Symbiose légumineuses-rhizobia
Le terme symbiose a été utilisé pour la première fois par Heinrich Anton de Bary en 1879, un botaniste allemand, pour décrire les relations entre les champignons et les algues dans la formation de lichens. Il a évoqué «la cohabitation de deux organismes différents, souvent en association intime et le plus souvent au profit d’au moins l’un d’eux ». Aujourd’hui, l’utilisation du terme englobe les relations bénéfiques, nuisibles et neutres qui peuvent changer au fil du temps pour tout ensemble de partenaires (Relman, 2008). Les aptitudes des symbiotes peuvent élargir le répertoire physiologique d’un hôte, en lui permettant d’envahir de nouvelles niches métaboliques et écologiques (Stewart et al., 2005).
Spécifité de la symbiose et mode d’infection des rhizobia
La capacité d’une plante à contracter une symbiose fixatrice d’azote avec les rhizobia est restreinte aux légumineuses avec une seule exception ; le genre Parasponia de la famille des Ulmaceae. Les associations rhizobia-plantes sont spécifiques ce qui fait qu’une bactérie donnée ne peut former des nodosités qu’avec un nombre défini de plantes (Young & Johnston, 1989). Cependant, le degré de spécifité varie. Certains rhizobia comme R. meliloti et R. leguminosarum bv. Trifolii ont un spectre d’hôte de nodulation faible. En revanche, quelques souches ont un large spectre d’hôte ; par exemple Rhizobium sp. NGR234 forme des nodosités avec plus de 70 genres de légumineuses et même avec la non légumineuse Parasponia (Fellay et al., 1995). Les rhizobia peuvent infecter leurs hôtes par des mécanismes variés. Récemment, Sprent (2007) a défini trois différents modes d’entrée des rhizobia dans les tissus racinaires de la plante que sont l’infection par l’invasion des poils absorbants, le crack entry et l’infection de l’épiderme. Ainsi la formation d’un primordium nodulaire implique la dédifférenciation et la réactivation des cellules corticales de la racine (Madsen et al., 2010). Le cordon d’infection est invasif et traverse plusieurs cellules dans le cortex racinaire pour atteindre les cellules nouvellement divisées (Fig. 7 a-d) : a) les stades de l’infection des poils absorbants par les rhizobia et la croissance d’une nodosité sur les racines ; b) un cordon d’infection normal est observé initié à partir du poil absorbant de Pisum sativum qui se penche sur lui-même et les bactéries piégées pour former un foyer d’infection. Le fil de l’infection (indiqué par une flèche) s’est développé à partir du point d’infection. c) Certains mutants de R. leguminosarum biovar viciae forment un foyer d’infection, mais ne forment pas un cordon d’infection comme on le montre ici avec un nodO et nodE double mutant de R. leguminosarum biovar viciae (Walker & Downie, 2000). d) les cordons d’infection sont invasives et grandissent à travers les cellules de la racine vers le primordium nodulaire qui se développe. Lorsqu’elles atteignent ces cellules, les bactéries se bourgeonnent dans le cytoplasme et se trouvent ainsi enveloppées par une membrane de la plante. Dans le cytoplasme, les bactéries ainsi agrandies et différenciées sous la forme capable de fixer l’azote sont nommées bactéroïdes. Le complexe formé par les bactéroïdes qui sont entourées par la membrane spécialisée de la plante est appelé symbiosome (Oldroyd & Downie, 2004).
Etablissement de la symbiose
Les bactéries infectent les tiges et/ou les racines des plantes qui forment des nodosités puis s’associent à ces derniers. La symbiose entre les légumineuses et les rhizobia consiste en une infection bactérienne non-pathogénique sur un organisme multicellulaire. Le développement des nodosités fixatrices d’azote est contrôlé par le programme génétique de l’hôte (Madsen et al., 2010). Dans la symbiose fixatrice d’azote, les gènes bactériens dits de nodulation, qui comprennent les gènes de structure et les gènes régulateurs, jouent un rôle central dans ce dialogue. La nodulation des légumineuses par les rhizobia est donc contrôlée par un ensemble de gènes de nodulation bactériens (nod) impliqués dans la production de lipochitooligosaccharides (facteurs Nod) qui jouent un rôle de molécules signals pour la nodulation spécifique des légumineuses hôtes (Lerouge et al., 1990; Spaink et al., 1991).
Les gènes de nodulation des rhizobia
La génétique moléculaire combinée à l’étude du comportement symbiotique de souches mutantes de bactéries ont conduit à l’identification des gènes de nodulation (nod, nol et noe) nécessaires à l’infection, à la formation des nodosités et au contrôle de la spécifité de l’hôte (Denarie et al., 1992; van Rhijn & Vanderleyden, 1995). Les gènes régulateurs et structuraux de la nodulation sont impliqués dans les échanges de signaux qui se déroulent durant les premières étapes de la symbiose (Fisher & Long, 1992; Fellay et al., 1995).
Les gènes nod régulateurs
A la présence des signaux de la plante, généralement les flavonoïdes excrétés dans les exsudats racinaires de la plante, les proteines NodD activent la transcription des gènes structuraux de la nodulation. Chez plusieurs espèces, une multitude de copies de gènes nodD sont présents, codants pour les protéines régulatrices qui sont activées par différents signaux de plantes ou environnementaux (Denarie et al., 1992; Fellay et al., 1995). La majeure partie des rhizobia ont des copies multiples de gènes nodD et cette variation allélique permet une meilleure modulation du niveau d’expression des gènes en réponse à la diversité des signaux de la plante et de l’environnement. Cette activation des protéines nod régulatrices par diverses signaux de plantes constitue le premier niveau de contrôle de la spécifité de l’hôte (Denarie et al., 1992; van Rhijn & Vanderleyden, 1995).
Les gènes nod structuraux
Les gènes nod structuraux peuvent être divisés en deux groupes. Les gènes nod ABC appelés ainsi du fait qu’ils sont présents chez toutes les espèces de rhizobium. Ils jouent un rôle essentiel comme en témoigne le fait que leur inactivation entraine une perte totale de la capacité de la plante à provoquer une réaction détectable, indépendamment de l’hôte. Le second groupe comprend les gènes nod présents en combinaison variables dans différentes espèces ou biovars. La mutation de ces gènes nod entraine une altération dans le spectre d’hôte de la nodulation (Denarie et al., 1996). La variation de la structure des facteurs Nod entre les espèces implique des mécanismes génétiques variés affectant essentiellement les gènes nod structuraux. Chaque espèce ou biovar contient une combinaison non allélique de gènes qui sont présents dans certaines espèces, absents dans d’autres comme nodH, nodL, nodX, nodSU et nodZ et, qui contrôlent des substitutions spécifiques sur le squelette de chitooligosaccharides. Un autre mécanisme de variation non allélique est observé chez quelques souches chez les quelles certains gènes peuvent être présents mais sont inactifs du fait d’un réarrangement génétique (Denarie et al., 1996). L’expression des gènes structuraux conduit à la production de signaux bactériens extracellulaires, appelés facteurs Nod, qui jouent un rôle essentiel dans le processus de l’infection et l’organogenèse des nodosités. Les facteurs Nod synthétisés par toutes les espèces de rhizobia appartiennent à la même famille chimique: ce sont des mono N-chitooligosaccharides acylés souvent penta et tétramères (Denarie et al., 1996). De nombreux facteurs Nod de différentes espèces de rhizobia ont été identifiés et ont montré une différence en ce qui concerne le nombre de résidus de glucosamine, la longueur et la saturation de la chaîne acyle et la nature des modifications sur le squelette de base (Denarie et al., 1996; Downie, 1998). En définitive, le spectre d’hôte des rhizobia dépend dans une très large mesure de la structure des facteurs Nod. Cependant, la variation quantitative dans la production des facteurs Nod semble influencer le spectre d’hôte (Relic et al., 1994). Les facteurs Nod induisent différentes réponses de la part de la racine comme les déformations des poils absorbants, la dépolarisation du potentiel de la membrane et la formation du primordium nodulaire (Heidstra & Bisseling, 1996).
Rôle des facteurs Nod dans la nodulation
De son côté, la plante répondrait aux signaux bactériens par l’intermédiaire de récepteurs des facteurs Nod spécifiques. Il y aurait là un troisième niveau de spécificité qui implique très précisément la plante. La plante hôte serait capable de percevoir les facteurs Nod à des concentrations aussi basses que 10⁻¹²M, ce qui indique qu’ils devraient se lier à un récepteur Nod-facteur de haute affinité chez la plante (Oldroyd & Downie, 2004). La spécificité ne dépendrait donc pas exclusivement de la structure des facteurs Nod, mais aussi des récepteurs végétaux. En d’autres termes, la spécificité serait aussi contrôlée par la plante. Cependant, les connaissances sont limitées sur les récepteurs des signaux moléculaires (facteurs Nod) émis par les bactéries. Ce rôle de la plante ne concerne pas seulement la spécificité de ses relations avec le rhizobium mais aussi les divers mécanismes d’infection et de l’anatomie des nodosités. Le rôle de la bactérie serait d’activer le programme génétique de la plante par la voie des signaux émis. Depuis 1990, l’identification du récepteur des facteurs Nod de la plante a été un objectif central de la recherche. Des travaux de Radutoiu et al. (2003) et un rapport dans Science par Limpens et al. (2003) décrivent maintenant une nouvelle classe de récepteurs kinases qui pourraient constituer le récepteur des facteurs Nod. Les kinases sont des enzymes qui ajoutent des groupements phosphates à d’autres protéines. Elles agissent comme des interrupteurs moléculaires, qui activent des enzymes ou des voies de signalisation activées ou désactivées. Radutoiu et al. (2003), travaillant sur les mutants de la légumineuse Lotus japonicus, ont montré que les plantes avec une mutation de deux gènes, NFR1 et NFR5, ne répondaient pas aux facteurs Nod et n’étaient pas infectées par les rhizobia. Les protéines NFR1 et NFR5 sont donc clairement importantes durant les premières phases de l’interaction plante-rhizobium .
|
Table des matières
1. INTRODUCTION GENERALE
1.1. CONTEXTE DE L’ETUDE
1.2. PLAN DE LA THESE
2. CHAPITRE I : REVUE BIBLIOGRAPHIQUE
2.1. LES LEGUMINEUSES
2.1.1. Généralités sur les légumineuses
2.1.2. Impact de l’inoculation rhizobienne sur les légumineuses
2.1.3. Acacia senegal
2.2. TAXONOMIE BACTERIENNE
2.2.1. Méthodes génotypiques
2.2.2. Les rhizobia
2.3. SYMBIOSE LEGUMINEUSES-RHIZOBIA
2.3.1. Spécifité de la symbiose et mode d’infection des rhizobia
2.3.2. Etablissement de la symbiose
2.3.3. Autorégulation de la nodulation par la légumineuse
2.3.4. Fonctionnement de la symbiose fixatrice de N2
2.4. CONTRAINTES ENVIRONNEMENTALES SUR LA FIXATION BIOLOGIQUE DE L’AZOTE
2.4.1. Influence des caractéristiques du sol
2.4.2. Influence des facteurs climatiques
2.5. SYMBIOSE MYCORHIZIENNE
2.6. COMMUNAUTES MICROBIENNES DU SOL
2.6.1. Diversité génétique de la communauté microbienne
2.6.2. Diversité fonctionnelle de la communauté microbienne
2.6.3. Activité de la communauté microbienne du sol
3. CHAPITRE II : DISTRIBUTION ET DIVERSITE DES POPULATIONS DE RHIZOBIUM DES ZONES ARIDES ET SEMIARIDES DU SENEGAL ASSOCIEES A DIFFERENTES PROVENANCES D’ACACIA SENEGAL (L.) WILLD
3.1. INTRODUCTION
3.2. DEMARCHE EXPERIMENTALE
3.2.1. Caractéristiques physico-chimiques et microbiologiques des sols
3.2.2. Piégeage des rhizobia
3.2.3. Isolement des rhizobia
3.2.4. Caractérisation de la diversité des isolats de rhizobium nodulant A. senegal dans les zones arides et semi-arides du Sénégal
3.3. RESULTATS
3.3.1. Caractéristiques physico-chimiques et microbiologiques des sols
3.3.2. Piégeage des rhizobia du sol
3.3.3. Diversité génétique des souches de rhizobium nodulant A. senegal dans les zones arides et semiarides du Sénégal
3.3.4. Diversité phénotypique des rhizobia nodulant A. senegal dans les zones arides et semi-arides du Sénégal
3.3.5. Diversité symbiotique des souches de rhizobium nodulant A. senegal dans les zones arides et semiarides du Sénégal
3.4. DISCUSSION
3.5. CONCLUSION
4. CHAPITRE III : IMPACT DE L’INOCULATION AVEC DES SOUCHES DE RHIZOBIUM SELECTIONNEES SUR LA CROISSANCE DES PLANTS D’A. SENEGAL (L.) WILLD. ET LA DIVERSITE DES COMMUNAUTES BACTERIENNES ET LE BIO-FONCTIONNEMENT DU SOL RHIZOSPHERIQUE
4.1. INTRODUCTION
4.2. DEMARCHE EXPERIMENTALE
4.2.1. Germination des graines d’A. senegal
4.2.2. Inoculation des rhizobia
4.2.3. Dispositif expérimental
4.2.4. Analyse minérale des plants
4.2.5. Analyse de l’effet de l’inoculation sur la structure et la diversité de la communauté bactérienne rhizosphèrique
4.2.6. Mesure de l’effet de l’inoculation sur l’activité microbienne totale du sol rhizosphèrique
4.2.7. Analyse statistique
4.3. RESULTATS
4.3.1. Effet de l’inoculation rhizobienne sur la croissance et la nodulation des plants d’A. senegal
4.3.2. Impact de l’inoculation sur la communauté microbienne du sol rhizosphèrique
4.4. DISCUSSION
4.5. CONCLUSION
5. CHAPITRE IV : IMPACT DE L’INOCULATION AVEC DES MICROORGANISMES SYMBIOTIQUES SELECTIONNES SUR LA PRODUCTION DE GOMME ARABIQUE DES ARBRES ADULTES D’A. SENEGAL ET L’ACTIVITE MICROBIENNE TOTALE DU SOL RHIZOSPHERIQUE
5.1. INTRODUCTION
5.2. DEMARCHE EXPERIMENTALE
5.2.1. Dispositif expérimental
5.2.2. Inoculation des arbres adultes
5.2.3. Saignée des arbres et récolte de la gomme arabique
5.2.4. Mesure de l’activité microbienne totale du sol rhizosphèrique des arbres d’A. senegal
5.2.5. Analyse statistique des données
5.3. RESULTATS
5.3.1. Effet de l’inoculation sur la production de gomme arabique par les arbres adultes d’A. senegal
5.3.2. Effet de l’inoculation sur l’activité microbienne totale du sol rhizosphérique des arbres adultes d’A. senegal
5.3.3. Corrélations entre le type d’inoculation et la production de gomme par les arbres adultes d’A. senegal
5.4. DISCUSSION
5.5. CONCLUSION
6. DISCUSSION GENERALE
6.1. IL EXISTE UNE CORRELATION ENTRE LES CARACTERISTIQUES DU SOL ET LA DIVERSITE DES RHIZOBIA
6.2. LES CARACTERISTIQUES DU SOL INFLUENCENT LA CROISSANCE DES PLANTS, LA PRODUCTION DE GOMME ARABIQUE PAR LES ARBRES ET LA COMMUNAUTE MICROBIENNE DU SOL APRES INOCULATION
6.3. LA PROVENANCE D’A. SENEGAL IMPACTE SUR LA CROISSANCE DES PLANTS ET LA COMMUNAUTE MICROBIENNE DU SOL APRES INOCULATION
7. CONCLUSION GENERALE ET PERSPECTIVES
8. ANNEXE