Stratégies et structures d’expansion internationale
Les stratégies d’expansion internationale
Les notions de stratégie
La stratégie est basée sur une démarche d’anticipation en vue d’un objectif. Elle vise à choisir des actions, à les mettre en œuvre et à les coordonner afin d’obtenir un résultat. Etymologiquement, la stratégie est tout d’abord un terme militaire ; il a été tardivement étendu à différentes disciplines, comme celui de l’économie, de la politique, de la communication, du sport et des jeux. Dans le cadre de cette thèse, nous parlons des stratégies du domaine des sciences de gestion. Cependant, pour mieux comprendre ses notions dans la gestion, nous commençons par évoquer son origine et ses définitions.
Un concept militaire
Comme l’indique le professeur J. D. Avenel (2000), le terme stratégie est issu du verbe grec « stratego » qui signifie planifier la destruction de ses ennemis au moyen d’un usage efficace des ressources dont on dispose. En effet, le mot « stratego » est composé de « stratos » qui signifie « armée » et de « ageîn » qui signifie « conduire» pour désigner l’art de conduire les troupes et les ruses qui permettent de les porter à la victoire face à l’ennemi. Dans la Grèce antique, le stratège était « celui qui commande l’armée » et faisait référence au général en chef de l’armée. Actuellement le « stratège » est en Grèce un général et a le rang d’officier le plus élevé. Les premiers traités de stratégie connus datent de plusieurs siècles avant Jésus Christ ; notamment parmi les plus anciens de la Chine antique « L’art de la guerre » de Sunzi (appelé aussi Sun Tse) date de l’époque du Printemps et Automnes, VIIe-Ve s. av. JC. Ce traité fut connu en Europe à partir de 1772 grâce à la traduction du père J. M. Amiot . L’aspect synthétique de l’analyse de la guerre de Sun Wu a rapidement séduit ainsi que l’importance accordée à la stratégie qui désigne l’art de faire évoluer une armée sur un théâtre d’opérations jusqu’au moment où elle entre en contact avec l’ennemi. Les principes généraux en sont : « connaître son adversaire, attaquer en priorité sa stratégie, éviter sa force, le décevoir et le manipuler. » .
Avec « Principes fondamentaux de stratégie militaire » rédigé en 1812 et « De la guerre » – un traité majeur de stratégie militaire publié en 1832, Carl von Clausewitz est sans aucun doute l’un des théoriciens qui a le plus influencé la stratégie militaire moderne. Dans ses deux ouvrages le théoricien prussien expose de manière concise et très générale ses idées forces pour vaincre l’ennemi. Il aborde la stratégie sous l’angle des notions clés que sont la tactique, l’offensive et la défensive, les forces, les adversaires et les alliés, le terrain et le temps, la défaite et la victoire. Clausewitz souligne ainsi que la stratégie est avant tout analyse de situations inédites. Tiré de l’expérience napoléonienne, dans l’ouvrage « De la guerre », l’auteur pose le lien entre le but stratégique (désarmer l’adversaire) et la fin politique (contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté) et il expose une définition très simple de la stratégie, développée ensuite tout au long du livre – “ L’usage des combats au service des fins de la guerre”.
Dans le prolongement des analyses de Carl von Clausewitz, l’historien suisse Antoine de Jomini , historien reconnu des guerres napoléoniennes et stratège exceptionnel ayant servi dans l’armée de Napoléon, exprima ses pensées pour la stratégie dans son ouvrage « Précis de l’art de la guerre » rédigé en 1838 : la stratégie est l’art de bien diriger les masses sur le théâtre de la guerre, soit pour l’invasion d’un pays, soit pour la défense du sien. Il analysa la guerre par six branches : la politique de la guerre, la stratégie, la grande tactique, la logistique et la tactique de détail. Il exprima que pour une stratégie plus prudente, l’objectif doit être l’occupation de territoire plutôt que la destruction de l’armée ennemie. En effet, la stratégie est abordée avec un ensemble de définitions et de démarches conçues en termes d’espace.
En 1969, la publication du livre « Management. Politique – stratégie – tactique » rédigé par Fernand Bouquerel a fait, pour la première fois, la comparaison entre les affaires et la guerre et cherché à en tirer des règles d’action. Pour lui, la stratégie de répartition et déploiement des forces armées dans le militaire est similaire à la stratégie de portefeuille géostratégique d’activités dans l’entreprise. La « guerre » entre les entreprises se déroule sur plusieurs niveaux (corporate, business, produit) et la guerre terrestre entre belligérants aussi.
La notion de stratégie en sciences de gestion
Pour faire face aux défis de l’environnement (mondialisation, progrès technologique, problèmes énergétiques,) et pour assurer son développement dans un univers concurrentiel qui nécessite des adaptations et des innovations, l’entreprise doit disposer d’une vision stratégique et élaborer des stratégies en conformité avec des ressources et ses objectifs. Ce sont Von Neumann et Morgenstern (1947) qui ont utilisé pour la première fois le concept de stratégie en gestion lors de l’introduction de la théorie des jeux – « une stratégie se définit comme les principes généraux qu’un joueur se donne librement pour gouverner ses choix au cours du jeu ».
A. Chandler (1962) a généralisé l’emploi de ce terme qui fait dorénavant partie du langage courant. Selon lui, « la stratégie consiste à déterminer les objectifs et les buts fondamentaux à long terme d’une organisation, puis à choisir les modes d’action et d’allocation de ressources qui lui permettront d’atteindre ces buts, ces objectifs ». Cette définition est articulée autour de trois éléments : la stratégie est un choix d’orientation de longue durée pour l’ensemble de l’entreprise ; la stratégie fixe le système d’objectifs de l’entreprise ; la stratégie fixe les moyens alloués pour atteindre les objectifs définis. La stratégie d’entreprise est donc un concept qui est fait partie du quotidien du manager et qui induit une action permanente. M. Porter (1982) a approché la stratégie par ses analyses sur l’avantage concurrentiel, il explique que la stratégie d’entreprise consiste à surmonter les contraintes de l’environnement concurrentiel à travers son modèle des 5 forces, en organisant les ressources disponibles (à travers la chaine de valeur de l’entreprise) afin d’obtenir un avantage concurrentiel durable. Le modèle des cinq forces a été élaboré en 1979 par Michael Porter pour élargir la notion de la concurrence. Selon ce modèle, les cinq forces déterminent la structure concurrentielle d’une industrie de biens ou de services sont : le pouvoir de négociation des clients ; le pouvoir de négociation des fournisseurs ; la menace des produits ou services de substitution ; la menace d’entrants potentiels sur le marché ; l’intensité de la rivalité entre les concurrents.
Gil Fievet (1993), ancien général et professeur de stratégie, propose dans son ouvrage « De la stratégie militaire à la stratégie d’entreprise », le cadre général de la démarche stratégique à suivre par les organisations, en utilisant son expérience militaire : il considère qu’il est indispensable de connaître l’histoire de l’entreprise et de son secteur d’activités avant de définir des stratégies ; qu’il est nécessaire de prévoir l’avenir au moyen d’une démarche prospective en établissant des scenarii ; qu’il est préférable d’édifier l’avenir au moyen d’une démarche créative. H. Mintzberg (1999) a appréhendé la stratégie comme un plan, un modèle, une position, une perspective et un stratagème. Il l’a traduit par les questions suivantes : que produire? Comment réaliser ? Avec quels moyens le faire ? Nous pouvons constater qu’il souligne notamment, comme les auteurs précédents, les deux éléments essentiels de la stratégie d’entreprise – l’objectif et les moyens. M. Peyrard (1989) ajoute un élément : l’horizon de l’action, qui désigne un calendrier pour les actions à mettre en œuvre.
Les différences entre « stratégie » et « tactique »
Que ce soit en matière militaire ou de vie quotidienne, la confusion entre « stratégie» et « tactique » est facilitée par le fait qu’elles renvoient toutes deux à l’art de la conception et de la mise en œuvre d’une action finalisée. Le petit Robert définit «stratégie » comme « l’ensemble d’actions coordonnées, de manœuvres en vue d’une victoire » ou encore spécifiquement pour les sciences de gestion « l’ensemble d’objectifs opérationnels choisis pour mettre en œuvre une politique préalablement définie ». Il définit « tactique » comme « L’ensemble des moyens coordonnés que l’on emploie pour parvenir à un résultat ». La distinction essentielle ici est que la première définition se réfère à un effort général à long terme, et la deuxième à un résultat plus spécifique effectué pour réaliser cet objectif stratégique de plus grande portée.
Le traité chinois de stratégie militaire, « L’Art de la Guerre » de Sun Tzu, exprime déjà une distinction fondamentale entre deux notions qui affichent des temporalités et des échelles très différentes. Dans l’ouvrage, on peut discerner à travers l’écriture de l’auteur, une division entre un temps long et une échelle large, ceux de la stratégie, et un temps court pour une échelle locale, ceux de la tactique. La tactique relève de la bataille, quand la stratégie relève finalement de la guerre. Toutes les batailles précédentes ont pour l’objectif de gagner la guerre finale. Pour Clausewitz, « la tactique est la théorie relative à l’usage des forces armées dans l’engagement, la stratégie est la théorie relative à l’usage des engagements au service de la guerre». Cette idée de subordination indique bien la relation hiérarchique entre une stratégie et une tactique. Chaque action du niveau tactique doit être guidée et contrainte par la finalité du niveau stratégique. Dans le cadre de gestion, la direction doit mettre en place des stratégies pour guider son organisation sur le long terme, ce qui ne l’empêche pas d’employer des actions tactiques de court terme pour la réalisation du but final.
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Table des matières
Introduction
Partie I
Chapitre I – Stratégies et structures d’expansion internationale
Section 1 – Les stratégies d’expansion internationale
1.1. Les notions de stratégie
1.2. La stratégie d’expansion par l’internationalisation : stade ultime de la croissance de l’entreprise
1.3. Les formes de développement international – trois avantages à considérer
1.4. Les trois questions à poser avant d’établir les stratégies d’internationalisation
Section 2 – La structure transnationale – « idéal-type » des entreprises internationales
2.1. Les quatre différentes structures organisationnelles d’internationalisation
2.2. Les relations siège filiales
2.3. Les spécificités de la structure transnationale
Chapitre II – Facteurs influençant et impactant l’expansion internationale
Section 1 – Les facteurs qui influencent la décision de l’expansion internationale
1.1. Les risques pour une entreprise qui ne s’ouvre pas à l’international
1.2. Les conditions favorables pour l’internationalisation des entreprises
1.3. Les intérêts qui attirent les entreprises à s’internationaliser
Section 2 – Les facteurs qui impactent l’entreprise dans l’établissement des stratégies d’expansion internationale
2.1. Les tendances générales d’un pays qui impactent une entreprise
2.2. La situation du secteur d’activité impacte l’entreprise dans ses stratégies
Section 3 – Les modes d’accès au marché étranger et les facteurs de choix
3.1. Les modes d’accès au marché étranger
3.2. Les facteurs de choix des modes d’accès au marché étranger
Section 4 – Le processus du développement international et l’organisation interne de
l’entreprise
4.1. Le processus du développement international
4.2. L’organisation interne de l’entreprise
Chapitre III – Historique des implantations françaises en Chine
Section 1 – L’historique et l’évolution des entreprises françaises en Chine
1.1. Les principaux évènements historiques et politiques de la coopération franco-chinoise
1.2. L’historique des implantations françaises en Chine
1.3. Les échanges commerciaux entre la France et la Chine
Section 2 – Le cadre législatif des activités des firmes multinationales en Chine et son évolution
2.1. L’évolution du système juridique des investissements étrangers depuis 30 ans
2.2. Le système juridique concernant la propriété intellectuelle en Chine
2.3. Les systèmes bancaire et financier chinois
2.4. Les réglementations spécifiques pour Hong Kong
Partie II
Chapitre I – Compétences des entreprises, leurs raisons d’implantation en Chine et leurs modes d’implantation
Section 1 – La taille, les compétences des entreprises et leurs domaines d’intervention en Chine
1.1. Les secteurs d’activités et les tailles
1.2. Les domaines d’intervention en Chine des entreprises interrogées
1.3. Les avantages spécifiques selon le paradigme OLI
1.4. Une stratégie d’adaptation pour répondre aux besoins locaux
Section 2 – Les raisons de l’origine des implantations et les modes d’entrée en Chine
2.1. La date et les raisons de l’implantation
2.2. L’état des lieux des modes d’accès au marché chinois
2.3. La joint-venture, forme privilégiée pour les filiales
Section 3 – La structure internationale de l’entreprise transnationale française
3.1. L’organisation internationale par « région »
3.2. Le mode capitalistique utilisé comme mode privilégié d’investissement
3.3. Les continents proches, premières destinations
3.4. La décentralisation au niveau de l’organisation
3.5. L’implantation locale en Chine
Section 4 – Le management de l’entreprise française en Chine
4.1. Une adaptation au droit du travail local
4.2. La proportion des expatriés
4.3. Le recrutement et le développement d’une culture d’entreprise internationale et locale
Chapitre II – Relations des entreprises françaises avec les acteurs locaux chinois et R&D
Section 1 – Les relations des entreprises françaises avec les acteurs locaux chinois
1.1. L’importance de l’intérêt commun
1.2. Les règles du jeu des affaires
1.3. Les relations financières avec les banques chinoises
Section 2 – La recherche et développement des entreprises transnationales françaises en Chine
2.1. La firme industrielle donne l’importance à la R&D
2.2. La collaboration avec les acteurs locaux sur la R&D et l’importance de la recherche locale
Chapitre III – Visions des entreprises françaises sur le protectionnisme et l’avenir du marché chinois
Section 1 – Le protectionnisme du marché intérieur chinois et les réseaux d’affaires français
1.1. Le protectionnisme du marché intérieur chinois
1.2. L’assouplissement de la « liste négative » pour encourager les investissements étrangers
1.3. Les réseaux d’affaires français et les apports d’un réseau d’affaires pour l’expansion internationale
Section 2 – Les visions des entreprises françaises sur l’avenir du marché chinois
2.1. Le potentiel du marché chinois
2.2. Des transitions et des transformations
2.3. Les difficultés particulières du marché chinois
2.4. Les objectifs sur dix ans
Conclusion