Ce mémoire de Master 2 en Didactique des langues s’intéresse aux stratégies d’apprentissage dans l’acquisition du genre grammatical en français langue étrangère ou seconde. Il porte plus spécifiquement sur l’attribution du genre qui convient aux noms communs que la langue française désigne.
Parmi les caractéristiques linguistiques de la langue française reconnues comme particulièrement difficiles à acquérir par les apprenants du français langue étrangère ou seconde, celle relative au genre grammatical est souvent rapportée (Taft et Meunier, 1998 : 23 ; Dewaele et Véronique, 2001 : 275 ; Lyster, 2004 : 325). Les erreurs d’attribution du genre en français langue seconde (désormais L2) sont fréquentes (Dewaele et Véronique, 2000) et Harley (1998) précise même que cette acquisition peut être difficile pour les apprenants dont la langue première (désormais L1) est dépourvue de la catégorie du genre. Intervenant au quotidien auprès d’un public anglophone pour lequel l’anglais L1 ne dispose pas de cette catégorie, du moins pour ce qui concerne notre objet d’étude que sont les noms communs d’entités inanimées, nous nous sommes demandé dans quelle mesure, au regard de la catégorisation dans la bonne classe (masculine / féminine), les apprenants du français langue étrangère ou seconde ayant une L1 à genre grammatical auraient un avantage sur les apprenants pour lesquels ce n’est pas le cas.
En commençant nos recherches à partir de cette question provisoire, quelques hypothèses ont émergé autour du recours à de potentielles stratégies d’apprentissage dont nous nous proposons d’étudier l’impact sur la performance à attribuer le genre qui convient aux noms communs du lexique du français L2/L3 : le transfert de la langue première, en tant que processus interlinguistique, comparé à l’utilisation des terminaisons nominales prédictives du genre (Lyster, 2006), en tant que processus intralinguistique. Notre cheminement réflexif nous amènera à également étudier le recours possible à une autre stratégie : l’attribution du genre masculin par défaut, en tant que représentation de la forme non marquée.
Nul doute que notre choix de thématique de travail pour ce présent projet de recherche a été influencé par une réflexion sociologique initiée il y a quelques années dans le domaine de la santé et plus précisément dans le contexte de la formation des étudiants infirmiers. Cadre de santé formateur en Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI), nous nous étions intéressé, dans une réflexion sociologique, aux effets du genre sur les représentations professionnelles des étudiants en soins infirmiers, en lien notamment avec la construction du métier dans l’histoire. Plus exactement, l’idée avait été de se demander ce que le fait d’être homme ou femme (ou de se reconnaître ou bien encore d’agir comme tel en tout cas), pouvait avoir comme influence sur :
– la manière dont les étudiants infirmiers se représentent leur futur métier ;
– leur parcours de formation durant leurs trois années d’études, notamment au regard de leurs choix de terrains de stage (lorsqu’ils ont la possibilité de choisir) qui se révèlent instructifs en raison de la nature multidisciplinaire de ces derniers et des milieux d’exercice variés (hôpital, secteur libéral, entreprise, lieux de vie) ;
– leur relation dans le groupe-étudiants, où les promotions sont majoritairement féminines : 83 % des élèves infirmiers en 2014 en France sont des femmes (DREES, 2016 : 3).
Travailler avec les étudiants autour de leur conception de la fonction soignante et de la construction de leur identité professionnelle permet de les inviter à rompre avec des représentations sur le métier qui mettent en jeu, indépendamment de la qualification, sexe et qualités requises pour envisager la pratique professionnelle. Cette fonction soignante, justement, guidée par une culture professionnelle qui repose sur le principe et concept du « prendre soin », tend naturellement à exclure de certaines disciplines, de certains milieux, sur un plan idéologique et, par voie de conséquence, sur un plan pratique, l’être humain qu’il soit sexué en homme ou femme, quand ce n’est pas ce même être humain qui cherche à s’en exclure volontairement dans d’autres cas sous le poids de représentations sociales élevées.
Ainsi, de cette réflexion sociologique sur cette question du genre qui donne à voir la dimension sociale de la différence des sexes, nous passons à son interprétation en tant que stricte catégorie grammaticale qui, dans le champ de la linguistique acquisitionnelle, se partage des noms de lexique sexualisés et affublés, en français, des deux termes sans équivoque relatifs aux deux sexes : masculin et féminin.
Dans le cadre de notre pratique de l’enseignement du Français Langue Étrangère ou Seconde (désormais FLE/S), nous remarquons que les apprenants anglophones, auprès desquels nous sommes en contact (car nous résidons aux États-Unis), éprouvent régulièrement des difficultés à attribuer correctement le genre aux noms communs de la langue française. Ils le reconnaissent d’ailleurs aisément eux-mêmes comme une véritable difficulté. Ensuite, c’est auprès de notre entourage anglophone personnel que nous remarquons ces mêmes difficultés, qui perdurent après des années d’apprentissage du français et de pratique langagière, et qui se retrouvent encore parfois, certes dans une moindre mesure, à des niveaux avancés de maîtrise de la langue. Il n’est ainsi pas exceptionnel d’observer des erreurs d’attribution du genre à un niveau C1, par exemple, même sur des mots pour lesquels nous ne nous y attendrions pas.
En nous intéressant à ce problème pour tenter de le comprendre, nous nous sommes rendu compte que cette difficulté de l’acquisition du genre grammatical éprouvée par les apprenants de FLE/S s’inscrit dans de nombreuses études qui la rapportent et ne se limite pas aux seuls apprenants anglophones (Carroll, 1989 : 574; Lessard, 1996 ; Taft et Meunier, 1998 : 23 ; Dewaele et Véronique, 2001 : 275 ; Lyster, 2004 : 325, 2006 : 71-72). Ceci semble, par conséquent, poser le fait que le processus d’acquisition du genre grammatical diffère entre un locuteur natif, enfant en français langue maternelle, et un apprenant de FLE/S non précoce. Si l’acquisition du genre pour le premier nous porte à croire (et nous y reviendrons) qu’elle se réalise de façon naturelle, voire inconsciente, dès le tout jeune âge, nous pouvons spéculer que le second va devoir mettre en place des stratégies particulières et que ces dernières ne seront peut-être pas les mêmes d’un apprenant de FLE à un autre ou même, pour aller plus loin, d’un groupe linguistique à un autre. C’est en tout cas l’hypothèse que nous faisons et que nous fait suggérer Harley (1998) lorsqu’il précise que cette acquisition peut être difficile pour les apprenants dont la L1 est dépourvue de la catégorie du genre.
L’acquisition du genre grammatical est liée à l’apprentissage de toute langue qui dispose de cette catégorie. Corbett (2014) indique que le genre grammatical est un micro-système présent dans de nombreuses langues, mais que beaucoup d’entre elles, probablement un peu plus de la moitié, n’en disposent pas. Dans le cas de la langue française, cela en fait un élément incontournable de l’enseignement-apprentissage en classe de FLE/S. Le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL) en fait d’ailleurs une évidence dans son chapitre consacré à la compétence grammaticale, avant d’identifier et de définir les « catégories », dont le genre fait partie, utilisées pour la description de l’organisation grammaticale.
Formellement, la grammaire de la langue peut être considérée comme l’ensemble des principes qui régissent la combinaison d’éléments en chaînes significatives marquées et définies (les phrases). La compétence grammaticale est la capacité de comprendre et d’exprimer du sens en produisant et en reconnaissant des phrases bien formées selon ces principes et non de les mémoriser et de les reproduire comme des formules toutes faites. En ce sens, toute langue a une grammaire extrêmement complexe qui ne saurait, à ce jour, faire l’objet d’un traitement exhaustif et définitif. Un certain nombre de théories et de modèles concurrents pour l’organisation des mots en phrases existent. Il n’appartient pas au Cadre de référence de porter un jugement ni de promouvoir l’usage de l’un en particulier. Il lui revient, en revanche, d’encourager les utilisateurs à déclarer leur choix et ses conséquences sur leur pratique. (CECRL, 2001 : 89) .
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Table des matières
Introduction
PARTIE I – LE GENRE GRAMMATICAL : DE LA GENÈSE DE LA RECHERCHE À LA PROBLÉMATIQUE
1. Aux origines de la recherche
1.1 Une réflexion sociologique dans le champ de la formation infirmière
1.2 Un constat dans le domaine du FLE source de recherches et d’interrogations
2. L’acquisition du genre grammatical – Cadre théorique
2.1 Délimitation de la recherche autour de la question du genre grammatical
2.1.1 La catégorie du genre en italien et en portugais
2.1.2 Le genre dans la langue anglaise
2.2 La question de recherche principale
2.3 La morphologie du genre en français
2.3.1 Genre et sexe
2.3.2 L’attribution du genre aux mots du lexique
2.4 L’acquisition du genre grammatical en français L1/L2
2.5 Stratégies d’apprentissage dans l’attribution du genre en FLE/S
2.5.1 Le transfert dans le champ de l’influence translinguistique
2.5.1.1 Le transfert
2.5.1.2 L’influence translinguistique
2.5.1.3 Le transfert et l’acquisition du genre grammatical
2.5.1.4 Le transfert et le cas des mots apparentés interlinguaux
2.5.2 Les terminaisons nominales prédictives du genre
2.5.3 La surgénéralisation dans l’application d’une règle
2.5.3.1 L’attribution du féminin aux mots qui se terminent par un -e muet
2.5.3.2 L’attribution du genre masculin par défaut
2.6 Questions de recherche et hypothèses
2.6.1 Stratégie du recours au transfert
2.6.2 Stratégie du recours aux terminaisons nominales
2.6.3 Stratégie du recours au masculin attribué par défaut
PARTIE II – MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
1. Les terrains d’enquête
1.1 Le Service d’Innovation pour l’Apprentissage des Langues de Sorbonne Université
1.2 L’UFR Littérature, Linguistique, Didactique de l’Université Sorbonne Nouvelle
2. Les informateurs
3. Le protocole d’enquête
3.1 Une tâche orale en production libre semi-guidée
3.2 Un test d’attribution du genre à des noms communs
4. Le procédé d’analyse
Conclusion
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