Stratégies dévelopmentales chez les larves de Calliphoridae

Les Diptères Calliphoridae 

Généralités

Dans le Règne animal, les insectes appartiennent à l’Embranchement des arthropodes. Ils caractérisent une Classe constituant plus de 70% de la biodiversité, subdivisée en 30 Ordres dont l’Ordre des Diptères [2]. Ces derniers représentent les « mouches vraies » et forment l’un des Ordres le plus important avec environ 122000 espèces en Europe. La plupart de ces insectes ont un rôle majeur au sein des écosystèmes avec une action de pollinisateurs, parasites, prédateurs ou encore de décomposeurs. Cependant, certaines espèces ont aussi un effet dévastateur sur la population humaine comme vecteurs de nombreuses maladies telles que la malaria, la dengue ou encore la fièvre jaune. Les Diptères sont caractérisés par leurs ailes postérieures réduites à l’état de balanciers (haltères) : ils ne présentent donc qu’une seule paire d’ailes membraneuses fonctionnelle qui donne son nom à cet Ordre « à deux ailes » [3]. Deux sous-Ordres sont définis : les Nématocères, qui regroupent entre autre les tipules ainsi que les moustiques, et les Brachycères, représentés par les syrphes, les taons, les drosophiles ou encore les Calliphoridae. Ces dernières, communément appelées « mouches vertes et mouches bleues », sont une Famille de Brachycères calyptères cyclorrhaphes représentant environ 1000 espèces caractérisées par un abdomen de couleur métallique [4]. Principalement détritiphages, nécrophages ou coprophages, ces insectes sont également les premiers colonisateurs des carcasses animales et humaines [5]. Les mouches Calliphoridae ont colonisé tous les continents. Elles sont massivement représentées parmi la faune liée aux cadavres et jouent un rôle écologique très important dans le recyclage de la matière organique [4]. Elles sont majoritairement attirées par les cadavres de mammifères mais peuvent aussi coloniser d’autres cadavres tels que ceux des poissons [6]. La saisonnalité et les micro climats affectent fortement leurs populations [7]. La répartition des espèces est donc très dépendante des latitudes [8], de l’altitude [9] ou des types de climats [10].

Les trois espèces utilisées dans ce travail de thèse sont très présentes en France et en Europe et sont de globalement très communes [7], [11], [12]. Lucilia sericata , la mouche verte aux yeux rouges, est présente dans la majorité des biotopes et est visible dans nos régions principalement au printemps et en été [7]. Lorsque les conditions sont favorables, dont une température ambiante supérieure à 14 °C, elle va coloniser rapidement les cadavres [13]. Espèce ubiquiste, L. sericata se développe aisément sur les cadavres de petits comme de gros mammifères [6]. Calliphora vomitoria est une espèce de couleur bleu foncé, plus trapue que L. sericata [3]. Plutôt rurale [6], C. vomitoria se rencontre tant en périodes froides que chaudes [7] où elle va coloniser les corps plus tardivement [13]. Mieux adaptée aux carcasses de grande taille [6], elle n’est pas très bonne compétitrice et est réputée favoriser des colonisations conspécifiques [6]. Enfin, la troisième espèce étudiée dans ce travail est Calliphora vicina , une autre mouche de couleur bleue, plus adaptées aux petits cadavres, aux zones urbaines et sub-urbaines ainsi qu’aux températures plus fraiches [6], [14]. En effet, il n’est pas rare d’observer une activité de cette espèce en plein hiver [7] ou dans des conditions de froid extrême [15]. Dans les cas de faibles température, elle sera majoritairement seule colonisatrice, mais elle peut aussi coloniser les corps en même temps que d’autres espèces [6]. Dans nos régions françaises et d’Europe occidentale, ces trois espèces peuvent occuper simultanément le même cadavre [11].

Les Calliphoridae sont des insectes holométaboles, c’est-à-dire à métamorphose complète : le stade larvaire est morphologiquement et comportementalement différent de l’adulte (Figure 1). Les mouches Calliphoridae adultes, d’une taille allant de 6 à 14 mm, consomment principalement du nectar, qui couvre leurs besoins en sucre. La consommation d’autres nutriments, tels que certaines vitamines ou encore des sels minéraux, ne semble pas primordiale au stade adulte car les larves acquièrent ces nutriments lors de leur développement [2], [16]. Dans le cas où il leur serait nécessaire d’en consommer, les adultes peuvent se nourrir de miellat ou de sucs végétaux. Cependant, les femelles anautogènes [2] ont besoin d’un apport protéique pour permettre la maturation des œufs. Chez les Calliphoridae, cet apport implique la consommation de matières animales en décomposition ou encore de fèces, permettant ainsi, après quelques jours, une maturation complète des œufs. Une fois gravides, les femelles recherchent un cadavre pour y pondre leur œufs, au nombre d’environ 200 par ponte pour l’espèce Lucilia sericata [17]. Elles sont attirées rapidement après la mort [18] et sur de très longues distances [19], principalement par des composés riches en ammoniac ainsi que des phéromones [20] et des composés sémiochimiques.

A l’éclosion, les myriades d’œufs laissent place à autant de larves d’un blanc crémeux, qui passent par trois stades durant lesquels elles se nourrissent du cadavre, pour finalement atteindre une taille variant, selon les espèces, de 8 à 23 mm. Cette étape est cruciale : il est en effet nécessaire pour les larves d’atteindre une masse critique permettant de finaliser le développement durant les phases post alimentation [21]. Cette masse critique dépend en particulier de la qualité nutritive du milieu. On observe ainsi des différences entre les régimes alimentaires, où les muscles sont préférés au foie ou aux intestins [11], [22], [23]. Pour se nourrir, les larves utilisent leur crochets buccaux ainsi que deux organes sensoriels : l’organe dorsal pour l’olfaction et l’organe terminal pour la gustation [24]. Elles peuvent ainsi sélectionner les odeurs d’intérêt [25] dans l’énorme bouquet odorant qu’est le cadavre [26].

Une fois la masse critique atteinte, les larves peuvent se métamorphoser. Elles changent de comportement et arrêtent de se nourrir pour trouver un endroit propice à la poursuite de leur développement. Durant cette phase, appelée post-feeding, les larves vont généralement fuir le cadavre de façon radiale pour fouir les sols meubles et rechercher des abris afin de se protéger durant le stade pupe [27]. Une fois le lieu propice sélectionné, la larve va s’immobiliser et réaliser une dernière mue dont l’exuvie se rigidifiera pour former le cocon (puparium). Le stade pupe est immobile et dure environ 45 % du développement ; il s’achève avec l’émergence de l’imago [28]. La durée de ce cycle dépend de deux paramètres principaux : l’espèce et la température. C’est cette relation qui est utilisée en entomologie médico-légale pour l’estimation de la date du décès. Ces durées sont connues pour la plupart des espèces nécrophages et pour un grand nombre de températures [29].

Entomologie médico-légale 

L’utilisation des insectes nécrophages pour dater le décès, ou entomologie médico légale, a été formalisée par Bergeret en 1855 [19]-[20]. Basée en premier lieu sur la théorie de développement successif des insectes sur le corps, cette science utilise aujourd’hui principalement la corrélation entre température et développement des larves pour dater le décès [32]-[33].

Cette relation permet, pour une espèce donnée, de définir le pourcentage de développement par unité de temps en fonction de la température. En effet, en connaissant les conditions environnementales durant le développement des larves, et notamment la température, l’expert peut calculer l’âge de ces individus et en déduire un Intervalle Post-Mortem minimum (IPMm). En fonction des conditions climatiques et de l’accessibilité au cadavre, il pourra estimer le délai de colonisation du cadavre [13] et ainsi estimer la période du décès [32]. Cependant, les méthodes de calcul peuvent différer selon les experts : certains se basent sur le cycle complet de développement alors que d’autres considèrent plutôt la taille des larves [28], d’où d’éventuelles divergences [34]. Depuis quelques années, les publications relatant des paramètres à prendre en compte dans le cadre d’expertises entomologiques se sont multipliées, sans réellement apporter d’outils pratiques permettant d’appliquer ces recommandations. Ces études démontrent notamment le rôle de facteurs abiotiques sur le développement des larves [35]–[37]. De plus, ces travaux sont majoritairement focalisés sur la physiologie du développement, omettant souvent de considérer le comportement des larves comme un facteur de variabilité [28]. Dans ce contexte, une vision d’ensemble replaçant les insectes dans leur milieu de vie semble nécessaire pour réellement améliorer l’expertise [38].

L’écosystème cadavérique 

Tout organisme vivant fait partie de la biocénose composant son écosystème . À sa mort, sa carcasse va influer significativement sur cet environnement [56]. De nombreux animaux tels que les charognards [57] et les détritivores vont coloniser le cadavre et se nourrir de cette nécromasse [38]. Les composés de dégradation des tissus ainsi que les fèces de ces colonisateurs vont apporter aux bactéries et aux champignons des nutriments essentiels et enrichir les sols en composés organiques tels que l’azote [58]. Cet enrichissement du milieu agit directement sur les plantes environnantes qui ont en retour une action sur les herbivores et la microfaune. Le cadavre peut donc être considéré comme un écosystème à part entière, accueillant des organismes qui profitent de ce milieu pour s’alimenter [12], chasser [59], se reproduire [60] ou s’abriter [61]. Comme dans tout écosystème, on y observe des pressions de sélections affectant plus ou moins la colonisation, le développement ou encore la survie des organismes qui s’y trouvent [63], [64]. Milieu attractif pour les espèces l’exploitant ainsi que leurs prédateurs [64], le cadavre et son environnement associé présentent donc des contraintes biotiques et abiotiques qui ont une action forte les organismes qui l’exploitent [65].

La carcasse 

Le cadavre passe par plusieurs stades de décomposition [63]. Son apparition dans l’environnement va notamment, du fait du panel d’odeurs dégagées [26], attirer des insectes nécrophages [16]. Ainsi, on observe en premier le stade frais, propice à la ponte des Diptères Calliphoridae. S’ensuit le stade de décomposition « gonflé », durant lequel on observe une forte action bactérienne produisant de grosses quantités de gaz. L’activité des insectes notamment, induit la rupture des enveloppes, ce qui provoque l’expansion des fluides corporels. On observe ensuite les stades de décomposition active et avancée, où les insectes sont nombreux, produisant des dégagements d’ammoniac. Enfin, le stade sec, qui se poursuit jusqu’à la disparition complète de la  , est le temps où l’activité fongique est à son maximum du fait de la libération antérieure d’ammoniac [61]. Les stades de décomposition peuvent êtres altérés par plusieurs paramètres, notamment la taille de la carcasse [66], ainsi que les conditions climatiques, saisonnières [67] ou environnementales [68]. Selon le type de carcasse, notamment en fonction de la taille et l’espèce, la colonisation varie en nombre et diversité des colonisateurs [69]. La présence de fourrure ou de poils affecte par exemple la ponte des adultes [70] ainsi que l’activité microbienne [71]. Le type même de cadavre (espèce animale) est déterminant : une étude a d’ailleurs démontré que les larves de la mouche Calliphora vicina se développaient moins bien (individus plus petits) sur des cadavres de poisson que sur ceux de mammifères [72].

Facteurs abiotiques 

L’environnement agit très fortement sur les populations d’insectes. Ainsi, les larves d’une même espèce peuvent présenter des tailles et des vitesses de développement différentes selon leur micro-habitat [73]. A l’échelle du cadavre, la dégradation est facilitée par de fortes chaleurs, une exposition au soleil permettant la colonisation de la carcasse par une plus grande diversité d’insectes [75], [76]. Les précipitations facilitent quant à ellesla prise alimentaire des larves en liquéfiant les tissus [76]. Cependant, ces actions climatiques réduisent la durée d’exploitation du cadavre, ce qui affecte directement les chances de survie des organismes s’en nourrissant [53]. D’autres facteurs abiotiques comme l’humidité [77], la vitesse du vent [78] ou encore la composition du sol [62], [79], ont un effet sur la décomposition. Tous ces facteurs agissent souvent simultanément, facilitant ou entravant la survie des colonisateurs. On observe ainsi que les bactéries et les insectes sont fortement affectés par la température, notamment concernant leur croissance et leur métabolisme [28], [77]. Cependant, la prolifération bactérienne est facilitée par l’humidité mais également par de fortes températures, températures qui jouent sur la dessiccation [77]. Les organismes décomposeurs peuvent ainsi subir des pressions contraires : ils se doivent de jongler avec ces paramètres abiotiques pour lesquels ils sont particulièrement sensibles [15], [62]. Aujourd’hui, l’écologie du cadavre n’étant que peu étudiée [38], ces interactions entre les facteurs abiotiques et biotiques restent mal comprises [80].

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Table des matières

INTRODUCTION
LES DIPTERES CALLIPHORIDAE
Généralités
Entomologie médico-légale
L’ECOSYSTEME CADAVERIQUE
La carcasse
Facteurs abiotiques
Facteurs biotiques
ECOLOGIE COMPORTEMENTALE ET STRATEGIES DE DEVELOPPEMENT
Le grégarisme
Auto-organisation et émergence
Thermorégulation
OBJECTIFS DE LA THESE
PLAN
CHAPITRE 1 : TEMPÉRATURES PRÉFÉRENTIELLES
THERMOREGULATION IN GREGARIOUS DIPTERAN LARVAE: EVIDENCE OF SPECIES-SPECIFIC TEMPERATURE SELECTION
Abstract
Introduction
Materials and methods
Statistical analysis
Results
Discussion
CHAPITRE 2 : THERMORÉGULATION
THE MAGGOT, THE ETHOLOGIST AND THE FORENSIC ENTOMOLOGIST: SOCIALITY AND THERMOREGULATION IN NECROPHAGOUS
LARVAE
Abstract
Introduction
Material and methods
Statistical Analysis
Results
Discussion
Conclusion
TO EAT OR GET HEAT: BEHAVIORAL TRADE‐OFFS BETWEEN THERMOREGULATION AND FEEDING IN GREGARIOUS NECROPHAGOUS
LARVAE
Abstract
Introduction
Materials and methods
Data analyses
Results
Discussion
CHAPITRE 3 : DÉVELOPPEMENT ET STRATÉGIES ÉVOLUTIVES
EFFECT OF THERMOREGULATION AND AGGREGATION ON LUCILIA SERICATA DEVELOPMENT AND FITNESS.
Introduction
Matériel et méthodes
Analyse statistique
Résultats
DISCUSSION
CHAPITRE 4 : GROUPES HETEROSPECIFIQUES
MIXED-SPECIES AGGREGATIONS IN ARTHROPODS
Abstract
Background
Definitions
Types of Mixed-Species Groupings
Aggregation Vectors and Cross-Species Recognition
Benefits
Species Competition
Conclusion
BE LONELY OR FEEL COLD: THE CRUEL DILEMMA OF INTERSPECIFIC AGGREGATION IN BLOWFLIES’ LARVAE
Introduction
Matériel et méthodes
Analyse statistique
Résultats
Discussion
DISCUSSION
COMPORTEMENT DES LARVES
STRATEGIE EVOLUTIVE
CONCLUSION

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