Evolution de la perception du mariage
Depuis quelques années l’institution du mariage, à l’instar de beaucoup d’institutions sociales, a vu son statut et son rôle se modifier. En fait c’est la perception même, l’idée que les gens s’en faisaient qui a évolué. Cette évolution de la perception du mariage sera mise en rapport, ici, avec sa formation et son fonctionnement. Pour ce qui est de la formation des couples, l’évolution de la perception du mariage se remarque clairement. Ce qui était avant une forme de respect des normes, devient pour certains une solution contre la précarité, les grossesses hors mariage… En effet il arrive aujourd’hui que des parents donnent leur fille en mariage pour lui garantir de meilleures conditions de vie. Dans cette situation la préférence est portée sur une union hypergamique. Le mariage est devenu aussi pour certains parents un moyen d’éviter que leurs filles mettent au monde des enfants naturels. Dans tous les cas, force est de reconnaître que la perception de la formation du mariage et ses objectifs a changé. En effet le célibat ne met plus ceux qui le vivent dans une situation embarrassante, ou si c’est le cas ça arrive de moins en moins.
Ce qui ne veut nullement dire qu’il est normalisé. L’explication réside dans le fait que l’on voit de plus en plus d’hommes ou de femmes célibataires (principales conséquences du recul âge au mariage). Cette situation est parfois le fait de la crise et consiste à un simple report de l’entrée en vie de couple et peut avoir comme motif pour la femme une ambition d’études poussées afin de se garantir une certaine autonomie financière et pour l’homme un mieux être financier, ce qui lui permettrait d’entretenir sa femme et d’être par la même occasion en conformité avec les lois prescrites par l’Islam et la société. Ce qu’il est important de préciser ici c’est qu’il y a une catégorie de personnes pour qui ce n’est ni l’un ni l’autre, et qui ne fait que subir les aléas de la crise. Ce qui ressort de cela c’est que même si le mariage reste une institution incontournable au Sénégal sa perception a évolué surtout dans sa formation. Cela se ressent aussi dans son fonctionnement. Parler de l’évolution de la perception du mariage ne pourrait se faire, à notre avis, sans évoquer le fonctionnement de l’institution matrimoniale. Avec la disparition de termes et représentations dont le mariage avait l’air de ne pouvoir se passer un changement de perception est en train de se produire. Comme exemple nous pouvons prendre les femmes.
Ces dernières, selon les textes religieux et les croyances sociales, devraient être toujours prises en charge par leur mari, quelles que soient les difficultés qu’ils peuvent vivre. Cependant cette idée devient de moins en moins valable, d’abord parce que les hommes n’en sont plus capables, la crise économique ne le permet plus, ensuite les femmes semblent vouloir vivre autrement que dans la dépendance. De ce fait même si cette dernière semble toujours vécu, les initiatives de travail que prennent les femmes pour se faire un nouveau statut sont indéniables. Ce qui signifie que c’est la perception même des rapports mari/femme qui a évoluée. Ces données seront éclaircies dans les chapitres suivants qui concerneront la présentation, l’analyse et l’interprétation des résultats.
Rôle des parents dans la stabilité des mariages
Ils interviennent pour la plupart quand ils sentent des velléités de séparations ou, mieux, dès qu’il y a conflit entre les conjoints. Ce qui garantit au mariage une sorte de stabilité « assistée ». C’est le cas de D G, 48 ans, restauratrice, 32 ans de mariage et mère de 5 enfants. Je suis venue vivre avec ma grand-mère à Dakar après mes études primaires qui ont été faites à Bamako. Ensuite j’ai fait une formation en dactylographie pendant deux ans. Je n’ai pas eu le temps de trouver du travail parce que je me suis mariée pendant la formation et mon mari m’a dit d’oublier la promesse de travail qu’on m’avait faite dans une entreprise où je faisais du traitement de texte parfois. Et puisqu’il avait beaucoup d’argent je n’ai pas refusé de mettre mon ambition en veilleuse. Je l’ai épousé en 1971 alors qu’il était déjà marié, père de huit enfants et dont l’aîné avait quatre ans de plus que moi. On n’était pas parent, mais sa mère était l’amie de tous les jours de ma grand-mère. Celle-ci m’avait menacé de me laisser si je ne l’épousais pas. Pourtant je ne voulais pas. Je savais qu’il irait à la retraite à une période où je serai jeune et belle.
C’est d’ailleurs en prévision de cela que j’avais abandonné le domicile conjugal quand j’ai eu mon deuxième gosse. En fait j’ai profité d’une histoire d’amour qu’il avait avec une autre femme pour partir et demander le divorce, on m’avait promis un remariage. Ma grand-mère m’a alors dit de fermer les yeux sur les « bavures » de mon mari si je voulais avoir de bons enfants. C’est ainsi que je suis restée avec lui, non sans les discours de ma grand-mère. C’est à cause d’elle si je vis aujourd’hui dans cette misère avec comme tout espace une seule chambre, des enfants confiés à tort et à travers. Depuis sept ans c’est-à-dire un peu après la retraite de mon mari j’ai commencé à vendre le déjeuner chez moi. En fait je fais la cuisine sur place et à 13 h les abonnés, petits commerçants Guinéens pour la plupart, viennent chercher leur repas. Il fallait que je fasse quelque chose parce que je savais que la retraite était plus dure pour moi que pour ma co-épouse qui a de grands enfants qui lui ont cherché une maison alors que j’ai du quitter l’appartement où je vivais avec mes enfants. Mon mari l’avait pris en location et il ne pouvait plus payer.
Du coup je me retrouve dans une seule chambre avec enfants et bagages. Ma grand-mère a tout fait pour que je ne divorce pas. Maintenant le résultat est là, mon mari est vieux, pauvre mais je ne peux m’en séparer puisque je ne pourrai trouver de mari à mon âge et jamais un homme n’accepterait de prendre une femme qui a cinq gosses. La stabilité de ce mariage pourra donc être imputée à l’intervention des membres de la parenté en cas de conflit. C’est le rôle que joue ici la grand-mère. Par ailleurs cela n’exclut pas de ce récit les autres facteurs de stabilité comme l’âge et le nombre d’enfants. Mais toujours est-il que ce qui va être considéré dans le cas de D G comme facteur principal de stabilité c’est l’intervention de la grand-mère vu qu’elle semble avoir était déterminante dans ce mariage et a permis l’éclosion de tous les autres éléments de stabilité qui se trouvent dans ce récit et que nous appelons ici « sous facteurs ». Il s’agit ici comme nous l’avons déjà dit de son nombre d’enfants et de son âge avancé. Cela nous permet de dire que l’intervention des membres de la parenté est essentielle dans la stabilité du mariage; du moins pour les femmes.
Influence de l’expérience des parents sur la stabilité du mariage
Il est généralement admis que les parents constituent les premières références de leur progéniture. En effet ils sont, le plus souvent les premiers êtres avec lesquels ils entrent en contact. C’est d’ailleurs pour cela qu’on dit que le comportement d’un adulte peut avoir été influencé par ses parents. C’est une sorte d’imitation transcendante. Pourtant cette théorie semble plus élaborée en Occident qu’en Afrique. En fait la psychologie a su démontrer que les parents constituent une référence pour leurs enfants. Au Sénégal elle devient dans la pratique une idée préétablie qui est très déterminante pour certains. Cela explique pourquoi dans un mariage certains sont toujours prêts à aller aussi loin ou plus loin que leurs parents. Cela relève d’un certain égard pour les parents. En termes clairs l’expérience des géniteurs est prépondérante dans la stabilité du mariage au Sénégal; et ce aussi bien chez les femmes que chez les hommes.
La perception critique du divorce comme facteur de stabilité
Au Sénégal la perception sociale a su garder son importance sur les rapports interpersonnels. S’il est un domaine qui est vraiment sous l’influence sociale, c’est assurément le mariage. Il s’y produit une sorte de contrôle social. Celui-ci consiste à bannir le divorce du discours. C’est dire que malgré la modernisation et une certaine « occidentalisation » des populations la peur du « qu’en dira t-on » inhibe la tendance au divorce. A Dakar, au XXIième siècle, la perception d’autrui reste déterminante dans les comportements des uns et des autres au sein du couple. Une analyse des perceptions permet de dire que le divorce est mal vu au Sénégal. En effet même si les institutions le permettent, il est d’autant mal vu que certains l’évitent juste pour ne pas se retrouver « étiquetées ». C’est donc un élément de stabilisation des ménages. En effet, l’enquête sur le terrain révèle que le pouvoir de la critique sociale sur le mariage reste toujours fonctionnel et ce, aussi bien chez les femmes que chez les hommes. L’idée que le divorce dévalorise est très bien intériorisée. Et cela, comme nous l’avons dit tantôt, n’est pas sans effet sur la stabilité du mariage.
C’est même un facteur déterminant. En outre il faudra préciser que cela concerne davantage les femmes que les hommes. C’est comme si les femmes se sentaient plus concernées par ces considérations sociales, du moins c’est ce qu’on pourrait en déduire. La critique sociale a beaucoup d’ascendant sur les femmes. Elle influe grandement sur les relations que certaines femmes entretiennent avec leur époux. C’est ce qui nous fait dire qu’aucune femme ne veut être traitée de « jigeen ju bon »57 et aucun homme ne veut être qualifié identiquement. Cette situation expliquerait la stabilité de certains mariages et les efforts de stabilisation que font les femmes pour éviter d’être considérées comme des femmes de « petite vertu ». En effet le divorce est parfois perçu, à tort ou à raison, comme un moyen utilisé par les femmes pour faire du libertinage sexuel et/ou se départir du pouvoir social masculin. Il semblerait alors que c’est pour ne pas être mis dans ce lot que certaines femmes acceptent de rester en union avec ou sans leur prise en charge par le mari, ou encore avec ou sans la bonne conduite de leur époux.
De ce point de vue il peut être dit que, même si elles ne sont pas nombreuses dans l’échantillon (du fait d’un changement des mentalités), certaines femmes restent en union par considération à leur réputation et de son éventuelle « détérioration » par la société en cas de divorce. C’est le cas de B N, intermédiaire, mariée depuis 5 ans. Elle soutient que « les femmes qui divorcent sont des femmes qui veulent prendre leur liberté et mener une vie sans contraintes. Je ne pourrai faire cela parce que j’ai peur du qu’en dira t’on ». C’est donc dire que les femmes semblent éviter tant que possible de divorcer pour préserver ce qu’on pourrait appeler leur « image de marque ». Cette situation favorise à bien des égards la stabilité des mariages. Ce qui est surprenant c’est que les femmes elles même participent au maintien et à la perpétuation de la perception négative que les gens ont des femmes divorcées. En outre, la référence aux discours de certains hommes de l’échantillon permet de comprendre que les facteurs de stabilité du mariage identifiés pour les hommes concernent moins la perception que la société a du divorce que les autres facteurs dont nous parlons dans les autres parties (à savoir la parenté, les enfants, la participation financière des femmes aux dépenses du ménage etc). C’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi, même en avouant en connaître les conséquences, des hommes affirment que le divorce est parfois nécessaire.
C’est dans ce cadre que M K N, intermédiaire marié depuis 14 ans, soutient: « le divorce est un mal nécessaire. La métaphore banale que je peux vous donner est celle d’une plaie qui gangrène. Dans ce cas le membre affecté sera forcément amputé. Il en est ainsi du divorce » Nous pouvons donc comprendre que pour les hommes, comme pour certaines femmes d’ailleurs, le divorce peut être parfois la meilleure solution aux problèmes d’un couple. L’élément qui vient différencier les hommes des femmes ici c’est l’importance que celles-ci accordent à l’image négative qu’on pourrait leur coller en cas de divorce au moment où les hommes semblent ne pas s’y intéresser. Ceci est peut être une conséquence de l’éducation reçue en famille qui inculque certaines valeurs aux femmes et d’autres aux hommes. Ce qui en fait d’ailleurs une éducation très « sexuée » c’est-àdire qui insiste beaucoup sur le comportement qu’on doit avoir selon qu’on est un homme ou une femme.
C’est dans ce cadre que s’inscrit, la légitimation, par les femmes, de certains comportements masculins. En effet, s’il y a des hommes qui trompent leur femme il y a aussi des femmes qui normalisent cette situation. Dans ce cas l’argument qui est soulevé le plus souvent reste que les hommes peuvent épouser jusqu’à quatre femmes et on n’épouse pas une personne sans la fréquenter. Ainsi ce qu’on croyait être juste un argument utilisé par des hommes pour justifier un comportement adultérin est utilisé par des femmes pour légitimer le dit comportement. Mais derrière cette légitimation se trouve une ferme intention de rester en union quoi qu’il puisse arriver afin de ne pas subir la critique sociale. Le récit de A M, riche et mariée depuis 15 années, s’inscrit dans le même sens. Elle soutient « mon mari me trompe mais je sais que ce n‘est pas de sa faute. Il est militaire et les militaires ont la cote chez les femmes. Donc je ne vais pas divorcer pour cela puisque ce n’est pas de sa faute ». Ces propos viennent encore une fois confirmer l’idée que certaines femmes légalisent les relations extra-conjugales de leur conjoint. Cette situation leur garantirait une stabilité d’union vu que le « doxan » qui pourrait être un motif de divorce, se trouve légitimé. En effet, ce qu’il faut comprendre c’est que la normalisation ou banalisation de l’adultère masculin n’est pas gratuite. Elle relève plutôt d’une volonté de ne pas divorcer pour les déboires d’un homme sous peine de paraître « ñakk fayda » (ce qui est inimaginable pour certaines femmes c’est de devoir quitter leur époux à cause d’une autre) et de subir les critiques des uns et des autres.
On peut dés lors dire que le « qu’en dira t’on » a un pouvoir considérable sur la stabilité du mariage à Dakar. Ce pouvoir découle des moyens que se donnent les acteurs pour bannir, légaliser ou faire légaliser certaines choses. Ces considérations, comme nous l’avons déjà dit, concernent davantage les femmes que les hommes du fait, peut-être de la socialisation.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : CADRE GENERAL ET METHODOLOGIQUE
CHAPITRE I : CADRE GENERAL
I -PROBLEMATIQUE DE LA RECHERCHE
II – JUSTIFICATION DU CHOIX DU SUJET
III- OBJECTIFS DE LA RECHERCHE
IV – HYPOTHESES
V- MODELE D’ANALYSE
V- 1: Le fonctionnalisme structuraliste
V-2: Le changement social
VI – CONCEPTUALISATION
VII – REVUE CRITIQUE DE LITTERATURE
CHAPITRE II: METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
I – RECHERCHE DOCUMENTAIRE
II – TECHNIQUE D’ECHANTILLONNAGE
III – METHODE DE RECUEIL DE DONNEES
IV – PROCEDURE DE LA RECHERCHE
IV-1 La pré-enquête
IV-2 L’enquête proprement dite
V – LIEU DE L’ETUDE
VI – DIFFICULTES RENCONTREES
DEUXIEME PARTIE: LES FACTEURS SOCIAUX DE LA STABILITE DES MARIAGES A DAKAR
CHAPITRE III: GENERALITES SUR LE MARIAGE
I – PERCEPTION TRADITIONNELLE DU MARIAGE
II – LA DOT ET LES STRUCTURES DE DIALOGUE DANS DES MARIAGES TRADITIONNELS
III- EVOLUTION DE LA PERCEPTION DU MARIAGE
CHAPITRE IV: FACTEURS SOCIO-FAMILIAUX DE LA STABILITE DU MARIAGE
I/ L’INFLUENCE DES ENFANTS SUR LA STABILITE DU MARIAGE
I- 1: Chez les femmes
I- 2: Chez les hommes
II- FONCTION DE LA PARENTE DANS LA STABILITE DU MARIAGE
II-1: Rôle des parents dans la stabilité des mariages
II-2: Rôle des amis dans la stabilité des mariages
II-3: Importance de la parenté sociale et biologique entre les conjoints dans la stabilité du mariage
II-4: Influence de l’expérience des parents sur la stabilité du mariage
III- LA PERCEPTION CRITIQUE DU DIVORCE COMME FACTEUR DE STABILITE
CHAPITRE V: STABILITÉ DES MARIAGES ET AFFECTIVITÉ
I/CHEZ LES FEMMES
II/CHEZ LES HOMMES
TROISIEME PARTIE: LES FACTEURS ECONOMIQUES DE LA STABILITE DU MARIAGE
CHAPITRE VI: FACTEURS ÉCONOMIQUES DE LA STABILITÉ DU MARIAGE CHEZ LES FEMMES
I/ ENTRETIEN DU MENAGE PAR L’HOMME
II/ NON-EXIGENCE DES FEMMES
III/ PARTICIPATION DES FEMMES AUX DEPENSES DU MENAGE
CHAPITRE VII : LES FACTEURS ÉCONOMIQUES DE LA STABILITÉ DU MARIAGE CHEZ LES HOMMES
I/ CAPACITE DE L’HOMME A ENTRETENIR LE MENAGE
II/ L’INTERET D’AVOIR UNE FEMME QUI TRAVAILLE DANS LA STABILITE DU MARIAGE
CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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