De l’exclusivité à l’hyper-exclusivité : la quête du produit unique
Chaque consommateur de streetwear le sait, le parcours d’achat menant au produit convoité peut s’avérer long et complexe. C’est l’une des carac téristiques principales qui forge le marketing de ce milieu de la mode. À l’origine de ce phén omène, nous pouvons identifier la marque Supreme. C’est sur sa capacité à entrete nir la rareté que James Jebbia, son fondateur, va construire un mythe et provoquer l’engouemen t. En effet la marque sait créer le manque grâce un modèle de distribution ultra élitiste, et souvent mis en avant pour expliquer le succès de Supreme. Il s’agit d’un système de drop hebdomadaire se déroulant tous les jeudis sur le site internet de la marque ainsi qu’en bout ique. La marque est présente uniquement dans 4 pays dans le monde entier (aux États-Unis à Ne w York et Los Angeles, en Angleterre à Londres, en France à Paris, et au Japon à Tokyo, Nagoya, Osaka et Fukuoka). Les boutiques sont présentées sur le site internet su premenewyork.com , ce qui alimente également ce caractère élitiste et cette difficulté d’accè s à la marque. Nous allons nous appuyer sur la boutique parisienne, ouverte en 2016, pour guider notre analyse. Le système de vente a pendant longtemps été le suivant : chaque lu ndi matin les utilisateurs reçoivent un e-mail indiquant un lieu de rendez-vo us dans Paris, en s’inscrivant sur un site internet dont l’adresse circule entre initiés. Ils ont e nsuite une heure pour se rendre sur le lieu de rendez-vous, réunissant parfois des milli ers de consommateurs. Chacun espère être tiré au sort. Un numéro leur est attribué, puis il s attendent jusqu’à plusieurs heures le tirage au sort qui leur indiquera, s’ils sont c hanceux, leur horaire de passage en boutique le jeudi suivant. Le jour J, les acheteurs viennent à l’horaire attribué. Leur identité est contrôlée et ils peuvent finalement entrer da ns le shop , individuellement, afin d’acheter les articles de leur choix. Thomas est un ancien salarié d’une entreprise de resell ayant participé pendant plusieurs années à ces fameux tirages au sort pour acheter des produits afin de les revendre. Il nous explique lors de notre entr etien comment les tirages au sort sont petit à petit devenus d’immenses rassemb lements : “Fallait y aller toute la journée ou à certains horaires pour pouvoir s’inscrire, mais en gros à l’ouverture y avait 500 personnes quoi. Maintenant sur tes grosses sorties pour a ller au tirage au sort y a des milliers de personnes. Je sais pas, ça fait longtemps que j’ai pas fait de sortie et j’ai plus du tout les chiffres en tête mais je pense qu’il y avait 2-3000 perso nnes quasiment toutes les semaines à un moment où je le faisais, donc c’est quand même imp ressionnant” . La célébrité de la marque et cet engorgement des tirages au sort v iennent nourrir cette exclusivité en réduisant le nombre de places disponibles, ce qui accroît la rareté et complexifie le parcours d’achat. Depuis mai 2019, un nouveau système de drop est instauré en France dans la boutique parisienne. Il a été inspiré de celui déjà en vigueur à N ew York et à Londres. Désormais les clients doivent s’inscrire en ligne tous les mardis sur le site dédié. Puis le hasard du tirage au sort détermine de nouveau, en fonction de la c apacité disponible, si les consommateurs auront la chance d’obtenir une place dans la fi le d’attente. Pour les chanceux invités à venir au shop le jeudi suivant, une notification par sms permettra de confirmer leur inscription. La confirmation de leur présence leu r attribue un créneau horaire pour se présenter au magasin, 20 rue Barbette dans Paris, munis d e leur carte bancaire pré-enregistrée en ligne afin de vérifier l’identité de la pers onne. Cette évolution du parcours d’achat ne connaît pas réellement d’explications, mais l’en gouement provoqué par les rassemblements des tirages au sort, comme évoqué précédemmen t, peut être un indice évident ayant poussé la marque à repenser son modèle, tout en co nservant l’élitisme propre à ce système. Cécilia nous raconte son expérience en tant que cli ente Supreme : “Alors plus c’était tôt mieux c’était parce que plus t’avais de chances d’avoi r ton produit à la bonne taille et plus c’était tard bah moins t’avais de chance d’avoir ce que tu voulais. Donc voilà ils surfent encore une fois sur cette vague du super limité que tout le m onde ne peut même pas rentrer dans le magasin, c’est-à-dire que le jeudi tu pouvai s pas rentrer dans le magasin si t’avais pas ton heure de passage” . Cette technique de vente est révélatrice d’un système en mêlant hasard, chance, connaissances du milieu, et rareté de s places disponibles. Les places étant premièrement limitées, et les chances d’obtenir le produit dans la bonne taille divisées selon le créneau attribué. Sur le site internet de la marque, l’acte d’achat est tout autant co mpétitif. Les nouvelles collections sortent à 12 h pile les jeudis, et les util isateurs doivent être les plus rapides pour espérer acheter un produit, cependant, il est diffici le de rivaliser avec les nombreux bots qui sont utilisés pour faciliter l’achat par certains. Nos analyses sémiologiques nous ont permis d’observer la continuité de ce tte “quête” du produit sur le site internet Supreme. En effet, au premier coup d’œil il apparaît co mme peu ergonomique, très sobre, et ne comprend que très peu d’informations au sein d’un s ommaire représenté comme le plus concis possible . Ici encore l’utilisateur est inv ité à chercher par lui-même l’information, en naviguant entre les onglets peu explicati fs. Les fiches produits également ne contiennent que quelques lignes explicatives reprenant un iquement les caractéristiques techniques. Tout tourne autour du produit, et la marque reste fid èle à sa posture habituelle : mystérieuse, neutre, et globalement silencieuse. Nous pour rions interpréter cela comme une invitation à ne pas consommer : aucun indice n’est laissé, aucune m ise en avant de la marque ou des produits par des procédés particuliers, et un site restant très peu intuitif. Le système de vente par tirage au sort, communément appelé raffle , se développe mondialement dans le domaine du streetwear depuis plusieurs années. Avant sa mise en place, les ventes répondaient à une logique de “premier arrivé pre mier servi”. Les consommateurs campaient donc devant les boutiques jusqu’à pl usieurs jours avant les sorties, saturant ainsi l’espace public. Ce nouveau système es t venu réguler la demande dans un premier temps, avant de devenir lui-même saturé. Et c’es t bien sûr ici tout l’intérêt, en possédant une offre inférieure à la demande, les marques de streetwear provoquent de la frustration chez les consommateurs. Démocratisé et connu c hez Supreme, il est particulièrement implanté dans le domaine des sneakers , qui appartiennent au courant streetwear (elles font partie des pièces incontournables aux côtés des sweat-s hirt à capuche, des pantalons amples, des joggings, des tee-shirt X XL ou encore des casquettes), et connaissent un succès croissant depuis les années 2000. Vue comme une pièce indispensable et synonyme de confort mais également de style d éclinable à l’infini, la basket envahit les dressings et les rues. Comme le souligne Erwan, consommateur de produits streetwear : “leur technique de marketing, le fait d’avoir des choses où il faut faire la queue le lundi 6h, pour avoir le droit de faire la queue le jeudi matin 2h, pour arriver dans le truc, pa s avoir le droit de prendre de photos et avoir une chance sur 2 qu’il n’y ai déjà plus ce que tu v oulais acheter, c’est juste rendre ultra exclusif un truc normal” . Chaque marque possède bien sûr son propre système de tirage au sort , mais le principe reste identique à Supre me et a pour but de ritualiser l’achat grâce aux différentes étapes identifiées : l’i nscription en ligne ou en physique qui permet de récolter les informations personnelle s du potentiel acheteur, le mail de confirmation ou le ticket attitré, le résultat du tirage au sor t par mail, appel téléphonique ou en physique après une certaine attente, et enfin la comman de en ligne ou le déplacement en boutique. Tout le processus d’achat est ritualisé égalemen t par le rapport au temps qui vient presser d’autant plus le consommateur, que ce soit en lign e avec une inscription limitée dans le temps par la présence d’un décompte, ou en physiq ue avec une heure de rendez-vous précise et un temps d’attente avant le tirage au sort am enant une certaine tension parmi la foule. Cette première étape vient engager le po tentiel client qui se retrouve pris dans l’engrenage du processus d’achat. Et toutes ces étap es apparaissent comme des challenges, des “niveaux” à passer et à réussir pour accéder à l’étape suivante. Malgré une demande qui explose et une clientèle de plus en plus large, les m arques continuent de produire en petites quantités, et d’attiser l’envie de par cette rare té sélective. En effet, plus la demande s’accroît, plus le nombre de places ou tickets disponi bles diminue, ce qui va augmenter à nouveau la valeur symbolique de la paire via sa rare té, signe de reconnaissance sociale pour les consommateurs qui vont réussir à se procurer le produit. La quête d’un hoodies ou d’une paire de sneakers devient donc un réel jeu de piste, pour lequel l’apprentissage de codes spécifiques à la marque e st nécessaire, entremêlé à un besoin de chance et de contacts dans le milieu. Notre analyse no us mène à penser le parcours d’achat sous le prisme de la gamification, qui désign e en terme marketing le fait d’utiliser des procédés issus de jeux vidéos pour des actions da ns des domaines extérieurs aux jeux. Cette méthode dans le domaine de la vente favorise l’enga gement et permet de rendre l’achat plus ludique. Les marques misent avant tout sur l’expérience comme facteur de motivation pour alimenter la demande. Les raffles exploitent cela notamment en découpant le parcours en différentes étapes, comme vu précédem ment, ce qui va délivrer un certain statut au consommateur. Ce dernier évolue par palier et voit son statut prendre de la valeur en fonction de son avancée, lui attribuant au passag e la reconnaissance de ses pairs. Les attributions d’horaires pour le passage en boutiqu e peuvent être associées au “score” final qui classe les gagnants du premier au dernier, s elon l’ordre chronologique des créneaux horaires, pour ceux qui ont eu la chance d’être sélec tionnés. Finalement, le produit tant convoité est pensé comme le Graal, la récompense en fin de pa rcours, qui vient clôturer cette quête de l’objet désiré comme un véritable but à atteindre.
La ritualisation de l’hyper-exclusivité à travers la communication inhérente aux sorties des produits
De l’annonce de leur sortie, en passant par leur vente, jusqu’à l eur réappropriation par les consommateurs, les produits streetwear et en particulier les sneakers sont entourés d’un voile de communication. Il émane du côté des marques, puis est repris par les médias qui vont événementialiser les sorties, et réapproprié par les co nsommateurs qui vont valoriser leurs achats à travers une mise en scène des items qu’ils ont réussi à se procurer. C’est ce que nous allons analyser dans cette partie à travers la sortie d’une paire de baskets très attendue pour l’été 2020 : la Off-White x Air Jordan 4 Sail, vend ue en exclusivité le 25 juillet dernier. Suivre cette sortie, de l’annonce de la date , jusqu’à son exposition sur les réseaux sociaux, nous permettra de comprendre comment cette hyper-exclusivité, à travers la communication, est mise en scène et sacralise le produit. La production d’éditions limitées, et l’association entre deux marques ou collab donnent à voir une spectacularisation du produit. Les marques laiss ent entrevoir de potentielles collaborations, et les médias, notamment les mé dias digitaux spécialisés dans le streetwear, s’emparent de cet événement pour faire circuler l’informatio n auprès du grand public. Pour cela, la date de sortie aussi appelée release , est dévoilée et permet de temporaliser l’événement, ajoutant de nouveau un sentiment d ’urgence pour le consommateur qui va devoir se décider sur l’achat du produit. Ce dernier sera concurrencé par tous les autres consommateurs le jour de la sortie, mais surto ut le jour de l’inscription pour la raffle (pour les baskets les plus limitées) qui donnera la possibilité d’être sélectionné pour pouvoir acheter l’ item. Le prix retail, qui correspond au prix boutique, sera également dévoilé. Grâce à ce système d’annonce, les marques vont événem entialiser les sorties, créant un calendrier en amont de la saison qui dévoile celles qui sont les plus “attendues”. Cette temporalisation va rythmer l’année et ritualiser l’achat, en pr éparant le public qui va sélectionner les dates l’intéressant, et pourra ainsi se préparer à investir. C’est ce que nous pouvons observer à travers la vente de la paire de sneakers Off-White x Air Jordan 4 Sail. Une collaboration entre Nike Air Jordan, la filiale de chaussures de basket-ball de Nike, et Off-White, marque italien ne de streetwear haut de gamme, en quantité limitée. Sa sortie a été annoncée sur le comp te Instagram d’Off-White quelques jours avant sa mise en vente . Deux publications ont a insi été postées la veille de la raffle, quatre jours avant la mise en vente, pour annoncer l’organisation du tirage au sort sur l’application Nike SNKRS . Puis le lendemain, jour de la raffle, Off-White explique à travers un nouveau post le déroulé des inscriptions . La paire étan t vendue uniquement dans les boutiques Off-White et chez quelques revendeurs triés sur le volet, la raffle s’organise entre les différentes boutiques mondiales de la mar que dans lesquelles les baskets seront commercialisées (Rome, Paris, Las Vegas, New-Y ork). Des créneaux horaires sont déterminés selon les boutiques, pour l’inscript ion en ligne du tirage au sort. Par exemple, si le client souhaite s’inscrire pour acheter la pair e convoitée dans la boutique parisienne, il devra s’inscrire entre 9h et 18h, heure français e, ce même 22 juillet. Puis, le 23 juillet, la marque de streetwear premium publie un nouveau post pour annoncer que la paire de baskets sera disponible en exclusivité sur le site d’Off-Whi te deux jours plus tard. Concernant les images sélectionnées pour accompagner le mess age, il s’agit de photos de la paire de Jordan 4 x Off-White sous différents angles, toujours dans des tons beiges en accord avec la couleur de la paire, ou sur fond blanc. Aucun élém ent extérieur ou artifice ne vient accompagner l’objet, qui est placé au centre et capture tou te l’attention grâce au fond neutre sur lequel il apparaît. Le jour J, la marque publie à nou veau trois posts différents pour marquer l’événement en plaçant cette sortie au centre de sa pag e Instagram, et rappelle ainsi que les sneakers sont disponibles sur son site internet . Les images sont ici également des photos, dont deux représentent la chaussure sur un piédest al aux couleurs de la basket dans des tons beiges. Initialement destiné à recevoir un obje t d’art, le piédestal illustre ici la préciosité du produit qui est représenté comme une œuvre. Nous constatons que la marque Off-White va rythmer la sortie de la paire en différentes étapes pou r accentuer ce caractère d’urgence auprès du consommateur, en lui donnant des limites de t emps qui lui permettront d’accéder au produit. En parallèle, les médias s’emparent de l’événement pour anno ncer la sortie de cette collaboration très attendue dans le milieu . Plusieurs articles sont publiés par des médias digitaux comme LSDLS (Le Site de la Sneaker), Mouv’ un réseau d e radio ciblant les jeunes, Sneakers.fr, ou encore Views magazine spécialisé dans la musi que, la mode et le lifestyle. En effet, les sneakers et le streetwear font désormais partie intégrante de la mode, et sont repris aussi bien par des médias dédiés que par des médias plu s orientés lifestyle, ciblant principalement un jeune public. En analysant les articles, nous constatons qu’ils contiennent peu d’informations, et abordent principalement les caractéristi ques esthétiques de la paire : “Virgil Abloh a imaginé une Air Jordan 4 en cuir crème, combiné à des éléments translucides à l’image du heel tab et des filets. L’ensemble est contrasté par des détails noirs co mme les inscriptions signatures Off-White et le logo Jumpman sur le tag de l a languette. Une midsole blanche couplée à une outsole crème peaufinent ce design minimalis te” . On retrouve un langage technique utilisé dans le domaine du streetwear et familier pour les initiés tel que le heel tab désignant la partie au niveau du talon de la chaussure, la midsole qui désigne la semelle intermédiaire, ou la outsole qui désigne la semelle extérieure. Beaucoup d’anglicismes sont utilisés par la communauté et montrent qu’un e certaine connaissance du milieu est nécessaire pour capter tous les détails du produit. L es médias s’adressent à des connaisseurs, qui vont porter de l’intérêt aux détails de la p aire de baskets et à sa conception. Les articles présentent donc les caractéristique s techniques, et également la date de sortie, le prix retail, ainsi que des photos de la paire de baskets sous tous les angles. Les médias vont événementialiser la sortie en la datant et l’exposant comme un rappel à marquer dans le calendrier pour ne pas rater le rendez- vous. Cette communication, tout comme celle adoptée par la marque Off-White vient accentuer ce caractère d’urgence représentatif du marketing de la rareté. Cette rareté à laquelle sont soumis les produits streetwear va influencer leur diffusion, et ce à travers la communication établie en amont de la sortie. N’étant disponibles qu’en quantité limitée, on leur attribue une “date d’expirat ion connue” ce qui implique une “double restriction quantitative et temporelle” . Les consommate urs ont conscience du peu d’exemplaires disponibles à la vente, et également de la limite de l eur disponibilité dans le temps, car à peine mise en vente les paires seront sold out en quelques minutes. Ces facteurs de rareté visibles à travers les articles et alimentés par la temporalisation de la sortie, vont renforcer l’hyper-exclusivité des produits. Ces der niers prennent de la valeur et deviennent des objets rares disponibles sur un créneau horaire limité. Pour les consommateurs, le seul moyen de les acquérir va être de suivre les étapes indiquées par les marques dans les créneaux horaires prévus, un rituel d’achat propre à cette communauté. Après la sortie, les personnes qui ont eu la chance d’obtenir l a paire vont être considérées comme des “gagnants”, en accord avec notre analys e précédente sur le parcours d’achat. Ces derniers vont pouvoir exposer la paire su r les réseaux sociaux en tant que signe ostentatoire, montrant leur statut de gagnant, à trav ers des shootings photos qui placent à nouveau l’objet en œuvre d’art. La Off-White x Air Jord an 4 Sail étant sortie récemment, nous pouvons observer ce phénomène avec d’autres pair es de sneakers ou vêtements streetwear via leur mise en scène sur des posts Instagram . En effet, en observant les images circulant sur le réseau, nous pouvons re marquer directement des similitudes donnant le sentiment d’une structure, d’une “organis ation unique sous-jacente aux écarts superficiels” s’apparentant à l’hyper-ritualisatio n décrite par Erving Goffman pour l’analyse de photographies de mode. Ici nous retrouvons dan s la mise en scène, les poses, les couleurs, une structure commune représentative d’ une identité propre au streetwear. En observant les photographies de produits, on discerne de no mbreuses similitudes : mise en avant du produit et du logo, couleurs unif iées, univers urbain, cadrage du produit au centre et au premier plan de la photographie, vis ages cachés. Le décor sélectionné pour prendre les photos est pensé pour le produit, co mme nous l’explique Cécilia, qui participe régulièrement à des séances photos : “J’ ai reçu cette nouvelle paire, ou moi j’ai réussi à avoir celle-ci, bon on se fait un shooting ok, t u sais c’est l’occasion de se réunir un peu tous ensemble. Et après on choisi selon ce qu’on a, on essaie de choisir un endroit un peu dans le thème tu vois, si on sait que j’ai une paire , c’est général hein, mais une paire avec un peu de rouge on voit ce spot, où t’as un fond rouge et tout donc on va aller là puis après on bouge en métro on va aller là et tout, donc on e ssaye de faire un truc vraiment général tu vois” . En effet, nous pouvons voir que chaq ue décor possède un fond qui rappelle les couleurs du produit photographié, exclusivem ent dans un univers urbain pour ancrer le streetwear dans son milieu d’origine, qui n’est autre que la rue. Les codes utilisés et la qualité des photographies pourraient laisser pen ser que les marques sont à l’origine de ces publications, le produit valorisé est exposé comm e un objet précieux, laissant s’effacer les autres éléments de l’image, avec une mi se en avant du logo. Les amateurs participent ainsi à communiquer pour la marque gratuit ement, lui offrant de la visibilité sur Instagram auprès de leurs communautés comme de vér itables influenceurs. Cette perception d’une publicité “gratuite” est renforcée par l a sacralisation du produit, donc par le travail de mise en scène qui va mettre en lumière l’objet, au d étriment de la personne portant l’item qui s’efface dans l’anonymat pour la photo.
Le streetwear comme facteur de différenciation pour s’émanciper d’une mode mainstream
Le style vestimentaire streetwear que nous mentionnons depuis le début de notre rédaction comprend pour rappel les marques ou produits dispon ibles de façon limitée, respectant des codes spécifiques et s’inscrivant dans une cu lture bien précise, comme nous avons pu l’aborder lors de notre introduction. Nous allons tenter de déterminer en quoi cette hyper-exclusivité représente un facteur de différenciation q ui permet au public de s’émanciper d’une mode dite mainstream ; que nous caractérisons par une mode grand public, facilement accessible de par son système de vente, sa disponibilité, sa proximité géographique, ainsi que ses prix. Ainsi, nous pouvons noter qu e la démocratisation du streetwear et notamment des sneakers ces dernières années peut s’inscrire dans cette mode dite mainstream, puisque certains produits sont accessibles à tous en grande quantité, en point de vente physique ou sur internet, avec des échelles de prix très variées, et un système de vente classique excluant toute utilisation de la rareté. En effet, ce qui fait le succès du streetwear se trouve dans l’essence même de son histoire et passe par l’utilisation d’un marketing de la rareté, comme nous l’avons v u précédemment. Ainsi, la popularité de Nike Air Jordan depuis les années 80 repose sur ce lui dont elle porte le nom : Michael Jordan. Véritable prodige du basket, le joueur est de venu le porte-étendard de la marque en portant la paire de baskets durant ses matchs . La perti nence historique de la marque ou de la collection pour les consommateurs, associée à des produits distribués en quantité limitée fait le succès de ce business. Les marques de streetwear vont donc employer un marketing spécifique afin de créer cette différenciation. Adopter une stratégie plus élitiste v a consister à produire un produit rare, parfois plus cher qu’une marque équivalente, e t d’une meilleure qualité. Les consommateurs visés par les marques vont alors avoir l’impres sion d’échapper au marketing de masse et de faire partie d’une élite, d’un groupe. Cela va cré er une motivation supplémentaire pour posséder le produit hors du commun. Dans l e secteur du streetwear nous observons une rareté temporelle organisée ou pénurie vo lontaire incarnée par les drops, ainsi qu’une rareté quantitative à travers les séries limitées . Au sein de ces approches pratiques, les marques vont événementialiser la rare té, et centrer la communication autour de cette technique, en accord avec nos ana lyses précédentes. Cette hyper-exclusivité mise en place est donc relative et artificiel le, car elle est programmée par les marques. Elle résulte d’un croisement entre des besoins in finis et des ressources finies, qui vont déclencher un sentiment d’urgence. De plus, nous pouv ons mentionner une rareté accidentelle, puisque si nous nous référons à l’origine de certa ines marques comme Supreme, et de cette logique de friends and family , le peu de stock disponible répondait premièrement à une volonté de son créateur de ne pas se retrouv er avec “des invendus sur les bras” . Finalement, le succès des produits streetwear comme les items Supreme va déclencher également une rareté due à la popularité de la marqu e, et donc un cercle vertueux pour cette dernière. En effet l’engouement grandissa nt pour la marque ne va faire qu’accentuer sa popularité et donc cet effet de rareté. Produire en faible quantité va permettre d’entretenir le FoMO , fear of missing out . Cette sorte d’anxiété sociale, caractérisée par la peur constante de manquer une nouvelle impo rtante ou un autre événement donnant une occasion d’interagir socialement, est i ci caractérisé par l’achat d’un produit. Les marques vont donc produire plus de collections mai s en plus faibles quantités, ce qui génère donc l’illusion d’une hyper-exclusivité constante.
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Table des matières
Introduction
I. L’hyper-exclusivité comme moyen d’intensifier la dimension symbolique des produits pour les marques
A. De l’exclusivité à l’hyper-exclusivité : la quête du produit unique
B. L’hyper-exclusivité alimentée par la rareté des produits disponibles
C. La ritualisation de l’hyper-exclusivité à travers la communication inhérente aux sorties des produits
II- Une hyper-exclusivité construite pour générer de la différenciation et de l’appartenance dans la communauté
A. Le streetwear comme facteur de différenciation pour s’émanciper d’une mode mainstream
B. La volonté de s’ancrer dans une culture et une communauté spécifiques
C. Une quête perpétuelle de différenciation au sein de la communauté
III- Montée en gamme du streetwear : un nouveau style hybride à la croisée de deux industries
A. Une reprise de certains codes propres au luxe dans la mode streetwear
B. Une mutation au service d’une clientèle qui s’homogénéise
Conclusion
Bibliographie
Annexes
Annexe 1 – Retranscription et analyse des entretiens
Annexe 2 – Images
Annexe 3 – Analyse sémiologique du site supremenewyork.com
Résumé
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