La région métropolitaine de Londres est le résultat d’une construction lente, complexe et non linéaire, qui ne date pas des processus récents de la métropolisation. A partir d’une structure régionale héritée, des événements et des non-événements ont ponctué cette longue évolution, conditionnant, de façon directe ou indirecte, la croissance urbaine. Les réseaux de transport de la première grande ville de la planète ne sont pas étrangers à l’évolution qui a fait glisser Londres de la ville à la région urbaine. Que ce soit la première ligne de métro ou l’autoroute périphérique M25, ces infrastructures ont été construites pour répondre à un besoin et ont à leur tour redimensionné le rapport espace-temps sur lequel repose la proximité urbaine.
La construction de la région métropolitaine de Londres
« Le Londres moderne est largement une création de son système de transport » (P. Hall, 1989a, p.119-120) .
Méthodologie de l’analyse rétrospective
L’essai historique qui suit a pour but d’expliciter comment la région métropolitaine actuelle s’est structurée et comment le réseau actuel de transport a été mis en place en s’attachant à cerner les problèmes qu’il pose et la mise en place des bases de l’actuelle politique d’aménagement et de transport. Il s’agit de repérer des traces et des inerties sur le palimpseste que forme le plus grand Londres et non de se référer à un modèle explicatif général, qui n’existe d’ailleurs pas. Nous allons plutôt rechercher des congruences, proposer des hypothèses en nous fondant sur l’abondante littérature consacrée à l’évolution de Londres. Le pas de temps choisi, de 1800 aux années 1980, permet de mettre en lumière les effets de la mise en place de nouvelles infrastructures, effets souvent visibles seulement sur le long terme et donc difficiles à repérer dans les études menées sur la question durant les quarantedernières années. Le terme d’essai nous paraît donc le plus adapté, car il rend compte d’une démarche empirique qui porte sur le temps long et pour laquelle les données sont moins précises et montre par l’exemple les processus historiques qui ont construit l’actuelle région londonienne.
Londres première métropole moderne
La précocité de la croissance qui a caractérisé Londres a rapidement induit des discussions sur la manière dont on pouvait gérer cette croissance qui apparaissait à première vue incontrôlable. Bien qu’au 17e siècle Samuel Pepys ait affirmé que la ville ne saurait dépasser le seuil de 700.000 habitants sous peine d’imploser, le premier recensement, en 1801, en avait compté près d’un million. Plus encore, Londres devint la première agglomération mondiale à dépasser les 2 millions d’habitants (2 363 000 en 1851), en tant que capitale du premier grand pays industrialisé et 6 586 000 Londoniens furent recensés un siècle plus tard en 1901. La superficie bâtie passa de 65 km2 dans les années 1840 à plus de 2 600 en 1900 (Barker et Robbins, 1975). Face à cette extension, les élites ont rapidement lié la solution des problèmes de congestion du centre (résidentielle plus que purement liée aux transports) à la mise à disposition de la population de transports efficaces à l’échelle de la région urbaine. Les transports, particulièrement les transports publics jusque vers 1940, ont joué un rôle majeur dans la définition de la structure spatiale londonienne en agissant directement sur la localisation des résidences et des activités, et, partant, sur la mobilité. D’une part, le métro a tôt dépassé les limites du centre et de l’autre des compagnies de chemin de fer ont mis en place un important réseau de banlieue lié au développement des trajets domicile-travail qu’elles ont encouragé surtout à partir des années 1860. Londres précède ainsi largement les autres grandes villes, car les 1 696 000 habitants de Paris étaient alors encore engoncés dans l’enceinte de Louis-Philippe et New York venait « seulement » de dépasser le seuil du million d’habitants (1 175 000), que Berlin ne le ferait que lors de la décennie 1870-80 et Tokyo une décennie plus tard.
Trois périodes ont été mises en évidence, qui induisent une structuration spatiale particulière de Londres, avec le passage d’une agglomération continue à une région urbaine discontinue (Mogridge et Parr, 1997) :
– Jusque dans les années 1870, l’expansion est presque exclusivement périphérique
– De 1870 aux années 1930, l’expansion périphérique continue de dominer, mais une expansion discontinue commence à apparaître au-delà des limites de l’agglomération
– A partir des années 1930, les deux types coexistent, mais la croissance discontinue domine de plus en plus.
La région urbaine de Londres ne constitue donc pas aujourd’hui une structure bâtie de manière continue, mais une région urbaine dotée de centres urbains distincts et de taille variée qui gravitent autour de l’agglomération de Londres. On peut parler de système régional intégré avant même les processus actuels de métropolisation. Cet essai pose l’hypothèse que, contrairement à ce qui est habituellement affirmé, cette structuration n’est pas essentiellement le résultat de la politique d’aménagement au travers de la mise en place de la Ceinture Verte et de villes nouvelles, mais lui préexistait et est liée à la mise en place précoce de moyens de transport à maillage dense et de grande portée tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’actuel Greater London. La notion de région urbaine centrée sur la grande ville a d’ailleurs été mise en avant dès les années 1930. La recherche montre bien que les décisions en matière de transports combinées aux politiques d’aménagement selon un processus de rétroaction influencent la forme des processus de déconcentration urbaine (Cervero, 1995, p.194, 201). Il faut donc se garder de toute causalité linéaire.
Extension et radialisation de l’espace urbain 1800-1939
« Il est très difficile de nos jours de dire où les banlieues de Londres s’achèvent et où la campagne commence. Les chemins de fer, au lieu de permettre aux Londoniens de vivre à la campagne, ont transformé la campagne en ville. Londres aura bientôt la forme d’une grande étoile de mer. La vieille ville, qui s’étend de Poplar à Hammersmith, en sera le noyau et les diverses lignes de chemin de fer les rayons » .
Transports publics et expansion périphérique de Londres
L’extension brutale des réseaux fait sortir Londres de ses limites
L’expansion spatiale de Londres a commencé dès le début du 19e siècle. En 1801, le diamètre des surfaces bâties qui était de 6 km, est passés à 10 km en 1850. Dans le même temps, la population doublait (Gossop, 2004, p.1). Les limites de la ville, longtemps restées proches de son fleuve, commencent, à cette période, à s’en éloigner. De fait, la Tamise, longtemps la principale artère de communication de la ville, ne suffisait plus, pas plus que les omnibus à chevaux mis en place entre les décennies 1820 et 1840 (Taylor, 2001). C’est le rail qui permit de s’éloigner du fleuve, avec la construction de gares, qui marque bien la fin de la walking city dont le rayon est communément fixé à 3 km. Le nombre de gares (15) et leur relatif éloignement du centre (sauf pour Victoria et Charing Cross), décidé par le Parlement pour éviter d’importants et coûteux travaux de démolition et reconstruction dans le tissu ancien de la ville, ont rendu indispensable la mise en place de transports internes rapides. Vers 1850, il fallait souvent plus de temps pour traverser Londres que pour rallier Brighton, à 90 km.
Cela, avec l’absence d’haussmannisation de la ville, explique l’adoption précoce de la solution souterraine, autorisée en 1854. La première ligne, inaugurée en 1863, reliait la gare de Marylebone à celle de Farringdon Street en passant par celle de King’s Cross. Le succès fut immédiat et plus de 10 millions de passagers (pas tous riches comme le montre la fig. 1) l’empruntèrent durant sa première année d’exploitation.
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Table des matières
INTRODUCTION
Introduction, démarche scientifique et éléments théoriques
Introduction
La démarche scientifique séquentielle de la thèse
Le plan de la thèse
Liminaire théorique : la métropole et le mouvement
Conclusion
PARTIE 1 – structuration et fonctionnement d’une région métropolitaine dépendante des réseaux
Introduction
CHAPITRE 1. La construction de la région métropolitaine de Londres
Conclusion
CHAPITRE 2. Structure et fonctionnement de Londres à l’ère de la métropolisation
Conclusion
PARTIE 2 – Le primat de l’automobile dans les périphéries métropolitaines
Introduction
CHAPITRE 1 – Greater London en marge du « tout routier »
CHAPITRE 2 – La dualité des espaces de la mobilité quotidienne
Conclusion
PARTIE 3 – Traiter la dépendance automobile
Introduction
CHAPITRE 1 – L’automobile et les nuisances de la mobilité quotidienne
CHAPITRE 2 – La dépendance automobile n’est pas durable
CHAPITRE 3 – Les leviers d’action
Conclusion
PARTIE 4 – La mesure des relations transport – occupation de l’espace pour réduire la dépendance automobile
Introduction
CHAPITRE 1 – Les relations entre occupation de l’espace et mobilité dans la littérature
CHAPITRE 2 – Mesure des relations entre l’occupation de l’espace et la mobilité domiciletravail à Londres
CHAPITRE 3 – Intégration de la performance des transports dans la mesure des relations
CHAPITRE 4 – Evaluation des politiques de réduction de la dépendance automobile dans le
contexte de l’aménagement londonien
Conclusion
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES