Les activités économiques engendrent des recettes et des dépenses pour les différents agents économiques. A un moment donné, les recettes de certains agents peuvent excéder largement leurs dépenses tandis que d’autres se trouvent déficitaires et sont amenés à effectuer des dépenses plus grandes que leurs recettes peuvent leur permettre. Ce problème est à l’origine des marchés de capitaux où les prêteurs (ceux qui sont en situation excédentaire) et les emprunteurs (ceux qui sont déficitaires) peuvent se rencontrer directement. Grâce à ces marchés, les agents déficitaires peuvent emprunter les capitaux dont ils ont besoin pour produire et donc d’améliorer leurs recettes. D’un autre côté, les agents excédentaires peuvent allouer leurs excédents de capitaux dans ces processus de production en vue de maximiser les retours d’argent (rendement des investissements promis par l’agent emprunteur).
Les théories financières s’étaient longtemps construites autour du concept de marchés parfaits où les agents sont considérés comme parfaitement informés et honnêtes. Le seul problème réside dans le fait qu’il est possible que les prêteurs ne puissent investir leurs argents que pendant une durée qui ne convient pas à celle exigée par le processus de production entrepris par l’emprunteur. Dès lors, en 1956, Gurley et Shaw placent le rôle des intermédiaires financiers dans la transformation temporelle des titres. Ils offrent des actifs financiers permettant aux emprunteurs un échelonnement temporel plus satisfaisant de leurs dépenses.
L’analyse des intermédiaires financiers, dans sa nouvelle version, reconnaît toujours l’importance de cette fonction de transformation, mais met beaucoup plus en évidence les imperfections des marchés notamment les asymétries d’informations entre les prêteurs et les emprunteurs. En effet, les emprunteurs bénéficient d’un avantage informationnel par rapport au prêteur aussi bien avant la signature du contrat de crédit qu’après. Pourtant, en s’engageant dans un contrat de prêt, le prêteur court un risque de non remboursement au cas où l’emprunteur ne serait pas de bonne foi ou n’a réalisé que des pertes,… Ainsi, l’existence de ces asymétries d’informations conduit les prêteurs à mener des actions limitant les risques qu’ils encourent (recherches d’informations, surveillance, incitations à l’exécution des contrats,…).
SPECIFICITE DES BANQUES DANS LES RELATIONS PRETEUR- EMPRUNTEUR : APPORT DE LA NOUVELLE THEORIE DE L’INTERMEDIATION FINANCIERE
IMPERFECTIONS DU MARCHÉ DE CRÉDIT : LES ASYMÉTRIES D’INFORMATION
La théorie financière s’est, depuis longtemps, construite autour du concept de marchés parfaits. Nombreuses analyses fondatrices furent donc élaborées sous des hypothèses restrictives posées sur ce concept. Ainsi, jusqu’alors selon la théorie financière d’ARROW DEBREU les contrats d’endettement négociés sont considérés comme contingents, c’est-àdire qu’ils contenaient dès leur conclusion toutes les règles de décisions nécessaires à la résolution de tout problème qui pourrait se poser aux parties dans le futur selon les différents états de la nature possibles. Il est clair que dans ce contexte, les prêteurs et les emprunteurs peuvent intervenir directement sur les marchés de capitaux en vendant et achetant des titres sans avoir à faire appel à des intermédiaires financiers.
Mais depuis que la finance moderne commence à prendre en compte les imperfections sur les marchés de capitaux et abandonne certaines hypothèses, notamment celles portant sur l’absence et de neutralité au risque, on commence donc à examiner comment les banques, considérées jusqu’alors comme neutres, peuvent faire face à ces imperfections du marché. C’est à H.E Leland et D.H. Pyle que revient le mérite d’avoir été en 1977, les premiers auteurs à insister sur les phénomènes d’asymétrie d’information en tant que raison d’être essentielle de l’existence des intermédiaires financiers. Ils écrivaient : « Les modèles traditionnels des intermédiaires financiers ont des difficultés à expliquer l’existence des intermédiaires financiers, des firmes qui détiennent un type d’actifs et vendent des actifs d’un autre type. S’il n’y a pas de coût de transaction, les prêteurs ultimes doivent acheter directement des titres primaires et éviter les coûts impliqués par l’intermédiation. Les coûts de transaction peuvent expliquer l’intermédiation mais l’ampleur, dans de nombreux cas, n’apparaît pas suffisante pour être la seule explication. Nous suggérons que les asymétries informationnelles puissent être une raison fondamentale de l’existence des intermédiaires. » (Informational Asymetries, Financial intermediation, The Journal of Finance, 1977, p.382) En effet, dans une économie d’équilibre général à la Arrow Debreu, sans risque et sans coûts de transaction ( coûts inhérents aux opérations financières tels que les coûts de recherche de la contrepartie de la transaction financière, les coûts de négociation des conditions financières, les coûts d’acquisition de l’information sur le débiteur, les coûts de contrôle de la bonne exécution des échanges,…), l’existence de marchés de biens présents et futurs, pour tous les états de la nature, implique l’absence de fondement rationnel de l’existence d’intermédiaires financiers. Il est évident que l’existence des marchés complets de biens contingents permettra une optimisation de la répartition des risques. En effet, les marchés complets sont des marchés où il existe plusieurs instruments financiers qui permettent de couvrir tous les risques, c’est-à-dire que, quels que soient les états contingents futurs, les investisseurs peuvent constituer un portefeuille d’actifs financiers de façon à ce qu’ils puissent reproduire les revenus contingents qu’ils veulent s’apercevoir. Mais dans la réalité, ces marchés complets n’existent pratiquement pas du fait du coût élevé de leur organisation. C’est donc la double existence des coûts de transaction et des risques qui explique l’existence des intermédiaires financiers. Ces risques sont relatifs aux asymétries informationnelles qui sont des éléments déterminants pour les rendements espérés futurs des prêteurs. Il apparaît ainsi que ces intermédiaires sont des collecteurs et des gestionnaires d’informations plus efficients que les marchés en situation de risque du à l’asymétrie d’informations.
Dans cette section, nous allons voir les différentes natures théoriques de l’asymétrie informationnelle et par conséquent les risques encourus par le prêteur. En effet, lors des emprunts, les entreprises n’offrent au prêteur que peu d’informations sur le projet sur lequel elles comptent demander de financement. Cette imperfection de la structure informationnelle expose les banquiers, en théorie, aux phénomènes de sélection adverse et d’aléa moral :
– les asymétries d’information ex ante qui ne permettent pas au prêteur d’évaluer la vraie valeur de l’emprunteur et sa capacité exacte de remboursement ;
– les asymétries d’information ex post qui interviennent une fois le prêt accordé et qui permettent à l’emprunteur d’effectuer des actions au détriment du prêteur (changer de projet, cacher ses résultats pour minimiser ses remboursements…) .
Face à ces asymétries d’information et aux risques qu’elles véhiculent, les théories financières proposent au banquier des mécanismes pour réduire les risques qu’il encourt.
Asymétries ex ante et antisélection
Sur le marché du crédit, il existe des asymétries d’information entre ceux qui sollicitent des financements et ceux qui sont susceptibles d’y répondre. Il y a donc un risque d’antisélection .
Introduite par les travaux de G. AKERLOF (1970), la notion d’antisélection ou sélection adverse désigne l’incapacité à obtenir une information exhaustive sur les caractéristiques de biens apparemment identiques. Dans le secteur bancaire, le phénomène d’antisélection apparaît lorsque l’emprunteur conserve, même après un examen des informations disponibles par le créancier, un avantage informationnel sur ce-dernier. D’après les travaux de Stiglitz et Weiss (1981), le partage inéquitable des informations concernant le risque de défaillance attaché aux crédits rend difficile l’identification des bons emprunteurs.
Ces deux premiers auteurs, qui ont introduit une asymétrie d’information ex ante dans la relation de crédit, supposent que l’emprunteur possède une information privée sur ses réelles intentions. Cette information est inobservable sans coût pour le prêteur. Cet effet engendre donc un mécanisme de rationnement de crédit, consistant à mettre en place des dispositifs de filtrage. Stiglitz et Weiss montrent que le taux d’intérêt peut servir de mécanisme de tri. En effet, ceux qui sont disposés à emprunter à des taux élevés sont, en général, ceux dont les projets sont les plus risqués car ils savent que leur probabilité de rembourser le prêt est faible. En augmentant donc ses taux, la banque risque de provoquer un effet d’antisélection, c’est-àdire de retenir les projets les plus risqués. Ce risque d’antisélection est susceptible de conduire le banquier à limiter son offre de financement et à exclure du marché du crédit les entreprises les plus risquées. Dans ce contexte informationnel, plusieurs théories économiques proposent des mécanismes permettant aux banques de trier les bons emprunteurs des mauvais emprunteurs. Citons quelques exemples :
– D’une part, la banque peut proposer à l’entreprise un choix de contrats parmi lesquels les différents types d’agents (agents risqués ou agents sains) choisissent en fonction de leurs caractéristiques. Les contrats révélateurs les plus usuels reposent ainsi sur la fixation du niveau du taux d’intérêt et des garanties (Bester, 1985 ; Besanko, Thakor, 1987 ; Gillet, Lobez, 1992).
Selon ces modèles, une entreprise risquée accepte de supporter un taux d’intérêt élevé. En revanche, compte tenu de l’importance de sa probabilité de défaut, le montant des garanties qu’elle accepte d’apporter est relativement faible. A l’opposé, les entreprises peu risquées n’acceptent pas de s’endetter à un coût jugé prohibitif, mais elles sont prêtes à apporter en garantie un montant élevé d’actifs.
-D’autre part, l’entreprise, peut envoyer un signal à la banque de manière à révéler son type et à limiter l’importance des asymétries d’information. Ross, Leland et Pyle présentèrent les premiers modèles de « signaling ». Partant de l’hypothèse que le prêteur n’a à sa disposition que très peu d’informations concernant les divers projets qu’on lui propose de financer, ils montrent que les dirigeants efficaces vont chercher à se distinguer de la masse en adoptant des comportements spécifiques qui seraient trop coûteux à répliquer pour les entreprises moins performantes. Cette différenciation leur permet alors d’obtenir des conditions de financement correspondant à leur qualité.
Ross (1977) et Harris (1991) montrent que le fait que l’entreprise s’endette constitue un signal de sa qualité et de ses perspectives de développement. Pour Leland et Pyle (1977), le véhicule privilégié de l’information repose sur l’implication du dirigeant au capital de l’entreprise. Outre la structure de financement, l’entreprise peut également utiliser comme procédure de signalement sa politique de distribution de dividendes (Kalay, 1980 ; Ravid, Sary, 1989). L’annonce d’un versement de dividendes signale en effet les perspectives futures de profit de la firme. Un autre élément qui peut être interprété comme un signal de la qualité de la firme par les prêteurs, est la capacité de l’équipe managériale de l’entreprise à établir des documents prévisionnels, car les prévisions constituent pour le banquier le signal de l’effort réalisé par l’équipe managériale de l’entreprise. En effet, grâce à ces documents, la banque peut anticiper sur le devenir à moyen terme de l’entreprise.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I :Spécificité des banques dans les relations prêteur-emprunteur: Apport de la nouvelle théorie de l’intermédiation financière
Chapitre 1 : Imperfections du marché de crédit : Les asymétries d’information
1-1 – Asymétries ex ante et antisélection
1-2 – Asymétries d’information ex post et aléa moral
Chapitre 2 : Avantages des banques par rapport aux autres intermédiaires financiers dans la résolution des problèmes d’asymétries d’information
2.1 Réduction des coûts de transaction et de recherche d’informations
2-2 Délégation de surveillance et de contrôle par un monopole naturel
2.2 Banque comme fournisseur d’un service de liquidité en situation d’information imparfaite
PARTIE II :Réduction des risques crédit
Chapitre 1 : Traitement des asymétries d’information par la banque
1.1 Clauses de gestion incluses dans les contrats de prêts (covenants)
1-2 Système de taux d’intérêt et de garantie
1-3 Etude qualitative et quantitative de la qualité de l’entreprise à financer
1-4 L’établissement d’une relation à long terme entre la banque et les emprunteurs
Chapitre 2 : Les outils de transfert de risque de crédit (CRT) et flexibilité de l’offre de crédit bancaire
2-1 Les produits dérivés de crédit en nom unique
– Le credit default swap
– Total return swap
2-2 Les produits dérivés de crédit sur portefeuille
– Credit linked note
– Opération de titrisation
PARTIE III : Accès au crédit à Madagascar
Chapitre 1 : Contextes : risques et opportunités
1.1 Environnement économique
1.2 Environnement social
1.3 Environnement financier et bancaire
Chapitre 2 : Les différentes phases d’un accord de crédit
2-1 Elaboration d’une demande de crédit par l’entreprise
2-2 L’étude de la demande de crédit par la banque
2-3 Négociation entre la banque et l’entreprise
Chapitre 3 : Les risques bancaires et les entreprises malgaches
3-1 Contribution de l’Etat : favoriser un environnement adéquat pour le développement des secteurs
– créer un environnement juridique incitant
– créer un environnement économique favorable pour le développement des activités économiques
3.2 Obligations de l’entrepreneur
– Réglementation juridique
– Disposition des moyens humain et technique adéquats
– Contribution financière dans le projet et apport de garanties
– Laisser à la banque le droit de surveiller l’évolution du projet
Chapitre 4 : Les offres de crédits bancaires à Madagascar
CONCLUSION