Approche faible opposé à approche forte
On distingue quatre approches du développement durable depuis 1970 (Andriananja H, 2012). Selon l’approche anthropocentrée du courant néoclassique, le développement durable correspond au maintien d’un potentiel de bien-être par tête (Pezzey, 1989). La satisfaction des besoins humains tient une importante place dans la constitution de ce bien-être. A cet égard, les actifs naturels servent à répondre à ces besoins humains. L’analyse néoclassique a emprunté la première loi de la thermodynamique ou « loi de la conservation de la matière » pour fonder son thèse. Ayres et Kneese (1969) ont procédé à la transposition d’une telle loi à l’analyse économique. Dans cette perspective, la masse des ressources environnementales exploitées égalise celle des déchets. A leur tour, ces déchets vont être recyclés par l’environnement. Par conséquent, rien ne se perd en matière environnementale. Autrement-dit, il n’y a aucune menace de distinction du capital naturel. Quant à la question de la rareté de certaines ressources naturelles, l’homme peut recourir à d’autres biens manufacturés, appelés « biens de substitut ». La production d’un tel bien est assurée par le rôle prépondérant du progrès technique. A côté de l’hypothèse de la « substituabilité parfaite » entre les capitaux, les néoclassiques défendent également la rationalité des agents économiques, lui rendant capable d’anticiper les évènements futurs. Ainsi, un exercice d’anticipation permettait de réduire et maîtriser les risques de chocs économiques et également de ses effets indésirables. Comme auteur de référence partageant cette vision anthropocentrée, on peut citer Hartwick, Solow et Pezzey. Le courant néoclassique assimilait le développement durable à la croissance économique. D’ailleurs, l’essor de ce courant faible coïncidait les « trente glorieuses ». La veille de la fin des trente glorieuses, les pays industrialisés ont constaté l’apparition de faits nouveaux à l’instar des pluies acides, du trou sur la couche d’ozone… Par contre, les connaissances scientifiques disponibles à l’époque n’étaient plus à la hauteur d’en trouver ni l’explication, ni le remède. A ce stade, le modèle de développement lancé par les néoclassiques est devenu un modèle limité. Un nouveau courant de pensée s’est réagi face au constat de ces faits nouveaux. Il adoptait une approche conversationniste. Daly H. (1972) a publié un article intitulé « Halte à la croissance », plaidant pour un développement de qualité et différent de la croissance économique pure. Le modèle de la croissance économique développé dans l’approche anthropocentrée va, au fil du temps, tuer la nature. Les conservationnistes définissent le développement durable comme un développement caractérisé par une variation constante du stock de capital naturel par rapport au temps. Autrement, l’exploitation des ressources naturelles devrait prendre un rythme raisonnable pour éviter la détérioration exponentielle de la nature. Ainsi, pour réduire de manière logarithmique les risques de l’épuisement des ressources rares, il faut, d’une part, garder un taux minimal de l’accroissement de la population et de l’autre, cultiver un comportement humain beaucoup plus sobre. De fait, l’épuisement des certaines ressources naturelles est inévitable, par contre, une décroissance économique et démographique soutenable permettra de le ralentir. Une autre courant de pensée, dénommé « Ecologie profonde » a réagi face à cette incapacité de maîtriser la rareté de certains actifs naturels en développant une approche écocentrée c’est-à-dire, centrée sur l’écologie. L’économie écologique est le quatrième courant de pensée sur le développement durable. Il adopte une vision plutôt intermédiaire entre les autres courants de pensée. Par ailleurs, il s’inscrit dans l’approche forte du développement durable. L’approche forte de la durabilité a été inspirée sur la transposition de la seconde loi de la thermodynamique ou loi d’entropie effectuée par Georgescu-Roegen. Le dégagement énergétique d’un corps isolé de tous ses systèmes d’alimentation s’arrête au moment où ce même corps épuise toutes ses énergies. Ce stade correspond à la reprise de sa situation d’équilibre. À ce niveau, le corps en question ne sera plus capable de reproduire de l’énergie sans qu’il y en ait un apport exogène. Par transposition à l’économie, l’environnement, en tant que receveur de tous les déchets émis par les exploitations économiques ne pourra plus jouer un tel rôle. Cette incapacité s’explique par la destruction de l’écosystème, fonctionnant comme un système où il y a une source d’alimentation et un élément récepteur. Autrement, chaque élément de l’écosystème dépend l’un de l’autre et vice versa. Donc, la défaillance de l’un de ces éléments pourrait conduire à des phénomènes irréversibles. A cet effet, il faut, à tout prix, chercher à maintenir l’état de marche de ce système ou bien l’écosystème. D’où la conception de l’approche forte de la durabilité. Les tenants de cette approche évacuent l’idée de la substituabilité parfaite entre les capitaux. L’épuisement des ressources non renouvelables (ou capital naturel critique) est susceptible de perturber le fonctionnement de l’écosystème. Par suite, une rupture du fonctionnement de l’écosystème à cause de la disparition d’au moins un de ses éléments entraîne l’irréversibilité des certaines situations. Ainsi, il faut veiller à ce que l’utilisation de ces ressources ne conduise pas à leur disparition. En effet, le principal souci en matière de durabilité forte réside sur la question environnementale. Dans cette perspective, la durabilité correspond au maintien d’un certain niveau du stock de capital naturel critique et non critique. Tous les courants forts attribuent la même valeur intrinsèque à l’homme et à toutes les ressources naturelles, d’où l’évacuation du droit relatif à l’exploitation de la nature par les activités économiques. Le clivage entre les courants forts de la durabilité réside sur la détermination de ce niveau de ce stock. Pour l’écologie profonde (Aldo Léopold et Arne Naess), les ressources naturelles devraient rester intactes. Le stock de capital naturel devrait être égal à son niveau initial. Quant à l’économie écologique (Georgescu-Roegen), d’un côté, la thèse développée par l’écologie profonde est non réalisable. Néanmoins, cette approche est créditée d’une potentialité en matière de protection de la nature. De l’autre côté, les deux approches conservationniste et anthropocentrée ne délaissent pas la constitution du bien-être humain, d’où leur mérite. Se trouvant en confluent de ces différentes approches, l’économie écologique tente de concilier la nature avec l’économie. Dans cette perspective, ce courant de pensée cherche à déterminer la criticité d’un capital naturel, c’est-à-dire le degré de l’exploitation avec lequel, le bien en question risque de disparaître ou de ne pas pouvoir se régénérer. En deçà de ce niveau critique d’exploitation, les activités économiques sont autorisées. Comment procède-t-on pour définir cette criticité du capital naturel ?
Pourquoi évaluation multicritères multi acteurs ?
L’évaluation multicritères se trouve au carrefour de plusieurs disciplines (Oberti, 2004). Elle peut être mobilisée pour traiter un problème multidimensionnel. A chaque dimension correspond au moins un indicateur de référence. Autrement, les indicateurs ne peuvent pas être jumelés entre eux, d’où la multi dimensionnalité du problème. L’analyse multicritère s’est largement développée à partir des années quatre-vingt-dix. Il est à noter qu’une telle évaluation n’implique pas nécessairement la participation de plusieurs évaluateurs de disciplines différentes. Un seul expert est capable de le faire dans certains cas comme celui d’une évaluation postcatastrophique des dégâts matériels. Il suffit de lui remettre toutes les informations qui lui sont nécessaires. Dans ce cas, l’univers de l’évaluation est certain. Selon Martin O’Connor (2006a), « L’évaluation offerte par les experts (Analyse CoûtsAvantages, normes de sécurité validées scientifiquement, etc.) est insuffisante pour la prise de décision publique ou privée de questions liées à des risques et des irréversibilités élevées». Trois caractéristiques principales (Martin O’Connor (2006b) marquent ces deux contextes :
�Les incertitudes sont irréductibles (Les dommages sur la santé et l’environnement ou des pertes d’opportunités économiques sont prévisibles mais pas leurs risques),
� La pluralité des valeurs sociales et donc des préoccupations et des critères de justification sont divergents,
� Des enjeux décisionnels sont élevés (dont intérêts commerciaux et militaires, des risques de désordre social, des impacts irréversibles potentiellement élevés sur la santé des populations et sur les systèmes de support de vie) et des impacts sur le long terme.
Dans les cas où la plupart des informations relatives aux intérêts des stakeholders sont cachées ou fragmentées, il faut recourir à une approche multi acteurs. La disposition des connaissances de différentes sources ne suffit pas pour garantir la pertinence d’une politique publique, il faut s’assurer de l’adéquation de celle-ci à la demande sociale. L’évaluation multi acteurs permet de valider sur le terrain les connaissances formelles. Autrement, la demande sociale se croise avec les connaissances formelles. Par suite, la légitimité sociale et la qualité scientifique dans un contexte de complexité, de hautes incertitudes des systèmes et d’indétermination sociale s’instaurent progressivement. Ainsi, une évaluation multi acteurs trouve sa raison d’être dans un contexte de divergence de l’intérêt de chaque acteur. On dit que deux acteurs sont différents s’ils ont deux visions, deux intérêts, deux réactions ou deux logiques différentes en face d’un seul problème. Donc, deux acteurs peuvent être les mêmes ou non suivant le problème à traiter. Ainsi, chaque agent évaluateur doit être différent des autres lors d’une évaluation multi acteurs. Pourquoi combiner approches multicritères et multi acteurs ? Une évaluation multicritères multi acteurs est utilisée pour évaluer une politique publique. D’après ses caractères, les politiques publiques présentent des enjeux élevés. Toute décision y afférente doivent prendre en compte l’incertitude. Dans un tel contexte, les connaissances scientifiques n’arrivent pas à expliquer le présent et encore moins à prédire le futur à cause de la divergence d’intérêts de la communauté. Certes, les connaissances scientifiques sont indispensables, mais elles devraient être conformes avec la demande sociale. D’où la nécessité de retrouver une nouvelle science, dépassant les conflits sociaux et ajustant les offres avec la demande sociale. C’est la science post-normale. Par rapport à l’objectif de ce travail de recherche d’évaluer les stratégies de RRC dans l’optique du développement durable, l’inscription dans cette nouvelle science se justifie sur la nécessité de croiser les deux dimensions de la connaissance. Pour cela, on va emprunter à la science post-normale la démarche top-down et bottom-up. Ainsi, la science post-normale permet de concilier les conflits sociaux en vue de la demande sociale et d’éliminer la controverse des experts grâce à une multidisciplinarité.
Les hypothèses de construction de la matrice de délibération
Sa construction repose sur deux hypothèses fondamentales. La première concerne l’éthique de la discussion. « Une norme ne peut prétendre à la validité que si toutes les personnes qui peuvent être concernées sont d’accord (ou pourraient l’être) en tant que participants à une discussion pratique sur la validité de cette norme » (Adriananja H.2006). Cette hypothèse exige la compréhension mutuelle entre les participants. Comprendre n’implique pas nécessairement être d’accord. Une condition à la base de cette hypothèse réside également sur le fait que les participants aient une volonté de trouver le mieux pour la communauté et non pas pour lui seul. Autrement dit, cette hypothèse suppose que la discussion se fasse dans une ambiance de convivialité, d’altruisme entre les participants ayant un objectif commun : l’intérêt général. La seconde hypothèse avance la légitimation de la démarche délibérative et la qualité du résultat. Plus, le nombre de participations s’accroît, plus, on arrive à corriger l’asymétrie informationnelle. En l’absence d’asymétrie informationnelle, il est de forte chance de prendre la meilleure décision. Une raison de plus c’est que toute décision prise par tous les participants a de forte chance d’être socialement acceptée. En résumé, l’objectif de la Matrice de Délibération est de « faire coexister les opinions des différents acteurs impliqués dans la gestion d’un problème, afin de définir une option qui satisfasse au mieux chacun (ou du moins dans laquelle chacun se retrouve). » (CHAMARET A, et al, 2008)
La sécurité humaine et l’évaluation multicritères multi acteurs
De par sa nature complexe, la sécurité humaine, selon la conception des Nations-Unies a sept dimensions10. Certes, chaque localité a sa spécificité, toutes ces dimensions citées par le PNUD peuvent être dissociées. Une telle complexité évacue toute question liée à la sécurité humaine vers une approche multidimensionnelle. Du point de vue stratégique, la sécurité humaine identifie les menaces ainsi que les causes de la vulnérabilité de la communauté ciblée. L’aboutissement à un tel résultat est conditionné par la consultation de personnes considérées comme « ressources ».
Un processus concluant : une vision collectivement définie
La mise en œuvre de la matrice de délibération a permis d’évaluer la stratégie de RRC mobilisée par le PSH. Avant de procéder à l’évaluation proprement-dite, on a passé par plusieurs étapes. L’identification des problèmes demeure un stade assez délicat car la suite du processus en dépend. Sur ce, plusieurs personnes « ressources » ont été consulté pour recueillir les diverses sources d’informations. L’identification des enjeux liés à ce problème va avec la reconnaissance des groupes d’intérêts correspondant. Pour réduire le biais sur le choix des stakeholders, on a sollicité l’avis des personnes ressources et des groupes d’intérêts, ce qu’on appelle également la méthode « regards croisés des acteurs ». Une fois sélectionnés, les stakeholders ont défini les critères d’évaluation et les scénarii possibles. Les enjeux ou critères d’évaluation représentent les intérêts jugés prioritaires. Arrivé au stade de la délibération, les acteurs discutaient sur les enjeux divergents. La situation actuelle à travers la HIMO ne réduit pas d’une façon durable l’insécurité économique. Aucun des scénarii définis ne dit mieux en termes de création d’emplois durables Au cours de la discussion, tous les évaluateurs se sont mis d’accord sur le résultat de la démarche. D’ailleurs, un recherche est en cours actuellement sur la continuité de la création d’emploi au sein du Fokontany. Parmi les activités prévues pour cette année figure la réalisation du projet « gestion des déchets solides », par la construction de pavé. L’espoir en cette réalisation est un facteur important de la performance de ce scénario. Ainsi, la stratégie de RRC combinant l’assainissement par HIMO continue, la formation professionnelle, la réalisation de la cartographie des vulnérabilités, la mise en place d’un centre d’écoute a enregistré comme résultat : la création d’emploi durable, la réduction des risques d’inondation et de la violence et la culture de propreté dans le Fokontany d’Anosizato-Est I. Le développement durable, au sein du fokontany Anosizato-Est I se définit comme un maintien concomitant l’emploi durable, la culture de propreté et de civisme, la réduction des risques liés à l’inondation, à l’incendie et aux violences.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I. La prise en compte du risque dans le développement durable
Section I. Les débats autour de la durabilité
Sous-section 1. Approche faible opposé à approche forte
Sous-section 2. Economie écologique et réduction des risques et d’incertitudes
Section II. Du risque vers la RRC
Sous-section 1. Le risque et la criticité
Sous-section 2. Les actions entreprises à Madagascar en matière de RRC
Chapitre II. Cadres théorique et méthodologique de l’évaluation multicritères multi acteurs
Section I. Fondements théoriques de l’évaluation multicritères multi acteurs
Sous-section 1. Pourquoi évaluation multicritères multi acteurs ?
Sous-section 2. Mobilisation de la méthode Top-down/Bottom up
Section II. La matrice de délibération
Sous-section 1. Bases théoriques de la construction de la matrice de délibération
Sous-section 2. Le théâtre de la durabilité
Chapitre III. Expérience d’application de la matrice de délibération
Section I. Justifications du choix et étapes préalables au remplissage de la matrice
Sous-section 1. Justifications théoriques et empiriques
Sous-section 2. Expérimentation du théâtre de la durabilité
Section II. Evaluations, interprétations et disséminations des résultats
Sous-section 1. Evaluation des scénarii par les stakeholders par rapport aux critères d’évaluation
Sous-section 2. Evaluations comparatives des scénarii
Chapitre IV. Retour sur expérience et enseignements tirés
Section I. Evaluation de la pertinence de l’outil d’aide à la délibération
Sous-section 1. La matrice de délibération : un outil promouvant l’apprentissage social, la création d’une confiance mutuelle entre les acteurs et en fin la mise en œuvre de l’initiative commune de trouver une solution compromissoire
Sous-section 2. La matrice de délibération présente aussi quelques limites sur la version papier de la matrice, le coût transactionnel et la fragilité de ses hypothèses de construction
Section II. De la Réduction des risques de catastrophes vers une opérationnalisation du développement durable
Sous-section 1. Le théâtre de la durabilité appliqué en RRC
Sous-section 2. Un processus concluant : une vision collectivement définie
Conclusion générale
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