Stratégies de reproduction et de dispersion chez deux termites humivores de Guyane

La reproduction sexuée représente l’un des modes de reproduction les plus répandus dans le règne animal. Malgré ses avantages incontestables, ce système présente des inconvénients importants tels que les coûts liés à l’accouplement et la dilution de la contribution génétique des individus aux générations suivantes. Aussi, beaucoup d’organismes associent à ce mode de reproduction de la reproduction asexuée, aboutissant à des stratégies mixtes particulièrement intéressantes d’un point de vue évolutif (Schön et al., 2009). La structure sociale complexe décrite chez les insectes eusociaux laisse penser que la meilleure option pour les reproductrices serait ainsi de combiner les deux modes de reproduction pour bénéficier de leurs avantages respectifs, à savoir une contribution génétique accrue aux générations suivantes et le maintien d’une diversité génétique suffisante dans la descendance pour faire face aux pressions environnementales, et limiter leurs inconvénients.

L’eusocialité, stade le plus évolué de l’organisation sociale chez les animaux, est caractérisée par une division complexe des rôles des individus, certains étant spécialisés dans la reproduction et d’autres, stériles, dans des actes altruistes (Wilson and Hölldobler, 2005). Ces différentes catégories, appelées castes, coexistent au sein d’une même organisation sociale, la colonie. Chez les termites ou Isoptera, insectes eusociaux diplo-diploïdes, les futurs reproducteurs ailés ou imagos essaiment pour fonder de nouvelles colonies. Ils deviennent des reproducteurs primaires, produisant l’ensemble des membres de la colonie. À l’opposé des castes reproductrices, les soldats représentent une caste véritablement altruiste avec une stérilité permanente. Des stades immatures comme les larves et les nymphes, et la caste des ouvriers, le plus souvent stérile, sont également présents dans les colonies. Certains de ces individus sont capables de se différencier en reproducteurs secondaires néoténiques, comme les ouvriers (reproducteurs ergatoïdes) et les nymphes (reproducteurs nymphoïdes) (Noirot, 1956).

La présence de ces reproducteurs additionnels, se reproduisant à l’intérieur du nid, a pour conséquence d’augmenter le taux de croissance et l’expansion de la colonie (Myles, 1999). En cas de mort du roi et/ou de la reine primaires, ils peuvent également prendre la tête de la colonie. La reproduction secondaire philopatrique représente un aspect crucial dans la stratégie de reproduction de nombreuses espèces de termites, car elle est souvent associée à une forte abondance locale, une capacité de colonisation élevée et un grand succès écologique. La présence de reproducteurs secondaires est fréquente chez certaines familles de termites non Termitidae, chez qui ils ont été décrits dans plus de 60% des genres (Myles, 1999). Cette stratégie reproductive a été particulièrement décrite chez les espèces xylophages, comme les espèces du genre Reticulitermes, dont la plupart sont invasives. À l’inverse, la stratégie reproductive la plus souvent observée dans la famille des Termitidae repose sur une seule reine primaire physogastre très féconde qui va vivre longtemps et produire un grand nombre d’individus en s’accouplant avec un unique roi primaire. Aussi, la production de reproducteurs néoténiques a rarement été décrite chez les Termitidae.

Au cours de plusieurs missions de terrain en Guyane, trois espèces de Termitidae particulièrement abondantes en forêt tropicale, Embiratermes neotenicus (Syntermitinae), Silvestritermes minutus (Syntermitinae) et Cavitermes tuberosus (Termitinae) ont fait l’objet d’une observation approfondie. La dissection des colonies de ces trois espèces a révélé la coexistence de nombreux reproducteurs néoténiques, toutes femelles et nymphoïdes, avec le roi primaire et très rarement avec la reine primaire. Récemment, il a été montré chez trois espèces xylophages considérées comme nuisibles pour l’homme, un système de reproduction appelé AQS, pour « Asexual Queen Succession ». Dans ce système, les reines primaires produisent de nombreuses femelles secondaires nymphoïdes par parthénogenèse et les ouvriers, les soldats et les imagos par reproduction sexuée (Luchetti et al., 2013b, Matsuura et al., 2009, Vargo et al., 2012). L’organisation coloniale particulière observée chez les trois espèces de Termitidae a soulevé un grand nombre de questions auxquelles ce travail de thèse a tenté de répondre, à savoir :

➤ Les femelles nymphoïdes sont-elles produites par reproduction sexuée ou par parthénogenèse et peut-on parler d’AQS chez ces espèces ?
➤ Cette stratégie est-elle constante dans le cycle de vie des espèces ?
➤ À quel moment du cycle de vie les femelles nymphoïdes apparaissent-elles et coexistent-elles avec la reine primaire ?
➤ Quels sont les bénéfices et les désavantages de cette stratégie en regard du cycle de vie des espèces ? Peut-on parler de valeur adaptative pour le succès écologique de ces espèces ?
➤ Quel est le contexte écologique et phylogénétique de l’apparition de cette stratégie reproductive ?

Les objectifs généraux de cette thèse ont donc été de (i) définir l’origine génétique des individus à l’intérieur des colonies afin d’identifier le système de reproduction, (ii) décrire la structure génétique des colonies, afin de comprendre les modalités d’accouplement et de dispersion des reproducteurs et (iii) décrire la structure génétique des populations afin de mettre en évidence la relation entre stratégie de reproduction et succès écologique. Il nous a paru nécessaire d’étudier pour cela trois espèces plutôt qu’une seule. E. neotenicus est apparue dans un premier temps comme l’espèce historique et emblématique de la reproduction secondaire, puisqu’un grand nombre de néoténiques avait été décrit par Holmgren dès 1906. Elle constituait donc la première candidate pour démontrer l’existence de l’AQS chez les Termitidae. Cependant, ses colonies populeuses et son mode de vie cryptique au moment de la fondation des nids ne permettait pas de répondre à toutes les questions relatives au cycle de vie des espèces. L’étude de S. minutus, dans un second temps, nous a permis d’aborder une dimension plus écologique de la stratégie. L’étude de la stratégie reproductive de C. tuberosus a été réalisée en parallèle de ce travail, dans le cadre de la thèse de Simon Hellemans, à l’Université Libre de Bruxelles. Les résultats concernant C. tuberosus ont donc été intégrés à la discussion générale de ce manuscrit.

Les termites, au même titre que certaines fourmis, abeilles et guêpes, sont décrits comme des organismes eusociaux. L’eusocialité est considérée comme le plus haut niveau de la socialité et se définit comme un état avancé de l’organisation coloniale avec des membres de la colonie appartenant à au moins deux générations chevauchantes, une coopération dans le soin aux jeunes et une division des tâches, effectuées par des individus spécialisés appartenant à différentes castes (castes reproductrices et stériles) (Crespi and Yanega, 1995, Wilson and Hölldobler, 2005). À la différence des Hyménoptères sociaux qui sont haplo-diploïdes (mâles haploïdes et femelles diploïdes), les individus des deux sexes sont diploïdes chez les termites et les castes stériles (ouvriers et soldats) sont constituées de mâles et/ou de femelles selon les espèces. L’eusocialité est apparue indépendamment chez les Hyménoptères et les termites avec une apparition unique chez ces derniers tandis qu’elle a évolué au moins dix fois de façon indépendante chez les fourmis, les abeilles et les guêpes (Rabeling and Kronauer, 2013, Thorne, 1997). L’eusocialité chez les termites et les fourmis serait une des clés de leur succès écologique, ces deux groupes d’insectes sociaux représentant plus de la moitié de la biomasse des insectes (Wilson and Hölldobler, 2005).

Avec près de 3000 espèces et 290 genres, une biomasse de 100 g/m² et une abondance 10000 individus/m² en forêt tropicale (Constantino, 1998, Eggleton et al., 1996, Grimaldi and Engel, 2005, Krishna et al., 2013), les termites forment un groupe écologique d’invertébrés dominant en région tropicale où le climat est favorable à leur développement (milieux chauds et humides). Dans ces milieux, la biomasse des termites représente jusqu’à 75% des insectes, 95% des insectes du sol (Watt et al., 1997) et 10% des animaux terrestres (Bignell and Eggleton, 2000).

Les termites forment un groupe monophylétique ayant évolué à partir des blattes xylophages et sont aujourd’hui inclus dans l’ordre des Blattodea (Eggleton et al., 2007, Inward et al., 2007a, Inward et al., 2007b). La monophylie des termites a été admise dans les différentes études phylogénétiques récentes (Bourguignon et al., 2014, Inward et al., 2007b, Ohkuma et al., 2004). Ils sont notamment caractérisés par des synapomorphies morphologiques (tête des imagos et des ouvriers prognathes, réduction du pronotum,…) et un niveau social avancé (Krishna et al., 2013). Les termites actuels sont répartis en neuf familles (Bourguignon et al., 2014, Engel et al., 2009, Krishna et al., 2013) : les Mastotermitidae, les Hodotermitidae, les Archotermopsidae, les Stolotermitidae, les Kalotermitidae, les Stylotermitidae, les Rhinotermitidae, les Serritermitidae et les Termitidae. Ces différentes familles sont traditionnellement différenciées en termites « inférieurs » (non-Termitidae) et termites « supérieurs » (Termitidae). Les Termitidae ont perdu les zooflagellés symbiotiques présents dans l’intestin des non-Termitidae. Cette perte est compensée par une symbiose uniquement bactérienne accompagnée d’une complexification du tube digestif leur permettant de digérer la cellulose sans zooflagellés. Cette différenciation entre termites « inférieurs » et « supérieurs » n’est pas valable d’un point de vue phylogénétique puisque seuls les Termitidae forment un groupe monophylétique, les termites « inférieurs » étant paraphylétiques.

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Table des matières

-Introduction
-Synthese bibliographique
1. Présentation générale des termites
1.1. Diversité, distribution et classification taxonomique
1.2. Classifications fonctionnelles : modes de vie et régimes alimentaires
1.3. Importance écologique
1.4. Organisation coloniale et cycle de vie
2. Stratégie reproductive chez les termites
2.1. Outils moléculaires
2.2. Structure reproductive des colonies
2.3. Dispersion et flux de gènes
3. Reproduction asexuée chez les termites
3.1. Généralités et conséquences génétiques de la reproduction asexuée
3.2. La parthénogenèse : définition, classification et conséquences génétiques
3.3. La parthénogenèse chez les termites
-Matériel et Méthodes
1. Description du site d’étude et échantillonnage
1.1. Site de Petit Saut en Guyane
1.2. Échantillonnage et origine des colonies
2. Structure sociale chez S. minutus
2.1. Reconstruction du cycle de vie
2.2. Origine développementale des femelles néoténiques
2.3. Analyse du sexe-ratio et de l’allocation au sexe chez les imagos
3. Techniques moléculaires
3.1. Extraction de l’ADN génomique total
3.2. Marqueurs mitochondriaux
3.3. Développement et amplification des marqueurs microsatellites
3.4. Visualisation des produits PCR
4. Analyse des données
4.1. Barcoding ADN des colonies
4.2. Structure génétique des colonies et des populations
-Conclusion

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