Introduction
Il existe différentes façons d’appréhender le concept de stress au travail. L’Agence Européenne pour la Sécurité et la Santé au Travail en donne la définition suivante : un état de stress survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face. Bien que le processus d’évaluation des contraintes et des ressources soit d’ordre psychologique, les effets du stress ne sont pas, eux, uniquement de nature psychologique. Ils affectent également la santé physique, le bien-être et la productivité [1]. Selye a élaboré un modèle biologique du stress où celui-ci est responsable de manifestations organiques non spécifiques en réponse à une agression physique, le syndrome d’adaptation général. Dans ce modèle biologique, l’exposition à des facteurs de stress (stressors en anglais), que ces contraintes soient physiques ou psychiques, provoque une production de catécholamines et la sécrétion de glucocorticoïdes par les glandes surrénales. C’est cette augmentation du taux plasmatique qui est à l’origine des réactions de lutte ou de fuite [2]. D’autres approches se sont focalisées plus spécifiquement sur le stress au travail. On peut citer le modèle demande-latitude décisionnelle développé par Karasek qui se concentre sur la tâche de travail [3,4] ou encore le modèle de la justice organisationnelle [5]. Le modèle du déséquilibre effort-récompense (effort reward-imbalance, ERI), a été développé par Siegrist en 1996. Dans cette perspective, les conditions de travail associant des efforts importants à de faibles récompenses sont les plus stressantes [6]. Les récompenses prennent trois formes : la rémunération, l’estime et le contrôle sur son propre statut professionnel (perspectives de promotion, sécurité de l’emploi). Siegrist distingue les efforts extrinsèques et les efforts intrinsèques. Les efforts extrinsèques se définissent par les contraintes professionnelles : contraintes de temps, interruptions fréquentes, responsabilités, heures supplémentaires, charge physique et augmentation de la charge de travail. Les efforts intrinsèques correspondent à des facteurs de personnalité traduisant un engagement excessif dans le travail appelé « surinvestissement ». Ce modèle, largement utilisé, a déjà fait l’objet de travaux pour mettre en avant l’existence d’un lien entre le stress au travail et certaines pathologies. Ainsi, le déséquilibre effort-récompense est associé à une augmentation du risque de maladie coronarienne [7], à une augmentation de la pression artérielle et de l’épaisseur intima-média de la paroi artérielle [8], au syndrome métabolique [9], à la dyslipidémie [10], au diabète de type 2 et à l’intolérance au glucose [11] et enfin à l’augmentation du risque de premier épisode d’accident vasculaire cérébral [12]. Les patients atteints de lupus érythémateux disséminé ou de polyarthrite rhumatoïde ont plus fréquemment un déséquilibre de la balance effort-récompense [13]. Ce déséquilibre est également associé au risque de troubles musculo-squelettiques [14], aux troubles dépressifs [15] et aux troubles du sommeil [16]. Sur le plan immunitaire et inflammatoire, un déséquilibre effort-récompense est significativement associé à une augmentation du cortisol salivaire et de la CRP (C Reactive Protein) [17], une augmentation du fibrinogène [7], un dérèglement de l’axe hypothalamohypophysaire avec augmentation de la concentration de cortisol au réveil et du pic de cortisol au lever [18] . Ce déséquilibre est également significativement associé à une immunité globale plus faible avec une baisse de la numération leucocytaire, de l’immunité muqueuse (baisse du taux d’IgA salivaire) et du taux de cytokines pro-inflammatoires (augmentation du taux de TNF-α, interleukines 6 et 10, de la CRP et diminution des interleukines 4) dans l’analyse en sous-groupes [19].
Patients et méthodes
Il s’agissait d’une étude non-interventionnelle monocentrique réalisée dans le service de dermatologie du Centre Hospitalier Régional et Universitaire (CHRU) de Brest. Les patients ont été recrutés par les dermatologues en consultation, en hôpital de jour et en hospitalisation continue après avoir été informés des objectifs de l’étude et avoir donnés leur consentement. Pour être inclus dans l’étude, les patients devaient être atteints de psoriasis et être actifs occupant un emploi, c’est-à-dire avoir travaillé au cours de la semaine précédant la consultation (activité salariée, à son propre compte, employeur ou aide dans l’entreprise ou exploitation familiale) ou être pourvu d’un emploi duquel le travailleur est temporairement absent (arrêt de travail, congé, congé maternité, etc). Les critères d’exclusion étaient : le fait d’être mineur, le fait d’être sous protection juridique (tutelle, curatelle, etc), la présence d’une autre pathologie potentiellement prurigineuse d’origine dermatologique (urticaire, eczéma, ectoparasitose, etc) ou générale (cholestase, insuffisance rénale chronique, maladie hématologique ou endocrinienne, etc), l’absence de maitrise de la langue française, le fait de rendre des questionnaires incomplets portant sur nos critères principaux et le refus de participer à l’étude. Pour chaque patient inclus, un questionnaire a été rempli. Celui-ci était composé d’une première partie remplie par le praticien concernant le traitement du psoriasis en cours chez le patient. La seconde partie était remplie par le patient à l’issue de la consultation et comprenait :
– un recueil des données sociodémographiques : âge, sexe, poids, taille, profession et temps de travail hebdomadaire. La profession actuelle déclarée a été secondairement codée avec la Classification Internationale des Types de Professions de 2008 (CITP-08) de manière indépendante par deux médecins du travail. Les désaccords ont été résolus par l’intervention d’un troisième médecin du travail.
– le questionnaire évaluant le déséquilibre effort – récompense de Siegrist ou Effort Reward Imbalance (ERI) dans sa version à 23 items pour l’évaluation actuelle générale de ce déséquilibre [34,35]. Chaque item est évalué par une échelle de Likert à 5 points. Six items permettent de calculer les efforts extrinsèques ressentis (score e) et onze items évaluent les récompenses perçues par le salarié (score r). Le score ERI est ensuite calculé de la façon suivante :
Ratio = (11 x e) / (6 x (66 – r))
e : score de l’échelle des efforts
r : score de l’échelle des récompenses
Les six derniers items permettent de calculer le score des efforts intrinsèques (surinvestissement) par une échelle de Likert à 4 points. Ils portent sur l’incapacité à se soustraire du travail, à l’impatience et à l’irritabilité disproportionnée.
– le questionnaire Itchy Quality of Life (ItchyQoL) qui mesure le retentissement du prurit sur la qualité de vie au cours des sept jours précédents l’évaluation [36,37]. Il s’agit d’un questionnaire à 22 items évalués avec une échelle de Likert à 5 points portant sur la fréquence de différents symptômes liés au prurit au cours des sept derniers jours. Il permet le calcul d’un score compris entre 22 et 110. Plus le score est élevé, plus l’impact du prurit est important.
– une échelle numérique (EN) de 0 à 10 pour la quantification de l’intensité du prurit le jour de la consultation. Zéro correspond à l’absence de prurit, entre 1 et 3 à un prurit léger, entre 4 et 7 à un prurit modéré et un score supérieur à 7 correspond à un prurit sévère.
– le Simplified Psoriasis Index (SPI) qui permet d’apprécier de la sévérité globale du psoriasis le jour de la consultation [38–40]. Cette échelle comprend 3 sousscores indépendants : le SPI-s évaluant la sévérité actuelle du psoriasis (entre 0 et 50) ; le SPI-p, son impact psychosocial (échelle numérique entre 0 et 10) ; et le SPI-i, l’histoire de la maladie et les interventions reçues (entre 0 et 10). Plus ces sous-scores sont élevés et plus la sévérité est importante.
– le questionnaire Dermatology Life Quality Index (DLQI) qui mesure le retentissement de toute pathologie dermatologique sur la qualité de vie des patients adultes pendant la semaine qui précède la remise du questionnaire [41]. Elle détermine un score compris entre 0 et 30. Un total égal à 0 ou 1 signifie que le psoriasis n’a pas de retentissement sur la vie du patient, entre 2 et 5, un faible retentissement, entre 6 et 10, un retentissement modéré, entre 11 et 20 un retentissement important et enfin, s’il est supérieur à 20 un retentissement extrêmement important.
– l’échelle Hospital Anxiety and Depression scale (HAD) qui estime de manière indépendante les niveaux actuels de dépression et d’anxiété selon un score variant de 0 à 21 [42–44]. Plus les symptômes sont présents et augmente à mesure de la présence des symptômes. La durée estimée pour répondre à ce questionnaire était de vingt minutes. Une enveloppe prétimbrée était mise à la disposition des patients qui ne pouvaient pas remplir le dossier à la suite de la consultation. La variable d’intérêt principale était le score ItchyQoL. La médiane de la population totale a été utilisée comme seuil pour définir deux groupes équilibrés de patients : le premier avec un « retentissement modéré », le second, un « retentissement important ». Les variables d’intérêt secondaire étaient l’intensité du prurit estimée par l’EN et la répercussion du psoriasis sur la qualité de vie des patients estimée par le DLQI. Pour chacune de ces variables, les patients étaient répartis en deux groupes :
– pour l’EN, un premier groupe pour lequel le prurit était absent ou léger (EN < 4) et le second pour lequel il était modéré ou sévère (EN 4).
– pour le DLQI, un premier groupe pour lequel les effets étaient absents, légers ou modérés (score 10) et le second pour lequel ils étaient importants à extrêmement importants (score > 10). La variable principale d’explication était le stress professionnel évalué par le questionnaire ERI. Un ratio supérieur à 1 indiquait un déséquilibre en faveur des efforts. Pour chaque sous-score, nous avons transformé la variable quantitative en variable qualitative en fonction de la médiane afin d’obtenir des groupes équilibrés. Les autres variables quantitatives ont été transformées en variables qualitatives en fonction des seuils habituellement admis, comme pour la classification de l’IMC (insuffisance pondérale, poids normal, surpoids et obésité de classe I, II et III) [45] et l’HAD (< 11 lorsque la symptomatologie est absente ou douteuse et 11 lorsque la symptomatologie est certaine) [42]. Puisqu’aucun seuil n’est défini dans la littérature pour les sous-scores du SPI nous les avons aussi transformées en variables qualitatives en fonction de leur médiane. Le protocole de recherche a été soumis et validé par le Comité de Protection des Personnes de Brest.
Résultats
Au total, 38 patients ont été inclus dans l’étude. Sept patients n’ont pas retourné leur questionnaire par courrier. Les questionnaires ERI et ItchyQoL étaient incomplets pour un patient, ce qui n’a pas permis l’analyse des résultats. L’analyse a donc porté sur 30 patients. Le questionnaire SPI n’était pas complété pour un patient et celui du HAD pour trois patients. Ces questionnaires étant secondaires, les résultats ont été intégrés à l’étude. Les caractéristiques principales des patients sont résumées dans le tableau 1. La médiane du score ItchyQoL de la population était de 70. Six patients présentaient un déséquilibre de la balance effort-récompense, avec une médiane du score ERI de 0,61. La médiane du score ERI était plus élevée dans le groupe avec l’IMC le plus important alors que la médiane du ItchyQoL était plus importante dans le groupe sans surpoids ou obésité. Seuls quatre patients ne prenaient aucun traitement, vingt et un étaient traités par au moins un traitement topique, huit l’étaient par voie générale et huit autres par biothérapie. Six patients étaient traités par une association de traitement topique et général et cinq par traitement topique et biothérapie. Les traitements topiques émollients et les dermocorticoïdes étaient les traitements topiques les plus prescrits. Aucun des quatre patients sans traitement ne présentait de déséquilibre de la balance effort-récompense. Dans l’analyse univariée présentée dans le tableau 2, nous n’avons retrouvé aucune association significative entre d’une part le score ERI et ses différents sous-scores et d’autre part, les scores évaluant le niveau de prurit (ItchyQoL et l’EN), la sévérité du psoriasis (SPI), le retentissement du psoriasis sur la qualité de vie (DLQI) ou les symptômes anxieux et dépressifs (HAD). Au vu de l’analyse univariée et de l’absence totale d’association entre le stress professionnel et le prurit (p = 1), nous n’avons pas réalisé d’ajustement sur les potentiels facteurs de confusion du stress professionnel.
Discussion
Notre étude n’a pas permis de mettre en évidence une association statistiquement significative entre le stress professionnel et le niveau de prurit des patients atteints de psoriasis. Les proportions de déséquilibre de la balance effort-récompense étaient même strictement identiques dans les deux populations réalisées à partir du ItchyQoL. L’étude de Magnavita réalisée à partir de 1744 salariés hospitaliers et utilisant le modèle de Karasek, retrouvait une association significative entre d’une part les troubles dermatologiques et d’autre part, la demande psychologique (OR = 1,09 ; IC95% [1,05-1,14]), le soutien social (OR = 0,90 ; IC95% [0,87-0,93]), les situations de travail tendu (OR = 1,54 ; IC95% [1,20- 1,98]) et d’iso strain, associant travail tendu et faible soutien social (OR = 1,66 ; IC95% [1,27- 2,19]) [31]. Cependant, aucune distinction n’était réalisée entre les différentes pathologies dermatologiques (dermatites atopiques et irritatives, allergies au latex, psoriasis vulgaire, urticaire, acné, pityriasis, onychomycoses). Le psoriasis vulgaire ne concernait que 2,2% de la population de l’étude, soit 38 patients. Une étude tunisienne utilisant le modèle de Siegrist, ne retrouvait aucune association significative entre le stress professionnel et la sévérité de l’eczéma des mains [32]. Du fait d’une association significative entre la sévérité de l’eczéma et le stress perçu par le patient (évalué par le Perceived Stress Scale, PSS) et d’une bonne corrélation entre ce score et le score ERI, les auteurs suggéraient l’existence d’une influence du stress professionnel sur la sévérité de l’eczéma. Dans cette étude réalisée à partir de 109 patients, le taux de déséquilibre de la balance effort-récompense était nettement supérieur à celui que nous avons retrouvé (respectivement 46,8% et 20%) et la proportion de femmes était plus importante (respectivement 53,2% et 33,3%). Enfin, une étude allemande, réalisée sur 84 patients et utilisant le Shirom Melamed Burnout Measure (SMBM) pour la mesure de l’épuisement professionnel (ou burnout), n’a pas retrouvé d’association significative entre celui-ci et la sévérité du psoriasis [46]. Il est néanmoins difficile de comparer ces deux résultats, car le burnout est un concept psychologique dont la pertinence fait maintenant débat [47]. Le stress est connu pour être associé à de nombreuses pathologies dermatologiques mais peu d’études se sont intéressées à son association avec le stress d’origine professionnel. Il s’agit à notre connaissance de la première étude portant sur le lien entre le stress professionnel et le niveau de prurit. D’autre part, il nous semble peu probable que le stress puisse aggraver des symptômes objectifs (érythème, desquamation, suintement, etc) mais très probable qu’il aggrave des symptômes subjectifs (prurit, douleur, etc). Notre étude aurait donc pu apporter des résultats intéressants et novateurs mais son effectif était trop limité. En effet même si l’effectif global de l’étude était de 30 patients, seulement six présentaient un déséquilibre de la balance effort-récompense. Il faut certainement la considérer comme une étude pilote, servant de base à de futurs travaux avec une meilleure puissance statistique. Afin d’optimiser le recrutement, nous avions préalablement présenté ce travail aux praticiens du service de dermatologie, nous avions échangé sur les difficultés rencontrées tout au long de la période d’inclusion et une newsletter était envoyée par mail aux praticiens concernés par l’étude. Un affichage a été apposé en salle d’attente dans le but d’informer les patients et des enveloppes pré-timbrées étaient à leur disposition pour ceux qui ne pouvaient pas remplir le questionnaire immédiatement après la consultation. En revanche, nous n’avons pas adressé de courrier de relance aux patients qui n’avaient pas renvoyé leur auto-questionnaire. Le Département de l’Information Médicale du CHRU nous a permis d’avoir une estimation du nombre de patients atteint de psoriasis ayant consulté ou été hospitalisés sur la période de notre étude. Sur la période, 66 patients ont été hospitalisés avec un diagnostic de psoriasis et le terme « psoriasis » apparaissait dans les documents de 501 dossiers médicaux de consultations externes, permettant une estimation du nombre de patients atteints de cette pathologie. Cette estimation ne tient évidemment pas compte des critères d’exclusion. Plusieurs autres éléments peuvent expliquer la différence entre ces chiffres et le nombre de patients inclus dans l’étude. Le centre investigateur est un Centre Hospitalier Universitaire, dont la vocation est d’être pilote dans la recherche médicale. Sur la période de notre recrutement, plusieurs autres études portant sur le psoriasis étaient simultanément en cours dans le service. L’ensemble de ces études n’a pas pu être proposé à tous les patients. De plus, les praticiens nous ont rapporté que de nombreux patients ne pouvaient être inclus dans l’étude du fait de leur inactivité professionnelle (patients étudiants, retraités ou en recherche d’emploi). Nous n’avons pas de données chiffrées sur le nombre de patients exclus pour ces motifs. En ce sens, l’étude française PsoPRO réalisée en 2018 retrouvait un taux significativement augmenté de demandeurs d’emploi chez les patients atteints de psoriasis cutané par rapport aux patients témoins (respectivement de 14,1% et 8%, p< 0,05) [33]. Aussi, le recrutement pour notre étude s’est exclusivement déroulé dans un centre hospitalier. Or, les patients qui consultent à l’hôpital ont des atteintes psoriasiques plus sévères que les patients suivis en ville [48]. Il est donc possible que le taux de chômage de notre population soit supérieur à celui de la population de l’étude PsoPRO. Le psoriasis est une maladie inflammatoire sous forme de plaques érythémato-squameuses épaisses qui peuvent être ressenties comme inesthétiques en fonction de la sévérité de l’atteinte. Ces lésions visibles peuvent être à l’origine de répercussions sociales importantes [49], pouvant induire un « effet travailleur sain », c’est-à-dire que la sévérité du psoriasis peut être moindre chez les travailleurs qu’en population générale. Ainsi, la majorité des patients atteints de psoriasis au chômage semblent tenir leur affection comme l’unique responsable de leur inactivité [50].
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Table des matières
INTRODUCTION
PATIENTS ET METHODES
RESULTATS
DISCUSSION
CONCLUSION
TABLEAUX
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
SERMENT D’HIPPOCRATE
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