรฉthode dโanalyse des donnรฉes
A. Mรฉthodes de synthรจse et de caractรฉrisations chimique et structurale
A.1. Mรฉthodes de synthรจse des monocristaux
A.1.i. Prรฉparation des cylindres polycristallins pour la croissance cristalline
A.1.ii. Monocristaux
A.2. Mรฉthodes de caractรฉrisations chimiques et structurales
B. Mesures physiques
B.1. Mesures dโaimantation
B.2. Mesures de transport
B.2.a. Mรฉthode de mesure de rรฉsistivitรฉ ร 4 contacts
B.2.b. Mesures ร lโรฉlectromรจtre Keithley
C. Diffusion de neutrons aux petits angles
C.1. Thรฉorie de la diffusion de neutrons aux petits angles
C.1.a. Introduction
C.1.b. Intensitรฉ diffusรฉe
C.1.d. Effet dโun champ magnรฉtique sur la diffusion
C.1.e. Polarisation
C.2. Dispositifs expรฉrimentaux
C.2.a. Spectromรจtres petits angles PAXY et PAPYRUS (LLB-Saclay)
C.2.b. Spectromรจtre petits angles V4 (BENSC, HMI-Berlin)
C.2.c. Porte-รฉchantillons pour les spectromรจtres DNPA
C.3. Traitement des donnรฉes des spectromรจtres DNPA
C.3.a. Calcul de lโintensitรฉ absolue en cm-1
C.3.b. Regroupement angulaire
C.3.c. Conclusion
C.4. Analyse de lโintensitรฉ diffusรฉe aux petits angles
C.4.a. Intensitรฉ diffusรฉe
C.4.b. Facteur de forme
C.4.b.i. Introduction
C.4.b.ii. Approximation de Guinier – Rayon de giration
C.4.b.iii. Bรขtonnet
C.4.b.iv. Disque
C.4.b.v. Chaรฎnes statistiques
a. Fil (ou chaรฎne) flexible ร statistique Gaussienne
b. Chaรฎne ร volume exclu dite ยซ de Kuhn ยป
C.4.b.vii. Sphรจre
C.4.b.viii. Dรฉcomposition dโun facteur de forme
C.4.c. Diffusion par des interfaces
C.4.c.i. Loi de Porod
C.4.c.ii. Dรฉviations positives ร la loi de Porod
a. Diffusion par des surfaces poreuses
b. Diffusion par des surfaces ร rugositรฉs fractales
C.4.c.ii. Diffusion par des interfaces diffuses
C.4.d. Facteur de structure
C.4.d.i. Introduction
C.4.d.ii. Loi de Debye-Bueche
C.4.d.iii. Amas fractal dโobjets
C.4.d.iv. Corrรฉlations dรฉrivรฉes dโexponentielles dรฉcroissantes
Chapitre III : Magnรฉtisme ร toutes ses รฉchelles
A. ORDRE MAGNETIQUE A GRANDE DISTANCE
A.1. Paramagnรฉtisme
A.2. Ferromagnรฉtisme
A.2.a. Origine du ferromagnรฉtisme
A.2.c. Hamiltonien de Heisenberg
A.2.d. Ferromagnรฉtisme dans lโapproximation de champ moyen
A.2.e. Exposants critiques
A.2.f. Anisotropie magnรฉto-cristalline
A.3. Antiferromagnรฉtisme
A.4. La transition mรฉtamagnรฉtique
A.5. Diagrammes de phase
A.6. Ordre magnรฉtique ร grande distance et diffraction de neutrons
B. DOMAINES DE WEISS ET PAROIS DE BLOCH
B.1. Physique des domaines de Weiss
B.2. Consรฉquences sur les courbes dโaimantation
B.3. Effet sur les pics de diffraction de neutrons
B.4. Diffusion aux petits angles par les domaines magnรฉtiques
C. FLUCTUATIONS CRITIQUES
C.1. Thรฉorie de Ginsburg-Landau
C.2. Diffusion aux petits angles
C.3. Modรจle de lโamas de particules rรฉpondant ร une statistique de fluctuations critiques
D. SEPARATION DE PHASE
D.1. Sรฉparation de phase macroscopique
D.1.a. Physique de la sรฉparation de phase macroscopique
D.1.b. Consรฉquences sur les courbes dโaimantation
D.1.c. Observation de la sรฉparation de phase macroscopique en DNPA
D.2. Sรฉparation de phase mรฉsoscopique
D.3. Sรฉparation de phase nanomรฉtrique
E. CONCLUSION
Conclusion