STRATEGIES DE PRISE EN CHARGE : REFERENTIELS ET MISE EN PRATIQUE AU CENTRE FRANÇOIS BACLESSE

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Définition et épidémiologie de la dénutrition

Définition de la dénutrition

La CIM-10 (Classification Internationale des Maladies), la SFNEP associée à l’ASPEN (Société francophone et américaine de nutrition entérale et parentérale) ainsi que le Club francophone de gériatrie et nutrition ont chacun donné leur propre définition de la dénutrition.
Nous retiendrons ici celle provenant d’un groupe de travail de la Haute Autorité de Santé (HAS), ex-ANAES (Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé) datant de 2003. Celle-ci a en effet fait la synthèse et évalué les différentes définitions existantes. La définition proposée par le Club francophone de gériatrie et de nutrition n’a pas été retenue, car elle concerne les sujets âgés de plus de 70 ans. Par ailleurs, la SFNEP et l’ASPEN incluent l’aspect physiopathologique contrairement à la CIM-10, mais aucune ne prend en compte le pronostic associé à la dénutrition. Afin de sous-entendre l’existence d’un processus morbide lié à une pathologie sous-jacente, il semblait également important de mentionner le caractère involontaire de la perte de poids.
Finalement, la HAS définit donc la dénutrition protéino-énergétique comme résultante d’un déséquilibre entre les apports et les besoins protéino-énergétiques de l’organisme. Ce déséquilibre entraîne des pertes tissulaires involontaires ayant des conséquences fonctionnelles délétères(8). La première cause de dénutrition dans les pays industrialisés est la maladie(9). Concernant les patients atteints de cancer, celle-ci se caractérise par une augmentation des besoins concomitante à une diminution des réserves graisseuses, une perte musculaire et une perte d’appétit. Habituellement, on considère une dénutrition à partir d’une perte de poids de 10 % en moins de six mois ou de 5 % en un mois et/ou un Indice de Masse Corporelle (IMC) inférieur à 18,5 (ou IMC inférieur à 21 pour les patients de plus de 70 ans) : la prévalence de la perte de poids (patients amaigris, voire déjà dénutris) est d’environ 40 %(10,11). Cependant, en oncologie médicale, la littérature considère un malade dénutri dès lors qu’une perte de poids d’au moins 5 % est constatée depuis le début de la maladie (car cela est associé à l’augmentation de la morbidité et de la mortalité) ce qui augmente la prévalence à 55 % tandis que seulement 15 % des patients ne perdraient pas de poids (10,12). Au cours d’un cancer, la dénutrition est donc un risque permanent et est parfois le premier signe qui amène au diagnostic.
Le stade ultime (bien que les facteurs la caractérisant soient présents dès le début de la maladie) de dénutrition est la cachexie. Ce syndrome métabolique, d’origine hétérogène, se caractérise par un net affaiblissement de l’organisme à l’origine d’une altération profonde de l’état général. Il associe une dénutrition sévère, indépendante de l’apport nutritionnel (en raison notamment du rôle des cytokines inflammatoires) à d’autres symptômes comme l’anorexie, l’asthénie, un état inflammatoire ou l’atrophie musculaire, encore appelée sarcopénie. Ce syndrome, caractérisé par une fonte progressive et générale des réserves protéiques musculaires, est d’origine multifactorielle : insuffisance d’apport en protéines, perturbation du métabolisme protéique et sécrétion de cytokines inflammatoires peuvent expliquer le phénomène. Sur le plan métabolique, la cachexie se distingue de la simple dénutrition par carence d’apport par une disparition concomitante des réserves lipidiques et de la masse maigre là où la dénutrition préserve cette dernière.
Il existe différents stades de cachexie cancéreuse définis selon les critères du Tableau 2. La pré-cachexie et la cachexie sont les deux premiers stades où une intervention nutritionnelle peut être bénéfique. En revanche, le dernier stade appelé « cachexie réfractaire » présente une résistance à la renutrition : le bilan azoté restant négatif, quelle que soit l’importance des apports nutritionnels. La dénutrition du patient cancéreux est à différencier de l’anorexie mentale (perte d’appétit) et de la malnutrition (état pathologique dû à une sous-alimentation entraînant des carences d’apports ou à une sur-alimentation qui entraîne des excès d’apports).
Il est important de préciser qu’à l’inverse des phénomènes cités ci-dessus, la cachexie cancéreuse est indépendante de l’apport nutritionnel en raison de son origine multifactorielle. Ainsi, une prise en charge nutritionnelle précoce (avant le stade de cachexie, et de préférence en prévention même de la dénutrition) s’avère nécessaire pour limiter l’apparition des complications qui lui sont associées.

Épidémiologie de la dénutrition liée au cancer

La prévalence de la dénutrition liée au cancer dépend de différents facteurs(10,11,13,14). Premièrement, la localisation du cancer est un élément important. Ainsi, même si les chiffres varient selon les études en raison notamment des différents critères pour définir la dénutrition et des méthodes utilisées pour l’évaluer, on retrouve une prévalence plus élevée dans les cancers du pancréas, de l’œsophage, de l’estomac et des VADS (Voies Aéro-Digestives Supérieures) avec plus de 50 % des patients atteints. Cela s’explique par la localisation de la masse tumorale au début des voies digestives ou dans l’appareil digestif proximal rendant difficile l’alimentation par obstruction ou malabsorption. Les cancers du poumon présentent également une prévalence élevée de dénutrition avec plus de 40 % des patients atteints (liée à la maladie elle-même et à une anorexie souvent profonde). On retrouve ces tendances dans la Figure 5 qui illustre les résultats de l’étude Nutricancer menée en 2005 sur 1 903 patients français porteurs d’un cancer et hospitalisés(10,11).
Le Tableau 3 regroupe les résultats des risques relatifs issus de l’étude Nutricancer 2005 concernant l’association entre la localisation tumorale, l’avancée de la tumeur ainsi que le type de prise en charge et le risque de dénutrition. Un risque relatif de 1 est associé à l’absence d’effet. Si l’effet est bénéfique, le risque relatif est inférieur à 1, à l’inverse, en cas d’effet délétère, le risque relatif est supérieur à 1. Plus le chiffre s’éloigne de 1, plus l’impact de l’effet est important.

La spécificité de la dénutrition du patient cancéreux

En accord avec la définition de la dénutrition protéino-énergétique, on peut attribuer ce phénomène à une déficience ou un défaut d’utilisation des apports et/ou à une augmentation des dépenses qui s’explique majoritairement par la présence de la tumeur, car celle-ci va être responsable de la libération de facteurs par le corps de l’hôte (cytokines pro-inflammatoires) ou par elle-même (Lipid Mobilizing Factor (LMF)) et Proteolysis Inducing Factor (PIF)). D’autres facteurs, et notamment la prise en charge du patient, peuvent influencer ou initier ce processus.

Causes de la dénutrition liée au cancer

Déséquilibre entre apports et dépenses

Réduction des apports

La réduction des apports est expliquée principalement par un phénomène d’anorexie qui se définit comme une perte d’appétit et une sensation de satiété précoce. Si une anorexie dite « sélective » (éviction de certains aliments précis) est souvent due aux traitements, celle-ci peut également être totale (diminution voire arrêt complet des apports nutritionnels). En effet, la tumeur elle-même est responsable de certaines modifications à l’origine de ce phénomène, à savoir :
– une production de l’indoleamine dioxygenase, une enzyme responsable de la destruction du tryptophane dans le but de paralyser les lymphocytes anti-tumoraux qui ont besoin de cet acide aminé(15). Outre l’effet paralysant au niveau des lymphocytes, l’augmentation de cet acide aminé, précurseur de la sérotonine, supprime l’appétit par son action au niveau de l’hypothalamus(16) ;
– une libération de cytokines anorexigènes (Tumor Necrosis Factor α (TNF-α), interleukine 1 et 6 (IL-1 et IL-6)) ayant des effets pléiotropes. Elles sont responsables au niveau thalamique de l’activation de la voie anorexigène par la libération d’hormones satiétogènes (cholécystokinine, glucagon et cortico-libérine) et de l’inactivation de la voie orexigène par interaction avec le neuropeptide Y (NPY) qui a pour rôle l’augmentation de la prise alimentaire(16). Par ailleurs, au niveau hypothalamique, elles stimulent la leptine qui est la protéine responsable de l’inhibition de la prise alimentaire et de l’augmentation de la dépense énergétique (DE). Ces effets s’expliquent en partie par la stimulation de l’hormone mélanotrope (ou α-MSH pour α-mélanostimuline hormone) qui est le principal agoniste du récepteur de type 4 aux mélanocortines (MC4R). D’autre part, la leptine exerce également une inhibition de la sécrétion du neuropeptide Y et l’agouti-related protein (AGRP) qui ont un rôle antagoniste du MC4R. Ces deux derniers mécanismes sont illustrés dans la Figure 6.
Cette anorexie est prépondérante dans l’apparition de la dénutrition protéino-énergétique bien qu’elle n’explique pas à elle seule la cachexie (cela explique les limites de l’assistance nutritionnelle par voie orale). À l’inverse, on pourrait supposer que ce sont les anomalies au niveau métabolique qui sont responsables dans un premier temps de l’amaigrissement auquel s’adaptent les apports alimentaires(17).
La diminution des apports énergétiques peut également être due à d’autres facteurs en lien avec le phénomène d’anorexie. Ces derniers sont liés notamment aux patients ou à la localisation du cancer qui peut entraîner des obstructions mécaniques ou des perturbations sensorielles et digestives potentiellement majorées par les traitements. On peut citer l’exemple des cancers ORL qui vont entraîner une dysphagie (pouvant aller jusqu’à une aphagie totale par obstruction) ainsi que des troubles du goût et de l’odorat qui vont venir perturber la prise alimentaire. Par ailleurs, les cancers digestifs, gastriques, intestinaux et hépatobiliaires peuvent être responsables de nausées et vomissements par stimulation de l’area postrema, de troubles du transit de type diarrhée ou constipation pouvant aller jusqu’à l’occlusion totale, d’une satiété précoce secondaire à l’effet de la masse tumorale et d’un syndrome de malabsorption.
Les facteurs patients-dépendants vont impliquer des mécanismes plus subjectifs à savoir la présence éventuelle de problèmes sociaux, d’une imprégnation alcoolo-tabagique mais également de douleurs ou de troubles psychologiques comme une anxiété ou une dépression liés à l’annonce de la maladie ou bien l’altération des capacités fonctionnelles (dues à l’asthénie, l’anémie, etc.) qui confinent le patient au lit.
Comme mentionnée ci-dessus, la modification du métabolisme pourrait être la cause primitive du processus de dénutrition.

Augmentation des dépenses

L’augmentation de la dépense énergétique de repos (DER) dépend du type et de la localisation tumorale ainsi que de l’extension métastatique. Elle serait expliquée en majeure partie par une augmentation au niveau métabolique des cycles futiles (comme le cycle de Cori ou l’augmentation du turn-over protéique) conduisant à une augmentation du coût énergétique plus qu’à un potentiel d’absorption d’une partie des nutriments par la masse tumorale elle-même (étant donné que celle-ci ne dépasserait pas 2 % de la masse corporelle)(16).
Le métabolisme des micronutriments chez le patient cancéreux diffère du sujet non malade et a pour conséquence délétère de ne pas permettre l’épargne de la masse maigre.
En effet, chez un sujet non malade, en période post-absorptif ou de jeûne, des mécanismes vont se mettre en place pour pouvoir continuer à fournir au cerveau le glucose qui lui est nécessaire. Cela commence par l’utilisation du glycogène hépatique et musculaire via la glycogénolyse. À l’issue de l’utilisation de cette réserve, une néoglucogenèse au niveau hépatique et rénal à partir d’acides aminés musculaires (AA) se met en place, mais elle ne dure pas et fait place à une adaptation qui vise non plus seulement à fournir de l’énergie, mais également à éviter la fonte protéique due à la protéolyse musculaire. Le relais est donc pris par l’exploitation de la masse grasse : l’oxydation des acides gras (AG) permet de fournir des corps cétoniques (CC) utilisables par le cerveau afin d’assurer le maintien de la masse protéique musculaire. Ces différentes étapes sont illustrées dans la Figure 7.
Au sein de la masse tumorale, le métabolisme anaérobie est prédominant via notamment des altérations mitochondriales qui perturbent le métabolisme glucidique. Ainsi, le cycle de Cori qui correspond à une glycolyse anaérobie avec une production accrue de lactates servant à la néoglucogenèse hépatique accompagnée d’une déperdition énergétique se trouve activé de manière excessive. Le cycle de Cori serait responsable du métabolisme de 50 % du glucose disponible chez le sujet cancéreux contre 20 % chez le sujet sain(16) et pourrait augmenter à lui seul la dépense énergétique quotidienne de 300 kcal.
La néoglucogenèse d’origine protidique se trouve également augmentée via la protéolyse des acides aminés glucoformateurs que sont notamment l’alanine et la glutamine et la dégradation des triglycérides du tissu adipeux qui libèrent du glycérol.
Par ailleurs, il existe une résistance à l’insuline due à l’effet des cytokines et notamment du TNF-α. Ce dernier serait en partie responsable de l’absence d’inhibition de la néoglucogenèse hépatique(16) (effet synergique à l’augmentation du taux de glucagon) et de la diminution de la captation du glucose par le muscle et le tissu adipeux.
Contrairement au sujet non malade, le sujet cancéreux ne peut mettre en place la cétogenèse (mécanisme adaptatif permettant au corps d’épargner la masse maigre en utilisant la masse grasse), car les réserves lipidiques sont diminuées. Cela s’explique premièrement par l’effet des cytokines pro-inflammatoires (IFNy, IL-1 et TNF-α) qui inhibent les lipoprotéines lipases responsables du stockage des lipides dans les adipocytes via la lipogenèse. Conjointement à ce phénomène, le TNF-α va également stimuler la lipolyse par un mécanisme adénosine monophosphate cyclique dépendant(17). En outre, il a été établi une augmentation significative de la lipase hormono-sensible chez les sujets cancéreux(16). Cette enzyme est la cible d’un facteur de mobilisation lipidique : le LMF qui augmente l’expression de la lipase hormono-sensible (et donc d’une augmentation de l’oxydation lipidique) et de l’hydrolyse des triglycérides en glycérol et acides gras libres.
Les modifications métaboliques chez le patient cancéreux sont telles que l’adaptation nécessaire à la préservation de la masse maigre ne peut être mise en place. On aboutit alors à une réduction de la masse musculaire (contrairement à la masse protéique viscérale qui est relativement épargnée). Dans cette situation, on se retrouve face à une augmentation du turn-over protéique au niveau du corps entier. Cette augmentation s’explique en partie par l’augmentation du catabolisme protéique au niveau musculaire qui permet une synthèse protéique hépatique au profit des protéines inflammatoires. D’autre part, l’insulinorésistance (elle-même majorée par la réduction de l’activité physique) provoque une diminution de la protéosynthèse. Contrairement aux cytokines qui seraient plus impliquées dans l’altération des fonctions de réparation tissulaire musculaire que dans l’augmentation directe du catabolisme, le facteur PIF semble jouer un rôle déterminant dans l’augmentation de la protéolyse. Cette glycoprotéine, secrétée par les cellules tumorales, provoque une réduction de la masse maigre sans modification des apports alimentaires par activation du système ubiquitine-protéasome (qui représente la voie majeure du catabolisme musculaire avant le système lysosomial et la voie cytosolique)(17). Ces différentes spécificités liées à la cachexie sont représentées dans la Figure 8.
En outre, l’augmentation de la DER peut s’expliquer par d’autres mécanismes où on retrouve de nouveau le rôle prépondérant des cytokines pro-inflammatoires(19). Celles-ci provoquent des réactions immunitaires spécifiques qui conduisent à une augmentation importante et prolongée de la température ainsi qu’à un état inflammatoire chronique, tous deux responsables de dégâts métaboliques collatéraux (ce phénomène est particulièrement retrouvé dans les cancers du poumon et du pancréas). Ces réactions sont expliquées en partie par la réorganisation métabolique en faveur de la biosynthèse des protéines de l’inflammation.

Facteurs liés à la prise en charge de la maladie

Outre les phénomènes liés à la maladie, les traitements thérapeutiques peuvent également avoir des conséquences sur l’état nutritionnel du patient.
On distingue trois grands types de prise en charge que sont la chirurgie, la radiothérapie et les traitements médicamenteux (qui comprennent la chimiothérapie ainsi que les traitements ciblés avec notamment l’hormonothérapie et l’immunothérapie).

La chirurgie

La prise en charge chirurgicale consiste à retirer la masse tumorale, ou l’organe touché, ainsi qu’une marge de tissus sains et les ganglions voisins pour obtenir des limites saines. Cela implique des phénomènes pouvant être à l’origine d’une dénutrition. Les principales causes observées sont la réduction des apports nutritionnels oraux (due au jeûne péri-opératoire) et l’augmentation de la dépense énergétique de repos liée à un catabolisme accru. Cette dernière est liée au phénomène de cicatrisation, à la survenue possible de complications et au stress éventuel causé par la chirurgie.
Les cancers des VADS sont particulièrement concernés d’autant qu’ils sont souvent associés à une impossibilité de s’alimenter per os pendant un temps plus ou moins long après la chirurgie.
Les conséquences de la chirurgie portant sur les VADS peuvent être à l’origine de douleurs, d’œdèmes, de diminution de la sensibilité de la zone opérée, d’infections ou encore de fistules salivaires. Ces effets secondaires génèrent des problèmes de déglutition, voire de fausse route (passage involontaire de salive, de liquides ou d’aliments dans la trachée et les bronches) perturbant l’alimentation.
La chirurgie exécutée dans le cadre des cancers digestifs (estomac, œsophage, foie, pancréas, côlon et rectum) a un impact sur le circuit et la digestion des aliments. À titre d’exemple, on peut citer la prise en charge chirurgicale du cancer du côlon : ayant un rôle majeur dans l’absorption de l’eau et du sel, une chirurgie à ce niveau peut provoquer diarrhées, déshydratation et mauvaise absorption des nutriments, vitamines et minéraux. Par ailleurs, des reflux gastro-œsophagiens ou le syndrome du petit estomac peuvent apparaitre comme complications de la chirurgie associée aux cancers de l’œsophage ou de l’estomac. Le syndrome de dumping (sensation de malaise général avec troubles digestifs suite à l’ingestion d’aliments), un déficit en vitamine B12 ou bien une perte d’appétit liée à l’absence de ghréline (hormone digestive stimulant l’appétit) sont également des conséquences spécifiques liées à la prise en charge chirurgicale du cancer de l’estomac.
On assiste par ailleurs à un véritable cercle vicieux, car une dénutrition préexistante est associée à une augmentation du risque de l’apparition de complications et du temps de cicatrisation.

La radiothérapie

La radiothérapie est également un traitement loco-régional qui utilise des rayonnements visant à détruire les cellules cancéreuses. La radiothérapie externe qui consiste à délivrer la dose de rayons nécessaire à la destruction de la tumeur en plusieurs séances est à différencier de la curiethérapie interstitielle. Cette dernière méthode utilise des matériaux radioactifs insérés dans la tumeur qui émettent spontanément et en continu la dose de rayonnements ionisants nécessaire(18).
La douleur et la fatigue sont deux effets secondaires que l’on retrouve couramment dans la prise en charge par radiothérapie et qui sont susceptibles d’influencer la prise alimentaire. Par ailleurs, d’autres manifestations généralement propres à la zone irradiée sont susceptibles d’apparaitre par atteinte des cellules saines autour de la zone à traiter. Ces effets surviennent donc selon le site irradié (localisation et étendue) et sont plus ou moins importants selon les modalités du traitement (dose délivrée, mode d’administration) et les facteurs propres au patient (état de santé global, sensibilité personnelle, traitements associés).
Ainsi, la prise en charge des cancers des VADS par radiothérapie peut être à l’origine d’une radiomucite (inflammation des muqueuses de la bouche ou du pharynx) ou bien encore de dysphagie, de modifications du goût (dysgueusie ou agueusie), de l’odorat et des sécrétions salivaires. D’autres effets secondaires plus tardifs et plus rares peuvent également apparaitre comme une limitation de l’ouverture de la bouche ou une nécrose de l’os mandibulaire.
Dans le cas de cancer de l’œsophage, la radiothérapie va entraîner une œsophagite, des troubles digestifs (nausées, vomissements, brûlures œsophagiennes) ou bien encore une sténose de l’œsophage. Ces manifestations entraînent des douleurs et/ou des dysphagies favorisant le phénomène de dénutrition.
Une irradiation au niveau cérébral peut, quant à elle, entraîner des nausées, des vomissements et une anorexie.
Enfin, la radiothérapie abdominale ou pelvienne est souvent associée à des douleurs abdominales et des diarrhées qui entraînent une perte d’eau et une mauvaise absorption des nutriments. Cette malabsorption est renforcée par les dégâts de l’irradiation abdomino-pelvienne sur la muqueuse.

La chimiothérapie

La chimiothérapie est un traitement médicamenteux dont le principe repose sur l’altération de la reproduction des cellules se basant sur le fait que les cellules tumorales se reproduisent très rapidement. Pour autant, les cellules saines qui sont en cours de reproduction peuvent également être atteintes. C’est le cas en particulier des cellules à renouvellement rapide comme les cellules du système immunitaire. L’atteinte de ces dernières engendre ainsi une diminution des défenses immunitaires et donc une augmentation de la survenue d’infections, source d’hypercatabolisme. Ce phénomène s’observe aussi pour les cellules recouvrant la paroi du tube digestif, ce qui génère une toxicité des muqueuses à l’origine de mucite ou de syndrome diarrhéique susceptibles de gêner la prise alimentaire. Les molécules utilisées sont également en cause, car elles provoquent pour la plupart un effet émétisant et anorexigène. D’autres peuvent également avoir un effet constipant, affecter les papilles gustatives ou entraîner des douleurs gênant l’alimentation.

Facteurs annexes

La prise en charge des patients nécessite parfois leur hospitalisation. Cela provoque une modification des habitudes alimentaires qui, associée à la réduction de la mobilité, peut engendrer ou exacerber une dénutrition et une diminution de la masse musculaire.
Enfin, on peut également évoquer l’impact de la médication utilisée dans le traitement du cancer et la survenue de problèmes de santé annexes ou bien concernant d’autres pathologies existantes (antalgiques, anti-inflammatoires, antibiotiques, etc.). En effet, certaines classes de médicaments peuvent générer des effets indésirables renforçant le phénomène de dénutrition parmi lesquelles les dérivés morphiniques qui entraînent une constipation. Ainsi, le rapport bénéfice/risque concernant la prise en charge de certaines pathologies est à évaluer régulièrement (diabète, hypercholestérolémie, etc.). À titre d’exemple, dans le cadre d’une dénutrition sévère, on peut considérer que les troubles du transit induits par la prise de metformine sont plus dangereux à court terme pour le patient (car cela va renforcer l’état de dénutrition) qu’une glycémie élevée.
Les traitements (chimiothérapie, radiothérapie et chirurgie) peuvent donc être à l’origine, ou aggraver, l’altération de l’état nutritionnel de manière transitoire ou définitive. L’aggravation de la dénutrition peut entraîner la suspension temporaire ou l’arrêt définitif des traitements, ce qui représente une diminution des chances de guérison pour le patient.

Conséquences de la dénutrition liée au cancer

Au quotidien, la dénutrition entraîne une altération de l’état général associée à une diminution de la qualité de vie du patient. Elle est à l’origine d’une modification de la composition corporelle avec des conséquences métaboliques et fonctionnelles responsables de l’aggravation du pronostic des maladies. Ainsi, une étude a montré que plus de la moitié des patients atteints de cancer présente une cachexie au moment de la mort et que celle-ci serait responsable d’au moins 30 % des décès liés au cancer(20).

Altérations physiologiques

En effet, l’altération des fonctions physiologiques amène fatigue et vulnérabilité. Le déficit musculaire et l’ostéopénie provoqués par la dénutrition engendrent une asthénie, une augmentation du risque de chute, des douleurs et par conséquent une augmentation des dépenses de santé. Par ailleurs, on note une multiplication par quatre du risque d’infections avec défaut de cicatrisation et de réparation cellulaire causé par l’altération des fonctions immunitaires(9).

Altérations psychologiques

Les fonctions psychiques et cognitives se trouvent également impactées. En effet, la fatigue associée à l’isolement social que peut provoquer la perte d’appétit (le patient ne participe plus aux repas et ne profite donc plus de la convivialité qu’ils apportent) entraîne souvent un état dépressif qui s’associe à un désintérêt pour les activités de la vie courante.
La dépression a pour conséquence de diminuer la résistance du patient dans le quotidien et son combat contre la maladie via une diminution de ses activités et un retentissement psychologique.

Altération de la prise en charge

L’impact de la dénutrition sur la prise en charge thérapeutique du patient est également un problème majeur.
En cas de chirurgie, la morbi-mortalité péri-opératoire est plus élevée, ainsi que le risque de survenue de complications (infections, escarres, défaillance cardio-respiratoire, etc.) augmentant le temps d’hospitalisation(21). Ces deux dernières conséquences sont illustrées par la Figure 10 qui montre les résultats d’une étude prospective sur 468 patients qui devaient subir une chirurgie pour un cancer gastrique ou colorectal.
Dans le cadre d’un traitement par radiothérapie ou chimiothérapie, on note une augmentation de la toxicité nécessitant parfois une diminution des doses utilisées ou un espacement des cures diminuant l’efficacité du traitement. La Figure 11 illustre l’effet délétère de la perte de poids sur le fait de mener à terme les traitements au travers d’une analyse prospective chez 780 patients recevant une chimiothérapie pour un cancer du poumon à petites cellules (CPPC), un cancer du poumon non à petites cellules (CPNPN) ou un cancer du mésothélium (CM). La Figure 12, quant à elle, montre l’impact positif d’une intervention nutritionnelle par le biais d’une étude rétrospective incluant 66 patients ayant reçu une chimio-radiothérapie pour un cancer tête et cou.
L’hypoalbuminémie, en modifiant le transport des drogues, est également à prendre en compte dans le cadre de la chimiothérapie. Ainsi, on constate qu’à partir d’une perte de poids de 5 %, on observe une baisse de la réponse au traitement ainsi qu’une augmentation de la toxicité liée à la radiothérapie et à la chimiothérapie(23).
Dans certains cas, l’importance de la dénutrition est telle que le rapport bénéfice/risque des traitements curatifs amène à privilégier la prise en charge palliative.

Altération du pronostic vital

La dénutrition serait la cause du décès dans 30 % des cas(20). Celui-ci surviendrait lorsque 50 % de la masse protéique se trouve épuisés(9).
On aboutit ainsi à une augmentation de la morbidité et à une multiplication jusqu’à huit de la mortalité à partir du stade de dénutrition modérée par rapport à un patient non dénutri(9). Cela s’explique tant par la diminution de la qualité de vie du patient et par la baisse significative des possibilités thérapeutiques et de leur efficacité, que par la cachexie en elle-même. À titre d’exemple, la Figure 13 présente l’espérance moyenne de survie en fonction de la perte de poids pour le cancer du poumon à petites cellules (CPPC), le cancer du poumon non à petites cellules (CPNPN) et le cancer du mésothélium (CM).

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Table des matières

LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES ABREVIATIONS
INTRODUCTION
1. DENUTRITION ET CANCER
1.1. DEFINITION ET EPIDEMIOLOGIE DU CANCER
1.1.1. Définition du cancer
1.1.2. Épidémiologie du cancer
1.2. DEFINITION ET EPIDEMIOLOGIE DE LA DENUTRITION
1.2.1. Définition de la dénutrition
1.2.2. Épidémiologie de la dénutrition liée au cancer
1.3. LA SPECIFICITE DE LA DENUTRITION DU PATIENT CANCEREUX
1.3.1. Causes de la dénutrition liée au cancer
1.3.1.1. Déséquilibre entre apports et dépenses
1.3.1.1.1. Réduction des apports
1.3.1.1.2. Augmentation des dépenses
1.3.1.2. Facteurs liés à la prise en charge de la maladie
1.3.1.2.1. La chirurgie
1.3.1.2.2. La radiothérapie
1.3.1.2.3. La chimiothérapie
1.3.1.2.4. Facteurs annexes
1.3.2. Conséquences de la dénutrition liée au cancer
1.3.2.1. Altérations physiologiques
1.3.2.2. Altérations psychologiques
1.3.2.3. Altération de la prise en charge
1.3.2.4. Altération du pronostic vital
1.3.2.5. Aspect socio-économique
1.4. BESOINS NUTRITIONNELS GENERAUX ET SPECIFICITES DU SUJET CANCEREUX
1.4.1. Besoins énergétiques totaux
1.4.2. Répartition des apports alimentaires
1.4.2.1. L’eau
1.4.2.2. Les protéines
1.4.2.3. Les glucides
1.4.2.4. Les lipides
1.4.2.5. Les micronutriments
2. STRATEGIES DE PRISE EN CHARGE : REFERENTIELS ET MISE EN PRATIQUE AU CENTRE FRANÇOIS BACLESSE
2.1. INTERETS, SUIVI ET METHODES D’EVALUATION DE L’ETAT NUTRITIONNEL
2.1.1. Évaluation clinique
2.1.1.1. Mesures anthropométriques
2.1.1.2. Interrogatoire
2.1.1.3. Examen clinique
2.1.2. Marqueurs biologiques
2.1.2.1. Les protéines nutritionnelles
2.1.2.2. Le bilan azoté
2.1.2.3. Autres marqueurs
2.1.3. Évaluation des ingesta
2.1.4. Index
2.1.4.1. Nutritional Risk Index (NRI) et Geriatric nutritional risk index (GNRI)
2.1.4.2. Le Mini Nutritional Assessment® (MNA®)
2.1.4.3. Le Nutritional Risk Screening (NRS)
2.1.5. Synthèse
2.2. LES DIFFERENTS TYPES DE PRISE EN CHARGE
2.2.1. Premières étapes de prise en charge
2.2.1.1. Le conseil diététique personnalisé
2.2.1.2. Les compléments nutritionnels oraux (CNO)
2.2.2. La nutrition artificielle
2.2.3. Pharmaconutrition
2.2.3.1. Les acides aminés
2.2.3.2. Les antioxydants
2.2.3.3. Les acides gras oméga-3
2.2.3.4. Synthèse
2.2.4. Orexigènes
2.3. STRATEGIE DE PRISE EN CHARGE SELON LE CONTEXTE
2.3.1. En chirurgie
2.3.2. En radiothérapie ou chimio-radiothérapie
2.3.3. En chimiothérapie
2.3.4. En situation palliative
2.4. CONCLUSION
3. PRISE EN CHARGE DE LA DENUTRITION DANS LE MILIEU OFFICINAL
3.1. ROLE DU PHARMACIEN D’OFFICINE
3.1.1. Domaines de compétences
3.1.2. Dépistage et suivi de la dénutrition à l’officine
3.1.3. Règle de Prescription et délivrance des CNO
3.2. CONSEILS
3.2.1. Sur les habitudes de vie
3.2.2. Adaptation alimentaire
3.2.2.1. L’alimentation enrichie
3.2.2.2. Adaptation des textures
3.2.2.3. Pallier les effets indésirables
3.2.2.3.1. Dysgueusie
3.2.2.3.2. Nausées et vomissements
3.2.2.3.3. Troubles du transit
3.2.2.3.4. Sécheresse buccale
3.2.2.3.5. Mucite
3.2.2.3.6. Anorexie sélective
3.2.3. Les CNO à l’officine
3.2.3.1. Délivrance
3.2.3.2. Modalités de prises et conservation
3.2.3.3. Cuisine et Recettes
3.3. NOUVELLES MISSIONS A VENIR
3.3.1. Nutrition à domicile
3.3.2. Éducation et accompagnement thérapeutique
CONCLUSION
ANNEXES
ANNEXE 1 : VOLETS DU DOSSIER DIETETIQUE UTILISE AU CENTRE FRANÇOIS BACLESSE.
ANNEXE 2 : CARACTERISTIQUES DES METHODES D’EVALUATION DES INGESTA, D’APRES
ANNEXE 3 : MINI NUTRITIONAL ASSESSMENT
ANNEXE 4 : MINI NUTRITIONAL ASSESSMENT SHORT FORM
ANNEXE 5 : LE NUTRITIONAL RISK SCREENING, D’APRES(18)
ANNEXE 6 : EXEMPLE DE BROCHURE ISSUE DE LA LIGUE CONTRE LE CANCER
ANNEXE 7 : EXEMPLE DE PRESCRIPTION DE CNO AU CENTRE FRANÇOIS BACLESSE
ANNEXE 8 : RECETTES ENRICHIES EXTRAITES DU LIVRET « VOTRE ALIMENTATION EST NOTRE PREOCCUPATION »
ANNEXE 9 : EXEMPLES DE RECETTES ENRICHIES A BASE DE CNO (FRESUBIN® ; FORTIMEL®)
BIBLIOGRAPHIE

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