Stratégie d’analyse qualitative

Stratégie d’analyse qualitative

Modèles et méthodes d’évaluation de la disposition à agir

Ce sont les chercheurs du Centre tri-ethnique de recherche préventive à l’Université du Colorado qui ont développé le premier modèle de la disposition à agir des communautés (Oetting et al., 1995). Leur modèle comporte six dimensions :1) les efforts de prévention existants, incluant les programmes, activités et politiques sociales, 2) les connaissances en ce qui concerne ces efforts de prévention, 3) le leadership, c’est-à-dire la présence de dirigeants élus et de membres influents de la communauté pouvant initier les efforts de prévention, 4) les connaissances à propos du problème en question, 5) les ressources disponibles pour la prévention et 6) le climat de la communauté qui regroupe diverses caractéristiques pouvant influencer la persistance ou la résolution du problème. Ces chercheurs proposent aussi une méthode permettant d’évaluer le niveau de disposition à agir des communautés à partir d’entrevues avec des informateurs-clés1. La méthode permet de quantifier des données qualitatives recueillies en entrevue et d’obtenir un score de 1 à 9 sur l’échelle de disposition à agir développée par ces chercheurs (voir Annexe B). Pour ce faire, des énoncés descriptifs associés à un score de 1 à 9 pour chacune des dimensions de la disposition à agir ont été développés. Un exemple tiré du manuel d’évaluation de la disposition à agir (Plested et al., 2006) est fourni en Annexe C.
La méthode d’évaluation du Centre tri-ethnique de recherche préventive est fréquemment utilisée par différentes initiatives de prévention. L’intérêt de cette méthode réside surtout dans la possibilité de tirer profit des entrevues afin de mobiliser les communautés et dans les suggestions d’interventions associées à chacun des stades. Le Centre tri-ethnique de recherche préventive a développé des stratégies de mobilisation adaptées aux différents niveaux de disposition à agir. Par exemple, avec une communauté peu préoccupée par l’enjeu d’intérêt, ils proposent de prendre contact personnellement avec les leaders afin de les sensibiliser. Par opposition, dans une communauté où les leaders sont déjà mobilisés autour de l’enjeu d’intérêt, ils considèrent plus approprié de démarrer des initiatives de sensibilisation à une plus grande échelle, telles que des capsules à la radio ou à la télévision (Plested et al., 2006).
Cette méthode demeure toutefois assez exigeante en termes de temps et de coûts et fait face à certaines critiques en termes de validité (Beebe, Harrison, Sharma, & Hedger, 2001). Kesten, Griffiths et Cameron (2015), dans une discussion critique de ce modèle d’évaluation, recommandent de conserver des données qualitatives afin de compléter le portrait offert par le score de disposition à agir.
Dans la foulée des travaux du Centre tri-ethnique de recherche préventive, d’autres auteurs ont développé des modèles et des instruments de mesure de la disposition à agir. Chilenski et al. (2007) ont eu recours à la modélisation par équation structurelle afin de développer leur modèle. Selon leur conceptualisation, la disposition à agir comporte quatre dimensions : 1) l’attachement envers la communauté, 2) les initiatives communautaire, c’est-à-dire la propension des individus à être actifs au sein de leur communauté et à tenter de nouvelles stratégies pour faire face aux problèmes au sein de celle-ci, 3) l’efficacité communautaire, c’est-à-dire la capacité des membres de la communauté à atteindre un objectif commun et 4) le leadership de la communauté, c’est-à-dire la capacité des leaders à rallier les différents membres de la communauté. Ils ont développé et utilisé un outil découlant de ce modèle dans le cadre d’un projet visant à supporter le développement positif et à réduire l’abus de substance chez les jeunes. L’outil pourrait toutefois être utilisé dans d’autres contextes. Le questionnaire de 16 items à coter sur une échelle likert permet de recueillir des données quantitatives. Il aurait une bonne validité de construit et une cohérence interne acceptable.
Au-delà des divergences conceptuelles, les facteurs impliqués dans la disposition à agir pourraient varier en fonction de l’enjeu d’intérêt ou du contexte. Le recours à une approche qualitative permet de rendre compte de la disposition à agir d’une communauté spécifique à l’égard d’une problématique spécifique (Palermo, 2013; Pichon, Powell, Ogg, Williams, & Becton-Odum, 2015). Par ailleurs, certains chercheurs préconisent le développement d’outils de la disposition à agir appliqués à des enjeux ou des contextes précis (Paltzer, Black, & Moberg, 2013; Rosas, Behar, & Hydaker, 2014). Mikton et al. (2011) ont développé un modèle de la disposition à agir spécifiquement adapté au domaine de la prévention de la maltraitance envers les enfants destiné aux pays à faible et moyen revenus. Ils ont aussi développé un questionnaire visant à évaluer la disposition à agir et pouvant être administré à des informateurs-clés : le Readiness Assessment for the Prevention of Child Maltreatment (Organisation mondiale de la santé, 2013). Le questionnaire couvre les 10 dimensions suivantes :1) les attitudes en ce qui concerne la maltraitance envers les enfants et sa prévention, 2) les connaissances en ce qui concerne la maltraitance envers les enfants et sa prévention, 3) les données scientifiques sur la maltraitance envers les enfants et sa prévention, 4) les programmes existants et l’évaluation de leur efficacité, 5) les législations et politiques pertinentes en ce qui concerne la prévention de la maltraitance, 6) la volonté de trouver des solutions au problème, 7) les liens institutionnels et les ressources institutionnelles, 8) les ressources matérielles, 9) les ressources humaines et techniques et 10) les ressources sociales informelles. C’est ce modèle qui a été retenu afin de guider la présente étude, d’abord parce qu’il présente l’avantage de s’appliquer spécifiquement à la prévention de la maltraitance, ensuite parce qu’il est très complet sur le plan conceptuel. Il a d’ailleurs été développé à partir d’une revue de la littérature des différents modèles de la disposition à agir et de la capacité communautaire, de même qu’en recourant à des consultations d’experts dans le domaine. Le Tableau 1 témoigne de l’intégration au sein de ce modèle de plusieurs dimensions d’autres modèles pertinents.

Disposition à agir et succès des programmes de prévention

L’étude de la disposition à agir est compatible avec diverses approches préventives comprenant aussi bien les approches centrées sur les données probantes que les approches communautaires (Flaspohler et al., 2008). Les approches communautaires mettent l’accent sur les facteurs communautaires, économiques et socioculturels associés à la maltraitance de même que sur les besoins identifiés chez les familles et prônent une perspective d’empowerment. Elles sont aussi caractérisées par des processus bottom-up, c’est-à-dire qu’elles émergent des besoins communautaires et partent d’initiatives citoyennes ou à tout le moins locales. Les approches fondées sur les données probantes se caractérisent par une préoccupation pour la mise en place de pratiques dont l’efficacité est démontrée et accordent une attention particulière à la recherche évaluative. Elles ont une approche davantage top-down, c’est-à-dire que le déploiement des interventions origine de décideurs ou de planificateurs institutionnels. La conciliation de ces deux approches est un défi en prévention de la maltraitance (Gagné, Drapeau, & Saint-Jacques, 2012).
L’étude de la disposition à agir est souvent envisagée comme un moyen de favoriser l’appropriation des programmes à données probantes par les communautés dans une perspective de rapprochement de la recherche et de la pratique (Flaspohler, Meehan, Maras, & Keller, 2012; Özdemir & Giannotta, 2014; Powers, Maley, Purington, Schantz, & Dotterweich, 2015). L’usage de plus en plus courant des programmes à données probantes requiert une attention aux facteurs liés à l’implantation et la dissémination efficace de ces programmes (Elliott & Mihalic, 2004). Powers et al. (2015) concluent à partir de l’analyse de pratiques dans le domaine que l’implantation adéquate de programmes fondés sur les données probantes implique une planification prenant en compte la disposition à agir des communautés.La pertinence de l’étude de la disposition à agir dans ce contexte est motivée par certains présupposés : 1) la disposition à agir des communautés aurait un impact sur le succès des programmes de prévention, 2) il serait possible d’intervenir sur la disposition à agir des communautés, 3) une bonne connaissance de la disposition à agir permet de mettre en place des interventions plus appropriées.Stith et al. (2006) rapportent que l’impact de la disposition à agir sur le succès des programmes fait l’objet d’un consensus dans le domaine de l’implantation de programme de prévention communautaire. Certains auteurs mesurent empiriquement une association entre le niveau de disposition à agir des communautés, évalué à parti de l’outil de Oetting et al. (1995), et l’effet des interventions en ce qui concerne leur enjeu d’intérêt soit l’augmentation des activités physiques chez les jeunes et la réduction de la prévalence de l’obésité infantile (Ehlers, Huberty, & Beseler, 2013; Millar et al., 2013).Plested et al. (2006) postulent qu’il est possible de mettre en place des interventions spécifiques en fonction de l’état de la disposition à agir d’une communauté afin de développer cette disposition. Plusieurs études, réalisées dans une diversité de contextes, ont confirmé que des programmes ou des interventions de prévention peuvent avoir une influence sur le degré de disposition à agir, tel que mesuré à l’aide d’adaptations de la méthode de Oetting et al. (1995) (Aboud, Huq, Larson, & Ottisova, 2010; Ogilvie et al., 2008; Paltzer et al., 2013; Peercy et al., 2010; Stallones, Gibbs-Long, Gabella, & Kakefuda, 2008). D’un contexte à l’autre, les programmes pourraient avoir davantage d’influence sur l’une ou l’autre des dimensions de la disposition à agir. Parmi les interventions spécifiques qui agiraient sur la disposition à agir, il y aurait sa mesure elle-même et la rétroaction faite aux communautés, le soutien offert par les équipes de recherche, l’assistance technique, l’implication des leaders de la communauté, le marketing social et l’incitation à l’implication citoyenne (Aboud et al., 2010; Frerichs et al., 2015; Ogilvie et al., 2008; Slater et al., 2005; Stallones et al., 2008; Watson-Thompson, Woods, Schober, & Schultz, 2013).En outre, la mise en place d’interventions adaptées au niveau de disposition à agir des communautés se révèlerait en mesure de permettre une meilleure mobilisation des communautés afin d’intervenir sur l’enjeu d’intérêt (Hahn, Rayens, Adkins, Begley, & York, 2015).
De par l’impact potentiel qu’elle peut avoir sur le succès des programmes de prévention, la disposition à agir peut être envisagée comme une cible d’action et un indicateur du bon fonctionnement d’un programme. L’évaluation de la disposition à agir peut donc remplir de multiples fonctions; elle peut soutenir la sélection des communautés, la mobilisation et l’arrimage entre les programmes et les communautés, de même que l’évaluation des programmes (Oetting et al., 1995; Slater et al., 2005; Stallones et al., 2008)

Questions de recherche

Les questions qui guident la présente étude sont les suivantes : 1) Comment se présentent chacune des communautés étudiées en ce qui concerne les différentes dimensions de la disposition à agir en prévention de la maltraitance ? 2) Quelles sont les similarités et les différences entre les communautés étudiées à cet égard ? 3) Est-il possible de dégager des catégories permettant de rendre compte du portrait de la disposition à agir des communautés étudiées en regroupant dans un modèle plus simple les dimensions initialement retenues ? Ces questions sont étudiées dans le but d’identifier les éléments qui soutiennent ou font obstacle à l’action en prévention de la maltraitance au sein des communautés concernées.

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Table des matières

Introduction
Problématique
La maltraitance envers les enfants en tant que problème communautaire
Disposition à agir et construits apparentés
Modèles et méthodes d’évaluation de la disposition à agir
Disposition à agir et succès des programmes de prévention
Questions de recherche
Méthodologie
Contexte
Territoires
Participants
Matériel
Procédure
Stratégie d’analyse qualitative
(1) Comment se présente chacune des communautés étudiées en ce qui concerne la disposition à agir en prévention de la maltraitance ?
(2) Quelles sont les similarités et les différences entre les communautés étudiées en regard de leur disposition à agir en prévention de la maltraitance ?
(3) Est-il possible de dégager des catégories permettant de rendre compte du portrait de la disposition à agir des communautés étudiées en regroupant dans un modèle plus simple les dimensions initialement retenues ?
Résultats et discussion
Le contexte
Caractéristiques des communautés
Position des informateurs-clés à l’égard de la prévention de la maltraitance
Programmes et pratiques actuels
Le moteur de l’action
Leadership
Réseautage, partenariat et collaboration
Les appuis et leviers
Mandats
Données et informations disponibles
Ressources matérielles et financières
Ressources humaines compétentes
Synthèse des résultats
Conclusion
Forces et limites de l’étude
Retombées pratiques
Bibliographie

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