Stratégies d’ETP
La lecture et l’analyse de neuf articles scientifiques ont permis de relever des stratégies d’ETP pour l’ICC. Ces stratégies ont par la suite été classées en huit catégories distinctes : les stratégies reposant sur des théories, l’implication des proches dans l’éducation, le renforcement de l’éducation par sessions multiples et appels téléphoniques, les feedbacks au patient, la sollicitation d’une participation active, débuter l’éducation dans le contexte hospitalier, les entretiens motivationnels et le suivi des symptômes à l’aide d’un journal.
Stratégies reposant sur des théories
Selon Green (2000, cité dans Wu, Corley, Lennie & Moser, 2012), des interventions basées sur un modèle théorique améliorent l’analyse des situations. Il relève que cette méthode permet d’identifier adéquatement les variables sur lesquelles agir. Cet auteur dénonce la pratique fondée uniquement sur les expériences des professionnels de la santé.
Parmi les articles analysés, deux théories ont été repérées : la Théorie du Comportement Planifié (TCP) et la théorie de soins centrée sur la personne de McCormack et McCance.
Éducation basée sur la théorie comportementale planifiée
Deux programmes d’éducation retenus se basent sur la Théorie Comportementale Planifiée (TCP). Il s’agit d’un cadre théorique qui vise le changement d’un comportement à travers un travail sur ces trois composantes: les attitudes, les normes subjectives et le contrôle comportemental perçu (Welsh, Lennie, Marcinek, Biddle, Abshire, Buntley & Moser, 2013; explications en annexe K).
Dans leur essai contrôlé randomisé, Wu et al. (2012) basent leurs interventions sur la TCP, afin d’améliorer l’adhérence médicamenteuse et de diminuer la fréquence des complications. Pour évaluer l’efficacité de ce programme, les auteurs ont randomisé les 82 participants dans trois groupes différents. Le groupe contrôle a reçu les soins habituels. Les deux groupes d’intervention ont reçu un enseignement basé sur la TCP, et un de ces deux groupes a reçu en plus, des séances de feedbacks relatives à la prise de leur traitement médicamenteux (Wu & al., 2012).
Leur programme a été construit de manière à traiter chacune des composantes de la TCP. En effet, fournir un enseignement au patient concernant ses symptômes et sa médication favorise l’adoption d’attitudes positives. Pour agir positivement sur les normes subjectives, le patient est encouragé à identifier ses ressources sociales (par exemple son conjoint, ses enfants, ses amis, etc.), puis à évaluer l’importance qu’il accorde aux opinions de ses proches concernant la médication. De plus, les proches ont reçu un enseignement portant sur la manière de communiquer avec le patient, afin de le soutenir dans son changement. Concernant le contrôle comportemental perçu, le patient est amené à identifier les ressources et les obstacles à son adhérence aux traitements. Un enseignement individuel et des feedbacks sur les doses manquées de la médication viennent appuyer le renforcement du contrôle comportemental perçu (Wu & al., 2012).
Welsh et al. (2013) ont également développé un programme basé sur la TCP, mais l’exploitent différemment. Les trois composantes servent essentiellement à évaluer et aiguiller les interventions qui visent la diminution de la consommation du sodium alimentaire du patient. Les auteurs ont séparé l’échantillon (n=52) en deux groupes: le groupe contrôle et le groupe intervention qui suivait un programme d’éducation sur une durée de six semaines. L’impact a été mesuré à court terme (à la fin des six semaines) et à long terme (six mois plus tard). Dans ce programme, l’éducation concernant la maladie, l’interprétation de l’excès du volume liquidien et le régime hyposodé favorisent le développement des attitudes positives. Pour mesurer les normes subjectives, les infirmiers s’intéressent aux motivations des patients à se conformer aux opinions de leurs proches et des professionnels. L’identification des ressources et des obstacles de chaque patient à l’adhérence d’un régime hyposodé permet d’individualiser l’éducation. Le Dietary Sodium Restriction Questionnaire (DSRQ), composé de trois sous-échelles, chacune mesurant une composante différente de la TCP, a été utilisé. L’efficacité du programme est également évaluée grâce au journal 3-Day-Food Diary, dans lequel le patient note les repas pris durant trois jours. Les données récoltées dans ce journal ont été rapportées dans un logiciel, afin d’obtenir la valeur de sodium consommé. L’observance a été objectivée par l’utilisation du Medication Event Monitoring System (MEMS). Il s’agit d’un dispositif de surveillance de la prise des médicaments sous forme d’un capuchon enregistrant chaque ouverture du flacon. Il est précisé que ce dispositif n’est appliqué que sur un flacon de médicaments. Un journal permettant au patient de noter les ouvertures erronées et les ouvertures pour remplir le flacon était fourni avec le MEMS. Le patient soit considéré comme adhérent lorsqu’il prend au minimum 88% des doses prescrites (Wu & al., 2012).
Les résultats rapportés par le MEMS montrent une différence significative (p= 0.05 à deux mois et p=0.021 à neuf mois) de l’adhérence médicamenteuse entre les groupes intervention et le groupe contrôle. A deux mois, le pourcentage de patients adhérents dans les deux groupes d’intervention a augmenté, mais ce de manière non significative (p=0.203). Au neuvième mois, le pourcentage de patients adhérents des groupes intervention a diminué significativement (p=0.015) par rapport au deuxième mois. Malgré cette diminution, la valeur finale est significativement supérieure (p=0.015) aux données de départ pour les groupes intervention (passe de 70% à 74% chez un groupe et de 59% à 65% chez l’autre), contre une diminution de moitié chez le groupe contrôle (Wu & al., 2012).
Dans l’étude de Welsh et al. (2013), les résultats du questionnaire DSRQ révèlent que les attitudes étaient significativement meilleures (p<0.01) dans le groupe intervention au bout de six semaines. Après six mois, les attitudes du groupe intervention demeurent meilleures que celles du groupe contrôle, mais de manière non significative (p=0.258). L’évaluation de la norme subjective n’a montré aucune amélioration significative (p=0.964 à six semaines ; p=0.511 à six mois). Même constat pour la mesure du contrôle comportemental perçu (p=0.162 à six semaines ; p=0.304 à six mois). Concernant les résultats du journal 3-Day Food Diary, la consommation de sodium est significativement plus faible (p=0.011) dans le groupe intervention au bout de six mois (Welsh et al., 2013).
Baser l’ETP sur la TCP semble être une bonne stratégie, car elle a prouvé son efficacité dans l’amélioration de l’adhérence médicamenteuse et de l’adhérence au régime hyposodé.
Éducation basée sur l’approche centrée sur la personne
Bläuer et al. (2015) choisissent l’approche centrée sur la personne pour développer leur programme d’éducation. Comme les patients souffrant d’ICC forment un groupe hétérogène (différentes origines de l’ICC, comorbidités, symptômes, soutien social), il est nécessaire d’adapter le programme à chaque patient (Bläuer & al., 2015). L’approche centrée sur la personne se base sur le respect mutuel, le droit de faire ses propres choix et l’empathie pour créer une relation de confiance avec le patient et ses proches (McCormack, Nanley & Titchen, 2013, cités dans Bläuer & al., 2015).
Le programme développé par Bläuer et al. (2015) se compose de trois sessions d’éducation individuelles, dans lesquelles le patient décide, parmi plusieurs sujets prédéfinis, ceux qu’il a besoin d’aborder. Les soignants leur offraient également la possibilité de se peser et de préparer leur médication de manière autonome ainsi que de tenir un journal de suivi des symptômes. Afin d’évaluer l’efficacité de l’intervention, 15 participants ont autoévalué leurs comportements d’auto-soins au moyen du questionnaire European Heart Failure Self-Care Behavior Scale, dont les résultats ont été calculés. Il est à noter que l’échelle va de 15 à 60 points et que plus le score est bas, meilleure est l’adhérence au comportement. La valeur moyenne obtenue par cet échantillon est de 16.3 points. De plus, 12 des participants ont évalué ce programme comme « bon » et trois comme « excellent ».
L’ETP basée sur l’approche centrée sur la personne a permis une bonne adhérence aux auto-soins et a été bien perçue par les patients.
Implication des proches dans l’éducation
Le soutien social fait partie des stratégies pour améliorer l’adhérence (Flynn & al., 2005 ; Saunders, 2008, cités dans Dunbar et al. 2013). En effet, les proches étant présents dans la préparation des repas et des médicaments au quotidien, il est intéressant de les inclure dans le programme d’éducation (Dunbar & al., 2013).
L’essai randomisé, mené par Dunbar et al. (2013), cherchait à déterminer l’efficacité de deux manières d’inclure les proches dans l’éducation thérapeutique du patient atteint d’ICC. Pour ce faire, 117 patients ont été randomisés en trois groupes : le groupe soins usuels (SU), le groupe d’éducation patient-membre de la famille (EPM) et le groupe intervention de partenariat familiale (IPF). Dans le groupe EPM, le patient est toujours accompagné d’un membre de sa famille. Pour commencer, ils ont reçu deux séances éducatives sur la maladie, les symptômes, le régime hyposodé, les traitements et les activités d’autogestion. De plus, durant le deuxième mois, des ateliers portant sur le régime hyposodé ainsi que des brochures et un DVD ont été proposés. Au quatrième et au huitième mois, les patients ont reçu un feedback écrit et un par téléphone. Le groupe IPF a reçu les mêmes interventions que le groupe EPM, cependant, il a eu deux séances supplémentaires en petits groupes pour aborder la perception du vécu de la maladie et la communication du proche favorisant le soutien du patient.
Une autre étude analysée inclut les proches de manière similaire. Wu et al. (2012) visent à améliorer l’adhérence médicamenteuse grâce à leur programme d’éducation basé sur la TCP. Comme l’une des composantes de cette théorie (norme subjective) se rapporte aux proches, ces derniers ont reçu un enseignement portant sur la manière de soutenir et de communiquer avec le patient.
L’étude de Dunbar et al. (2013) ont objectivé l’adhérence au régime hyposodé par l’analyse des urines sur 24h et par le questionnaire 3-Day Food Record (3-DFR), dans lequel le patient a noté les portions et le contenu de ses repas durant trois jours. Les données ont ensuite été insérées dans un logiciel pour obtenir la valeur quotidienne de l’apport en sodium. Un patient était considéré comme adhérent au régime hyposodé, lorsque sa consommation de sodium est ≤ 2,5 mg par jour. Les auteurs ont également mesuré l’adhérence médicamenteuse grâce à deux outils : le MEMS et le questionnaire Morisky Mecation Adherence Scale (MMAS). Diverses autres échelles ont été employées : Atlanta Heart Failure Knowledge Test (AHFKT) pour évaluer les connaissances, Family Care Climate Questionnaire-Patient Version (FCCQ-P) pour mesurer la perception du patient sur le soutien reçu par ses proches et la Family Emotional Involvement and Criticim Scale (FEICS-PC) pour objectiver l’importance que le patient accorde aux critiques de sa famille.
Dans l’étude de Dunbar et al. (2013), les résultats des analyses d’urine sur 24h démontrent, après quatre mois, une diminution significative (p<0.05) de 677mg/jour de sodium dans les urines pour le groupe IPF et de 556mg/jour pour le groupe EPM. Après huit mois, chez le groupe IPF, la quantité de sodium dans les urines a continué de diminuer (216 mg/jour) (p<0.05), alors que pour le groupe EPM, celle-ci s’est stabilisée (p<0.05). Cependant, les résultats du 3-DFR mettent en avant que la consommation quotidienne de sodium chez le groupe IPF diminue de 724mg/jour au quatrième mois, puis a reaugmenté de 198mg/j jusqu’au huitième mois. Le groupe EPM diminue également sa consommation de 706mg/jour au quatrième mois et de 65mg/j après huit mois (p<0.05). Aucune différence n’a eu lieu entre les groupes pour l’adhérence médicamenteuse (p=0.032). Quatre mois après l’intervention, le groupe IPF a un niveau de connaissances légèrement supérieur au groupe SU (p=0.02). Les résultats de l’échelle FCCQ-P révèlent que la totalité des groupes sont soutenus, dès le départ, de manière adéquate par leur proche. Néanmoins, le groupe IPF a légèrement augmenté son score, au huitième mois. Le questionnaire FEICS-PC n’a soulevé aucune différence significative entre les groupes. Cependant, Rosland, Heisler, Choi, Silveira et Piette (2010, cités dans Welsch et al., 2013), mettent en évidence dans leur étude que 78% d’un échantillon de 439 participants estiment que les critiques venant des proches influencent négativement l’adhérence à leur autogestion .
Le programme de Wu et al. (2012) a eu un impact positif sur l’adhérence médicamenteuse des patients souffrant d’ICC. L’une des composantes de ce programme comprend l’implication des proches. Les résultats suggèrent ainsi qu’en association avec d’autres stratégies, les proches peuvent être un atout dans l’ETP.
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Table des matières
1. Introduction
1.1. Problématique
1.2. Question de recherche
2. Cadre de référence
2.1. Concepts
2.1.1. Éducation thérapeutique du patient
2.1.2. Adhérence thérapeutique
2.1.3. Empowerment
1.1.1. Partenariat
1.2. Théorie de soins
2. Méthode
2.1. Termes MESH et bases de données
2.2. Critères d’inclusion
2.3. Processus de recherche
2.4. Processus d’analyse des articles
3. Résultats
3.1. Stratégies d’ETP
3.1.1. Stratégies reposant sur des théories
3.1.1.1. Éducation basée sur la théorie comportementale planifiée
3.1.1.2. Éducation basée sur l’approche centrée sur la personne
3.1.2. Implication des proches dans l’éducation
3.1.3. Renforcement de l’éducation par sessions multiples et appels téléphoniques
3.1.4. Feedbacks au patient
3.1.5. Sollicitation de la participation active
3.1.6. Débuter l’éducation dans le contexte hospitalier
3.1.7. Entretien motivationnel
3.1.8. Suivi des symptômes à l’aide d’un journal
4. Discussion
4.1. Stratégies ETP
4.1.1. Stratégies reposant sur des théories
4.1.1.1. Éducation basée sur la théorie comportementale planifié
4.1.1.2. Éducation basée sur l’approche centrée sur la personne
4.1.2. Implication des proches dans l’éducation
4.1.3. Renforcement de l’éducation par sessions multiples et appels téléphoniques
4.1.4. Feedbacks au patient
4.1.5. Sollicitation de la participation active
4.1.6. Débuter l’éducation dans le contexte hospitalier
4.1.7. Entretien motivationnel
4.1.8. Suivi des symptômes à l’aide d’un journal
4.2. Perspectives futures pour la recherche
Conclusion
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