L’utilisation des matériaux composites à matrice organique se généralise dans les domaines de l’énergie (dans l’éolien en particulier) et des transports. Si la tendance n’est pas récente dans le domaine aéronautique, elle gagne de plus en plus le ferroviaire et l’automobile. L’allègement est le principal moteur de ce développement. Cette tendance a même gagné les structures composites primaires d’aéronefs. Ces dernières sont de nos jours réalisées en stratifiés carbone/époxy et sont produites en autoclave. L’adoption de ce type de matériau permet en effet d’atteindre une rigidité et une résistance spécifiques exceptionnelles. Les stratifiés sont de plus réputés être beaucoup moins sensibles à la fatigue que les alliages métalliques. Par ailleurs, le procédé autoclave permet a priori de maîtriser la géométrie de la pièce et l’état santé matière. En outre, l’intégration de fonction rendue possible permet souvent de réduire le nombre de pièces et d’éléments d’assemblage.
Néanmoins, de nombreux challenges accompagnent le développement de telles structures. Pour commencer, pour ces composites, il est impossible de distinguer la phase de conception de la structure de celle du matériau. En outre, l’anisotropie et les hétérogénéités présentes à de multiples échelles (entre fibres et résine, entre plis, dans les prises de pli, etc.) rendent le comportement mécanique fort complexe à appréhender et à modéliser [Kaddour et Hinton, 2013]. De nombreux tests sont encore nécessaires de nos jours pour valider des choix conceptuels et des solutions. Par la suite, les exigences réglementaires [Authorities, 1994] conduisent à démontrer la résistance statique (manœuvres en vol, rafales, charges au sol, etc.), l’endurance (fatigue, environnement, etc.) mais également la tenue des structures à des charges plus exceptionnelles (flottement, crash, amerrissage, surcharge accidentelle, choc, impact d’oiseau, impact, traversée de débris, foudre, etc.). On notera que la définition des conditions d’exploitation, nécessaire pour l’estimation des charges et des conditions environnementales, est également en soi un défi. De surcroît, les stratifiés étant particulièrement sensibles à l’impact et aux chocs, les questions de tolérance au dommage [Bouvet, 2016] et de réparation sont cruciales. En pratique, l’ensemble de la démarche de certification s’appuie sur une pyramide des essais . Elle définit différents niveaux, allant des essais de caractérisation (permettant d’alimenter les bases de données) jusqu’à l’essai sur l’aéronef. La largeur de cette pyramide représente schématiquement la quantité d’essais menés. Au total, pour un avion de ligne, autour de 10⁴ essais sont réalisés dans ce processus.
Dans ce contexte, le Virtual Testing (VT) vise à limiter le coût de la certification et le temps associé [Okereke et al., 2014]. Il permet également une plus grande latitude dans l’exploration de nouveaux concepts tout en réduisant les risques associés à un choix de conception. Le VT s’appuie sur des simulations éléments finis (EF) qui tirent profit de modèles non linéaires. De nombreux modèles ont en effet été proposés pour décrire l’endommagement et la ruine des stratifiés, surtout en zone courante (e.g., [Bouvet et al., 2009 ; Laurin et al., 2011 ; Daghia et Ladevèze, 2012]).
Certaines limites sont attendues d’une telle démarche. On notera par exemple que même des modèles non linéaires relativement élaborés montrent tous leurs limites, en particulier lors de chargements multi-axiaux [Kaddour et Hinton, 2013] ou dans des régions singulières (e.g., entaille, prise de plis, etc.). Par ailleurs, du côté académique, comme du côté industriel, l’identification des paramètres constitutifs de tels modèles s’appuie le plus souvent sur des essais conventionnels menés sur des éprouvettes élémentaires i.e. aux échelles les plus basses (micro, méso ou coupon) de la « Pyramide des Essais » (cf. Fig. 1) [Handbook, 2002]. Force est de constater que les essais structuraux sont rarement exploités à ce stade. Au contraire, la validation des modèles s’appuie généralement sur des essais non conventionnels exploitant des éprouvettes assez spécifiques. D’un point de vue académique, les capacités prédictives des modèles sont ainsi souvent évaluées au moyen d’essais multi-axiaux (cf. The World-Wide Failure Exercise [Hinton et al., 2004]). D’un point de vue industriel, les modèles sont successivement validés à des échelles de plus en plus élevées (cf. Fig. 1) et dans des situations représentatives de l’application. Enfin, il faut garder à l’esprit que les conditions limites (CL) jouent un rôle primordial dans la simulation numérique. Or, pour des essais sur structures, les CL sont rarement modélisables de manière simple. On peut alors imaginer deux solutions : on peut envisager de modéliser le montage d’essai, ou de réaliser des mesures permettant d’extrapoler ces CL.
Essais non conventionnels :
Afin d’illustrer ces propos, on peut par exemple citer les recherches établies sur des éprouvettes cruciformes [Périé et al., 2002 ; Welsh et Adams, 2002 ; Smits et al., 2006] (cf. Fig. 2) ou sur des éprouvettes cylindriques [Soden et al., 2002] (cf. Fig. 3). Les avantages évidents de ces études sont liés à la mise en œuvre d’éprouvettes peu coûteuses et dont les variabilités sont relativement maîtrisées (peu de variation d’épaisseurs, de séquence d’empilement, de cycle de cuisson, de porosité, etc.). Ces études autorisent une analyse statistique des résultats (répétabilité des essais possible). Elles offrent aussi la possibilité de connaître certaines composantes du chargement : ces dernières peuvent donc être utilisés pour le dialogue essais/calculs. Pour les essais sur des éprouvette cruciformes, on notera qu’il est souvent possible d’exploiter des mesures de champs cinématiques 2D pour imposer des CL [Périé et al., 2002] et aussi pour instaurer un dialogue essais/calcul permettant la validation voire l’identification [Claire et al., 2004 ; Lecompte et al., 2007 ; Crouzeix et al., 2009 ; Périé et al., 2009]. En revanche, les éprouvettes et les chargements restent non-représentatifs des applications réelles.
On trouve par ailleurs, plutôt du côté industriel, des études sur des structures représentatives chargées de façon réaliste. Dans ce cas, du fait de la taille des spécimens, il est possible de valider un concept intégrant des assemblages, des singularités (choc, entaille, etc.), des détails structuraux (présence de cadres, lisses, etc.), voire des réparations (cf. Fig. 4 et 5 [Leone et al., 2008]). Des mesures de champs cinématiques 3D sont souvent effectuées. Les conditions aux limites et le chargement de la structure sont néanmoins difficiles à modéliser. La définition d’une distance essai/calcul dans un tel contexte n’est pas chose aisée. On notera enfin que cette approche est très limitante et coûteuse puisque les éprouvettes et les bancs d’essais sont spécifiques.
Il existe donc un réel besoin de développer des méthodologies de validation à des échelles raisonnables à la fois en termes de pertinence et de coût.
Projet ANR VERTEX :
L’acronyme Vertex signifie « Validation expérimentale et modélisation des structures composites sous sollicitations complexes ». Le projet a pour but d’apporter un élément de réponse au constat précédent en se plaçant à l’échelle des détails structuraux. L’idée est de réaliser des essais sur structures en conditions représentatives, mais avec un banc et des éprouvettes « simplifiées ». Le banc d’essai consiste en un caisson, à l’image des structures aéronautiques (caisson de voilure, fuselage…), qui peut être soumis à de la flexion et de la torsion. Il n’intègre toutefois pas de courbures. Les éprouvettes sont simplifiées dans le sens où les éprouvettes consistent « au premier ordre » en de simples plaques planes, plus faciles à concevoir et bien moins coûteuses. Néanmoins, vue la taille de la région utile offerte et le mode de jonction de l’éprouvette, le banc permet l’étude de « vrais » problèmes structuraux : étude d’une plaque en présence d’une coupure, d’un panneau raidi, d’une plaque impactée (alors même qu’elle était chargée), etc. Le projet se situe donc à une échelle intermédiaire entre les essais sur éprouvettes et ceux sur les grands assemblages.
Accès aux conditions limites :
Comme évoqué précédemment, la validation des modèles repose sur des simulations dont les conditions aux limites jouent un rôle majeur. Même pour des essais mono-axiaux sur éprouvette simplifiée, il a été montré qu’il est préférable d’utiliser des conditions aux limites issues de mesures plutôt que des conditions aux limites idéalisées (homogènes) [Meuwissen et al., 1998 ; Robert et al., 2007 ; Réthoré, 2010 ; Lindner et al., 2015]. Or, pour les essais structuraux, il est d’autant plus difficile d’obtenir les chargements des éprouvettes du fait de la complexité des structures, donc de la redondance des chemins d’efforts. De plus, ces derniers sont évolutifs en cours d’essai. Ceci est dû essentiellement aux réponses non-linéaires (géométriques ou matériaux) des structures testées et plus rarement aux plastifications localisées des bancs d’essai. À ce titre, des études utilisent des « batteries de jauges » afin d’obtenir un maximum d’information sur les bords des zones d’étude [Castanié, 2000] (cf. Fig. 7). Les moyens traditionnels (extensomètres et jauges de déformation) restent des références en matière de résolution de mesure, mais ils ne peuvent fournir que des valeurs moyennes ponctuelles. En outre, le nombre, le choix de la position et le bon fonctionnement de ces moyens extensométriques auront un impact sur la capacité à établir un dialogue essais/calculs (e.g. estimation des conditions aux limites, nombre de points de comparaison, tenue des jauges, etc.). De plus, le coût de ces moyens et de leur mise en place est important, surtout dans le cadre d’essais structuraux. Apparue il y a une trentaine d’années, la Corrélation d’Images Numériques (CIN, ou DIC pour Digital Image Correlation) [Horn et Schunck, 1981 ; Lucas et Kanade, 1981 ; Sutton et al., 1983] s’impose de plus en plus comme une alternative sérieuse. La CIN est une méthode optique 2D qui permet de mesurer un « champ de disparité » entre deux images. En mécanique expérimentale, elle s’est montrée très polyvalente : détermination de champs de déplacement ou de déformation, détection de fissures, alimentation de procédures d’identification de paramètres constitutifs, etc. Les récents développements d’approches globales, en particulier dans leur version EF [Sun et al., 2005 ; Besnard et al., 2006], permettent maintenant de simplifier le dialogue essais/calculs. Enfin, la CIN présente également un avantage économique du fait de la réutilisation possible des moyens de mesure et du temps de mise en place.
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Table des matières
Introduction générale
1 Le projet VERTEX
1.1 Introduction
1.1.1 Contexte
1.1.2 Descriptif du montage
1.2 Réalisation des essais
1.2.1 Essais préliminaires
1.2.2 Essais sur les stratifiés T700/M21
1.3 Modélisation
1.3.1 Maillage
1.3.2 Conditions aux limites
1.3.3 Méthodologie d’analyse des déformations
1.4 Validation de l’échange de données sur les plaques Aluminium
1.5 Cas de la plaque Composite en traction
1.5.1 Résultats expérimentaux
1.5.2 Résultats numériques pour la plaque « C3-1 double »
1.6 Conclusion des essais
1.7 Conclusion sur la démarche de validation
2 Corrélation d’Images Numériques
2.1 Introduction
2.2 Corrélation d’Images Numériques dans un formalisme Éléments Finis
2.2.1 Formulation classique dans l’image
2.2.2 Méthode d’intégration Éléments Finis
2.3 Modélisation d’une caméra
2.3.1 Modèle linéaire
2.3.2 Modèles non-linéaires
2.3.3 Calibration
2.4 CIN-2D dans le repère physique
2.4.1 Formulation
2.4.2 Méthode d’intégration
2.5 Comparaison des deux formulations
2.5.1 Avec un projecteur simplifié
2.5.2 Avec un modèle non-linéaire de la caméra
2.6 Vers une approche multi-échelle
2.6.1 Analyse d’erreur
2.6.2 Étude champ proche/champ lointain
2.7 Conclusion
3 Stéréo Corrélation d’Images Numériques
3.1 Introduction
3.2 Quelques outils
3.2.1 Matrice essentielle
3.2.2 Matrice fondamentale
3.2.3 Rectification d’images
3.3 Calibration d’un capteur de Stéréovision
3.4 Reconstruction 3D
3.4.1 Triangulation linéaire
3.4.2 Ajustement de faisceaux
3.5 Déroulement classique de la Stéréo-CIN
3.6 Réécriture de la SCIN-EF dans le repère physique
3.6.1 Calibration des paramètres Extrinsèques et Intrinsèques
3.6.2 Mesure de forme avec un maillage EF
3.6.3 Mesure d’un déplacement 3D
3.7 Approche Multi-Échelle
3.8 Conclusion
4 Régularisation
4.1 Introduction
4.2 Initialisation d’une mesure
4.2.1 Coarse Graining
4.2.2 Régularisation de type Tikhonov
4.3 Pénalisation pour la mesure de forme
4.4 Régularisation d’une mesure
4.4.1 Régularisation avec une cinématique plaque
4.4.2 Régularisations Mécanique et Tikhonov
4.5 Application
4.5.1 Cas test synthétique
4.5.2 Cas test réel
4.6 Vers une approche intégrée : SCIN-I (I-SDIC)
4.7 Comparaison des méthodes de mesure dans le cadre de VERTEX
4.7.1 Mesure sans régularisation
4.7.2 Mesure avec une régularisation mécanique
4.7.3 Mesure avec une méthode intégrée SCIN-I
4.8 Conclusion
5 Retour au projet VERTEX
5.1 Introduction
5.2 Mise en place d’un essai
5.3 Réalisation du mouchetis
5.4 Calibration des caméras
5.5 Réalisation des mesures
5.6 Problèmes rencontrés
5.7 Largeur de bande de mesure
5.8 Apport d’une mesure locale
5.9 Conclusion
Conclusion