Mécanismes non linéaires pour l’émission de paires
Lors de l’illumination d’un milieu diélectrique par un champ électromagnétique, les nuages électroniques vont se déformer par la force de Lorentz, formant ainsi des dipôles microscopiques entre les noyaux et centre de masse des nuages. Cependant, les nuages électroniques sont soumis à une force de rappel électrostatique. Si le champ incident est oscillant, les dipôles induits vont alors se comporter comme des oscillateurs harmoniques forcés, rayonnant à la fréquence incidente. Ce phénomène permet de comprendre la plupart des phénomènes ayant trait à l’optique linéaire.
Toutefois, lorsque le champ incident devient particulièrement intense, la force de rappel n’est plus linéaire et l’oscillation des dipôles s’effectuera de manière anharmonique. Les dipôles dans la matière deviennent alors sources de nouvelles fréquences dans le champ lumineux. C’est là le domaine de l’optique dite non linéaire, l’amplitude des phénomènes associés évoluant selon un ordre de puissance de l’intensité lumineuse incidente supérieur à 1.
Usuellement, pour décrire ce phénomène microscopique à une échelle macroscopique, est introduit le champ de polarisation P de la matière, correspondant à la densité de dipôles induits dans le matériau par l’onde lumineuse. La propension qu’a le milieu à se polariser sous l’effet du champ incident est appelée susceptibilité électrique, notée χ. Nous noterons que cette approche se base sur le champ électrique E de la lumière. Une autre vision du problème, qui sera la nôtre, se base sur le champ induction électrique D , englobant à la fois les champs E et P . Plutôt que la susceptibilité électrique, ce sera alors la permittivité diélectrique inverse η qui traduira la réponse du milieu.
Toutefois, pour ce qui est de la présentation des phénomènes non linéaires, nous continuerons d’utiliser la susceptibilité électrique, qui est usuelle et plus parlante.
Génération de paires par mélange à quatre ondes spontané
Dans le cas de notre fibre, la microstructure de gaine permet de confiner et de guider la lumière, de sorte que, dans le mode spatial fondamental de la fibre, l’essentiel du champ se concentre dans le cœur liquide . Ainsi le liquide constitue le milieu non linéaire effectif avec lequel le champ de pompe interagira pour produire nos paires de photons. Nous pourrons donc considérer pour notre fibre les susceptibilités non linéaires effectives : χeff = 0 et χeff égale à celle du liquide.
Nous pouvons en déduire directement que la génération de paires par conversion paramétrique dans une telle fibre est impraticable, d’où l’intérêt du mélange à quatre ondes. Néanmoins, le modèle théorique que nous développerons dans la partie II aura vocation à rester très général et applicable à n’importe quel ordre de non-linéarité.
Par souci pratique et à des fins de simplicité, le mélange à quatre ondes que nous étudierons concernera l’annihilation de deux photons d’un même champ de pompe pour générer une paire de photons dans des champs distincts, signal et idler. Nous parlerons de mélange à quatre ondes à partir de photons de pompe dégénéré en fréquence, même si en pratique ceux-ci peuvent être de fréquence légèrement différentes . Toutefois, nous soulignons que notre modèle théorique reste applicable au cas de deux pompes distinctes.
D’autre part, seul le champ de pompe est injecté dans notre fibre d’étude. Le processus de mélange à quatre ondes s’effectue donc exclusivement dans un régime spontané, mentionné dans la littérature sous le terme de Spontaneous Four-Wave Mixing (SFWM), et notamment déjà observé dans les fibres. Nous soulignons le caractère simultané de l’émission des photons signal et idler, les photons de paires étant donc corrélés en temps .
Diffusion Raman spontanée
La diffusion Raman est un processus inélastique isotrope par lequel les ondes lumineuses échangent de l’énergie avec les phonons du matériau, c’est-à-dire les modes de vibration de ses liaisons moléculaires.
Une onde électromagnétique se propageant dans le milieu est susceptible de concéder une partie de son énergie au profit de l’excitation d’un de ces modes vibratoires : un photon de l’onde est annihilé pour en générer un autre de fréquence moindre. On parle de diffusion d’ordre Stokes. À l’inverse, les vibrations de la matière peuvent se désexciter au profit de la lumière, produisant ainsi des fréquences optiques plus grandes, on parle d’ordre anti-Stokes.
La diffusion Raman peut s’opérer en régime spontané ou stimulé. Dans notre cas d’étude, le bruit Raman généré dans notre fibre résultera uniquement d’un processus purement spontané et linéaire avec l’intensité de pompe. Nous noterons que cette émission Raman, d’efficacité très faible, s’effectue dans toutes les directions de l’espace de manière incohérente. Le reliquat de bruit Raman venant à être guidé par la fibre (émis dans l’ouverture numérique du mode spatial) constitue néanmoins la source de bruit principale de notre système, évoluant linéairement avec l’intensité de pompe.
On différencie la diffusion Raman de la diffusion Brillouin au niveau de l’ordre de grandeur des vibrations de la matière : la diffusion Brillouin concerne les phonons acoustiques, soit les ondes sonores dont les longueurs d’onde sont grandes devant les échelles moléculaires ; tandis que la diffusion Raman concerne les phonons dits optiques, qui correspondent à des vibrations aux échelles inter-atomique et moléculaire. Par conséquent, les énergies vibrationnelles impliquées dans la diffusion Brillouin sont bien plus faibles que celles de la diffusion Raman. De même pour les écarts spectraux, de l’ordre de dizaines de GHz en Brillouin, contre quelques dizaines de THz en Raman. Au vu des écarts spectraux typiques entre photons de pompe et de paires dans notre expérience (de l’ordre de la vingtaine de THz), seule la diffusion Raman constituera une source de bruit gênante.
En effet, la diffusion Raman de la pompe va générer des photons aux longueurs d’onde signal (par processus Stokes) ou idler (anti-Stokes), de manière décorrélée. Ces photons constitueront la plus grande source de bruit de notre expérience et leur existence même a motivé le développement de l’architecture que nous utilisons, dont l’intérêt sera mis en lumière plus loin.
Probabilité de génération d’une paire de photons
Dans le cadre de notre modèle, le milieu d’étude sera considéré sans charges ni courants libres, amagnétique et sans pertes à nos fréquences d’intérêt. Sa réponse est invariante dans l’espace et dans le temps, ainsi que locale spatialement. La question de la localité dans le temps, équivalent temporel de la dispersion, est cependant plus sensible. D’une part la réponse non linéaire sera considérée comme instantanée, ce qui équivaut à une dispersion nulle du tenseur de susceptibilité non linéaire . D’autre part, la réponse linéaire sera non locale dans le temps, ce qui nous permettra de prendre en compte la dispersion linéaire. Enfin, pour toute notre étude, nous nous plaçons loin de toute fréquence de résonance du milieu, et le champ incident sera d’intensité bien inférieure à celle des champs atomiques .
L’objectif principal du modèle consiste à déterminer la probabilité, notée Proba (ω, ω0), que, suite à la propagation d’une unique impulsion de pompe dans la fibre, soit générée une paire de photons de fréquences comprises dans des intervalles dω et dω0 , centrés en ω et ω0 respectivement. Puisque les champs signal et idler présentent un nombre très faible de photons, il est nécessaire pour les décrire d’adopter une approche quantique. Tandis que le champ de pompe, intense, pourra être défini classiquement. Ainsi, dans le formalisme de Dirac nous noterons |ψs⊗ii la fonction d’onde dépeignant l’association des champs signal et idler. Ces derniers seront décrits par des états de Fock |nωi caractérisant l’existence de n photons dans le mode spectral de fréquence centrale ω et de largeur dω. En découpant virtuellement ainsi l’espace continu des fréquences en modes distincts, nous pouvons utiliser le formalisme des états de Fock usuellement associé aux variables discrètes (nombre de photons, spins,…).
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Table des matières
Introduction
I Présentation du cadre général de l’étude
1 Rappels d’optique non linéaire dans les fibres
1.1 Mécanismes non linéaires pour l’émission de paires
1.1.1 Conversion paramétrique
1.1.2 Mélange à quatre ondes
1.1.3 Génération de paires par mélange à quatre ondes spontané
1.2 Diffusion Raman spontanée
2 Fibre à cristal photonique et de cœur liquide
2.1 Propriétés de propagation de la fibre
2.1.1 Mesures préliminaires
2.1.2 Accord de phase
2.2 Accord de phase décalé
2.3 Variation des propriétés de propagation de la fibre
2.3.1 Invariants de propagation
2.3.2 Effet de la variation du pas de la structure
2.3.3 Effets du remplissage de la fibre
2.3.4 Effet de la variation de température
3 Présentation générale de notre expérience
3.1 Génération de paires en régime impulsionnel spontané
3.2 Description générale du montage
4 Trame du modèle de la génération de paires
4.1 Probabilité de génération d’une paire de photons
4.2 Évolution temporelle et état final des champs
4.3 Amplitude et intensité spectrales jointes
4.4 Détermination quantitative du taux de génération de paires
II Modèle semi-classique de la génération spontanée de paires de photons par
mélange à quatre ondes
5 Changement du modèle théorique
5.1 Rappels d’électromagnétisme
5.1.1 Équations de Maxwell et lois de comportement
5.1.2 Énergie du champ électromagnétique
5.2 Détermination du champ électrique fondamental
6 Établissement de l’Hamiltonien de notre système
6.1 Milieu non linéaire en absence de dispersion
6.1.1 Équations du mouvement en milieu non linéaire non-dispersif
6.1.2 Énergie du système
6.1.3 Hamiltonien en absence de dispersion
6.2 Milieu à dispersion linéaire
6.2.1 Équation d’onde pour un champ au spectre fin en fréquence
6.2.2 Lagrangien et équation d’onde en régime dispersif
6.2.3 Hamiltonien linéaire dispersif .
6.2.4 Quantification en régime de dispersion
6.3 Hamiltonien non linéaire et champs quantifiés
6.3.1 Mélange à quatre ondes dans un guide 1D isotrope
6.3.2 Champs signal et idler quantifiés
7 État des paires et probabilité de génération
7.1 Introduction du champ de pompe classique
7.1.1 Enveloppe du champ de pompe
7.1.2 Intégrations sur le temps et l’espace
7.2 Probabilité de génération des paires de photons
7.3 Amplitude et intensité spectrale jointe appliquées au cas d’une fibre uniforme
7.3.1 Profil de notre impulsion de pompe
7.3.2 Terme de profil transverse pour une fibre uniforme
7.3.3 Intensité spectrale jointe d’une fibre uniforme
7.4 Simulation de la JSI d’une fibre uniforme
7.4.1 Spectre attendu d’une fibre uniforme
7.4.2 Paramètres d’influence du spectre d’émission
III Montage expérimental et mesure du spectre d’émission
8 Expérience et réglages de détection
8.1 Description détaillée du montage expérimental
8.2 Réglage des filtres de détection
9 Mesures de corrélations en régime de faibles comptes de photons
9.1 Bruits de mesure en régime de faibles comptes de photons
9.2 Mesures de corrélations temporelles
9.2.1 Histogrammes de corrélations temporelles
9.2.2 Coincidence-to-Accidental Ratio
9.2.3 Traitement des histogrammes de corrélations
9.2.4 Évolution du CAR vis-à-vis de la puissance dans la fibre
10 Balayage du spectre d’émission de la fibre
IV Non-uniformité du guide
11 Cas d’une fibre à non-uniformité linéaire
11.1 Modèle analytique d’une fibre de profil linéaire
11.2 Effets de la non-uniformité des fibres
11.2.1 Diminution du maximum d’émission
11.2.2 Élargissement et déformation du spectre d’émission
11.2.3 Non-réciprocité du spectre d’émission selon le sens de propagation
12 Intrication en polarisation des paires en présence de non uniformité
12.1 Principe de l’intrication en boucle Sagnac
12.2 Effet de la non-uniformité sur la visibilité des paires
13 Étude de profils transverses réalistes pour les fibres
13.1 Description par morceaux d’une fibre non uniforme
13.1.1 Intégration par morceaux uniformes de la fibre
13.1.2 Intégration par morceaux à variation linéaire du désaccord de phase
13.2 Spectres d’émission pour des profils transverses réalistes
13.2.1 Modèle de distribution aléatoire du zéro de dispersion
13.2.2 Variation linéaire du zéro de dispersion
13.2.3 Simulations de spectres de fibres typiques
13.3 Émission réciproque dans une fibre de profil transverse symétrique
Conclusions et perspectives
Annexes
A Définitions et Notations
A.1 Conventions d’écriture
A.2 Propriété d’intégration et de dérivation des expressions tensorielles
A.3 Symbole de Levi-Civita
A.4 Définition de la distribution de Dirac
A.5 Définitions des Transformées de Fourier
A.5.1 Propriétés des Transformées de Fourier
A.6 Définition de normalisation
A.7 Définition du produit de convolution
B Réponse électro-optique des matériaux
B.1 Polarisation des matériaux
B.2 Réponse impulsionnelle du milieu
B.3 Susceptibilité électrique
B.4 Permittivité diélectrique
B.5 Permittivité diélectrique inverse
B.6 Propriétés de symétrie des tenseurs électro-optique
B.7 Approximation de la réponse instantanée
B.7.1 Lien entre permittivités diélectriques dans l’approximation de la réponse instantanée
C Propagation linéaire et non linéaire dans une fibre
C.1 Énergie d’impulsion, intensité et amplitude de pompe
C.1.1 Intensité de pompe
C.1.2 Amplitude de notre champ de pompe
C.2 Propagation et élargissement d’une impulsion par automodulation de phase
D Processus non linéaires d’ordre 3
D.1 Cas de deux champs disjoints
D.2 Cas de trois champs disjoints
D.3 Cas de quatre champs disjoints
E Descriptions en mécaniques Lagrangienne, Hamiltonienne et quantification
E.1 Fonctionnelles
E.2 Équations du mouvement en mécanique Lagrangienne
E.3 Description Hamiltonienne et quantification
F Rappels de mécanique quantique
F.1 Définitions
F.1.1 Espace de Hilbert
F.1.2 Fonctions d’onde
F.1.3 Opérateurs
F.1.4 Observables
F.2 Représentations en mécanique quantique
F.2.1 Représentation de Schrödinger
F.2.2 Représentation de Heisenberg
F.2.3 Représentation d’interaction
F.3 Approche perturbative en représentation d’interaction
F.4 États de Fock
G Non-uniformité dans la littérature scientifique
Bibliographie
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