Avec la croissance démographique, les besoins alimentaires augmentent en Afrique de l’ouest alors que les longues périodes de jachère qui régénèrent la fertilité des sols diminuent (Floret and Pontanier, 1993 ; Ndour, 2003). On assiste à une intensification de l’activité agricole. Malheureusement, ces changements se sont déroulés au prix d’une dégradation des conditions environnementales. Il y a presque 20 ans, lors du « sommet de la terre » à Rio de Janeiro en 1992, qu’a été dressé le premier constat alarmiste concernant l’érosion de la biodiversité et ses conséquences potentielles sur le fonctionnement de la planète. Alors que la biodiversité a été longtemps perçue comme un bien inépuisable et que l’homme se devait de « dominer » la nature à son profit, d’autres perceptions de la place de l’homme sur la planète sont apparues comme par exemple la nécessité de sauvegarder la biodiversité, d’en assurer une utilisation durable et équitable. Afin de proposer des stratégies efficaces, il convient de bâtir des scénarios basés sur la connaissance du rôle des différentes composantes d’un écosystème dans son fonctionnement. L’étude de systèmes expérimentaux ayant mis en œuvre des traitements depuis de longue durée permet d’acquérir ces connaissances. Ainsi le développement de recherches en milieu naturel dans des observatoires de longue durée (représentatifs des types de sols, climats et modes d’usage des sols) est un enjeu stratégique. D’un point de vue écologique, le sol représente un habitat unique et complexe qui héberge une très grande diversité d’organismes. Il est le siège de processus biologiques et écologiques et fournit donc un nombre de services écosystèmiques résultant de la complexité des assemblages taxonomiques et fonctionnels des communautés présentes et des interactions entre les organismes (Coleman and Whitman, 2005). De façon non exhaustive ces services sont (i) la fertilité des sols via la dégradation de la matière organique et le recyclage des nutriments, (ii) la protection de l’environnement en terme de réduction des pollutions et régulation des émissions de gaz à effets de serre, (iii) l’alimentation humaine à travers la production végétale. Les microorganismes sont en grande partie responsables des flux de matière et d’énergie dans la biosphère et sont des acteurs importants du fonctionnement et de la dynamique des écosystèmes. Les microorganismes du sol (champignons et bactéries) représentent la communauté la plus importante tant en terme de fonctions (cycle des nutriments) qu’en terme de diversité (4000 séquences de gènes différentes dans 1 gramme de sol ; Torsvik et al., 1990 ; Maron et al., 2007). Leur intervention dans les cycles biogéochimiques des éléments majeurs (C, N, P) et des oligoéléments est capitale. Ils sont impliqués dans les transferts d’énergie et de nutriments au niveau du sol. Pourtant, le nombre d’études sur la quantification de la diversité des organismes du sol en général et des microorganismes en particulier et sa traduction en fonctionnement biologique est relativement faible au regard des travaux portant sur la diversité des organismes vivants à sa surface (notamment les plantes). Ceci est dû en grande partie à la complexité de cette communauté microbienne et aux difficultés d’isolement des bactéries. Tiedje et al. (1999) ont utilisé le terme de « boîte noire » pour définir la vision du compartiment microbien. Aussi l’écologie microbienne des sols, longtemps abordée selon une approche basée sur la culture dans les milieux sélectifs, a connu un nouvel essor grâce aux techniques de biologie moléculaire qui permettent d’explorer la diversité des communautés microbiennes sans passer par leur isolement (Duarte et al., 1998, Ranjard et al., 2000). Ces techniques sont basées sur l’analyse des acides nucléiques (ADN/ARN) directement extrait du sol.
A côté des différents types de sols et de climats, l’utilisation des terres est également un facteur clé gouvernant la diversité et l’activité des communautés microbiennes du sol (Buckley and Schmidt, 2003 ; Grayston et al., 2004; Bossio et al, 2005). Il est aujourd’hui établi que la structure des communautés microbiennes est sensible aux perturbations (Atlas et al.,1991), à la qualité de la matière organique (Pascault et al., 2010), à l’irrigation, à la structure des communautés végétales (Broughton et Gross., 2000), au travail du sol et aux changements dans le mode de gestion (Attard, 2008). De plus, l’activité et la distribution des microorganismes dans les sols varient en fonction des saisons et dépendent du type de pratiques culturales (Ndour et al., 2001). De même, dans les agrosystèmes tropicaux, les modes de gestion des terres jouent un rôle plus important dans la régulation des communautés microbiennes que dans les agrosystèmes tempérés (Bossio et al, 2005). Ainsi, le changement d’utilisation de terre, des pratiques agricoles inappropriées et le changement de climat peuvent entraîner une perte de C sous la forme de CO2, accompagnée d’autres émissions de gaz comme l’oxyde nitreux (N2O). Le N2O est un gaz à effet de serre important. Son pouvoir de réchauffement global (PRG) sur 100 ans est 310 fois plus élevé qu’une masse équivalente de dioxyde de carbone CO2 . Le N2O contribue également à la destruction de la couche d’ozone (Cicerone, 1989). Par ailleurs, sa concentration dans l’atmosphère augmente à un taux de 0,25% par an (GIEC, 2007). Les sources agricoles représentent environ 90% du total des émissions anthropiques de N2O (Duxbury et al., 1993). Par ailleurs, l’effet des intrants sur les émissions de N2O a été peu étudié, notamment l’effet des amendements organiques tels que les résidus de récolte.
Renouvellement de la matière organique par les apports exogènes
La MOS constitue un réservoir de carbone en constante évolution dont la qualité chimique et la quantité sont affectées par un apport ou la restitution de matières organiques au sol. On parle alors d’apport exogène.
On peut distinguer trois types de matières organiques exogènes :
– Les matières organiques brutes d’origine végétale telles que les résidus de récolte et de sarclage, les résidus de transformations des produits végétaux, les engrais verts cultivés ou spontanés, les plantes de couvertures et les tourbes;
– Les matières organiques brutes d’origine animale telles que les déjections animales diverses (bouses de vache, fumier d’étables, fiente de volailles et poudrette de parc) et les déchets d’abattoirs et;
– Les matières organiques évoluées d’origine multiple telles que le fumier de ferme, les ordures ménagères en zone urbaine ou rurale et les divers composts.
Les études concernant l’apport de matière organique exogène comme les résidus de récolte, les composts, les boues de stations d’épuration ou les fumiers, sur des sols cultivés sont nombreuses (Dorado et al., 2003; Personeni et Loiseau, 2005 ; Sebastia et al., 2007; Pascault et al., 2010 ). Les doses apportées sont variables, que ce soit en essais aux champs ou en incubations de serre ou de laboratoire. En général, les auteurs comparent différents amendements (Pascual et al., 1999 ; Celik et al., 2004; Hien, 2004; Brunetti et al., 2007), ou différentes quantités d’un même amendement. Dans ce dernier cas, la dose minimale est en quantité agronomique (10 à 20 t ha-1) et la maximale peut être 2 à 10 fois plus importante (Abdelhamid et al., 2004; Brunetti et al., 2007).
Facteurs impliqués dans la décomposition des matières organiques du sol
La décomposition des matières organiques est définie comme le processus de transformation des composés organiques dans le sol en leurs constituants de base (Paul, 1992). Elle s’exprime en termes de quantité de carbone minéralisé ou d’azote minéralisé. Elle est sous l’influence de facteurs abiotiques et facteurs biotiques.
Facteurs abiotiques
Facteurs physiques
La température, la disponibilité en eau, la texture et la structure du sol affectent la dégradation de la matière organique. La température est un paramètre très influant des processus biologiques (Ullah et Faulkner, 2006). A de basses températures, l’activité microbienne est en effet ralentie. Par contre, on observe une augmentation de l’activité biologique à mesure que la température croît, et ce jusqu’à ce que la température atteigne une valeur optimale. Au delà une diminution de l’activité est constatée (Hamdi et al., 2011). Pietikäinen et al. (2005) dans une expérimentation menée en laboratoire sur des sols forestiers et agricoles ont estimé que la température optimale pour la respiration pouvait varier entre 25 et 30°C. Passé l’optimum, le taux de respiration commence à diminuer et à partir de 45 – 50°C, températures auxquelles la majorité des enzymes commencent à être dénaturées, la respiration chute abruptement. Afin de lier la décomposition et la température, les scientifiques ont utilisé des fonctions pour décrire les réponses obtenues en fonction de la température. Une des plus utilisées est le coefficient de température Q10 (Davidson et Jansens, 2006 ; Kätterer et al., 1998 ; Hamdi et al., 2011). Ce coefficient représente le facteur par lequel le taux d’une réaction (ici la décomposition) augmente pour chaque élévation de 10 degrés de température. Cependant ceci n’est plus valable à une certaine température. En effet, Hamdi et al. (2011) ont observé une augmentation de l’activité respiratoire entre 20-50°C alors que le Q10 enregistré à 50°C n’estpas plus élevé que celui obtenu à 20°, 30° ou 40°C. Par ailleurs la variation du Q10 est fortement dépendante de la température de pré-incubation des échantillons, de la température et la durée de l’incubation (Conant et al., 2008 ; Hamdi et al., 2011). La teneur en eau est un des plus importants paramètres, étant donné son rôle dans la diffusion et la solubilité du dioxygène, mais aussi sur les mouvements des substrats et leur disponibilité. Ainsi Lin et Doran (1984) montre que le pourcentage des pores remplies d’eau, déterminé à partir de la teneur en eau et de la porosité, représente un indice performant pour caractériser les activités microbiennes. La saturation en eau du sol limite la diffusion de l’oxygène dans l’eau privilégiant les processus anaérobies de décomposition de la matière organique. Par ailleurs la structure du sol joue un rôle important, comme le montre l’influence de la compaction sur le taux de dénitrification (Ruser et al. 2006). Les différences dans la structure sont utilisées par de nombreux auteurs pour expliquer la distribution des microorganismes du sol et de leurs activités (Elliot et Coleman, 1988 ; Ladd et al., 1992 ; Darbyshire et al., 1993 ; Chotte et al., 2002). Yavitt et al. (2004) et Kirschbaum (2006) ont montré respectivement que la vitesse de dégradation, ainsi que les flux de nutriments peuvent être affectés indirectement par les facteurs physiques, modifiant ainsi les processus microbiens (Fioretto et al., 2001) et enzymatiques impliqués dans la décomposition de la matière organique. La profondeur également joue un rôle important dans la distribution spatiale des communautés microbiennes (Taylor et al., 2002) des activités enzymatiques (Niemi et al., 2005), dans la respiration globale (Pavelka et al., 2007), la disponibilité en azote (Corbeels et al., 2003). Ces auteurs démontrent une corrélation négative entre la profondeur et les activités microbiennes. Les communautés microbiennes et leurs activités sont plus élevées dans les premiers centimètres du sol (Niemi et al., 2005).
Facteurs chimiques
Le pH et les caractéristiques chimiques de la MO (teneurs en différents polymères, en composés récalcitrants et en nutriments), la concentration en azote et les substances allélophatiques peuvent contrôler la décomposition globale de la MO (Dignac et al., 2002; Davidson et al., 2006). En fonction du pH d’un sol, l’activité microbienne peut augmenter ou baisser. Weier and Gilliam (1986) ont trouvé que l’acidité du sol est un facteur limitant de la dénitrification. Le pH peut aussi être le résultat de l’activité microbienne. Ainsi, la minéralisation de l’azote organique sous l’action de bactéries ammonifiantes fait apparaître des ions NH4+, et le pH augmente au voisinage immédiat des colonies bactériennes. Les caractéristiques intrinsèques des matières organiques sont un des principaux déterminants de leur minéralisation (Heal et al., 1997). Leur biodégradabilité dépend de leur composition biochimique tels que les composés solubles, les hémicelluloses, la cellulose, les lignines, les polyphénols et les tannins (Swift et al., 1979, Bending et al., 1998, Trinsoutrot et al., 2000a). Swift et al. (1979) ont désigné toutes ces caractéristiques sous le terme générique de « qualité » de la matière organique.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I : SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
1 Le système étudié : le sol
1-1 La fraction minérale
1-2 La fraction organique
1-3 La structure ou mode d’assemblage des éléments
2 La matière organique du sol (MOS)
2-1 Renouvellement de la matière organique par les apports exogènes
2-2 Facteurs impliqués dans la décomposition des matières organiques du sol
3 Les microorganismes du sol et leur rôle dans le fonctionnement de l’écosystème
3-1 Processus de transformation du carbone
3-2 Processus de transformation de l’azote
CHAPITRE 2 : MATERIEL ET METHODES
1 Cadre de l’étude
1-1 Particularité de la zone d’étude
1-2 Présentation de la zone d’étude de Saria
2 Dispositifs expérimentaux et échantillonnage
2-1 Le dispositif expérimental de Saria II et les parcelles MICROBES
2-2 Expérimentation en serre
3 Analyses
3-1 Propriétés physico-chimiques du sol
3-2 Détermination de la biomasse microbienne
3-3 Activités microbiennes
3-4 Analyse moléculaire des communautés bactériennes
3-5 Analyses statistiques
CHAPITRE III : RESULTATS
1 – Impact à long terme d’application d’intrants organiques et d’urée
1-1 Introduction
1-2 Matériel et Méthodes
1-3 Résultats
A) Effets de l’application à long terme d’apports organiques et minéraux sur les communautés microbiennes
B) Effets de l’application à long terme d’apports organiques et minéraux sur la densité, l’activité et la structure des communautés responsables de l’émission de N2O
C) Effets de l’application à long terme d’apports organiques et minéraux sur la production végétale
1-4 Discussion
2 – Impact de la qualité biochimique des résidus et de la plante sur le fonctionnement microbien
2-1 Introduction
2-2 Matériel et méthodes
2-3 Résultats
A) Effet de la qualité biochimique des résidus organiques apportés : évolution des propriétés
B) Effet de la présence de plante : évolution des propriétés
2-4 Discussion
CHAPITRE IV : DISCUSSION GENERALE
1- Réponse microbienne aux pratiques de gestion de la fertilité des sols
2- Relation abondance-diversité-fonction : manipulation par les intrants organiques
3- Apport à la connaissance de l’étude structurale de la communauté microbienne
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES