Spécificités et complexité du système aéronautique militaire

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Différents usages du savoir dans la résolution d’un problème

Considérant notre problématique initiale, la question essentielle à renseigner concernant les savoirs est celle de leur utilité dans la résolution de problèmes. Pour cela, une catégorisation des savoirs basée sur leurs usages est proposée.

Savoirs analytiques et opératifs

L’usage des savoirs analytiques et opératifs a été identifié dans le champ de la didactique professionnelle, discipline qui étudie le rôle des espaces dédiés à la formation et celui des formateurs (Wagemann & Percier, 1995 ou Rogalski & Marquié, 2004). Dans ce type d’interactions didactiques, deux types de savoirs doivent être fournies à l’élève pour lui permettre de résoudre de nouveaux problèmes : des savoirs analytiques et des savoirs opératifs. L’ensemble de ces deux types de savoirs permet à l’élève à la fois de diagnostiquer l’état du système (phase analytique) mais aussi de construire des solutions et de sélectionner la plus adéquate (phase opérative).
Ces deux phases se construisent mutuellement face à la situation problématique (Rasmussen, 1986). Elles permettent à l’opérateur de résoudre un problème et de construire une stratégie adaptée à la classe de situations clairement identifiées : pour agir dans tel type de situation, l’opérateur rassemble les informations disponibles afin de construire une stratégie nouvelle puis de la mettre en œuvre. Ces savoirs sont donc bien identifiables en tant que ressources utilisables pour la gestion des risques.
Les deux usages exposés ici (analytique et opératif) peuvent correspondre à l’usage fait d’un savoir épisodique. En effet, le savoir épisodique concerne un épisode particulier de l’expérience qui est mémorisé pour son caractère spécifique, c’est-à-dire pour le fait qu’il revêt un certain intérêt pour l’individu qui y est confronté. Ce caractère spécifique qui discrimine cet épisode laisse supposer qu’il concerne un aspect mémorable de l’activité.
C’est le cas le plus souvent des résolutions de problème dans la mesure où les activités liées à l’application de règles ou d’automatismes mobilisent moins l’opérateur (Rasmussen 1986) car ces séquences sont répétées voire répétitives. L’opérateur n’a donc pas d’intérêt à les mémoriser en tant qu’épisodes particuliers.
Dans le cas des résolutions de problème on sait que l’individu raisonne à un niveau d’activité cognitive où il doit élaborer une nouvelle stratégie à partir des ressources qu’il a à sa disposition pour résoudre le problème posé (Rasmussen & al. 1990). Or l’élaboration de cette stratégie implique une phase analytique et une phase opérative. Un savoir utilisé dans une phase analytique ou dans une phase opérative de résolution de problèmes est donc un savoir créé initialement à l’occasion d’un épisode spécifique, autrement dit un savoir épisodique.

Savoirs réflexifs

Selon le sens donné au concept de métaconnaissance, celui-ci peut être confondu avec le concept de savoir réflexif en tant que savoir sur soi. Les métaconnaissances sont en effet par nature des savoirs réflexifs. Précisons cependant que les métaconnaissances constituent un type de savoirs (des savoirs que possède l’individu sur lui-même) alors que les savoirs réflexifs correspondent à un certain usage : s’ils peuvent concerner souvent l’individu et son fonctionnement, ils constituent surtout des ressources à la disposition de l’individu pour tirer parti de son expérience. Les savoirs réflexifs peuvent également concerner la mise en place d’une analyse systématique de l’expérience, ou la généralisation d’une règle à des situations proches d’une situation vécue.
Ces savoirs visent l’amélioration des ressources grâce à un processus d’analyse de la pratique pour renforcer l’efficacité des stratégies de l’opérateur. Autrement dit, le savoir réflexif est un savoir construit à partir des spécificités et de l’expérience de l’individu dans le but de rendre plus efficace ses opérations de résolution de problèmes. Or les savoirs épisodiques concernent l’expérience, que celle-ci soit directement vécue, ou qu’elle soit indirecte dans le cas d’un épisode raconté. Il est donc envisageable que les savoirs épisodiques soient les supports de l’activité réflexive de l’individu.

Multiplicité des formes et usages des épisodes

Multiplicité des formes et caractéristiques des épisodes

Les savoirs épisodiques sont liés à des épisodes stockés en mémoire par l’individu. L’épisode peut être défini comme un événement remarquable, c’est à dire une expérience « saillante » qui se détache de la masse des autres épisodes stockés dans la mémoire par son caractère particulièrement inhabituel, dramatique, risqué, impliquant, etc.
Plusieurs formes d’épisodes existent : ces épisodes peuvent être composés de faits réels ou imaginaires, avoir été vécues ou non par ceux qui les racontent, être entendues ou lues, avoir recours aux symboles ou au contraire être de compréhension immédiate, etc. Ils sont plus ou moins proches de l’événement remarquable qui a motivé leur élaboration ; certains sont par exemple inspirés des faits réels même si leur contenu n’en contient quasiment plus de traces. Toutes ces formes de descriptions visent toutefois au moins un objectif commun : supporter des savoirs spécifiques.

Fable

Une fable est un court récit à visée didactique, écrit plutôt en vers qu’en prose. Elle se caractérise généralement par l’usage d’une symbolique animale, des dialogues vifs, et des ressorts comiques. La morale est soit à extraire de l’implicite du texte, soit exprimée à la fin ou plus rarement, au début du texte. La fable classique repose sur une opposition entre deux personnages dont l’un est placé en position supérieure et l’autre en position inférieure. Grâce à un évènement imprévu, celui qui était en position haute se retrouve en position basse et vice versa. Ce schéma est désigné comme « un double renversement » (Vandendorpe, 2008).

Parabole

La parabole est une courte histoire qui utilise les événements quotidiens pour illustrer une morale ou une doctrine. Cette allégorie renferme une vérité importante et présente un fait qui doit servir à la démonstration de cette vérité avec laquelle elle a une relation facile à saisir. On la trouve également dans le discours argumentatif pour faciliter la compréhension du récepteur. La parabole est également un récit allégorique qui permet de dispenser un enseignement moral ou religieux comme la « parabole du fils prodigue » par exemple (Littré, 2008).

Métaphore

La métaphore consiste à remplacer une unité de sens (un mot ou un groupe de mot) par une autre, présentant avec la première une ou plusieurs caractéristiques communes (Bonhomme, 2002). C’est le contraste et le décalage entre les deux unités de sens différentes et rapprochées pour l’occasion qui créé la force et l’intérêt de la métaphore (Ricoeur, 1975). Elle est parfois considérée comme une analogie condensée (Perelman & Olbrechts-Tyteca, 1970) : il est en effet nécessaire d’utiliser le mécanisme analogique pour réaliser ou comprendre une métaphore. C’est pourquoi on attribue à la métaphore un « rendement heuristique important », dans la mesure où elle permet d’expliquer analogiquement un domaine nouveau ou peu défini à partir d’un domaine connu. Cette particularité de la métaphore en fait un bon support pédagogique (Bonhomme, 2002).

Conte

Le conte est un récit de faits ou d’aventures imaginaires qui peut être oral ou écrit. À l’inverse de la légende, le conte est délibérément fictif mais se présente comme véridique. Contrairement au mythe, il a pour cadre narratif principal le monde des hommes, même si celui-ci, notamment dans le cas des contes merveilleux, est souvent en contact avec un autre monde fantastique. Outre l’univers poétique qu’il décrit, le conte est un support narratif reposant essentiellement sur des symboles. Ces symboles permettent notamment chez l’enfant la compréhension et l’acceptation inconsciente de certains processus liés au développement psychologique (Bettelheim, 1979).

Mythe

Le mythe est un récit relatif à des temps ou à des faits peu connus, et contenant soit un fait réel transformé en valeur morale, soit l’invention d’un fait à partir d’une valeur morale. Ce récit supporté à l’origine par une tradition orale, propose une explication pour certains aspects fondamentaux du monde : sa création, les phénomènes naturels, le statut de l’être humain, ses rapports avec le divin, la nature ou encore avec les autres humains (d’un autre sexe, d’un autre groupe), etc. (Littré, 2008)

Légende

La légende est un récit merveilleux et populaire reposant sur un fond historique plus ou moins altéré et plutôt imaginaire, mais prétendu véridique. Elle est pourtant toujours présentée comme historique. Ce récit fictif faisant appel au merveilleux est le plus souvent de tradition orale. Une légende, à la différence d’un conte, est fortement liée à un élément clé et se concentre sur un lieu, un objet, un personnage, une histoire, etc. Sa forte fonction sociale, et parfois même identitaire, rapproche également la légende du mythe. Ainsi, dans la langue courante, le mot légende est devenu synonyme de mythe, et renvoie à quelque chose dont l’existence n’a jamais pu être prouvée (Littré, 2008).

Récit

Un récit peut être défini comme une narration de « quelque chose qui s’est produit, se produit ou va se produire (Decortis, 2008). Dans ce sens, il englobe donc la plupart des formes d’épisodes présentées dans ce chapitre. Il possède plusieurs caractéristiques stables :
 Il comporte une séquence qui véhicule du sens (Bruner, 1990),
 Il peut être réel ou imaginaire (Bruner, 1990 ou Decortis, 2008),
 Il contient une tension qui demande résolution, ou une « mise en intrigue » (Bruner, 1990 ou Adam 2002),
 Il présente une succession temporelle d’actions (Adam, 2002 ou Decortis, 2008),
 Et il comporte une transformation effective ou potentielle de certaines caractéristiques initiales des participants (Adam, 2002 ou Decortis, 2008).
En situation d’apprentissage, les récits sont considérés comme pouvant être un substitut de l’expérience dont des novices ne disposent pas encore (Jonassen & Hernandez-Serrano, 2002) ; Encourager l’apprentissage au travers des récits aiderait les apprenants à développer des compétences spécifiques.
Le récit peut être utilisé de façon diverses (Jonassen & Hernandez-Serrano, 2002):
 Comme une méthode de négociation perpétuelle du sens,
 Comme une aide pour trouver sa place dans une culture spécifique,
 Comme l’illustration de la diversité humaine,
 Comme un support pour apprendre, préserver la mémoire ou altérer le passé,
 Comme une aide pour expliquer et interpréter des faits,
 Comme un support pour se rappeler de l’inhabituel,
 Comme une aide à la construction d’arguments persuasifs,
 Comme un modèle positif à copier ou au contraire un mauvais modèle à éviter,
 Comme l’expression de son identité,
 Comme la possibilité d’explorer l’expérience à partir d’une perspective particulière.

Histoire ou narrative

Le concept d’histoire est parfois confondu avec celui de récit (Gossman, 2003). Le champ du storytelling propose donc une définition spécifique des histoires (appelées aussi parfois narratives), qui sont les récits échangés dans un cadre professionnel : il s’agit d’une description réelle ou non d’activités humaines qui possède une structure temporelle (un début, un développement, un dénouement) et comporte les difficultés posées, les complications éventuelles et une résolution. (Orr, 1996, Baerentsen, 1996, ou Seely Brown & al., 2004). Ces histoires sont échangées entre membres d’un collectif de travail, notamment lorsque l’un des individus du collectif éprouve une difficulté face à une situation inconnue. L’histoire a un rôle social fort et peut avoir un rôle didactique (Lave & Wenger, 1991).
Comme le récit, l’histoire peut être utilisée diversement en situation socioprofessionnelle :
 Pour démarrer le changement organisationnel (Soulier, 2003 ou Seely Brown & al., 2004),
 Pour servir de matériau didactique : l’histoire est alors un cas d’école (Riesbeck & Schank, 1989 ou Lave & Wenger, 1991),
 Pour capturer et partager la connaissance tacite au sein du collectif (Lave & Wenger, 1991 ou Denning, 2005),
 Pour innover en stimulant l’imagination (Denning, 2005),
 Pour résoudre collectivement des problèmes (Orr, 1996 ou Baerentsen, 1996),
 Pour construire une communauté en lui donnant confiance, sens et valeurs (Lave & Wenger, 1991 ou Seely Brown & al, 2004),
 Pour développer la technologie en exprimant les besoins et expliquant les usages (Seely Brown & al., 2004 ou Denning, 2005),
 Pour évaluer les compétences narratives d’un individu et sa capacité à être membre d’une communauté (Lave & Wenger, 1991, Denning, 2005 ou Decortis, 2008),
 Et pour développer les compétences de l’individu (sa compétence narrative et son identité personnelle) (Baerentsen, 1996, Denning, 2005 ou Decortis, 2008).
Le contenu de ces histoires est variable et concerne de nombreux aspects de l’environnement professionnel (Seely Brown & al., 2004) :
 Les histoires sur les autres : ce qu’on pourrait prendre pour des commérages sont en fait des informations sur la fiabilité des individus,
 Les histoires sur le passé, le futur, la vie ou soi-même,
 Les histoires sur le travail en lui-même : pour résoudre un problème, il est plus efficace d’échanger des histoires avec ses pairs sur leurs différentes façons de faire que de lire une épaisse documentation (Orr 1996),
 Et les histoires sur l’organisation en elle-même : ce qui permet de maintenir et de créer des liens.
Les différents usages qui peuvent être faits de l’histoire et les différents thèmes qu’elle aborde font de l’histoire un support intéressant pour le développement de l’individu dans son activité : elle est aussi bien utile dans l’élaboration de ses ressources (bibliothèque d’épisodes, exemples à suivre, etc.) qu’à son intégration dans la communauté (illustration des pratiques, repères pour l’intégration dans le collectif, maintien et création de liens socioprofessionnels, etc.). Par ailleurs, l’histoire se présente comme une occasion de travail réflexif qui permet à l’individu de construire des ressources pour le futur à partir de cette seule description de faits (Riesbeck & Schank, 1989). Dans le cadre de cette thèse, nous assimilons au concept d’histoire, tout récit d’épisode expérientiel échangé en situation de travail (récit expérientiel, anecdote, war story et cas d’école)

Récit expérientiel

Le récit expérientiel est la narration à un pair d’un épisode issu de l’expérience d’un individu dans un contexte professionnel spécifique. Cette narration est déclenchée par la confrontation du récepteur à un autre épisode (un épisode déclencheur), situation problématique qu’il n’a pas su résoudre (Marchand 2005). C’est pourquoi, on peut supposer que le récit expérientiel possède un objectif pédagogique même s’il n’intervient pas toujours lors d’interactions formellement dédiées à l’apprentissage. Cette structure narrative particulière se distingue d’autres formes de narrations parce qu’elle évoque des événements précis de l’expérience des individus et non des faits plus imaginaires ou plus généraux sur l’organisation. Nous distinguerons ici deux sortes de récit expérientiel : les anecdotes (l’émetteur du récit a vécu l’épisode relaté) et les war stories (l’émetteur n’a pas vécu l’épisode relaté).

Anecdote

Initialement, une anecdote est une particularité historique, un trait de mœurs ou de caractère, un détail secondaire de l’action, une petite histoire qui se raconte et se retient facilement car faisant appel aux émotions (Littré, 2008). Du fait de sa transmission orale et de sa dimension divertissante, l’anecdote se diffuse facilement. Elle ne privilégie pas particulièrement la vérité et est très souvent exposée pour éveiller l’attention.
Dans le cadre de cette thèse, l’anecdote est définie comme le récit à un pair d’un épisode remarquable par celui qui a vécu cet événement, dans le but de l’aider à résoudre une situation problématique (Marchand 2005). Ces épisodes surviennent dans un cadre professionnel bien spécifique et sont racontés dans ce même cadre. Les anecdotes représentent une certaine catégorie des récits expérientiels, ceux pouvant être qualifiés « de première main » (l’émetteur du récit a vécu l’épisode).

War story

Le concept de war stories s’apparente aux récits expérientiels et désigne des narrations d’événements réels, ou très inspirés de faits réels (Owen, 2006). Ces descriptions constituent des situations inhabituelles dans lesquelles un individu a dû résoudre un problème. Afin de distinguer le concept de war story de celui d’anecdote, on considère ici que l’événement remarquable raconté lors d’un(e) war story n’est pas raconté par l’individu qui l’a vécu.

Cas d’école

Lorsque des événements remarquables sont récupérés par l’organisation pour être présentés sous une autre forme aux opérateurs, ils sont parfois désignés sous le terme de cas d’école. Stricto sensu, le cas d’école est une situation hypothétique qui permet de saisir les limites d’un raisonnement, ou inversement une description de faits qui correspond exactement au modèle théorique enseigné. Dans certains systèmes complexes, les cas d’école sont des récits à vocation pédagogique utilisés dans des formations de gestion des risques. Le cas d’école y est alors un événement remarquable qui est analysé et présenté par l’organisation de façon à pouvoir supporter et transmettre un ou des enseignements pour les opérateurs issus du même contexte professionnel. Les cas d’école peuvent également être des événements remarquables sur lesquels une étude ou une enquête a été menée, ou des descriptions d’événements survenus dans des organisations différentes mais ayant des problématiques similaires.

Cas

Le concept de cas est largement étudié par les champs du raisonnement à base de cas (ou Case Based Reasoning) et de la casuistique. Dans le champ ergonomique (Sébillotte, 1993 ou Sauvagnac, 2000), le cas est un événement remarquable durant lequel un individu doit résoudre un problème. Le cas est une situation qui n’est pas susceptible d’être traitée de façon simple en utilisant une solution déjà existante et disponible (Passeron & Revel, 2005). Il nécessite un retour réflexif sur les normes et sur leur organisation compte du fait qu’il témoigne d’une possibilité non envisagée. En effet, si cette possibilité avait été envisagée alors la solution aurait déjà été déterminée et le cas ne poserait pas problème. Ainsi le cas confirme ou remet en cause une règle ou une norme établie, si ces règles établies sont contradictoires avec ce qu’il énonce. Le cas peut donc être considéré comme un outil utilisé par l’individu pour examiner son activité.
Une fois vécus, ces cas peuvent être stocké dans la mémoire épisodique (Baerentsen, 1996) en vue d’une réutilisation ultérieure. En effet, confronté à une situation problématique, l’individu peut avoir recours à un cas déjà vécu et présentant des similitudes avec le problème présent, pour résoudre cette nouvelle difficulté (Riesbeck et Schank, 1989). Le cas est donc une ressource utilisée en situation de résolution de problème.

Visée pédagogique et proximité avec le public

La visée pédagogique varie de certains types d’épisodes à d’autres : pour certaines, cette visée n’est pas explicite comme pour les war stories, pour d’autres, cette visée pédagogique est essentielle. Elle va alors être supportée différemment : des épisodes comme la fable s’appuient sur des mécanismes symboliques, alors que le cas d’école s’appuie sur une fidélité aux faits la plus importante possible. Pourtant, toutes ces descriptions de faits visent à transmettre des informations, des savoirs théoriques quand le propos est généralisé ou des savoirs épisodiques lorsque les informations données sont fidèles aux faits initiaux.
Un épisode peut être raconté ou non. Ainsi le public peut être inexistant (soi-même), intime (un proche) ou large (collectif de pairs professionnels). Lorsqu’il est raconté, l’épisode permet d’appuyer ou de mettre en valeur certains aspects ou caractéristiques de l’événement ; il est aussi le moyen par lequel les narrateurs donnent du sens à leurs expériences (Polkinghorne, 1988, ou Decortis, 2008). L’épisode pointe un fait extraordinaire qui interroge l’individu vis-à-vis de ce qu’il sait, car ce fait n’est pas conforme aux représentations qu’il a (Bruner ,1990). Par ailleurs, la réflexion à propos de ces événements et leur réélaboration en un tout cohérent (la narration ou la mémorisation) permet à l’individu de construire une représentation correspondant à ses besoins et répondant à ses interrogations.
D’un point de vue pédagogique, l’intérêt de la narration est donc de partager ou de susciter cette interrogation chez le récepteur, d’attirer son attention à partir de ce fait, puis de provoquer sa réflexion sur la représentation qu’il a du monde.

Valeur morale ou amoralité du message

Tous les types d’épisodes visent la transmission de certains savoirs associés au type de leur contenu, épisodiques dans le cas des descriptions relatant une expérience, et théoriques pour les descriptions généralisant des faits. Dans la mesure où toutes ces structures possèdent un potentiel pédagogique, exploité ou non, la question de la moralité des savoirs supportés par ces narrations se pose.
La notion de moralité peut se rapporter à un arbitrage dit « universel » de valeurs, les notions de bien et de mal étant par exemple considérées comme unanimement partagées. Si une valeur morale est une valeur universellement (ou du moins très largement) partagée, cela signifie que les récits décrivant des faits généralisés peuvent être porteurs de ces valeurs morales. En effet la valeur morale est par nature un savoir de type théorique : c’est en prouvant que tel type de conduite réussi toujours à ceux qui l’appliquent dans un certain type de circonstances, qu’on peut définir une valeur morale et prouver le bien fondé de s’y tenir. Ainsi la fable ou le conte (Bettelheim, 1979) qui s’adressent à tous, proposent une leçon à caractère moral.
A contrario, la notion de valeur morale peut concerner les mœurs, les coutumes, traditions et habitudes de vie propres à un groupe ou à un individu ; la polygamie par exemple est une coutume acceptée ou contestée selon les cultures. Voler du pain est une action condamnée par la plupart des individus, mais pas par celui qui doit nourrir ses enfants. Cela signifie que si toute description de faits particuliers est susceptible de véhiculer une valeur morale propre au narrateur ou à l’acteur de l’épisode, cette valeur morale peut être différemment partagée selon les propres valeurs du récepteur du récit. Ainsi, contrairement aux descriptions supportant des savoirs théoriques, celles qui s’inspirent d’épisodes de l’expérience ne peuvent a priori prétendre à la transmission de valeurs morales universelles, mais seulement à la transmission de valeurs morales spécifiques, instanciées par les protagonistes du récit.

Apprendre la résolution de problèmes à partir des épisodes

Apprentissage individuel à partir d’épisodes personnellement vécus

L’apprentissage par le travail réflexif sur l’expérience (apprentissage expérientiel)

L’apprentissage expérientiel est une activité permanente de développement personnel qui mobilise l’individu tout au long de sa vie (Barkatoolah, 1989). Le terme expérientiel désigne l’idée de connaissance individuelle résultant de la relation directe et réflexive d’un sujet à lui-même, à un autre sujet, ou à un objet de son environnement. Ce processus implique tout l’individu : l’activité nourrit le travail réflexif, et celui-ci développe de nouveaux savoirs qui participent à l’activité (Pineau, 1989).
Le processus d’apprentissage expérientiel ne se réalise pas à l’insu de l’individu. Ainsi, Avoir l’expérience et faire l’expérience n’impliquent pas les mêmes processus (Roelens, 1989). Avoir l’expérience signifie « avoir assimilé l’expérience » autrement dit, l’individu est capable d’une pratique ou d’un comportement structuré dans une situation connue. Cela suppose qu’il ait acquis des compétences qui lui permettent d’ajuster ses interactions avec le système dans lequel il évolue en fonction de la représentation de la situation qu’il a construite. Faire l’expérience suppose en revanche que ces représentations n’existent pas, qu’elles manquent et qu’il faut les construire. Les apprentissages expérientiels se réalisent en dehors et à l’intérieur des espaces traditionnels de formations, à chaque occasion qu’a l’individu d’être confronté à un problème. En situation professionnelle, l’individu doit mobiliser toutes ses ressources pour pouvoir résoudre ce problème. Si le problème est résolu, cela signifie que l’individu a acquis un nouveau savoir réutilisable dans son activité (Bonvalot, 1989). Par ailleurs, l’échec peut aussi être formateur en motivant l’individu à étudier d’autres épisodes expérientiels : la découverte de ces récits et des connaissances associées (Soulier & Caussanel, 2004) va donner l’occasion à l’individu de s’identifier à l’émetteur et d’essayer de résoudre ces nouvelles difficultés exposées.

Apports de l’expérience et apports de la formation dans l’apprentissage

Traditionnellement, les empiristes, pour qui l’expérience est la seule source légitime de savoir, s’opposent aux rationalistes, pour qui l’expérience est une source d’apprentissage limitée au particulier et à l’anecdotique. De façon moins radicale, certains considèrent l’utile coexistence de l’expérience et de la formation dans l’apprentissage, les expériences vécues n’ayant jamais qu’une portée locale et devant être en cohérence avec les expériences scientifiques (Bonvalot, 1989). L’expérience est cependant parfois perçue comme la base même de l’apprentissage. Ainsi dans le champ de la psychologie génétique, l’expérience est considérée comme le fondement du développement de l’enfant, le raisonnement permettant ensuite d’intégrer et de dépasser les données brutes de l’expérience (Landry, 1989).
Le modèle de Kolb (1984) permet de réconcilier expérience et conceptualisation. Le principe de ce modèle est qu’un épisode de l’expérience ne suffit pas à générer l’apprentissage : il est nécessaire d’analyser cet épisode à travers un travail réflexif, c’est-à-dire un travail d’analyse de l’épisode tenant compte de l’individu, de ses besoins, de ses préférences et de ses capacités. Ce modèle présente l’apprentissage expérientiel comme un processus permanent de résolution de problèmes, l’expérience autorisant la construction de savoirs par le biais d’un travail réflexif. Il comprend quatre étapes dans un cycle itératif, où la durée et la succession d’étapes dépendent essentiellement de l’individu et de sa propre façon d’apprendre (cf. Figure 3).

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Table des matières

Introduction
Partie 1 : Aviation de chasse : quelles ressources disponibles pour l’individu dans l’apprenti de la gestion des risques ?
1. Spécificités et complexité du système aéronautique militaire
2. Une activité exigeante nécessitant un apprentissage permanent
Partie 2 : Etude préliminaire : l’anecdote dans la formation à la gestion des risques
1. Etude des usages déclarés des anecdotes dans la formation par des instructeurs
2. Concept d’anecdote et modèle de la pratique anecdotale
Partie 3 : Savoirs épisodiques et récits expérientiels
1. Typologie des savoirs et spécificités des savoirs épisodiques
1.1. Le savoir comme une ressource cognitive pour la résolution de problèmes
1.1.1. Le savoir comme une ressource cognitive dynamique
1.1.2. Savoir, compétence et connaissance
1.1.3. Savoirs théoriques et savoirs épisodiques
1.2. Identification multidimensionnelle des savoirs
1.2.1. Le modèle KEOPS : complémentarité de savoirs différents pour la résolution de problè
1.2.2. Différents types de contenu de savoir
1.2.2.1. Savoirs généraux
1.2.2.2. Métaconnaissances
1.2.2.3. Procédures
1.2.2.4. Quel est le contenu des savoirs épisodiques ?
1.2.3. Différents usages du savoir dans la résolution d’un problème
1.2.3.1. Savoirs analytiques et opératifs
1.2.3.2. Savoirs réflexifs
Synthèse : Typologie des savoirs et spécificités des savoirs épisodiques
2. Multiplicité des formes et usages des épisodes
2.1. Multiplicité des formes et caractéristiques des épisodes
2.1.1. Fable
2.1.2. Parabole
2.1.3. Métaphore
2.1.4. Conte
2.1.5. Mythe
2.1.6. Légende
2.1.7. Récit
2.1.8. Histoire ou narrative
2.1.9. Récit expérientiel
2.1.9.1 Anecdote
2.1.9.2. War story
2.1.10. Cas d’école
2.1.11. Cas
2.2. Différentes dimensions de différenciations
2.2.1. Contenus issus de l’expérience ou généralisés
2.2.2. Rapport au réel et symbolisme du contenu.
2.2.3. Visée pédagogique et proximité avec le public
2.2.4. Valeur morale ou amoralité du message
2.2.5. Récapitulatif : axes de différenciation des formes d’épisodes
Synthèse : Multiplicité des formes et usages des épisodes
3. Apprendre la résolution de problèmes à partir des épisodes
3.1. Apprentissage individuel à partir d’épisodes personnellement vécus
3.1.1. L’apprentissage par le travail réflexif sur l’expérience (apprentissage expérientiel)
3.1.2. Apports de l’expérience et apports de la formation dans l’apprentissage
3.1.3. Rôle du formateur dans l’apprentissage expérientiel
3.1.4. Apprentissage à partir d’un épisode
3.1.5. Apprentissage individuel à partir d’épisodes similaires, ou rumination
3.2. Caractéristiques et usages des épisodes issus du collectif
3.2.1. Dimension sociale des récits expérientiels
3.2.2. Les récits expérientiels comme élément constitutif des communautés de pratiques
3.2.3. Enjeux communautaires de l’apprentissage à partir de récits expérientiels
3.2.4. Mécanismes de l’apprentissage à partir des récits expérientiels
3.2.5. Les récits expérientiels en tant qu’activité métafonctionnelle
3.3. Apprentissage organisationnel et retour d’expérience
3.3.1. Enjeux des bases de données de retour d’expérience
3.3.2. Limites des systèmes existants
Synthèse : Apprendre la résolution de problèmes à partir des épisodes
Partie 4 : Usage des récits expérientiels pour la gestion des risques
1. Prise de décision dans les situations dynamiques
1.1. Gestion de situations dynamiques à risques et décision dans l’urgence
1.1.1 La situation dynamique et les processus rapides
1.1.2 Différences dans les besoins de formation des experts et des novices
1.1.3. Les objectifs visés par la formation à la résolution de problèmes
1.1.4. Formateurs et pairs, médiateurs de l’apprentissage à la gestion des risques
1.2 Insuffisance des savoirs théoriques pour la formation à la gestion des risques
1.2.1 Place des savoirs théoriques dans l’apprentissage à la gestion des risques
1.2.2. Caractère imprévisible des situations à risques et variabilité des individus
1.2.3. Limite intrinsèque des savoirs théoriques en tant que ressources à la gestion des risques
Synthèse : Prise de décision dans les situations dynamiques
2. Utilisation des récits expérientiels dans la gestion des risques
2.1. Résolution de problèmes à base de cas
2.1.1. Mécanismes analogiques du récit expérientiel
2.1.2. Le recours au raisonnement à base de cas face à une situation nouvelle
2.1.3. Apprendre à apprendre grâce aux épisodes
2.1.4. Organisation de la mémoire épisodique
2.2. Intérêt des épisodes issus du collectif dans la résolution de problèmes
2.2.1. Mémoire organisationnelle : un outil de résolution collective de problèmes
2.2.2. Usage individuel d’épisodes partagés dans la gestion de situation critique
Synthèse : Utilisation des récits expérientiels dans la gestion des risques
Synthèse générale de la revue de question (parties 2, 3 et 4)
Partie 5 : Études empiriques
Particularités méthodologiques liées aux épisodes
1. Utilisation des épisodes à travers des dispositifs semi expérimentaux
2. Études centrées sur les épisodes au travers de recueils écologiques
3. Quels choix méthodologiques pour étudier les récits expérientiels ?
3.1. Identifier l’usage pédagogique du partage de récit expérientiel
3.2. Déterminer l’intérêt potentiel du partage de récits expérientiels pour la pratique
3.3. Évaluer la complémentarité du partage de récits expérientiels par rapport aux dispositifs d’aide à la gestion des risques déjà existants 1
Première étude empirique : Usage pédagogique de la pratique anecdotale
1. Objectifs de l’étude et hypothèses détaillées
2. Méthodologie employée et validations proposées
2.1. Méthode de recueil des données
2.2. Analyse des données
2.2.1. Axe 1 : Comment fonctionne la pratique anecdotale ?
2.2.2. Axe 2 : De quels types de savoirs la pratique anecdotale est-elle le support ?
2.2.3. Axe 3 : La bibliothèque d’épisodes construite par la pratique anecdotale est-elle réutilisabl de situations critiques ?
2.3. Validations proposées
2.3.1. Axe 1
2.3.2. Axe 2
2.3.3. Axe 3
3. Déroulement de l’étude
3.1. Recueil des données
3.2. Sélection des données
3.3. Analyse des données
4. Résultats principaux
4.1. Axe 1 : Comment fonctionne la pratique anecdotale ?
4.2. Axe 2 : De quels types de savoirs la pratique anecdotale est-elle le support ?
4.2.1. Provenances des savoirs
4.2.2. Usages des savoirs
4.2.3. Croisements des résultats sur les provenances et les usages des savoirs
4.2.4. Analyse détaillée du niveau réflexif
4.3. Axe 3 : La bibliothèque d’épisodes construite par la pratique anecdotale est-elle réutilisab lors de situations critiques ?
5. Discussion et perspectives
Deuxième étude empirique : Usage d’épisodes évoqués spontanément lors d’une situation critique
1. Objectifs de l’étude et hypothèses détaillées
2. Méthode employée et validations proposées
2.1. Méthodologie
2.2. Validations proposées
3. Déroulement de l’étude :
3.1. Recueil des données
3.1.1. Présentation et consigne :
3.1.2. Entretien sur la gestion d’une (ou plusieurs) situation(s) critique(s) :
3.1.3. Consigne de fin:
3.2. Grille de saisie des épisodes
4. Résultats principaux
4.1. Hypothèse a
4.2. Hypothèses b et c
4.3. Hypothèse d
4.4. Hypothèse e
4.5. Hypothèse f
5. Discussion et perspectives
Troisième étude empirique : Usage des épisodes pour la pratique Épisodes évoqués sur demande suite à des épisodes sondes
1. Objectifs de l’étude et hypothèses
2. Méthodologie employée et validations proposées
2.1. Méthodologie
2.2. Validations proposées
3. Déroulement de l’étude :
3.1. Recueil des données
3.1.1. Présentation et consigne (5 minutes) :
3.1.2. Questionnaire (20-45 min)
3.1.3. Consigne de fin:
3.2. Grille de saisie de l’épisode
4. Résultats principaux
4.1. Hypothèse a
4.2. Hypothèses b et c
4.3. Hypothèse d
4.4. Hypothèse e
4.5. Hypothèse f
5. Discussion et perspectives
Partie 6 : Conclusions
1. Recommandations
1.1. Bénéfices socioprofessionnels du partage de récits expérientiels
1.2. Intérêt des récits expérientiels et des savoirs épisodiques pour la formation
1.3. Impact des récits expérientiels et des savoirs épisodiques dans la réalisation de l’activité
1.4. Applications pratiques des résultats de la thèse : Comment développer le partage de récit expérientiel dans l’activité des PN ?
2. Outils méthodologiques développés : Une méthodologie de recueil d’épisode évoqué en situation critique plus fiable
3. Perspectives théoriques
3.1. Etudier les différents atouts de chaque type d’épisode pour favoriser le développement de résilience de l’individu
3.2. Repenser les systèmes de retour d’expérience existants et les réglementations en tenant compte des récits expérientiels
3.2.1. Le partage de récits expérientiels révèle les limites des systèmes de retour d’expérience
3.2.2. Les savoirs épisodiques peuvent limiter un accroissement inadapté de la réglementation
3.3. Nécessité d’une identification multidimensionnelle des savoirs
3.4. Étudier le concept de proximité
3.5. Identifier le concept de métacompétence
4. Synthèse : Un outil aux multiples possibilités à développer
Partie 7 : Annexes
1ière étude empirique
2ième étude empirique
3ième étude empirique
Bibliographie

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