Contexte
Selon un rapport de la DREES, (1) (Direction de la recherche, des études, des évaluations et des statistiques) l’espérance de vie en bonne santé (EVBS), c’est-à-dire l’espérance de vie sans incapacité, diminue alors que l’espérance de vie moyenne augmente (2). C’est d’autant plus surprenant que l’EVBS diminue en réalité uniquement chez les moins de 55 ans, c’est-à-dire chez les plus jeunes. Pourtant les progrès scientifiques et techniques sont toujours plus importants et plus rapides, la médecine plus pointue, les connaissances affûtées, les recherches abouties, les avancées permanentes… alors que se passe-t-il ? Ces avancées nous permettent parfois et même souvent d’adapter notre environnement à nos besoins, mais notre environnement lui, parvient-t-il à s’adapter à nos besoins ? Est-ce que chaque nouvelle découverte n’engendre pas un coût sanitaire ? La balance bénéfice/risque est-elle toujours en faveur du bénéfice ? Regardons de plus près. Entre 1930 et 2010, nous sommes passés de 3 à 420 millions de tonnes de xénobiotiques (substance chimique étrangère à l’organisme) toxiques répandus par sur la planète chaque année (3). Il est vrai que l’environnement a toujours eu un impact sur la santé de l’homme. Mais depuis la révolution industrielle, n’avons-nous pas augmenté cet impact ? Les preuves semblent s’accumuler depuis quelques années concernant les conséquences sanitaires d’une grande partie de ces xénobiotiques. Beaucoup d’entre eux sont des perturbateurs endocriniens (PE) ou suspectés de l’être. Mais le principe de précaution ne s’applique que très peu, pourquoi ?
Les perturbateurs endocriniens (PE) sont en fait un terme vaste, flou, regroupant des molécules étrangères à l’organisme, qui impactent le système hormonal. Il faut savoir qu’ils sont suspectés d’être plus d’un millier, et la liste s’allonge au gré des recherches. Le 13 juillet 2017, Nicolas Hulot et Stéphane Travert rendent publique la liste des pesticides susceptibles d’être des PE. Cette liste, qui ne concerne donc pourtant qu’une seule classe de ces PE (les pesticides), contient déjà plus de 600 substances différentes à elle toute seule (4). Leur définition est donc aussi difficile à établir qu’ils sont nombreux. De nombreuses instances se prononcent, mais les associations de protection sanitaire et de l’environnement ne sont souvent pas d’accord avec les critères retenus. Nous allons essayer de comprendre pourquoi, en parcourant l’histoire des PE, en expliquant les différents programmes gouvernementaux et associatifs, et leurs objectifs. Fort heureusement, il est quand même possible de s’accorder sur leurs spécificités, qui sont d’interférer avec le système endocrinien, nous le verrons. Par ailleurs, ils nous donnent la satisfaction d’avoir des propriétés communes par classe, ce qui rend les conclusions plus aisées…même si c’est beaucoup dire. Nous évoquerons donc les différentes classes de PE, sans établir bien évidemment de liste exhaustive ; nous aborderons également les façons dont nous y sommes exposés (que ce soit les vecteurs de l’exposition ou les voies de contamination). Nous nous arrêterons quelques instants sur leurs propriétés communes et établirons une classification par secteurs et usages du quotidien, en convertissant les informations scientifiques exposées précédemment, pour les traduire en informations et conseils pratiques et accessibles à tous.
Et les médecins généralistes dans tout ça ?
On remarque depuis quelques années une recrudescence importante des pathologies chroniques, par exemple de certains cancers hormonodépendants, de l’obésité (5) ou du diabète. (6) Il a également été constaté une augmentation notable de certaines malformations, comme les hypospadias ou les cryptorchidies. De grands enfants présentent des troubles de la puberté, avec une arrivée souvent précoce. Énormément de troubles neurocomportementaux et attentionnels sont signalés dans nos écoles, avec les conséquences individuelles et sociétales que cela implique. Le coût sanitaire est exorbitant : la population est atteinte de plus en plus jeune de pathologies chroniques, et les médecins peinent à répondre à la demande qui s’intensifie (7). C’est là que nous, professionnels de santé, nous devons d’intervenir. Pour un grand nombre de raisons, dont deux d’entre elles étant l’impression d’omniprésence des substances toxiques dans notre vie, et la grande diversité de classes de molécules ; les PE suscitent un découragement chez nombre de nos consœurs et confrères. Certains abordent le sujet des PE comme une problématique passagère ou contestée. Quelques soient les raisons de nos réticences, nous sommes en première ligne, et il semble indispensable que nous nous emparions de la problématique, ou en tous cas des informations qui pourraient nous permettre d’effectuer une prévention primaire efficace et de délivrer une information claire et loyale à nos patients. Il ne s’agit bien évidemment pas de devenir des experts pour chacun d’entre nous. C’est pourquoi il nous a paru primordial de créer un outil synthétique, pratique et concret, à la portée des médecins intéressés, ou non. Cet outil a été élaboré dans le cadre d’un mémoire de validation de diplôme d’études supérieures de médecine générale, et validé par Dr Spiroux-de-Vendômois, acteur majeur sur la scène de la prévention, la formation, la recherche et la lutte contre les PE. Cet outil a été conçu pour que les médecins généralistes soient en mesure d’assimiler et de distribuer cette information de prévention. C’est une fiche d’information et de conseils (FIC) sur les PE. Nous l’avons voulue concise et non exhaustive, avec la transmission indispensable de certains messages clés, et PRATIQUES. Nous avons par exemple exclu d’y faire figurer une liste détaillée des différentes classes de PE, même s’il nous a été indispensable de les étudier pour convertir et traduire l’information scientifique en conseils. L’objectif de ce travail est donc de faire évaluer la disposition des médecins généralistes à employer la FIC dans le cadre de leur exercice.
Perturbateurs endocriniens : mais qu’est-ce donc ?
De multiples définitions sont et ont été attribués aux perturbateurs endocriniens. Les perturbateurs endocriniens sont un groupe de substances de classes différentes, qui ont comme particularités communes d’interférer avec le système endocrinien, et d’être extérieures à l’organisme. C’est la première façon de poser un cadre. Parcourons ensemble cette thématique complexe et enrichissante pour mieux comprendre.
Histoire de la création du cadre des PE
Le terme de « perturbateur endocrinien » n’est apparu qu’en 1991, lors d’une conférence organisée par la zoologiste et épidémiologiste américaine Théo Colborn, alors responsable scientifique du World Wide Found (WWF), qui réunit alors 21 scientifiques pour rédiger la déclaration de Wingspread (8). Cette conférence a été organisée suite à des constats multiples, répétés, et disparates d’anomalies sanitaires chez différentes espèces animales. En voici quelques exemples. Tout d’abord en 1952 sur la côte ouest des États Unis d’Amérique (USA), plus de 70% des aigles à tête blanche deviennent stériles, et voient leur libido chuter. Le scientifique Broley attribue alors à ce phénomène une origine chimique (9). A la fin des années 50, certaines loutres de Grande Bretagne connaissent une diminution drastique de leurs effectifs, notamment dans les rizières près des zones d’épandage de la dieldrine (pesticide)(10). Sur les abords du lacs Michigan dans les années 60, on observe une baisse de la fertilité des visons. De plus, les visons nouveau-nés sont petits, mal formés. Cela entraînera une chute de l’industrie de sa fourrure. Les chercheurs de l’université du Michigan mettent en cause les polychlorobiphényles (PCB), qui auraient contaminé les visons par l’intermédiaire des poissons dont ils se nourrissaient (11). Dans les années 70 sur la côte sud Californienne, certains Goélands semblent avoir des comportements sexuels anormaux. On remarque que des femelles nichent ensemble, le nombre d’œufs par nid augmente alors ; les mâles quant à eux, voient leur nombre baisser. C’est l’équipe du docteur Guillette qui met alors en évidence la contamination par du dichlorodiphényltrichloroétane (DDT). Le DDT est un pesticide utilisé massivement dans l’après-guerre, dans le cadre d’une nécessité de reprise optimale de l’agriculture. Enfin en 1980 en Floride, les alligators sont touchés à leur tour. L’éclosion de leurs œufs est en baisse significative, tandis que l’on voit des nouveau-nés mourir précocement, et des micro pénis chez 60% de la population des alligators adultes. Le coupable retrouvé est le dicofol. Le dicofol (un insecticide) se serait répandu dans les eaux du lac autour duquel vivaient les alligators et voisin d’une usine (12). En 1996 au Royaume-Uni, un colloque est organisé par la commission européenne, l’organisation pour la coopération et le développement économique, l’OMS et l’industrie chimique européenne. La définition de Weybridge y est adoptée : « un PE est une substance étrangère à l’organisme qui produit des effets délétères sur l’organisme ou sa descendance, à la suite d’une modification de la fonction hormonale ». Les choses sont dites. En 2002, l’OMS se prononce sur sa propre définition, légèrement différente : « Les perturbateurs endocriniens sont des substances chimiques d’origine naturelle ou artificielle étrangères à l’organisme qui peuvent interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et induire ainsi des effets délétères sur cet organisme ou sur ses descendants» (13). Le point de consensus entre ces différentes définitions est trouvé: la perturbation endocrinienne apparaît complexe et agit par le jeu du système hormonal.
Histoire récente, et stratégies nationales et européennes
La communauté scientifique commence à s’intéresser à la problématique des PE de manière moins sporadique lorsque les membres de la société endocrinienne tiennent leur première réunion publique sur les perturbateurs endocriniens, en conjonction avec la réunion annuelle de San Francisco en 2005.
En 2009, l’Endocrine Society publie une déclaration scientifique sur les PE, qui se révèle être la première publication exhaustive qui fait le point sur la littérature scientifique sur le sujet. Elle représente la première prise de position publique sur cette question par une société scientifique internationale (14). En 2001 est signé un accord international (la convention de Stockholm) par 151 pays sur l’interdiction de certains polluants organiques persistants (POP) (plusieurs PE sont compris dans cette catégorie, de par leurs caractéristiques de persistance dans l’environnement et de migration longue distance par l’air et l’eau), visant à limiter leur présence dans de nombreux produits (15). Elle entrera en vigueur en 2004. Cette convention est consolidée et modifiée à plusieurs reprises.
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Table des matières
I. Introduction
A. Contexte
B. Et les médecins généralistes dans tout ça ?
C. Perturbateurs endocriniens : mais qu’est-ce donc ?
D. Histoire de la création du cadre des PE
E. Histoire récente, et stratégies nationales et européennes
1. Plan national santé environnement
2. Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens
3. Commission européenne
4. Le CREDO
5. REACH
6. Programme national nutrition santé
7. Santé publique France
8. Organismes nationaux
9. En pratique, sommes-nous protégés ?
F. Quelques associations de scientifiques
1. ASEF
2. Le CRIIGEN
3. URPS-ML PACA
4. Le RES
5. WECF
G. Et finalement, quelle définition pour les PE ?
H. PE : particularités et caractéristiques
1. Toxicologie standard, pour mieux comprendre
a) NOAEL
b) LOAEL
c) DJA
d) Courbe effet-dose d’un toxique selon ce paradigme
2. Toxicologie des PE : changement de paradigme
3. Effet cocktail
4. Effet cumulatif
5. Effets épigénétiques
6. Effets différés
7. Périodes de vulnérabilité
8. Voies de contamination de l’homme ?
9. Mécanismes d’action
a) Agoniste ou hormonomimétique
b) Antagoniste
c) Autres mécanismes
I. Sources d’exposition : classification des PE
1. Les bisphénols
2. Les phtalates
3. Les parabènes
4. Les composés perfluorés
5. Les composés phénoliques
6. Les polybromés
7. Les pesticides
8. Les dioxines
9. Les PCB
10. Les hydrocarbures
11. Les métaux lourds
12. Les phytoestrogènes
13. Les médicaments hormonaux
14. Un mot sur les POP
J. Conséquences sanitaires de l’exposition aux PE
1. Troubles de la fertilité
a) Chez l’homme
b) Chez la femme
2. Pubertés précoces
3. Malformations génitales
4. Cancers
a) Cancer du sein
b) Cancer de la prostate
c) Cancer du testicule
5. Syndrome métabolique, obésité
6. Diabète de type 2
7. Troubles neurodéveloppementaux
8. Troubles thyroïdiens
9. Perturbation du système immunitaire
K. Classification pratique
1. Cuisine
a) Généralités
b) Alimentation
c) Boissons
2. Cosmétiques, hygiène corporelle
3. Produits ménagers
4. Environnement intérieur
5. Spécificités pour les bambins
6. Spécificités pour les femmes enceintes
L. Les conseils pratiques…enfin !
1. Cuisine
a) Généralités
b) Alimentation
c) Boissons
2. Cosmétiques et hygiène corporelle
3. Produits ménagers
4. Environnement intérieur
5. Bambins
6. Femmes enceintes et allaitantes
II. Objectifs de la FIC
A. Classer et synthétiser l’information
B. Donner des conseils pratiques
III. Matériel et méthodes
A. Principe de l’étude
B. Objectifs de l’étude
C. Population cible
1. Critères d’inclusion
2. Critères d’exclusions
D. Taille de l’échantillon nécessaire (n)
E. Mode de recrutement de la population cible
1. Organismes sollicités pour la diffusion des documents
a) Listing
b) Réponses des organismes sollicités
2. Recrutement en direct
F. Mode de rédaction et de présentation des documents
1. De la fiche
a) Méthode de conception et organisation
b) Composition de la fiche
c) Validation de la fiche par un expert
2. Du questionnaire
G. Modalités d’envoi des documents
1. Diffusion par messagerie électronique
2. Diffusion par les réseaux sociaux
3. Diffusion par l’intermédiaire du conseil départemental de l’ordre
H. Période de recueil
I. Réponses
J. Traitement des données
1. Calculs statistiques
IV. RESULTATS
A. Population interrogée
1. Caractéristiques sociodémographiques
2. Type de patientèle
3. Rapport des médecins aux perturbateurs endocriniens
B. Partie 2 : la fiche
1. Première approche
a) Temps de lecture
b) Premières impressions
c) Évaluation de la fiche
d) Au total
C. Note globale
A. Influence des caractéristiques socio démographiques des médecins
V. Discussion
A. Population de médecins
B. Qualité de la participation au questionnaire
C. Élaboration de la Fiche d’information et de conseils
D. Évaluation de la fiche d’information et de conseils
E. Intérêt et perception des PE par les médecins
F. Un mot sur les généralistes et la prévention
G. Quelques limites
H. Pistes de réflexion
VI. Conclusion