La compréhension des forces gravitationnelles et la dynamique des objets massifs, sur Terre ou dans l’espace, a été un moteur puissant du développement de la physique moderne, depuis les travaux de Newton à ceux d’Einstein. Les forces gravitationnelles influencent considérablement notre environnement et nous ne pouvons pas nous en isoler. Les étudier revient à étudier la répartition et la dynamique des masses nous entourant, ce qui donne lieu notamment à des applications en géosciences (géophysique et géodésie), à la prospection et la surveillance des ressources naturelles .
L’accélération de la pesanteur
Un corps en chute libre à proximité de la surface d’une planète est un corps dont l’accélération dépend uniquement du champ de pesanteur dans lequel il se meut. En chaque point de l’espace nous matérialisons ce champ par un vecteur ~g appelé accélération locale de la pesanteur. Elle est la somme de deux accélérations:
– La première ~ggravitation est l’accélération résultant de la force de gravitation entre le corps en chute libre et la planète où il se trouve. Elle est orientée vers le centre de masse de la planète.
– La seconde ~aentrainement est l’accélération d’entrainement, connue aussi sous le nom d’accélération centrifuge, produite par la rotation de la planète sur elle même. Elle dépend de la distance de l’objet par rapport à l’axe de rotation de la planète. Elle est donc nulle aux pôles et maximale à l’équateur.
Courbure des trajectoires par l’accélération de la pesanteur
En connaissant l’accélération subie par le corps à la surface de la planète et à partir du principe fondamental de la dynamique, nous pouvons exprimer son altitude au cours de sa chute et en fonction des paramètres initiaux tels que la vitesse v0 et sa position initiale z0 .
La trajectoire z(t) est une parabole dont la courbure dépend uniquement de g. les trajectoires que suivrait un corps lancé avec la même vitesse (v0 = 20m/s) et altitude initiale (en négligeant les frottements) sur des planètes comme Jupiter (en rouge), la Terre (en orange), Mars (en jaune), la Lune (en vert) et en un point de l’espace où l’attraction gravitationnelle serait nulle (en bleu). Plus la gravité est grande plus la courbure de la trajectoire est importante, l’altitude maximale atteinte par le corps est donc plus faible sur Jupiter où la gravité est plus importante que sur la Lune.
Nous pouvons donc mesurer la valeur de g en mesurant la trajectoire d’un objet massif en chute libre. La technologie actuelle la plus répandue pour la mesure absolue de g est basée sur la mesure de la trajectoire d’un miroir en chute libre grâce à l’interférométrie optique [2, 3]. Toutefois, une mesure absolue n’est pas toujours nécessaire, particulièrement pour des études axées sur les variations de g, comme celles qui sont liées au mouvement des fluides dans les couches souterraines par exemple. Pour ces études il est courant d’utiliser des gravimètres relatifs. La technologie des gravimètres relatifs la plus utilisée est basée sur la mesure de la position d’une masse suspendue à un ressort, elle permet de produire des gravimètres compacts, transportables et robustes. Le lien entre la position de la masse et l’accélération de la pesanteur dépend des propriétés mécaniques du ressort, du matériau utilisé, de la géométrie de la mesure, toutes sortes de paramètres qui ne sont pas connus précisément a priori. Il faut donc étalonner l’instrument. Une autre technologie de gravimètre relatif consiste à utiliser une masse supraconductrice pour remplacer le ressort par un champ magnétique [4]. ils sont moins facilement transportables que les gravimètres à ressort, mais sont capables de fournir les mesures de g les plus stables. Avec notre gravimètre atomique, nous mesurons la trajectoire d’un nuage d’atomes de Rubidium 87 en chute libre dans une chambre à vide. Nous faisons donc une mesure absolue de g. La conception de notre gravimètre est inspirée de l’expérience présentée dans [5] basée sur l’expérience fondatrice d’interférométrie avec des atomes neutres de 1991 [6]. Cette technologie, encore jeune, fait l’objet de nombreuses études. Une liste des différents gravimètres atomiques et de leurs performances se trouve dans [7]. L’intérêt de travailler sous vide est double. Cela nous permet d’une part de limiter l’influence des forces autres que les forces inertielles, comme celle des frottements ou de la poussée d’Archimède et d’autre part de refroidir le nuage afin de mettre en avant les propriétés ondulatoires des atomes [8]. Pour mesurer la courbure de la trajectoire des atomes de Rubidium 87 en chute libre, nous réalisons un interféromètre à onde de matière à l’aide d’impulsions lasers [9,10].
Nous utilisons cette onde, qui en première approximation est considérée comme une onde plane, pour produire une « règle » verticale dont les graduations correspondent aux plans équiphases de l’onde laser. Lors des trois impulsions laser de notre interféromètre, nous imprimons la phase laser sur la phase atomique. La phase atomique, porte alors une information sur l’altitude du nuage à chacune des impulsions laser. Nous extrayons cette information de la phase atomique grâce à la mesure de la différence de phase des deux chemins de notre interféromètre, qui, comme nous le verrons plus tard, donne accès la courbure de la trajectoire.
L’interférométrie atomique pour la mesure de g
Interféromètre à onde de matière
Les atomes participant à notre interféromètre sont considérés comme des paquets d’ondes auxquels nous présentons deux trajectoires possibles. Après un certain temps de propagation dans le champ de pesanteur que l’on souhaite sonder, nous recombinons les ondes partielles pour les faire interférer et récupérer un signal qui dépend de la valeur absolue de g. Contrairement aux interféromètres optiques qui utilisent la matière (miroirs et lames séparatrices) pour manipuler l’onde lumineuse, en interférométrie atomique nous utilisons la lumière pour manipuler l’onde de matière. A cette différence notable près, l’analogie entre l’interférométrie atomique et optique est grande et nous l’utiliserons à multiples reprises dans cet exposé. Notre interféromètre atomique est comparable à un interféromètre de type Mach-Zehnder composé de deux lames séparatrices et deux miroirs que nous produisons avec une transition Raman à deux photons contra-propageants.
Transitions Raman à deux photons: k↑ et k↓
Commençons par décrire la partie de la structure électronique du Rubidium 87 qui nous intéresse ici, à savoir les niveaux d’énergie 5 2S1/2 et 5 2P3/2 . Les flèches oranges et rouges représentent les fréquences des deux lasers utilisés pour la transition Raman à deux photons. Ces lasers couplent le sous niveau F = 1 au sous niveau F = 2 du niveau hyperfin 5 2S1/2, qui représentent respectivement l’état fondamental |fi et excité |ei de nos atomes. Nous pouvons voir sur cette figure que lors de la transition, l’atome passe par un niveau intermédiaire |ii qui est décalé d’une quantité d’énergie ~∆ par rapport au sous niveau F 0 = 1 du niveau 5 2P3/2. En pratique, nous ajustons les fréquences Raman pour que le désaccord ∆ soit très grand (environ 1 GHz) devant la largeur naturelle Γ (environ 6 MHz) des niveaux supérieurs, afin d’éviter de les peupler pour limiter l’émission spontanée. L’évolution du système se ramène alors à celle d’un système à deux niveaux d’énergie. un atome qui part d’un état initial |fi avec une quantité de mouvement p, noté |f, pi est couplé par le champ Raman à l’état |e, p + ~kef f i, avec ~kef f (kef f = k1 − k2) la quantité de mouvement des photons du champ Raman transmise à l’atome. Nous verrons que la configuration des faisceaux lasers nous permet aussi de coupler l’état |f, pi à l’état |e, p − ~kef f i. Les raisonnements étant analogues pour les deux transitions (k↑ et k↓), nous nous placerons dans le cas de la transition k↑ qui fournit une quantité de mouvement de +~kef f aux atomes.
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Table des matières
Introduction générale
0.1 L’accélération de la pesanteur
0.2 Courbure des trajectoires par l’accélération de la pesanteur
0.3 Plan du mémoire
1 L’interférométrie atomique pour la mesure de g 7
1.1 Interféromètre à onde de matière
1.1.1 Transitions Raman à deux photons: k↑ et k↓
1.1.2 Les impulsions π/2 et π: la séparatrice et le miroir
1.1.3 La différence de phase interférométrique
1.2 Mesure de g et sensibilité de l’interféromètre
1.2.1 Choix de la valeur de la rampe des fréquences Raman
1.2.2 Sensibilité de l’interféromètre aux variations de g
1.2.3 Fonction de sensibilité
1.3 Les variations temporelles de g
1.3.1 Les marées
1.3.2 Effet de la pression atmosphérique
1.3.3 Mouvement de l’axe de rotation de la Terre
1.4 Les effets systématiques
1.4.1 Les effets indépendants du signe de kef f
1.4.2 Les effets dépendants du signe de kef f
1.5 Technique de mesure et rejet des effets systématiques
1.5.1 La séquence de mesure
1.5.2 Bilan d’incertitude
2 Description du dispositif expérimental et aspect technique de la mesure de g
2.1 Vue d’ensemble du dispositif expérimental
2.2 La séquence de mesure
2.2.1 Les fréquences optiques
2.2.2 La préparation du nuage atomique et conditions initiales des trajectoires
2.2.3 L’interféromètre
2.2.4 La mesure
2.3 Isolation de l’enceinte à vide et mesure des conditions environnementales
2.3.1 Isolation de l’enceinte à vide
2.3.2 Mesures des conditions environnementales et rejet des vibrations
2.4 Les améliorations apportées
2.4.1 Asservissement des puissances
2.4.2 Asservissement des facteurs de correction
2.4.3 Mesure et suivi du profil Doppler
2.4.4 Mesure du LS1
3 Symétrie d’un interféromètre atomique de type Mach-Zehnder
3.1 Théorie sur les biais engendrés par l’asymétrie de l’interféromètre
3.2 Origine de l’asymétrie de l’interféromètre: les inhomogénéités de couplage
3.3 Protocole de la mesure différentielle
3.4 Effet de la sélection en vitesse Raman
3.5 Comparaison avec la simulation numérique
3.6 Influence de la vitesse initiale du nuage
3.7 Influence des paramètres de détection sur la pondération des classes de vitesse
3.8 Forcer l’asymétrie de la fonction de sensibilité de notre interféromètre
3.9 Effet de l’asymétrie de la distribution en vitesse initiale
3.10 Effet de la compensation sur la stabilité long terme
3.11 Conclusion
4 Comparaison entre le CAG et l’état de l’art des gravimètres
4.1 Comparaison entre gravimètres absolus: optique versus atomique
4.1.1 Principe de fonctionnement du gravimètre optique
4.1.2 Comparaison internationale des gravimètres absolus
4.1.3 Autres comparaisons entre le CAG et les gravimètres absolus
4.1.4 Comparaison des stabilités entre gravimètres absolus
4.2 Comparaison du CAG avec le gravimètre supraconducteur
4.2.1 Principe de fonctionnement du gravimètre supraconducteur
4.2.2 Synchronisation des signaux
4.2.3 Etalonnage du supraconducteur par un gravimètre atomique
4.2.4 Étalonnage simultané du gravimètre supraconducteur par plusieurs gravimètres absolus
4.2.5 Correction des effets environnementaux
4.2.6 Suivi de la valeur de g sur le site de Trappes depuis 2009
4.3 Conclusion
Conclusion générale