Stabilisation des sols traités à la chaux et leur comportement au gel

Réaction pouzzolanique

      A une valeur de pH élevée due à l’hydratation de la chaux vive (Formule I.1) et à l’ionisation de l’hydroxyde de calcium (Formule I.2), les silicates et aluminates présents dans le sol sont susceptibles de subir une dissolution, d’après leur diagramme de solubilité (Figure I.3). Ces éléments dissouts peuvent réagir avec les cations Ca2+ substitués (Figure I.4) pour former des aluminates de calcium hydraté (C-A-H), des silicates de calcium hydratés (C-S-H) et des silicates d’aluminate de calcium hydratés (C-A-S-H) qui précipitent, et dont une fraction se combine à l’eau présente, créant ainsi des liaisons de même nature que des produits cimentaires (Eades et Grim, 1960 ; Bell, 1996 ; Rao et Shivananda, 2001). Ces réactions sont dites réactions pouzzolaniques. La nature des produits cimentaires formés varie en fonction de la nature des minéraux argileux : une montmorillonite mènerait, contrairement à une kaolinite, à la formation de C-S-H plutôt qu’à la formation de C-A-H (Boardman et al., 2001). Hilt et Davidson (1960), Eades et Grim (1966), Locat et al. (1990), Little (1995) ont trouvé qu’il existe un dosage en chaux minimal, nommé « Point de Fixation de la Chaux » (PFC), pour initier les réactions pouzzolaniques. Selon ces auteurs, à partir de ce dosage, la chaux devient disponible pour les réactions pouzzolaniques. La Norme ASTM D6276-99a est développée en se basant sur l’étude d’Eades et Grim (1966) pour déterminer le PFC. Selon la Norme , le PFC est le dosage en chaux correspondant à une valeur de pH de 12,4 pour le mélange de sol et chaux (pH d’une solution saturée en portlandite). Rogers et Glendinning (2000) ont mis en cause cette méthode de détermination de PFC. Ils notent une forte variabilité du PFC des sols selon le pH-mètre utilisé : le pH de la solution interstitielle de certains sols n’atteint jamais 12,4. Leur hypothèse pour expliquer ce phénomène est la sensibilité croissante des électrodes de pH aux ions H+ et aux ions Na+ libérés au fur et à mesure des échanges cationiques. En effet, cette sensibilité fausserait les mesures de pH qui apparaîtrait plus acide qu’en réalité. Bien que cette notion doive être considérée avec prudence, elle peut être utilisée comme une première indication de la quantité de chaux à ajouter pour traiter un sol et améliorer ses performances mécaniques (Le Runigo, 2008). Un suivi des performances mécaniques du sol en dosage en chaux est nécessaire pour confirmer l’utilité de l’essai de pH.

Effet de la stabilisation sur la microstructure

    A court terme, l’ajout de la chaux dans le sol mène à une augmentation des macrospores (> 0,02 µm), associant à une diminution des pores de taille inférieure à 0,003 µm en raison de la floculation (Bin et al., 2007). A long terme, la quantité de gros pores de diamètre supérieur à 0,1 µm diminue avec la cure au profit de l’augmentation de la quantité de très petits pores (Wild et al., 1986 ; Choquette et al., 1987; Locat et al., 1990 ; Cabane, 2005; Khattab et al., 2007). On a expliqué cette modification par la précipitation croissante de produits cimentaires au cours du vieillissement, entraînant le comblement des gros pores. Selon l’étude de Le Runigo (2008) sur le limon de Jossigny traité à la chaux, à court terme, la différence principale entre la microstructure de sol traité et celle de sol non-traité réside dans l’apparition d’une famille porale de petite taille (0,01 – 0,2 µm) dans le sol traité (Figure I.13). Pourtant, la quantité de la chaux ajoutée semble ne pas influencer de façon significative la quantité de cette famille porale (0,01 – 0,2 µm). La modification a été attribuée à la réorganisation des particules argileuses induite par le phénomène de floculation. A long terme, l’auteur a observé une diminution des macropores (0,1 – 1 µm) et une augmentation de la famille porale de petite taille ( < 0,1 µm) (voir Figure I.14). Ce phénomène évolue avec le temps de cure (en comparant les résultats entre 7 jours de cure et 25 jours de cure) et avec le dosage en chaux (le sol traité à 3% CaO est plus active que celui traité à 1% CaO). Ce phénomène se traduit par la formation des carbonates de calcium pendant le premier jour après le traitement et la formation des produits cimentaires pendant le temps de cure. Ces produits remplissent les macropores et les diminuent en conséquence.

Mécanisme du gonflement au gel

     Le phénomène de gel dans les sols était connu dès le début du XIXè siècle. En effet, MacAdam (1816) a remarqué que le gonflement au gel à la surface des chaussées était dû à la formation des lentilles de glace et que l’eau nécessaire à leur formation provenait de l’infrastructure elle-même. Il appréhendait aussi le phénomène de la succion dans le sol qui explique cet apport d’eau. En 1907, Buckingham a décrit pour la première fois le phénomène de succion dans des sols non saturés (Buckingham, 1907). Il a défini le potentiel capillaire (ou potentiel sol-eau) comme le travail nécessaire pour extraire une quantité d’eau d’un sol. Par la suite, Taber (1929) et Beskow (1935) ont démontré et expliqué, au moyen d’essais de laboratoire, la migration de l’eau vers le front de gel et la formation des lentilles de glace dans des sols fins. En 1961, Everett a proposé la théorie de la capillarité, permettant d’expliquer la migration de l’eau vers le front de gel et la création de lentille de glace (Everett, 1961). La succion à la base de lentille de glace est le facteur principal entraînant cette migration. L’étude théorique d’Everett a été confortée à des travaux expérimentaux de Penner (1959) en termes de pression de gonflement. La théorie de la capillarité a été confirmée plus tard dans l’étude de Loch (1981) et de Chamberlain (1981). En 1977, Miller a montré que la théorie de capillarité présente le défaut de ne pas pouvoir expliquer la formation d’une nouvelle lentille de glace à une distance finie au-dessous de la lentille de glace antérieure (Miller, 1977). Miller (1978) a proposé la théorie de frange de géligonflement. Cette théorie considère la formation d’une frange de gel (la région partiellement gelée) entre le front de ségrégation et le front de gel, la succion et la conductivité hydraulique de cette frange de gel contrôlant le mouvement continu de l’eau de la partie non-gelée à travers cette région partiellement gelée, contribuant ainsi à la formation de lentilles de glace. La théorie de Miller (1978) a été confirmée par les travaux expérimentaux de Cold Region Research and Engineering Laboratoire USA (CRREL). Ensuite, Miller (1980), Konrad et Morgenstern (1980), Konrad et Duquennoi (1993), Nixon (1987), Fowler (1989), Nixon (1991), Michalowski (1993), Rempel et al. (2004) et Rempel (2007) ont continué à développer des modèles dans le cadre de la théorie de frange de gel. Parmi ces modèles, le modèle de Konrad et Morgenstern (1980) est le plus utilisé par les ingénieurs. La théorie de frange de gel explique de façon plausible la formation d’une ou des lentilles de glaces discrètes dans le sol gélif. Pourtant, les études expérimentales récentes de Takeda et Okamura (1997), Watanabe et Mizoguchi (1997) ont montré que dans quelques systèmes, la lentille de glace peut se former sans la présence de la frange de gel. Ainsi, Peppin et Style (2012) ont proposé le mécanisme de supercooling dans la théorie de capillarité. Selon ce mécanisme, la formation d’une nouvelle lentille de glace lie au processus de fracturation. Il considère que dans la région de supercooling devant une lentille de glace, une faille remplie de la glace se développe. Quand la pression exercée par la glace dans la faille atteint une valeur critique, la faille se développe vers une fissure ouverte, et la nouvelle lentille de glace se forme à partir de cette fissure.

Origine des fissures d’endommagement

     Les fissures concentriques sont expliquées par les phénomènes de dessication et de la formation des lentilles de glace dans le sol lors-que le front de gel pénétre dans l’éprouvette cylindrique. Le modèle schématique expliquant la formation des lentilles de glace dans l’éprouvette soumise à des cycles de gel/dégel est présenté sur la Figure V.13. Lors du gel dans le sol, le front de gel pénétre de l’extérieur vers l’intérieur de l’éprouvette, sous un gradient thermique entre le milieu de l’éprouvette, qui correspond à l’ordonnée z = 0 et l’abscisse Ti < 0°C, et la surface extérieure d’ordonnée z = 5 cm et d’abscisse Te > 0°C. Ce gradient thermique conduit à une migration de l’eau de la zone non-gelée (le centre de l’éprouvette) vers la zone gelée (l’extérieur de l’éprouvette), créant des lentilles de glace à l’arrière du front de gel. Ce phénomène est dénommé cryosuccion, et le sujet qui sera développé dans le chapitre VI (géligonflement). Comme discuté dans la partie V.1.4, ces lentilles de glace sont à l’origine du gonflement au gel, qui induit des pressions de gonflement interne dégradant les liaisons entre les grains de sol et provoquant des fissures. La Figure V.14 présente les températures au centre et à l’extérieur de l’éprouvette qui sont mesurées par les ondes thermiques pendant l’essai. Les données des sondes montrent que dans la période s’étalant entre 2 et 4 h à partir de l’application du gel, il y a une différence de température entre la surface extérieure (zone froide avec < 0°C) et le centre de l’éprouvette (zone chaude > 0°C). Sur la figure V.16 sont présentées les positions du front de gel, correspondant à trois moments différents t = 2 h, t = 2,5 h et t = 3 h à partir de l’application d’un cycle de gel/dégel. Un mouvement du front de gel de l’extérieur au centre de l’éprouvette est observé.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE I. BIBLIOGRAPHIE
I.1. Contexte général du traitement des sols à la chaux dans le domaine de géotechnique
I.2. Les processus physico-chimiques incités par la chaux
I.2.1. Hydratation et ionisation
I.2.2. Echange cationique
I.2.3. Réaction pouzzolanique
I.2.4. Carbonatation
I.3. Modification à court terme
I.3.1. Séchage
I.3.2. Floculation
I.3.2.1. Diminution de l’indice de plasticité
I.3.2.2. Amélioration des références de compactage
I.4. Stabilisation à long terme
I.4.1. Effet de la stabilisation sur la microstructure
I.4.2. Effet de la stabilisation sur la conductivité hydraulique
I.4.3. Effet de la stabilisation sur les performances mécaniques
I.5. Phénomène de gel dans le sol
I.5.1. Sensibilité des sols au gel et sa relation avec les phénomènes de gel
I.5.2. Mécanisme du gonflement au gel
I.5.2.1. La théorie capillaire (théorie primaire) du géligonflement
I.5.2.2. Théorie de frange de gel
I.5.3. Endommagement du sol dû aux cycles gel/dégel
I.5.3.1. Effet des cycles de gel/dégel sur la microstructure du sol
I.5.3.2. Effet des cycles de gel/dégel sur la conductivité hydraulique
I.5.3.3. Effet des cycles de gel/dégel sur la performance mécanique
I.5.3.4. Effet des cycles de gel/dégel sur la durabilité des sols traités
I.5.3.5. Modèle d’endommagement du sol par des cycles de gel/dégel
I.5.4. Développement des critères de gel
I.5.4.1. Les essais indirects
I.5.4.2. Les essais directs
I.5.5. Les travaux menés en France et le seuil empirique de la résistance au gel des sols traités à la chaux (GTS)
I.6. Conclusion
CHAPITRE II. TECHNIQUES EXPERIMENTALES
II.1. Préparation des sols
II.1.1. Ajustement de la teneur en eau pour la confection des échantillons de sols non traités
II.1.2. Ajustement de la teneur en eau du sol et malaxage du sol avec de la chaux pour la confection de l’échantillon de sol traité
II.2. Essais de caractérisations
II.2.1. Essais de caractérisation géotechnique et chimique
II.2.2. Analyse minéralogique par diffraction aux rayons X (DRX)
II.2.3. Détermination des dosages en chaux
II.3. Détermination des performances mécaniques
II.3.1. Essai de compression simple
II.3.2. Essai de compression diamétrale
II.3.3. Essai de détermination de Gmax en utilisant des capteurs piézo-électriques
II.3.4. Essai de Grindosonic pour déterminer Gmax et E0
II.3.5. Condition de confection des éprouvettes pour les essais des performances mécaniques
II.4. Analyse microstructurale
II.4.1. Analyse microstructurale par porosimétrie par intrusion de mercure (PIM)
II.4.1.1. Principe de l’essai
II.4.1.2. Préparation d’échantillons
II.4.1.3. Détermination des courbes de distribution porale
II.4.1.4. Détermination de la courbe de rétention d’eau à partir de la courbe de distribution porale
II.4.1.5. Déterminer de la conductivité hydraulique à l’état non-saturé à partir de la courbe de distribution porale
II.4.2. Analyse microstructurale par microscope électronique à balayage (MEB)
II.5. Détermination du comportement hydraulique
II.5.1. Courbe de rétention d’eau du sol
II.5.1.1. Méthode du papier filtre
II.5.1.2. Potentiomètre WP4
II.5.2. Conductivité hydraulique à l’état saturé
II.5.2.1. L’essai de perméabilité à charge variable dans l’œdomètre
II.5.2.2. L’essai de perméabilité à charge variable en utilisant le perméamètre
II.5.3. Conductivité hydraulique à l’état non saturé
II.5.3.1. Dispositifs d’essai
II.5.3.2. Procédure d’essai
II.5.4. Préparation des éprouvettes pour les essais hydrauliques
II.6. Essai de géligonflement
II.6.1. Principe et fondement de la technique
II.6.2. Dispositifs d’essai
II.6.3. Confection des éprouvettes
II.6.4. Procédure d’essai
II.7. Essai de cycles de gel/dégel
II.7.1. Principe de l’essai
II.7.2. Dispositifs d’essai
II.7.3. Confection des éprouvettes
II.7.4. Processus d’essai
II.8. La µ-Tomographie X pour étudier la dégradation interne de la structure d’une éprouvette de sol ayant subie des cycles gel/dégel
II.9. Conclusion
CHAPITRE III. CARACTERISATION DES MATERIAUX
III.1. Sols non-traités
III.1.1. Minéralogie des sols
III.1.2. Détermination de la nature du sol
III.1.3. Références de compactage
III.1.4. Composition chimique des sols
III.2. Chaux vive
III.3. Détermination des dosages en chaux
III.4. Sols traités
III.4.1. Sol A1 traité
III.4.1.1.Références de compactage
III.4.1.2.Evaluation de l’aptitude au traitement
III.4.2. Sol A2 traité
III.4.2.1.Références de compactage
III.4.2.2.Evaluation de l’aptitude
III.4.3. Sol A3 traité
III.4.3.1.Références de compactage
III.4.3.2.Evaluation de l’aptitude
III.4.4. Condition de compactage des éprouvettes
III.5. Programme d’essais
III.6. Conclusion
CHAPITRE IV.CARACTERISATIONS MECANIQUES ET HYDRAULIQUES DES SOLS TRAITES
IV.1. Performances mécaniques des sols traités
IV.1.1. Evolution de la résistance à la compression simple, Rc
IV.1.2. Evolution de la résistance à la traction Brésilienne, Rtb
IV.1.3. Evolution du module de cisaillement maximal, Gmax et du module d’élasticité tangentiel, E0
IV.1.4. Corrélation des performances mécaniques des sols traités
IV.1.5. Discussion
IV.1.5.1.Effet du traitement sur l’évolution des performances mécaniques
IV.1.5.2.Effet du mode de préparation sur le traitement du sol A3
IV.2. Effet du traitement sur la microstructure
IV.2.1. Sol A1 – limon peu argileux
IV.2.2. Sol A2-argile limoneuse
IV.2.3. Sol A3-argile très plastique
IV.2.4. Lien avec l’évolution des performances mécaniques
IV.3. Caractérisations hydrauliques des sols traités
IV.3.1. Caractérisations hydriques – courbes de rétention d’eau des sols traités
IV.3.2. Conductivité hydraulique des sols traités
IV.3.2.1.Conductivité hydraulique à l’état saturé
IV.3.2.2.Conductivité hydraulique à l’état non-saturé
IV.3.3. Effet du mode de compactage
IV.4. Conclusion
CHAPITRE V. GELIFRACTION
V.1. Coefficient de résistance des sols traités à la chaux après 10 cycles de gel/dégel 
V.1.1. Sol A1 – limon peu plastique
V.1.2. Sol A2 – argile limoneuse
V.1.3. Sol A3 – argile très plastique
V.1.4. Effets du traitement sur la gélivité des sols
V.2. Effet du nombre de cycles de gel/dégel
V.3. Dégradation de la microstructure des sols par des cycles de gel/dégel 
V.3.1. Observation des endommagements
V.3.2. Origine des fissures d’endommagement
V.3.3. Evaluation quantitative de l’endommagement dû aux cycles de gel/dégel
V.4. Modèle d’endommagement des sols
V.5. Conclusion
CHAPITRE VI. GELIGONFLEMENT
VI.1. Sensibilité au gel des sols non-traités et traités
VI.1.1. Sol A1-limon peu plastique
VI.1.2. Sol A2 – argile limoneuse
VI.1.3. Sol A3 – argile très plastique
VI.2. Discussion
VI.3. Mécanisme et modèle de géligonflement
VI.3.1. Mécanisme du phénomène de géligonflement
VI.3.2. Modèle de géligonflement
VI.3.2.1.Détermination du front de gel
VI.3.2.2.Détermination de la succion au front de gel
VI.3.2.3.Détermination de la conductivité hydraulique des sols
VI.3.2.4.Calcul du gonflement au gel
VI.4. Discussion
VI.5. Proposition d’un critère de sensibilité au gel
VI.6. Conclusion
CONCLUSION GENERALE
PERSPECTIVES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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