Stabilité et non-linéarités géométriques
Une définition simple et intéressante de la stabilité est donnée par le Trésor de la langue française, en la précisant comme le « caractère de ce qui reste en place, sans bouger ni tomber ». En termes plus rigoureux, la stabilité a été définie sur un critère dynamique par [Lyapunov, 1892], énoncé de la manière suivante : Théorème 1 Une position d’équilibre est stable si et seulement si une petite perturbation quelconque de position ou vitesse initiale donne un mouvement perturbé qui reste toujours proche de la position d’équilibre. Cette définition étant difficile à utiliser, de nombreux auteurs ont cherché à établir un critère de stabilité d’emploi plus simple. Pour un système conservatif (celui qui nous intéresse), le critère adopté est appelé critère de l’énergie : Théorème 2 Une condition nécessaire et suffisante de stabilité d’une position d’équilibre d’un système conservatif est que l’énergie potentielle totale du système présente un minimum local en cette position. Dans ce travail, le terme générique de flambage est utilisé pour désigner la perte de stabilité d’une structure sous chargement. Les effets du flambage sont principalement géométriques, c’est-à-dire, de grands déplacements induisant un changement de la forme initiale de la structure peuvent avoir lieu. La charge à laquelle survient cette transformation de la configuration initiale est appelée charge de flambage ou charge critique. L’analyse des branches d’équilibre après flambage est connue comme postflambage. Dans le cas général, l’étude du flambage et du postflambage est un problème compliqué. Le plus souvent, même pour des systèmes mécaniques simples, les équations du mouvement qui dépendent de la configuration déformée du système sont non linéaires et il est pratiquement impossible de calculer d’une manière explicite les mouvements perturbés. Une méthode approchée pour déterminer la charge de flambage d’une structure est basée sur le fait que les mouvements perturbés peuvent a priori rester petits autour de la configuration d’équilibre. Cette hypothèse de petites perturbations (HPP) conduit à remplacer l’équation d’équilibre réelle par son expression linéarisée autour de la position d’équilibre, au moins lorsque cette linéarisation est possible. Cette analyse est connue comme flambage linéarisé ou flambage élastique. Bien que le flambage linéarisé permette de déterminer la charge critique d’une structure, il ne permet pas de calculer les positions d’équilibre hors de l’hypothèse de petites perturbations. Pour connaître donc les grandes transformations d’un phénomène de flambage il est nécessaire de résoudre le problème de mouvements perturbés en utilisant l’équation non linéaire du mouvement. C’est ce dernier type d’analyse qui fait l’objet des travaux de cette thèse. La section suivante est consacrée à une revue des auteurs les plus importants qui ont contribué à la théorie de la stabilité de structures.
Couplage flambage-délaminage
Les premiers travaux sur le flambage et la propagation de fissures ont utilisé des modèles non linéaires de plaques et la mécanique de la rupture avec des évaluations globales du critère de Griffith avec un front de fissure constant ou autosimilaire de forme rectiligne ou circulaire. On peut citer, par exemple, l’article de [Kachanov,1976] qui traite analytiquement le flambage local d’une plaque d’épaisseur infinie avec une préfissure proche de sa surface (voir Fig. 3.13.a). Pendent que les développements analytiques suivants ont cherché à généraliser ce problème [Chai et al., 1981; Bottega et Maewal, 1983; Evans et Hutchinson, 1984] (voir Fig. 3.13). a) b) c) d) e) Parmi les premières analyses numériques du couplage flambage-délaminage, [Storåkers et Andersson, 1988; Nilsson et Giannakopoulos, 1990] ont développé une expression générale du taux de restitution d’énergie pour le délaminage de plaques composites de von Kármán, pendant que [Whitcomb, 1989] a utilisé la méthode CCT. [Bruno et Grimaldi, 1990] ont donné une comparaison de la réponse du délaminage Stratégie multiéchelle pour l’analyse du couplage flambage-délaminage de composites stratifiés Délaminage et contact dans les composites stratifiés de plaques de von Kármán en flambage local et global, par la mécanique de la rupture et par la méthode des éléments finis en utilisant des ressorts endommageables. Une méthode des éléments finis avec un modèle d’interface cohésive adoucissant a été proposé dans [Allix et Corigliano, 1999] pour des poutres de von Kármán. Une formulation corotationnelle avec des éléments d’interface bilinéaires a été presentée dans [Qiu, Crisfield, et Alfano, 2001]. Une analyse de stabilité en compression de poutres préfissurées sous l’influence de ponts de fibres au front de fissure, en utilisant des critères de propagation de la mécanique de la rupture, a été faite dans [Daridon et Zidani, 2002] . Une autre méthode utilisée pour représenter le délaminage se base sur l’évolution de surfaces de discontinuités mobiles. Ici, l’état d’équilibre est décrit par la stationnarité d’un potentiel d’énergie. Si un chargement appliqué dans une structure fait dépasser un certain seuil de contraintes dans une zone saine, alors la zone s’endommage et une surface de discontinuité se déplace. On suppose que cette transformation est gouvernée par un critère de Griffith. Cette méthode a été appliquée au couplage flambage-délaminage de plaques stratifiées de von Kármán dans [Pradeilles Duval,2004].
Contact unilatéral avec et sans frottement
Le contact est encore aujourd’hui un des problèmes de la mécanique des solides qui présente les non-linéarités les plus difficiles à prendre en compte. Celles-ci proviennent principalement de la méconnaissance de la position relative des solides dans la configuration déformée, ainsi que des changements brutaux de comportement dus au passage contact-décollement ou adhérence-glissement entre solides. Le problème de contact mécanique a été très étudié par ses aspects fondamentaux et pratiques. Malgré ceci, les formulations mathématiques associées conduisent à des inégalités variationnelles dont le traitement reste difficile. Des algorithmes de résolution dédiés sont alors utilisés pour trouver les solutions. Ce chapitre dresse une brève présentation de la formulation du problème de Stratégie multiéchelle pour l’analyse du couplage flambage-délaminage de composites stratifiés méthodes numériques qui traitent le problème de contact peut se retrouver dans [Wriggers, 2006]. Hypothèses du problème. Bien que le but de ce travail est de traiter des problèmes en grandes transformations, les hypothèses faites sur la cinématique des interfaces (Hyps. 8 et 9, Chap. 1) conduisent à s’intéresser au contact unilatéral en petites perturbations. On se place dans le cadre suivant :
– contact unilatéral ;
– petites perturbations ;
– zone de contact éventuelle supposée connue et sans évolution au cours du temps ;
– matériaux élastiques linéaires des corps en contact ;
– maillages compatibles ;
– absence de jeu initial.
Résolution du problème de contact
Nous venons de voir que le traitement du contact et des conditions de frottement conduit à des problèmes formulés en terme d’inéquations variationnelles. Il existe un grand nombre d’algorithmes pour la résolution de ce type de problèmes (point fixe,point intérieur, relaxation projetée, gradient projeté, pénalisation, multiplicateurs de Lagrange, Lagrangien perturbé, Lagrangien augmenté, méthode Nitsche…), la plupart sont issues du domaine de l’optimisation. Dans leurs démarches, l’inéquation variationnelle engendrée est très souvent transformée, après suppression des conditions de contact et introduction de variables duales et/ou primales, en une équation variationnelle. Pour la simulation numérique des problèmes de contact par la méthode des éléments finis, les algorithmes sont choisis selon leur efficacité pour traiter de nombreuses zones de contact et leur facilité d’implémentation dans les codes industriels. Les méthodes les plus répandues sont celles de pénalisation [Kikuchi, 1982] et celles des multiplicateurs de Lagrange [Carpenter, Taylor, et Katona, 1991]. Les méthodes de pénalités sont très similaires aux méthodes de régularisation des conditions de contact. Dans les méthodes des multiplicateurs de Lagrange, les multiplicateurs représentent les forces de réaction. Ces deux approches rencontrent cependant des difficultés. La première est très sensible au paramètre de pénalisation et conduit à l’utilisation de matrices de rigidité mal conditionnées. La deuxième est limitée par un coût de calcul plus important.Pour concilier les avantages de l’une et de l’autre, un certain nombre de méthodes hybrides ont été proposées. La plus commune est celle du Lagrangien augmenté [Glowinski et Le Tallec, 1990; Arora, Chahande, et Paeng, 1991] qui part de la fonctionnelle Lagrangienne classique et y ajoute des termes de pénalisation appropriés qui ne sont pas nécessairement infinis pour assurer la vérification des contraintes. La méthode de pénalisation est alors utilisée pour générer une base de multiplicateurs de Lagrange. La méthode LaTIn, celle que nous utilisons pour le traitement des conditions de contact, se rapproche d’une technique de Lagrangien augmenté avec projection. Il s’agit d’une méthode dans un cadre de décomposition de domaine qui cherche des efforts et des déplacements vérifiant le comportement de contact avec ou sans frottement, où la surface de contact est coïncidente avec une interface de la décomposition de domaine [Champaney, Cognard, et Ladèveze, 1999; Ladevèze et al., 2002]. Par la suite, nous présenterons succinctement les méthodes de pénalisation, de multiplicateurs de Lagrange et du Lagrangien augmenté. La méthode LaTIn ne sera détaillée que dans le Chap. 5.
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Table des matières
Introduction
I Cadre de l’étude et contexte scientifique
1 Cadre de l’étude
1 Contexte industriel
2 Caractéristiques du problème en étude
2.1 Caracteristiques des calculs envisagés
2.2 Hypothèses du problème de référence
2 Modélisation de structures élancées en grandes transformations
1 Stabilité et non-linéarités géométriques
1.1 Théorie de la stabilité
1.2 Équilibre et stabilité d’un système conservatif
1.2.1 Points réguliers et points critiques
1.2.2 Sensibilité aux imperfections
2 Formulation d’un milieu continu en grandes transformations
2.1 Configuration et cinématique
2.2 Équilibre du système
2.3 Loi de comportement
2.4 Principe de puissances virtuelles
3 Formulation du problème discretisé en grandes transformations
3.1 Formulations Lagrangiennes
3.1.1 Formulation Lagrangienne totale
3.1.2 Formulation Lagrangienne réactualisée
3.2 Formulation corotationnelle
3 Délaminage et contact dans les composites stratifiés
1 Modèles pour le délaminage
1.1 Modélisation par la mécanique de la rupture et critères en contraintes
1.1.1 Modélisation de l’initiation
1.1.2 Modélisation de la propagation
1.2 Modélisation par la mécanique de l’endommagement
1.2.1 Interfaces cohésives
1.3 Couplage flambage-délaminage .
2 Contact unilatéral avec et sans frottement
2.1 Formulation du problème de contact
2.1.1 Problème local sans frottement
2.1.2 Formulation variationnelle sans frottement
2.2 Lois de frottement
2.2.1 Loi de Coulomb en statique
2.2.2 Formulation variationnelle avec frottement
2.3 Résolution du problème de contact
2.3.1 Méthode de pénalisation
2.3.2 Méthode des multiplicateurs de Lagrange
2.3.3 Méthode du Lagrangien augmenté
4 Stratégies de calcul non linéaire et de résolution multiéchelle
1 Méthodes de résolution de problèmes non linéaires
1.1 Méthode incrémentale d’Euler
1.2 Méthodes incrémentales-itératives
1.2.1 Méthodes de Newton
1.2.2 Méthodes de continuation
1.2.3 Méthodes de continuation pour le délaminage
1.3 Méthode Asymptotique Numérique
1.4 Algorithme LaTIn
2 Stratégies de résolution multiéchelles
2.1 Méthodes de modélisation multiéchelle
2.1.1 Méthodes d’homogénéisation
2.1.2 Méthodes de superposition et d’enrichissement
2.2 Méthodes de calcul multiéchelles
2.2.1 Méthodes multigrilles
2.2.2 Méthodes de décomposition de domaine
II Une stratégie multiéchelle pour l’analyse du couplage flambage-délaminage de composites stratifiés
5 Une méthode multiéchelle pour le couplage flambage-délaminage
1 Introduction
2 Problème de référence
2.1 Cinématique d’interface
2.2 Formulation sous-structurée
3 Stratégie de résolution numérique
3.1 Choix des espaces d’approximation
3.2 Introduction de l’échelle macroscopique
3.2.1 Séparation des échelles
3.2.2 Choix des espaces macroscopiques
3.3 Admissibilité macroscopique
3.4 Algorithme itératif de résolution
3.4.1 Étape locale
3.4.2 Étape d’admissibilité
3.4.3 Indicateur d’erreur LaTIn
3.4.4 Algorithme de la stratégie
3.5 Résolution du problème macroscopique
3.5.1 Condensation statique primale
3.5.2 Résolution en parallèle par un gradient conjugué préconditionné projeté
3.6 Implémentation de la stratégie .
6 Maîtrise de la convergence de la stratégie
1 Choix des directions de recherche
2 Problématique associée aux structures élancées
3 Analyse des paramètres de la stratégie
3.1 Interfaces parfaites
3.1.1 Flexion
3.1.2 Flambage
3.2 Interfaces de contact .
3.2.1 Interface de contact en séparation
3.2.2 Interface de contact en fermeture
3.3 Interfaces cohésives
7 Exemples de couplage flambage-délaminage
1 Plaque préfissurée en compression
2 Multiples délaminages dans un stratifié composite
Conclusion
A Annexe
Bibliographie
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