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Stabilité des émulsions et processus de démixtion
Le terme de stabilité fait référence à la capacité de l’émulsion à préserver dans le temps ses propriétés physicochimiques intrinsèques face aux interactions environnementales. Compte tenu des interactions entropiques et des forces intrinsèques classiquement dominantes dans les émulsions, ces propriétés se dégradent inévitablement dans le temps. Il convient donc d’identifier les mécanismes responsables de ce vieillissement naturel pour déterminer la stratégie la plus efficace améliorant la stabilité de l’émulsion visée et sa cinétique.
Cinq processus de démixtion sont à l’origine de l’instabilité thermodynamique des émulsions : le crémage/la sédimentation, la floculation, la coalescence, et le mûrissement d’Ostwald.
• Le crémage et la sédimentation sont des processus de séparation d’origine gravitationnelle. Ils sont dus à la différence de densité entre les phases conformément à la loi de Stokes. La vitesse de ces processus ? (m.s–1) dépend de la taille moyenne des gouttelettes ? (m), de la différence entre les masses volumiques des gouttelettes ????????????? et de la phase continue ?0 (kg.m–3), de la viscosité dynamique de la phase continue ? (Pa.s ou kg.m–1.s–1) et de l’accélération ? due à la gravité (9,806 m.s–2) ?= 2 ? ???????????2(?????????????− ?0)9? (I-1)
Le signe de la vitesse indique s’il s’agit d’un processus de crémage ou de sédimentation. On distingue en effet le processus par lequel les gouttelettes se déplacent vers le haut (« le crémage » classique en cosmétique), lorsque leur densité est plus faible que celle de la phase continue, de celui par lequel les gouttelettes se déplacent vers le bas (« la sédimentation ») lorsque la densité des gouttelettes est plus élevée que celle de la phase continue. La cinétique associée dépend alors des forces de frottements entre les milieux. Ce processus est momentanément réversible par agitation mécanique. En cosmétique, on note que l’ajout d’un texturant (gélifiant ou épaississant1), dans la phase continue, permet généralement de diminuer cette cinétique.
• La floculation est le processus pour lequel deux ou plusieurs gouttelettes s’assemblent pour former un agrégat de gouttelettes conservant leur intégrité individuelle initiale. Elle dépend de la différence de pression hydrostatique entre les phases, soit de la tension surfacique et du rayon respectifs de chaque gouttelette. Comme précédemment, ce processus est réversible et peut être stoppé par une légère agitation mécanique visant à séparer les gouttelettes. Conformément au théorème de Laplace, cette différence de pression peut déformer les gouttelettes jusqu’à une courbure surfacique limite. Au-delà de cette limite, un « pont capillaire » se forme par capillarité de nature à augmenter la surface interfaciale et donc à réduire la tension interfaciale globale. Ce processus est en fait précurseur de la fusion des deux gouttelettes.
• Si ces gouttelettes fusionnent pour former une seule gouttelette plus grande, on parle alors de coalescence [26]. Ce phénomène irréversible d’aspiration dû à la trop grande proximité entre deux gouttelettes ne se réalise que si le film interfacial cède sous l’effet d’une tension interfaciale trop grande. Cette fusion entraine naturellement la formation d’une gouttelette de taille plus importante de tension interfaciale plus faible [23]–[25].
• Enfin, le murissement d’Ostwald, est un phénomène irréversible de diffusion et de transport de masse de la phase dispersée à travers la phase continue. Les gouttelettes de petite taille migrent vers les gouttelettes de plus grande taille par différence de granulométrie, de potentiel chimique et de surpression interne de Laplace entre les gouttes de la phase dispersée. Ce phénomène est cinétiquement négligeable devant les autres phénomènes et peu observé dans le cas des émulsions H/E. Néanmoins, il est possible de sélectionner une phase dispersée, dont la solubilité est très faible dans la phase continue, pour enrayer ce transfert.
Interactions interphases et impact structurel
Pour comprendre de manière détaillée les interactions interphases, il est nécessaire d’identifier l’ensemble des forces exercées, leur portée et les temps de relaxation associés. Ces forces et mécanismes sont largement débattus dans plusieurs ouvrages dont celui d’Israelachvili [30]. La description proposée ne cherche donc pas à être exhaustive mais à introduire l’impact multiéchelle des principales forces intrinsèques impliquées dans la conservation de la stabilité des émulsions. Outre les interactions électrostatiques simples, dues aux molécules et macromolécules chargées ou dipolaires, les forces prédominantes impliquées dans le processus de stabilité sont celles qui agissent sur toutes les molécules et dont la portée d’interaction est grande (>10 nm). Connues sous différents noms (forces de London, forces de fluctuation de charge, forces électrodynamiques et forces induites), ces forces de dispersion répulsives ou attractives contribuent aux modifications des orientations et des positions mutuelles de grandes particules et des surfaces interfaciales, afin de maintenir l’intégrité cinétique et thermodynamique de la structure du milieu.
Point de vue microscopique des forces en jeu
Dans le cas des macroémulsions, les forces attractives couplées aux mouvements browniens contribuent au rapprochement des gouttelettes. Parmi elles, les forces de Van der Waals regroupent l’ensemble des interactions moléculaires dipolaires (Keesom, Debye, London), qui favorisent le processus de coalescence, de floculation et donc de séparation des phases. Les forces gravitationnelles augmentent de surcroit le risque de sédimentation ou de crémage.
A l’inverse, la présence de charges via les tensioactifs vise à ralentir ce rapprochement en introduisant des répulsions électrostatiques. Si le milieu est polaire le mécanisme de dissociation des paires d’ions permet de former une double couche électronique sur toute la surface chargée. Selon la concentration des espèces ioniques, ces répulsions entropiques peuvent atteindre une portée définie par la longueur de Debye. Il en résulte, à partir de l’équation de Poisson-Boltzmann, un potentiel de répulsion électrostatique décroissant exponentiellement.
En considérant que les gouttelettes sont suffisamment petites, le bilan de ces forces attractives et répulsives, permet d’évaluer la stabilité relative de l’émulsion. Cette approche quantitative connue sous le nom de théorie DLVO (Derjaguin-Landau-Verwey-Overbeek) [31], [32] permet en l’occurrence de prévoir l’énergie prédominante résultant de la distance inter-particules moyenne à partir de l’énergie d’interaction totale. On peut montrer qu’il existe une barrière d’énergie au-delà de laquelle les forces d’attraction de Van der Waals sont compensées par les forces de répulsions stériques à très courte distance (Figure 8). L’existence de cette barrière confirme également qu’outre la composition de l’émulsion, une distance minimale entre gouttelettes est nécessaire pour éviter leur agrégation. En tenant compte des mouvements browniens relatifs à la température ambiante, elle justifie, également en partie, la diminution du temps de stabilité lorsque le nombre de gouttelettes augmente.
Impact structurel mésoscopique de la fraction volumique
Si ces milieux peuvent être connus et caractérisés d’un point de vue macroscopique par leur texture, leur aspect organoleptique et leurs caractéristiques mécaniques, électriques et optiques globales, leur lien avec les échelles intermédiaires microscopique et mésoscopique n’est pas trivial. Ces produits, à l’apparence homogène, cachent comme nous l’avons vu des hétérogénéités évolutives à l’échelle mésoscopique. Leur description structurelle et comportementale à une échelle donnée se révèle donc incomplète. Par ailleurs, compte tenu des interactions multiphysiques microscopiques, l’état structurel des émulsions et leurs évolutions supposent une approche systémique dans laquelle on introduit des grandeurs dynamiques observables représentatives des modifications spatio-temporelles majeures.
La fraction volumique (Φ) des phases est l’une des grandeurs macroscopiques permettant d’évaluer les interactions prédominantes entre les gouttelettes selon leur encombrement statistique volumique. Pour la phase dispersée, elle est définie par : ?=????????é????????é+ ???????? (I-2) où ????????é est le volume de la phase dispersée et ???????? est le volume de la phase continue. Notons que certaines études utilisent la fraction massique pour caractériser la proportion des phases.
Plusieurs régimes, en fonction de la concentration de la phase dispersée, peuvent être identifiés en première approximation. Ceux-ci correspondent en fait à des équilibres de forces significativement différents (Figure 9).
Impact de la concentration de tensioactif
La concentration de tensioactifs dans la phase continue a également son importance. Pour que leur rôle de réduction de la tension interfaciale des gouttelettes, décrit en début de ce chapitre, soit maximal, il faut que cette concentration soit suffisante. Les concentrations diluées d’émulsifiants dans la phase continue agissent en effet principalement comme des électrolytes normaux (impactant les propriétés électriques de la phase continue). Cet impact est d’autant plus important que les tensioactifs sont ioniques [47]. Si cette concentration augmente, le comportement structurel est très différent non seulement par la formation potentielle d’agrégats micellaires, mais également par leur agrégation à la surface des gouttelettes. La concentration à laquelle la formation de micelles devient significative est appelée Concentration Micellaire Critique (CMC). Elle correspond à la concentration à partir de laquelle la tension superficielle apparente d’une solution tend à rester constante avec l’ajout de tensioactif supplémentaire. En d’autres termes, cette valeur critique correspond souvent à la concentration de tensioactif en solution à partir de laquelle l’adsorption est maximale. Cette valeur est souvent donnée par le fournisseur de matières premières. Ce phénomène dépend d’un grand nombre de facteurs dont la température, ou encore, la nature chimique des tensioactifs. Il est donc très difficile de la calculer à priori rigoureusement. Néanmoins, en fonction du tensioactif, il est possible de l’estimer théoriquement par l’expression suivante : ???= ?−1exp(−????2??) (I-3)
Avec ? le volume par chaine de tensioactifs, ?? l’énergie de transfert d’un groupe lipophile, ?? le nombre de groupes lipophiles et ? la constante de Boltzmann (1,380649×10−23 J⋅K−1). Lors de la formulation d’une émulsion, il est nécessaire d’avoir une concentration de tensioactifs toujours supérieure à la CMC, afin de réduire les phénomènes de déstabilisation.
Effets thermiques et PIT
Les mouvements browniens liés à la température favorisent, par exemple, les mouvements moléculaires et macromoléculaires, qui compte tenu des faibles niveaux d’énergie en jeu, entrainent des mouvements aléatoires permanents des gouttelettes. De nombreuses équations (notamment les équations de Langevin [50] et d’Einstein [51]) permettent de mieux appréhender ces mouvements et les forces liées. De plus, conformément à la loi d’Arrhenius, la cinétique de démixtion croit avec la température. Elle dépend de la nature des liaisons entre les matières premières, de leur composition chimique, de leur conformation, de leur concentration et de leur sensibilité à la température.
Températures critiques liées aux tensioactifs
Concernant les tensioactifs immergés dans un milieu aqueux, leur conformation et leur composition chimique influent sur leur solubilité dans l’eau. Suivant leur nature ionique ou non ionique, l’impact de la température est différent. Il existe une température critique de formation des micelles pour laquelle la solubilité de la plupart des tensioactifs ioniques augmente brusquement dans l’eau [52]. Ce point critique s’appelle le point de Kraft.
Pour les tensioactifs non ioniques, couramment utilisés en cosmétiques (souvent des tensioactifs polyéthoxylés [9]), ceux-ci ne deviennent plus solubles dans l’eau au-dessus d’une température critique à cause de leur désolvatation. Dans ce cas critique, il y a même séparation de phases, au point de provoquer une précipitation en phase aqueuse [52]. Cette température critique, pour laquelle ces tensioactifs précipitent, en phase aqueuse uniquement, s’appelle le point de trouble ou cloud point.
Température d’Inversion de Phase (PIT)
En présence d’une phase huileuse, le processus de désolvatation progressif des groupements polyéthoxylés impacte leur affinité chimique à la surface interfaciale [53], [54]. Le clivage des liaisons hydrogènes entre l’eau et la tête polaire des tensioactifs a en fait tendance à les rendre lipophiles (changeant la solubilité de ceux-ci) [55], [56]. La conformation des tensioactifs est progressivement modifiée en fonction de la température, justifiant le changement d’affinité chimique jusqu’à l’inversion de phase.
Le point critique pour lequel cette transition est effective dépend du rapport entre le volume molaire partiel de la queue hydrophobe du tensioactif ?ℎ et l’aire de la tête du tensioactif ?, ainsi que la longueur de la queue hydrophile ?ℎ. Ce rapport critique lié à la conformation du tensioactif est nommé Critical Packing Parameter (CPP) et s’écrit [58] : ?= ?ℎ?.?ℎ=???ℎ (I-4)
Il peut en fait s’écrire commecomme un rapport de surfaces intrinsèque au tensioactifun rapport de surfaces intrinsèque au tensioactif,, qui qui évolue en fonction de la températureévolue en fonction de la température : où : où ?? la surface transversale (cross sectional area) du groupe de queue lipophile et ?ℎ la surface transversale du groupe de tête hydrophile.
Si ? est inférieur à 1, le tensioactif est plus soluble dans l’eau et sera de forme convexe (courbure positive) et favorisera une émulsion H/E. Si ? est supérieur à 1, le tensioactif est plus soluble dans l’huile et sera de forme concave (courbure négative), ce qui favorise une émulsion E/H [55], [59]. Si ? est égal à 1, les gouttelettes coalescent et un système de phases lamellaires apparait. La température à partir de laquelle l’affinité chimique d’un tensioactif non ionique devient moins importante dans une phase par rapport à l’autre est la température d’inversion de phase (en anglais Phase Inversion Temperature ou PIT). D’un point de vue mésoscopique, cette température critique implique une tension interfaciale suffisamment basse pour que les gouttelettes (alors très fines) soient en déséquilibre thermodynamique permanent (de destruction et reformation aléatoire des gouttelettes).
Ce processus d’inversion de phase modifie de fait la structure de l’émulsion et donc les propriétés endothermiques, viscoélastiques et de conductivités, aux échelles mésoscopiques et macroscopiques.
Effets électriques, électromagnétiques et polarisabilité
Notion de permittivité diélectrique et approche multiéchelle associée
D’un point de vue électrique, l’interdépendance ionique, macromoléculaire et multipolaire du milieu dispersé contribue également à déstabiliser structurellement l’émulsion par les variations de champs électromagnétiques. Ces particules ont tendance, en effet, à acquérir un mouvement de rotation autour d’un axe identifié par son moment magnétique dipolaire. Que les constituants de l’émulsion possèdent ou non des moments dipolaires naturels, ceux-ci varient sous l’influence du champ électromagnétique proche. La polarisation locale associée dépend donc de la capacité des macromolécules et ions à se déplacer, sous l’influence du champ, dans les zones interfaciales et au sein des différentes phases. Plus le milieu multiphasique est polarisable globalement, plus cette sensibilité structurelle est forte.
Plusieurs modèles permettent de prédire la polarisabilité globale pour une faible concentration de gouttelettes [82]. D’un point de vue macroscopique, celle-ci dépend principalement de la permittivité diélectrique de chaque phase, ainsi que de leur volume apparent. Les molécules polaires aux interfaces et la grande différence de permittivité relative entre les phases (80 pour l’eau contre une dizaine pour l’huile) impliquent en revanche une variation non négligeable de la polarisation interfaciale (engendrant une dispersion diélectrique due aux mouvements de charges aux interfaces). Les charges libres des additifs augmentent également leur mobilité potentielle et donc la conductivité des phases. Ceci accroit la dispersion diélectrique à l’échelle mésoscopique. Les variations de propriété diélectrique apparente des émulsions dépendent donc de la distribution de polarisabilité et de la loi de dispersion associée [83]. Il en résulte une distribution de temps de relaxation représentatifs de l’émulsion.
Une analogie entre analyse multiéchelle des propriétés viscoélastiques et analyse multiéchelle de la polarisabilité, est par conséquent envisageable, pour étudier la stabilité des émulsions. Un lien entre relaxation diélectrique et mécanique est d’ailleurs connu de longue date pour la matière molle [84]. Le comportement classique diélectrique d’un milieu en présence d’un champ électrique harmonique de pulsation ω, peut donc être caractérisé par la permittivité complexe ε* définie par [85] : ?∗=?(?)?(?) (I-13)
Où ?(?) est l’induction électrique locale due au champ électrique harmonique ?(?).
En fonction des propriétés dispersives du milieu multiphasique, une loi de puissance analogue à celle détaillée précédemment, décrit le large spectre de temps de retour à l’équilibre des dispersions [86]–[88]. Notons que l’on peut retrouver par la théorie ce comportement en puissance en utilisant le formalisme des dérivées fractionnaires et les équations de Maxwell [89]. Si l’on considère un milieu fortement entremêlé (par exemple, les polymères), il a été montré empiriquement et par la mesure que la relaxation diélectrique suit une loi de puissance de type [90] : ?∗?0=(1+(? ? ?)?)−? (I-14)
?0 est est llaa permittivité dans le videpermittivité dans le vide ((8,858,85 1010−1212 F/mF/m)). . La La permittivité complexe ?∗=?′+??′′ dépend de la fréquence du champ électromagnétique considéré, c’est-à-dire de la vitesse de variation des forces électromagnétiques locales, et de l’ensemble des phénomènes de de l’ensemble des phénomènes de relaxation relatifs à la structure du milieu à l’échelle considéréerelaxation relatifs à la structure du milieu à l’échelle considérée. ε’ est liée à la polarisabilité et ε’’ à la dispersion associée [91], [92]. Le temps de relaxation moyen Le temps de relaxation moyen ? et et lleses coefficients coefficients ? ?? ? (∈ [0,1]) sont représentatifssont représentatifs de phénomènes et de la structurede phénomènes et de la structure.. Pour les émulsions, la dispersion α, est significative de la polarisation, liée aux contre-ions, et ionique [93], alors que ? est associée à la polarisation interfaciale [94], [95] et varie d’autant plus que les gouttelettes sont nombreuses. En fonction de la fraction volumique, on peut s’attendre à ce que ce modèle se simplifie. En régime dilué, on peut s’attendre à ce que ?≈1 (modèle de Cole-Cole) [82], si en plus, l’émulsion contient des tensioactifs peu ionisés, le phénomène de relaxation unique à considérer est plus lent et ? ?? ?=1 (modèle de Debye).
Compte tenu de l’ensemble des interactions électriques et des propriétés chimiques interactions électriques et des propriétés chimiques des des émulsionsémulsions,, lleses phénomènes de polarisation existent, quelle que soit l’échelle d’investigation. La Figure 12 détaille le type d’interaction concerné selon la fréquence d’investigation.
Techniques de caractérisation de la structure
Techniques macroscopiques sensorielles (échelle macroscopique)
Le processus de démixtion aussi lent soit-il, affecte la structure initiale de l’émulsion. Dans sa phase avancée, ce processus affecte l’apparence du produit. Dans ce cas, l’instabilité de l’émulsion peut être observée directement à l’oeil nu. En ce sens, l’observation visuelle est probablement la méthode la plus simple, la moins chère et la plus rapide pour constater la séparation gravitationnelle de l’émulsion sans instruments analytiques coûteux [28]. Cependant, l’observation à l’oeil nu, malgré sa commodité, n’est pas adaptée à l’étude préventive des phénomènes d’instabilité. La couche de crémage n’est observée par exemple que lorsque l’étendue du crémage est considérable. Pour affiner cette évaluation, il est d’usage d’évaluer macroscopiquement l’état de l’émulsion en intégrant les autres sens humains. Une odeur modifiée, voire désagréable, ainsi qu’une couleur et une texture inadaptées peuvent être le reflet d’une instabilité à des échelles moléculaires et mésoscopiques. Ces évaluations sensorielles sont normalisées en cosmétiques (norme NF ISO 5492 [123]) et réalisées grâce à un panel d’humains décrivant l’apparence du produit. Les produits sont donc décrits avec un vocabulaire commun (ou descripteur) adapté les caractérisant. Ces descripteurs peuvent être précis et très spécifiques aux phénomènes physiques et à l’apparence auxquels ils font référence. Il est ainsi courant d’utiliser des descripteurs relatifs à la viscoélasticité du produit (fluide/liquide, lié (relatif à l’huile), onctueux/crémeux, visqueux/épais (relatif au miel), plastique, malléable (relatif à une pâte molle), élastique/flexible/caoutchouteux, etc.). Il est également possible de décrire les termes phénoménologiques: exsudation, relargage, déphasage, aspect granuleux, matité, aspect lait caillé, culot, collerette, prise en consistance, etc. D’autres descriptifs relatifs à la texture, en rapport avec l’adhérence, et à la granulosité, sont aussi assez courants. Enfin, pour les émulsions, la « lipidité » est aussi généralement décrite d’un point de vue sensoriel (huileux, graisseux, etc.) [124].
Tous ces descripteurs s’appuient sur des produits de référence et des méthodes bien précises pour en limiter le biais de subjectivité [125]. Le kit EBITouch s’appuie par exemple sur 21 produits étalons de formulation contrôlée. Ces termes peuvent même être reliés aux caractéristiques physiques à des échelles mésoscopiques et macroscopiques ([67], [126]).
Outre le biais introduit par le caractère subjectif de la méthode et le choix des adjectifs, cette étape incontournable en cosmétique ne suffit pas pour optimiser à priori la stabilité des émulsions. Le suivi des émulsions dès les premières étapes de formulation nécessite l’utilisation d’autres systèmes de caractérisation et méthodes analytiques pour évaluer la structure et son évolution.
Techniques microscopiques
Si l’on veut examiner la structure interne de l’émulsion de manière suffisamment fine pour être capable d’étudier les mécanismes d’instabilité, il est nécessaire de suivre de manière mésoscopique l’évolution de gouttelettes submicrométriques. On peut ainsi observer et suivre la distribution et l’évolution des dimensions des gouttelettes, représentatives du processus d’instabilité de l’émulsion et de la structure [127]. Divers types de microscopies, dont la microscopie optique, électronique (TEM, SEM), à force atomique (AFM) et la microscopie confocale (CLSM) ou à contraste de phase, ont été développées pour caractériser la stabilité des émulsions [128]. Ces techniques sont en constante évolution et permettent des résolutions de plus en plus fines (grossissement maximum jusqu’à X1000, atteignant des résolutions nanométriques). Il est par exemple possible, avec la microcopie à force atomique, de remonter aux interactions surfaciques lorsque l’émulsion est liquide [129]. En ajoutant une platine chauffante, afin d’observer le comportement de l’émulsion en fonction de la température, on peut également observer les phénomènes cinétiques de floculation, de sédimentation ou de crémage. Il faut dans ce cas faire des mesures sur différents plans focaux.
Il ne s’agit donc pas ici de faire une étude exhaustive des avantages et inconvénients de toutes les techniques microscopiques actuelles. Un récapitulatif des récentes avancées pour caractériser les émulsions grâce à ces nouvelles techniques a d’ailleurs été récemment publié [130]. Il trace non seulement leur potentiel, mais également, détaille les conditions d’utilisation, tel un guide, afin d’étudier au mieux la stabilité des émulsions les plus fines.
Néanmoins, de manière générale, la microscopie présente plusieurs inconvénients. L’échantillon pour l’observation microscopique nécessite généralement d’être soumis à des procédures de préparation, telles que la dilution et l’étalement de la lame, qui peuvent altérer la structure initiale. L’interprétation des images dépend de la résolution, compliquant une étude systématique standard. Le caractère hétérogène de l’émulsion impose des analyses multiples sur différentes zones d’observation, voire sur plusieurs lames d’échantillon pour obtenir des données fiables. Le contraste n’est pas toujours suffisant entre les deux phases (aqueuse et grasse), d’où l’utilisation dans certains cas d’un agent de contraste ayant une affinité forte avec l’une des phases mais pouvant modifier la structure de ce qui est observé par la suite. On peut aussi avoir recours à des montages qui donnent du relief à l’image, comme des polarisateurs. Il est aussi possible d’utiliser un condenseur d’Abbe simple pour obtenir un fond clair lors de l’éclairage de l’échantillon. La source d’éclairage peut également apporter un biais, ou au contraire accroitre ce contraste par polarisation de la lumière par exemple.
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Table des matières
CHAPITRE I LES EMULSIONS COSMETIQUES ET LEUR STABILITE
I.1 Définition et description structurelle des émulsions
I.1.1 Les émulsions : un système polyphasé
I.1.2 Stabilité des émulsions et processus de démixtion
I.2 Interactions interphases et impact structurel
I.2.1 Point de vue microscopique des forces en jeu
I.2.2 Impact structurel mésoscopique de la fraction volumique
I.2.3 Impact de la concentration de tensioactif
I.2.4 Effets thermiques et PIT
I.2.5 Effets des forces hydrodynamiques : viscoélasticité apparente ou effective
I.2.6 Effets électriques, électromagnétiques et polarisabilité
I.2.7 Effets environnementaux et externes
I.3 Techniques de caractérisation des émulsions et de leur stabilité
I.3.1 Caractérisation des matières premières
I.3.2 Techniques de caractérisation de la structure
I.3.3 Techniques d’analyse des charges et des potentiels dans les émulsions
I.3.4 Suivi des propriétés mésoscopiques de la structure
I.4 Conclusions
I.5 Bibliographie du Chapitre I
CHAPITRE II MATERIELS ET METHODES : DES MATIERES PREMIERES A LA CARACTERISATION MULTIECHELLE DE L’EMULSION
II.1 Mise en oeuvre des formulations
II.1.1 Matières premières utilisées
II.1.2 Émulsion de référence
II.2 Études des matières premières
II.2.1 Gammes de gels Carbopol®
II.2.2 Concentration Micellaire Critique (CMC)
II.3 Protocoles de formulation des émulsions pour le suivi de stabilité
II.3.1 Étude de l’effet de l’ordre d’insertion des phases
II.3.2 Plan d’expérience et diagrammes ternaires à l’aide d’une Fast Screening Method (FSM) dédiée
II.3.3 Réalisation de diagrammes de Winsor associés
II.3.4 Protocoles de formulation des émulsions en tubes à essai
II.3.5 Effets de la montée en échelle de la formulation : émulsification en cuve
II.4 Conditions de stockage pour le suivi de stabilité
II.5 Techniques de caractérisation
II.5.1 Caractérisation de la matière première (MP)
II.5.2 Caractérisation de la structure des émulsions
II.5.3 Caractérisation des charges des émulsions
II.5.4 Suivi de l’évolution des émulsions
II.5.5 Suivi de la Température d’Inversion de Phase (PIT)
II.6 Conclusion
II.7 Bibliographie du Chapitre II
CHAPITRE III CARACTERISATION PRELIMINAIRE DES EMULSIONS POUR ETUDIER LEUR STABILITE
III.1 Caractérisation des matières premières
III.1.1 Caractéristiques macroscopiques
III.1.2 Caractéristiques à l’échelle moléculaire des tensioactifs …….
III.1.3 Impact sur la structure de l’émulsion des tensioactifs à l’échelle mésoscopique
III.1.4 Conclusion sur les matières premières
III.2 Caractérisation des phases des émulsions
III.2.1 Caractérisation de la Concentration Micellaire Critique (CMC)
III.2.2 Caractérisation de l’effet de la gélification de la phase aqueuse
III.3 Étude préliminaire de la stabilité en tube : première étape d’optimisation de la formulation
III.3.1 Prise en compte des contractions de volumes
III.3.2 Répétabilité et reproductibilité d’une émulsion formulée en tube
III.3.3 Ordre d’insertion de phases
III.3.4 Études ternaires macroscopiques par balayage rapide par FSM des compositions
III.3.5 Impact sur l’apparence de l’émulsion
III.4 Conclusion
III.5 Bibliographie du Chapitre III
CHAPITRE IV MONTEE EN ECHELLE DU SUIVI DE STABILITE
IV.1 Enjeux liés aux procédés d’émulsification
IV.2 Dimensionnent de la cuve d’émulsification développée
IV.3 Étude des émulsions conçues dans la cuve
IV.3.1 Formulations réalisées et caractéristiques macroscopiques organoleptiques
IV.3.2 Analyse de la reproductibilité des émulsions
IV.3.3 Caractérisation de l’effet de la phase aqueuse gélifiée de l’émulsion
IV.3.4 Ordre d’insertion de phases
IV.3.5 Effet du gélifiant sur la fraction volumique optimale : diagramme A
IV.3.6 Effets du type d’huile et des tensioactifs sur la fraction volumique optimale : diagramme A, C et I
IV.4 Effets de la température sur les émulsions en vue d’une étude de la stabilité long terme
IV.4.1 Impact de la fraction volumique sur la PIT (macroémulsions)
IV.5 Conclusion
IV.6 Bibliographie du Chapitre IV
CHAPITRE V STABILITE DES EMULSIONS
V.1 Conditions de suivi de la stabilité des émulsions
V.2 Première caractérisation de la stabilité des émulsions après centrifugation
V.3 Étude de la cinétique de stabilité long-terme à 25 °C
V.3.1 Analyses au microscope
V.3.2 Effets de la fraction volumique (Φ) à l’échelle mésoscopique
V.4 Étude de la cinétique de stabilité en fonction des conditions de stockage
V.4.1 Cinétique de stabilité des émulsions en fonction de la température de stockage
V.4.2 Impact des variations de température sur la stabilité des émulsions
V.5 Conclusion
V.6 Bibliographie du Chapitre V
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
ANNEXE A. Grandeurs descriptives de l’émulsion
ANNEXE B. Autres tests obligatoires
ANNEXE C. Mesures de la PIT par deux méthodes mésoscopique
ANNEXE D. Innovations et brevets pour l’émulsification
ANNEXE E. Bibliographie des Annexes
PUBLICATIONS
LISTE DE FIGURES
LISTE DE TABLEAUX
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