Sport et école : espaces locaux structurés et hiérarchisés

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Des structures plurielles

Avant d’interroger les sections sportives scolaires, il convient de définir ce à quoi nous faisons référence. Réservées aux établissements publics ou privés du second degré, elles sont actuellement inscrites au projet d’établissement. Il relève de la responsabilité du recteur d’en autoriser l’ouverture après transmission d’un dossier soutenu par le chef d’établissement, un enseignant coordonnateur et voté au conseil d’administration. Il est nécessaire pour mieux les appréhender de situer temporellement leurs évolutions. Ces dispositifs portent en effet la marque de quarante années d’évolutions.

Liens de parenté

Les SSS sont l’une des branches descendantes des sections « sport-études » (SSE). La création de celles-ci il y a une quarantaine d’années (Ministère de l’Éducation nationale [MEN], 1973, 1974) s’inscrit dans la volonté du ministère de l’Éducation nationale « d’accompagner les politiques du sport de haut niveau » (Inspection générale de l’Éducation nationale [IGEN] et Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche [IGAEN], 2008, p. 3)3. La volonté d’affiliation au domaine du sport de haut niveau est donc explicite (IGEN, Inspection générale de la Jeunesse et des Sports [IGJS] et IGAENR, 2012, p. 3). L’hybridation actuelle prend ici tout son sens puisque les sections sportives d’aujourd’hui sont les descendantes directes de ces SSE.
La séparation nette entre les dispositifs scolaires et les dispositifs du sport de haut niveau trouve son origine dans le courant des années 90. La circulaire n°95-244 MEN du 7 novembre 1995 et n°95-174 Jeunesse et Sports (JS) du 12 octobre 1995 marque la dissociation des filières de haut niveau du dispositif des sections « sport-études ». Les pôles « France » et « espoirs » naissent sous la tutelle du ministère des sports. De son côté, le ministère de l’éducation nationale va trouver une continuité grâce aux sections sportives scolaires (Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche [MENESR], 1996). Cette période est à l’origine d’un véritable schisme. La spécificité scolaire des SSS est affirmée.
Rapport de l’IGEN et de l’IGAEN sur les sections sportives scolaires (2008, p. 11) : « Les sections sportives scolaires ne s’inscrivent pas dans les filières du haut niveau (la circulaire précise d’ailleurs que les sections sport-études intégrées dans des Pôles France ou Espoirs perdent la dénomination de sections sportives scolaires) – la finalité est bien de pratiquer plus de sport que les autres élèves dans un cadre d’études aménagé mais pas différent. »
Les sections « sport-études », ancêtres communs avec les filières de haut niveau, subsistent alors naturellement au sein des sections sportives scolaires. Les marques sportives des SSS sont un héritage de cette période. Ce passif nous amène aujourd’hui, entre autres, à une diversité de structures différentes – tant par leurs histoires, que par leurs organisations ou leurs finalités. Or, ces disparités contribuent à renforcer le flou autour de dispositifs qui portent déjà en eux-mêmes une ambiguïté. Ce manque de lisibilité interroge : « faut-il y voir un signe de l’adaptabilité du système éducatif secondaire à la diversité des élèves et à leur environnement, ou (…) la percevoir comme source de dérives (…) ? » (IGEN et IGAEN, 2008, p. 5)
Concrètement, ces interrogations émergent de la bipolarité instituée du dispositif : d’un côté, des sections à ambitions sportives permettant un accroissement de la pratique sportive sans bousculer radicalement l’emploi du temps scolaire (MENESR, 1996) ; d’un autre côté, des sections à caractère éducatif favorisant la réussite et la valorisation grâce au sport (Ministère de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche [MJENR], 2002). Cela induit par conséquent des rapports entre les mondes sportif et scolaire inégaux. L’institution sportive sera de manière évidente plus encline à s’appuyer sur une section sportive scolaire à vocation sportive, l’homologie avec ses intérêts étant plus forte. Quoi qu’il en soit, la diversité des sections sportives s’inscrit sur un continuum allant de l’hégémonie sportive – proche du modèle des structures de haut niveau – à l’hégémonie scolaire – où le sport devient un support éducatif. Cette dualité est sujette à questionnement.
Rapport de l’IGEN et de l’IGAEN sur les sections sportives scolaires (2008, p. 12) : « Au plan du principe, il n’est pas surprenant qu’un dispositif à vocation aussi large que celle des sections sportives et à gestion déconcentrée au niveau académique génère des situations très différentes. Ce qui l’est plus c’est que l’on ait poussé cette diversité jusqu’à perdre tout repère lorsque l’on parle de section sportive scolaire. Les pratiques ont en effet accentué la diversité, aussi bien dans la conception même de ce qu’est une telle section que dans ce qu’elle recouvre concrètement. »

Gestion décentralisée

Cette pluralité est accentuée par les divergences rectorales en matière de politique académique. La décision quant à l’ouverture, la fermeture ou le maintien d’une structure appartient au Recteur. En outre, les textes institutionnels successifs autorisent la coexistence de structures disparates sous une terminologie identique. Ainsi, libre à chacun des Recteurs de placer le curseur sur le continuum selon son gré.
À cet effet, le rapport des IGEN et IGAEN (2008) relate diverses particularités pour l’académie de Nantes.
Bien que la catégorisation des sections sportives scolaires différenciant les échelles géographiques de recrutement ait été révoquée par la circulaire n°96-291 du 13 décembre 1996, le découpage en sections sportives locales (SSL), sections sportives départementales (SSD) et sections sportives régionales (SSR) a été maintenu (IGEN et IGAEN, 2008, p. 12). Cette hiérarchisation sera de rigueur jusqu’en 2011. Cela a permis de traiter différemment les SSS selon leur statut. Simplement, les décisions d’ouverture de SSL « sont prises par les seuls conseils d’administration des collèges » tandis que les demandes d’ouverture de SSD et de SSR « sont examiné[e]s par une commission académique » (IGEN et IGAEN, 2008, p. 19).
Les rapports aux partenariats sont également différenciés selon l’académie support. À Nantes, « le partenariat avec un club civil ou un comité sportif, et donc une vocation d’abord sportive, [est privilégié] pour autoriser la création de nouvelles sections » (IGEN et IGAEN, 2008, p. 13). Il est même désormais obligatoire pour toutes les sections sportives scolaires de mettre en place une convention de partenariat avec la ligue sportive correspondante (Rectorat de Nantes, 2019). D’ailleurs, les subventions de fonctionnement ne sont octroyées qu’à condition que la SSS soit à vocation sportive et que le recrutement s’organise à minima à l’échelle départementale. (IGEN et IGAEN, 2008, p. 25).
Ces injonctions conditionnent donc la diversification des dispositifs à l’échelle nationale. Qui plus est, les particularités académiques font apparaître des spécificités locales dans la gestion du rapport sport/école lourdes de sens. Cette seconde échelle complexifie alors encore davantage le déchiffrage de cet intitulé unique de « section sportive scolaire ».

Marchés parallèles

Les sections sportives scolaires sont d’autant plus insaisissables qu’elles se confondent à d’autres dispositifs ne possédant pas l’agrément « SSS ». Aux finalités proches, ceux-ci peuvent emprunter – même partiellement – les fonctions des SSS et leurs modes de fonctionnement.
Le football se positionne comme un cas particulier et inédit. La Fédération Française de Football (FFF) est à l’initiative de son propre label « section sportive scolaire » ou « classe football ». Elle « a ses propres critères (…) indépendant[s] de [ceux des] rectorats et diffuse parmi les clubs et parmi ses licenciés une information basée sur son classement personnel » (IGEN et IGAEN, 2008, p. 13). Pour la saison 2019-2020, la fédération a officialisé 918 sections sportives scolaires labellisées, masculines et féminines, – dont 720 en collèges et 198 en lycées – pour un total de 27 000 élèves (Vignal, 2019, paragr. 2). Le football, discipline sportive support de près de 20% des sections sportives habilitées par les recteurs en 20084, est le plus représenté parmi la diversité des activités proposées (IGEN et IGAEN, 2008, p. 13).
La politique fédérale de la FFF consiste à clairement distinguer les structures de formation d’élite – pôles et centres de formation –, des sections sportives scolaires. Leurs vocations diffèrent largement : formation et reproduction du monde du football professionnel pour les premiers ; développement et enrichissement du monde du football amateur pour les secondes (IGEN et IGAEN, 2008, p. 16). En cela, l’institution football se place en tant que régulateur de ses propres structures et pourrait tendre à une autonomie structurelle. Cela positionne le football comme un agent d’influence capable de partenariats spécifiques avec les établissements scolaires. Il se situe ici comme une variable de complexification de l’organisation de l’espace interpénétré du sport à l’école. En fixant ses propres critères, la FFF construit des structures répondant à ses propres volontés. Elle attend « du ministère de l’éducation nationale (…) des aménagements horaires, les structures associatives pouvant prendre en charge tous les aspects sportifs et médicaux » (IGEN et IGAEN, 2008, p. 16). Ainsi, ces deux certifications se trouvent être en opposition. Elles prolongent ici le continuum en plaçant en parallèle deux dispositifs qui se ressemblent, qui poursuivent des finalités qui se croisent mais qui sont régies par des mondes cherchant à retirer des bénéfices incompatibles.
Il existe enfin d’autres dispositifs scolaires qui permettent la pratique optionnelle à des fins de perfectionnement ou d’inclusion. Ceux-ci sont des initiatives locales et sont inscrits au sein du projet d’établissement. Que ce soit au travers des classes à horaires aménagés (CHA), des ateliers sportifs ou des activités sportives optionnelles, la (ou les) spécificité(s) initiale(s) des sections sportives scolaires se trouve(nt) diluée(s) dans une multitude de structures trouvant les moyens de leurs ambitions. Les ponts entre tous ces dispositifs conduisent par exemple à ce que « d’anciennes classes à horaires aménagés [soient] désormais labellisées sections sportives » (IGEN et IGAEN, 2008, p. 13).
Au regard d’une construction initiée au milieu des années 70, les sections sportives scolaires sont marquées par un système concurrentiel institué entre sport et école qui est à l’origine à la fois de sa richesse et de ses dérives. Alors qu’elles sont a priori identiques sous une terminologie commune, leur complexité et leur lisibilité prennent tout leur sens au regard d’un contexte déterminé. Il est donc important de profiter de cette diversité offrant une cohérence relative pour enrichir une analyse localisée. Penser les sections sportives scolaires au regard de l’unique dispositif rectoral reviendrait à ne prendre en compte qu’une partie des sections sportives – quelles que soient leurs finalités ou leurs instigateurs. Autrement dit, ignorer l’existence de sections sportives football « labellisées fédération » et de sections sportives « clandestines »5 au profit des seules « sections sportives scolaires » reviendrait à étudier partiellement le sous-espace qui s’ouvre à nous. Cette analyse ne peut alors prendre son épaisseur qu’une fois les agents impliqués biens définis.6

Sport et école : espaces locaux structurés et hiérarchisés

Champ et espace local

Il est aujourd’hui commun dans les travaux sociologiques de penser la réalité sociale qui nous entoure en termes d’espace social. Issu notamment des réflexions Bourdieusiennes, ce mode de pensée s’appuie sur un corps de concepts dont la notion de champ fait partie7. Réfléchir en termes de champ, « c’est penser le monde social comme un espace dont les différents éléments ne peuvent pas être pensés en dehors de leur position dans cet espace » (Bourdieu, 2016, p. 23). Plus qu’une approche structuraliste, elle consiste à construire un espace de relations sociales (Bourdieu, 2013, p. 12). En relation d’interdépendance avec le capital, l’espace social est un lieu de lutte structuré par la quantité de capital spécifique que les agents possèdent.
« Les champs se présentent à l’appréhension synchronique comme des espaces structurés de positions (ou de postes) dont les propriétés dépendent de leur position dans ces espaces et qui peuvent être analysées indépendamment des caractéristiques de leurs occupants (en partie déterminées par elles). » (Bourdieu, 2002, p. 113)
Il est courant de penser le monde sportif (Bourdieu, 2002; Defrance, 2000; Faure et Suaud, 1994), tout comme le monde scolaire (Duru-Bellat, Farges et van Zanten, 2018; Felouzis, Maroy et van Zanten, 2013; Maroy et Reguleduc, 2006), selon une logique de champ. Cela signifie que les principes évoqués précédemment s’y appliquent. Cela nous offre ainsi une grille de lecture de ce qu’il se passe au sein des espaces scolaires et sportifs. En souhaitant dans notre cas concrétiser localement notre analyse, il nous parait pertinent d’avoir à l’esprit les logiques des champs qui régissent l’espace commun dans lequel notre étude va s’ancrer. En ce sens, et à la manière de l’espace politique local (Koebel, 2009, p. 43‑44), l’espace scolaire local et l’espace sportif local sont « des lieux et (…) des formes d’expression du champ (…), en étant soumis aux mêmes règles du jeu et aux mêmes enjeux, même si leur déclinaison donne lieu à des variantes. »8
L’espace local dans lequel le présent mémoire se projette est la ville de La Roche-sur-Yon (LRSY) en Vendée. Chef-lieu du département, elle accueille en son sein le plus grand nombre d’établissements scolaires du second degré à l’échelle de la Vendée.9 Quinze établissements – publics ou privés, collèges ou lycées, généraux ou professionnels – sont répartis sur le territoire communal. Huit d’entre eux sont des lycées parmi lesquels sept proposent une formation générale et technologique. Cinq lycées sur huit sont des établissements publics locaux d’enseignement (EPLE) ; tandis que trois lycées sur huit sont des établissements d’enseignement privés sous contrat.10 Nous nous intéresserons plus précisément au lycée d’enseignement général et technologique (LGT) Pierre Mendes-France et au lycée polyvalent (LPO) Notre Dame du Roc. Les clubs de football de La Roche-sur-Yon sont sous l’égide du district de Vendée de football. Au nombre de quatre, ils sont répartis sur le territoire et leurs équipes premières jouent à des niveaux distincts allant du championnat de France de National 3 au championnat de deuxième division de district.11

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Table des matières

Introduction
1. Un dispositif, deux mondes, des ambiguïtés
2. Des structures plurielles
3. Sport et école : espaces locaux structurés et hiérarchisés
4. Quid des sections sportives scolaires locales ?
5. À la croisée des mondes
Partie 1. Sésame, ouvre-toi
1. Aux commandes, les sportifs
2. Prêcher des convertis
3. Imbrication aux stratégies familiales
4. Effets de prédispositions territoriales
5. Conclusion
Partie 2. Un échange de bons procédés
1. Vitrine ouverte et modus operandi
2. Ad vitam æternam
3. Le nerf de la guerre ?
4. Conclusion
Partie 3. Le recrutement, un transfert de force
1. Sollicitation des logistiques institutionnelles
2. Le couple parfait
3. Comme des grands
4. Conclusion
Partie 4. Le sens des priorités
1. Subordination incorporée
2. La triple sélection scolaire
3. L’art du minimalisme
4. Conclusion
Conclusion générale
Bibliographie

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